Sa jambe ne pouvait s’empêcher de tressauter, assis dans le siège inconfortable de la navette atterrissant sur le hangar privé du Centre des Orientations Impérial. La seule chose qu’il pouvait se permettre, avant de maintenir sa contenance une fois à l’intérieur de la base. La secousse indiquant la fin de l’atterrissage lui prit la gorge, poussant ses membres à s’étirer avant de se lever. Il se présenta devant l’ouverture de la navette, réajustant les plis de son uniforme blanc comme neige.
— Bienvenue capitaine, lui déclara l’intendant de la base alors que ses bottes touchaient enfin le sol.
Droit comme un i, présentable. Cette station semble plutôt bien tenue, songea Jocle Partagaz.
— Le rapport préliminaire a-t-il été confirmé ? demanda-t-il.
— La suspecte correspond en effet à vos protocoles d’alertes établis il y a trois ans monsieur, lui affirma-t-il. Je vous y conduit, ajouta-t-il d’un geste de la main.
— Parfait. En route.
Les affirmations se succédaient les unes après les autres, mais Jocle Partagaz ne croyait que ce qu’il voyait de ses propres yeux. Ses convictions balayaient les obstacles sur son chemin, mais très tôt, il avait appris des leçons douloureuses. Le comportement de son père à son égard lui montrait qu’il fallait se montrer plus certain que les autres pour demeurer crédible.
— Vous savez, nous étions tous surpris de recevoir la visite d’un officier tel que vous monsieur, reprit l’intendant alors qu’il l’escortait à travers cette base.
— Vous n’avez pas l’habitude du travail bien fait caporal ?
— Ce n’est pas ce que je voulais dire monsieur, se défendit-il. Mais que vous vous montriez toujours concerné après ces années… Votre père ét-
— Je me trouve bien au fait de qui est mon père caporal, l’interrompit-il.
Une intervention possédant le don de le calmer. Il fallait que Jocle se trouve affublé de ce genre de sous officier friand de commérage. Faisant montre de déférence au sujet de son paternel. Tentant d’en apprendre davantage au sujet du grand major Partagaz et de son leadership au sein du BSI. Chaque sous-officier ne pouvait s’empêcher de le ramener à son père. Faire preuve d’implication en l’occurrence, en délaissant ses enquêtes et autres assignements en cours, pour se pencher de nouveau sur cette affaire datant ses débuts… Et pourtant, ils ne reconnaissaient que le fils d’un père prétendument irréprochable dans son travail.
Jocle leur montrerait. Leur rappellerait à tous que ce qui s’était produit en ce fameux jour relevait d’une terrible injustice. Son père sera forcé d’admettre de s’être fourvoyé, en laissant ses opérateurs le railler à la vue de tous. Si la corpo en charge de ce complexe, PsychoTech Industries, avait anéanti ses données, laissant l’escouade dépêchée sur place disparue en opération, que pouvait-il bien y faire ? Ce n’était pas de son fait ! Et pourtant…
Incapacité à remplir ses obligations. Peu importe ses états de services exemplaires depuis ce jour, cette évaluation demeurait gravé sur son dossier. Et le regard des autres, se croyant supérieurs…
Cette Dedra Meero, qui pouvait bien se permettre ce qu’elle voulait. Se donnant de grandes manières, hautaine, alors qu’elle n’avait jamais rien accompli pour mériter pareil statut. Son père lui passant ses irrévérences, ses manques de respect répétés pour l’institution, pour se mettre en avant.
Cette pauvre conne mérite ce qu’il lui arrive… Une justice existait après tout. Jocle pourrait montrer la voie par son travail, plutôt que par le second moyen qu’il avait imaginé. Se rapprocher d’elle, la séduire, pour saboter son travail. Et l’humilier pour cela, devant son père. Pour que le grand major Partagaz saisisse qu’il s’était trompé, à la préférer à son propre fils. Mais Jocle n’avait pas besoin de s’abaisser à cela. La déchéance de Dedra ne suffisait pas. Son père devait apprendre la leçon. Il la méritait…
— Vous comptez me donner ce datapad caporal ? s’impatienta-t-il devant le silence ponctué par les bottes résonnant dans ces couloirs froids.
— Oui, bien sûr monsieur. Désolé, ajouta-t-il en lui tendant le rapport.
Ses yeux balayant chaque détail ne lui apprirent rien de plus. Quelques informations supplémentaires, comparé à ce qu’on lui avait envoyé lors de la capture de cette femme figurait, mais pas de quoi lui apporter ce qu’il lui faisait défaut. La rencontre avec la fameuse gangrène du BSI. Non seulement mettre la main sur cette dangereuse criminelle, mais obtenir des réponses concernant cette vieille affaire. La notification tombait à pic. Preuve qu’il faisait son travail consciencieusement, chacun de ses dossiers comportait un signal d’alerte personnalisé en cas de nouvelles informations.
Jocle avait arrangé sa venue dans le Centre des Orientations Impérial, soi-disant pour un séminaire dans le cadre du choix d’affectation des futures recrues. La couverture parfaite pour justifier son déplacement, ses pas arpentant la structure dissimulée sous cette installation publique. Les couloirs réduits à leur seule fonction utilitaire ne le dérangeaient pas. Jocle ne comptait pas parmi ces amateurs d’apparats, peu fréquents, mais déjà trop nombreux.
L’aile réservée aux cellules se présageait déjà. Le simple rappel du motif de sa présence lui avait rendu ce trajet plus court. Un double effet capital. Pour se rappeler pourquoi il agissait ainsi, avec une minutie étudiée. L’intendant ouvrit la porte pour se retrouver de l’autre côté de la cellule, séparés par du transparacier teinté. L’interrogatoire durait depuis plusieurs jours. Mais elle semblait plutôt alerte…
— Que pouvez-vous me dire personnellement à son sujet ?
— Très peu de choses en dehors des rapports monsieur. Elle se montre extrêmement tenace, résistant à tout ce que nous avons pu tenter. Les protocoles habituels manquant d’efficacité, nous sommes parfois revenus à des moyens plus… Conventionnels dirons-nous.
Sa courte observation lui avait déjà révélé cela. Jocle ne s’étonnait pas que pareil terroriste soit une femme, ayant déjà eu maille à partir avec une blonde des plus tenaces. Mais comme la précédente, le retour des choses se produirait.
— Très bien. Faites-moi entrer, je ne veux pas perdre un instant.
L’accès s’écarta devant ses pas, pénétrant enfin dans cette pièce. Difficile d’imaginer le traitement subit. Jocle s’était attendu à un air ambiant nauséabond, odeur peu plaisante se collant dans ses narines dans ce genre d’instant. S’y habituer ne servait à rien, il devait sortir prendre l’air bien souvent pour que cela ne se transforme pas en démangeaisons tenaces dans sa gorge. Les hématomes se révélaient peu nombreux, ses cheveux et son visage témoignant d’une extrême fatigue, mais guère plus.
Peu affectée par le manque de sommeil, mais elle résiste. Qu’à-t-elle subit dans ce complexe à l’époque ? Les outils de rétentions bardaient son corps au complet. Rien de plus légitime, le rapport faisait mention de sa résistance, ayant tué deux autres gardes durant son incarcération ici. Une femme aux multiples talents, tranchant avec son identité civile.
— Capitaine Jocle Partagaz, annonça-t-il sans vraiment l’intéresser. Avez-vous la moindre idée derrière ma présence ici ?
Elle leva la tête avec une mollesse propre à son état, passant un court regard sur son visage.
Pas vilaine pour une rebelle, même dans ces circonstances…— Vous êtes ici pour envoyer un message à papounet ? cracha-t-elle.
Le bruit de la couture de ses gants manqua d’éclater sous la pression écrasante ses doigts.
Je comprends le traitement qu’elle a reçu… Et à quel point elle se trouve au fait de choses… Elle va me parler, avec ce que j’ai pour moi. Et elle va payer. Mais avant cela… J’ai besoin de savoir.— C’est étonnant le nombre de choses que vous savez à propos d’autrui, Mhoxa. Ou devrais-je dire madame Vin…
Elle plissa tout juste les yeux avec un naturel intriguant.
— Vous vous surprenez à l’écoute de votre nom ? Zaniah Vin, 38 ans anciennement employée chez Rivia Applications. Mariée, une fille…
— Vous pouvez déblatérer tant que vous voulez, votre petit jeu ne prendra pas, se défendit-elle.
— Je me trouve simplement ici pour obtenir des informations.
— Ca ne changera rien. Peu importe si je vous dévoile tout ce que je sais. Votre Empire à prouvé son impuissance. Il s’effrite déjà, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne s’effondre, peu importe que je sois là pour le voir ou non.
Elle doit en effet disposer de nombres d’éléments… L’Axe est quelqu’un de très précautionneux, mais j’en tirerais des informations. Mais cela n’importe pas. J’ai besoin d’autre chose… Je l’ai pris au dépourvu en dévoilant son nom. Et la maîtrise sur les traits de ce joli minois ne suffit pas à dissimuler les tics en dévoilant les détails supplémentaires. Se pourrait-il que… Jocle pianota sur son datapad, activant l’holo-écran contre le mur.
— Vous devriez vous reconnaitre malgré les années passées, déclara-t-il devant l’affichage du dossier de la prisonnière.
— Vous… Vous ne savez plus quoi inventer, bredouilla-t-elle après une étude plus longue qu’attendu.
— Vous avez été victime d’un grave accident de speeder, révéla-t-il avant de relire la mention sur le dossier. Votre propre négligence vous a couté votre mari et votre fille, ainsi que vos jambes, votre bras gauche, parmi d’autres choses.
— Vous mentez ! vociféra-t-elle avant de grimacer sous l’effet d’une profonde douleur inattendue.
— Il ne s’agit pas d’une falsification. Ces données sont ressorties suite à la prise de vos données biométriques. Renforcées par un prélèvement d’épiderme pour authentifier les analyses.
Elle secouait vainement la tête, entravée qu’elle se trouvait.
Cette idiote pensait réellement que je me déplacerais pour une manœuvre de mensonge digne d’un amateur ? Ces Rebelles n’était qu- Non… Il y a autre chose. Elle est perdue. Pour la première fois, véritablement, après tout ce qu’elle a subit… Elle souffrait, cherchant à se prendre la tête à deux mains.
— J’ai besoin de connaitre l’étendue vos liens avec PsychoTech Industries, reprit-il. Le fruit de votre collaboration avec eux, et ce qu’il s’est produit dans ce complexe.
— Je n’ai rien à voir avec tout ça, répondit-elle d’une voix tremblante.
Son dossier mentionnait son habilité à éviter les pièges. Jocle voyait clair dans cette tentative de dévier le sujet digne d’un enfant maladroit.
Attiser la pitié aussi grossièrement. J’ai la main sur elle.— Soyez attentive je vous prie, lui demanda-t-il en lançant l’holovid du dossier.
L’enregistrement de la clinique était daté. Jocle voyait Vin se contempler elle-même, installée dans un lit classique, un représentant de PsychoTech Industries assis auprès d’elle.
—
Je suis au courant de tout madame Vin, déclarait le représentant corpo. Votre accident est une terrible tragédie, pouvant arriver à n’importe qui. Vous conduisiez, certes, mais ce n’est pas votre faute.Vin ne répondait pas, son mutisme s’imposant sur son visage embué de larmes. Reflet troublant de son état ici, dans cette pièce, en face de lui.
—
La clinique prend en charge les prothèses adéquates, reprit-il. Vous ne devriez pas les refuser.
— Vous avez quelqu’un dans votre vie ? protesta-t-elle bouleversée par des émotions contradictoires. Vous avec un enfant ? Alors vous ne pouvez pas comprendre, annonça-t-elle devant l’absence de réponse du type. Tout ce que vous croyez m’offrir ne fera jamais partir cette souffrance…Le corpo jouait ses cartes à la perfection. Il se rapprocha d’elle plus encore, posant sa main sur le seul membre encore valide de Vin.
—
Vous ne devez pas gâcher votre vie, vous êtes encore jeune. Vous pouvez encore vous montrer utile, je vous l’assure. Ma compagnie développe un moyen pouvant vous faire reprendre votre vie comme avant. Vous n’aurez plus aucun souvenir de cette tragédie, et du rôle que vous y avez joué. Vos malheurs seront effacés, je vous l’assure.Il venait d’accaparer son attention avec brio. Ces corpos ne valaient guère mieux que les Rebelles. Même s’ils vivaient pour l’anarchie, au moins ces terroristes croyaient en quelque chose, un idéal, une vraie foi. Mais amadouer des pauvres gens innocents, pour leur promettre monts et merveilles, tout cela pour le profit ou des recherches contraires à l’éthique… Jocle devait obtenir le fin mot de cette histoire. Peu importe que PsychoTech Industries se trouve désormais fermé. Que ce genre de protocoles n’existe plus jamais.
Vin sanglotait, le regard perdu sur le corpo dégainant un datapad.
—
Il s’agit de protocoles néanmoins risqués, et j-La main valide de Vin se précipita en direction du datapad dans un sursaut salutaire, l’interrompant pour apposer son consentement. Sans même avoir lu les termes. Sans même que le corpo aille au bout de son misérable discours. L’enregistrement se terminait sur le corpo lui annonçant qu’elle avait fait le bon choix.
Son premier visionnage durant son trajet jusqu’ici l’avait empêché de se reposer, de trouver un semblant de calme. Le revoir une nouvelle fois faisait passer ce même fourmillement dans son bras gauche. Du dégout mêlé à de l’injustice. Ces gens ne méritaient pas d’être utilisés de cette manière. Jocle se trouvait affecté sur un secteur différent désormais. Mais il ne pouvait laisser cela demeurer impuni. Son attention se reporta sur la prisonnière. La main droite du capitaine saisit la gauche pour stopper ce qui l’animait. Cette odieuse femme avait assassiné des centaines de membres du BSI. Saboté nombres d’opérations. Une rebelle détestable. Mais les crispations sur son visage humide lui démangeaient la gorge.
Une femme détruite. Recevant une promesse de reconstruction illusoire. Qui a, semble-t-il, miraculeusement fonctionné, en témoignait son amnésie partielle jusqu’ici. Pour tout reperdre en faisant face à ses actes. Elle aurait mérité qu’on l’exécute sans délais plutôt que de subir ce châtiment. Jocle n’avait jamais voulu cela.
La vie ne nous réserve pas ce qu’il y a de meilleur pour nous. Dans sa cruauté, son père dispensait son lot de perles de sagesses… Jocle venait de lui laisser suffisamment de temps pour accuser le coup.
— Je comprends ce que cela implique pour vous madame Vin, reprit-il avec une contenance retrouvée. Votre coopération peut vous garantir une option de sortie. Non seulement en dévoilant les informations que vous détenez, mais si vous acceptez de témoigner de ce que vous avez subit aux mains de PychoTech Industries, nous pourrions éviter d’en arriver aux mesures les plus extrêmes.
Mesures les plus extrêmes… Non mais tu t’entends ? Comment présenter les choses d’une autre manière de toute façon… Les contours d’un marché se profilaient dans son esprit. Un témoignage à charge, pour édicter de nouvelles lois concernant les corpos. Des tests, pour déterminer à quel point elle avait été privée de ses souvenirs. S’il devait peser dans la situation pour qu’elle soit transférée dans des unités de soutien psychiatrique adaptées, il le ferait. Ce ne serait pas la première fois qu’il s’investirait dans une affaire, pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Pour une fois qu’une rebelle méritait une seconde chance…
— Je… Il y a bien une chose dont je me souviens à présent, lui annonça-t-elle, toujours en larmes en rejoignant son regard. Quelque chose qui conviendra…
Un sursaut inconnu éleva la poitrine de la prisonnière. Jocle laissa ses pas l’approcher d’elle.
— Quelque chose qui va me permettre de les rejoindre, précisa-t-elle.
Trois bips heurtèrent ses oreilles, avant qu’un sourire triste ne se dessine sur son visage. Jocle Partagaz sentit un souffle ardent lui jaillir au visage. Avant de dégringoler dans un tourbillon obscur.
*****
Branchez-vous sur l’holonet Luthen, c’est important, lui avait-elle dit. Il s’en contrefichait bien ! Mhoxa ne donnait plus signe de vie depuis plus d’une semaine. Comment imaginer qu’elle puisse périr alors qu’elle se contentait de s’infiltrer pour des informations cette fois ? Capturée ? Elle se montrait pourtant du genre à prendre des précautions, sans compter qu- Ses pensées s’interrompirent devant le bandeau d’information.
Attentat rebelle. Le Centre pour les Orientations Impérial touché.
— Nous ne possédons toujours pas d’informations supplémentaires, déclarait la présentatrice Twi’lek. La suspecte dénommée Zaniah Vin s’était introduite avec pour but de viser les adolescents se rendant dans ce centre décidant de leur avenir prometteur au sein de l’Empire. Le bilan fait toujours état de dix personnes confirmées ayant perdu la vie, dont le capitaine Jocle Partagaz, fils du major Partagaz. Le capitaine était prévu pour une conférence portant sur les métiers de l’ordre. Orateur attendu, il s’est toujours montré impliqué pour la promotion de nos valeurs. L’ensemble de la rédaction ainsi que moi-même présentons nos plus sincères condoléances à sa famille et ses proches, qu’ils puissent continuer la lutte contre les horreurs commises par ces terroristes rebelles.Le fil du discours de cette Twi’lek devint un bruit lointain, inaudible. Zaniah Vin… Ou Mhoxa, quel qu’était son nom. Sa photo ne laissait guère de place au doute. C’était elle. De son fait. Comment et pourquoi avait-elle commis cet attentat à la bombe, cela, Luthen l’ignorait. Mais ce Centre pour les Orientations Impérial ne constituait qu’une façade. Luthen avait appris à lire entre les lignes de la propagande de l’Empire depuis bien longtemps.
Mhoxa a du se faire prendre. Et plutôt que d’avouer ou se compromettre, elle a trouvé un autre moyen. Comment ? Peu importe. Luthen laissa ses pas excités le précipiter dans son arrière boutique, s’assurant de se trouver seul. Sa réjouissance s’étira sur ses lèvres, ses bras se levant vers les cieux, avant que ses jambes ne se balancent. Un pas de plus.
Un pas de plus…