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Chapitre 3. Cercle
 
Le miroir qu’il contemplait lui renvoyait son propre désespoir. Revêtu d’une épaisse tunique sombre réservée aux Dignitaires du Cercle du Pouvoir impérial, coiffé d’une toque mauve qui penchait maladroitement sur la gauche, Sate Pestage haïssait ce visage ravagé par la tristesse et la peur. Ce visage, pourtant, était son visage. Son visage. Ses yeux gris qui avaient perdu de leur éclat, ses rides qui lui tailladaient son faciès verdâtre aux allures simiesques. Son visage était le visage d’un vieillard qui, toute sa vie, n’avait été qu’un pantin.

Son titre était l’exemple même de l’emploi fictif : Grand Chancelier impérial. Le titre de Chancelier suprême – une mascarade en soi – avait été supprimé à l’avènement de l’Empire, plus de deux décennies plus tôt. Ce fameux jour où le dernier chef de la République, tout auréolé de son triomphe sur les séparatistes à l’issue de l’atroce Guerre clonique, avait mis fin au chaos en se faisant proclamer Empereur. Ce jour où, en récompense de sa perpétuelle loyauté, Pestage avait reçu le titre – purement creux – de Grand Chancelier impérial, histoire de montrer que c’en était fini de l’ancien système.

Pestage ne pouvait guère en vouloir à Palpatine. Pourquoi lui aurait-il reproché de porter sa carrière politique à son zénith ? Jamais il n’atteindrait de plus hautes fonctions au sein de l’Empire. Il était craint et respecté, car jouissant de la confiance absolue de l’Empereur. Ce fut à lui, Pestage, que le divin Maître avait confié la délicate mission d’annoncer au Sénat impérial qu’il était dissous au profit d’un ensemble de systèmes planétaires dirigés d’une main de fer par les Moffs. Il se souvint de la réaction des sénateurs – une véritable tempête de protestations, qui ne dura point, puisqu’ils furent tous arrêtés dans la minute par la Garde impériale. Pestage ignorait que les escadrons pourpres étaient prêts à l’action. Mais ce fut lui que les sénateurs ceinturés et menottés invectivèrent en le pointant du doigt, ce fut lui qui récolta le premier leur haine et leur rancœur. Son nom serait à tout jamais associé à la mort des derniers vestiges de l’ancienne République, survenue au même instant que la destruction d’Alderaan, marquant l’entrée en service officielle de la première Etoile noire. L’Histoire était faite de symboles : Pestage, à son corps défendant, en était devenu un.

- Votre Excellence, le Grand Conseil n’attend plus que vous, lui chuchota un autre dignitaire impérial d’une voix sourde.
- J’arrive, répondit-il doucement.

La situation actuelle pouvait se résumer en une phrase : l’Empereur était mort, Vador l’était avec lui, la seconde Etoile noire avait été détruite, et la Flotte avait subi un revers sérieux sur Endor. Oui, rien que ça. Toutes ces calamités avaient déferlé en quelques minutes sur les récepteurs du Palais impérial, suite de messages d’abord laconiques, puis détaillés, transpirant l’affolement et suintant la débâcle. Un certain capitaine Pellaeon avait pris la tête des survivants et était en train de les regrouper sur le système Annaj. Pellaeon ! Pestage, de sa vie, n’en avait jamais entendu parler…

- Comment sont-ils ? demanda Pestage au général impérial qui se tenait à côté de lui.
- Prévisibles, répondit Kutchann, un soupçon de lassitude dans sa voix. Anxieux. Prêts à trahir ou à créer leurs propres empires.
- Alors allons-y.

Les deux hommes quittèrent les appartements personnels du Chancelier et marchèrent à pas lents vers la salle abritant le Grand Conseil impérial, une instance qui jusque là n’avait guère compté pour l’Empereur, sinon dans le but de mouiller davantage les haut-fonctionnaires de l’Exécutif – ou alors pour rédiger des décrets du style « Transformation de l’orthographe de Darth Vader en Dark Vador ». Il fallait, pour rejoindre la pièce, longer un immense couloir baignant dans une lumière bleutée, tracé par des colonnes de cristal directement importé du monde de She’Zrrl et environné d’hologrammes picturaux représentant les plus belles œuvres d’art de l’Empire que le divin Maître, dans un élan de générosité, avait daigné offrir au gouvernement. Ce couloir était lui-même une œuvre d’art en soi, qui écrasait largement l’autre Grand Corridor, pour sa part fréquenté par cette horrible plèbe…

Au demeurant, le Palais impérial n’était qu’un vaste labyrinthe de couloirs dont la beauté artistique était proportionnelle à leur proximité du centre de décision. Mais autant le Palais présentait cette apparence extérieure d’unité presque brutale, autant l’intérieur plongeait dans la diversité architecturale. Palpatine avait certes des défauts, mais l’on ne pouvait nier son libéralisme et sa tolérance en matière de décoration…

- Nous y sommes, reconnut Kutchann une fois arrivés devant l’immense porte d’entrée en bois de Graïyl incrustée de diamants qui marquait l’entrée du Conseil. Au delà, le maelström.
- Avons-nous le choix ? lui confia Pestage.
-
Kutchann haussa les épaules.

- L’Empereur ne nous l’a pas laissé, je le crains…

Pestage lui jeta un regard énigmatique.

- Croyez-vous ?

La porte s’ouvrit sans bruit – merveille de la mécanique.

Et ils entrèrent dans le maelström.

La salle – richement décorée, style baroque – était dénuée de baies vitrées, ce qui pouvait développer chez certains quelque tendance claustrophobe. Et en l’occurrence, beaucoup étaient affectés de ce syndrome.

Qui voyait le Conseil ne songeait plus à la salle. Comme l’avait relaté un écrivain célèbre, dans un tout autre contexte :

« Rien de plus difforme et de plus sublime. Un tas de héros, un troupeau de lâches. Des fauves sur une montagne, des reptiles dans un marais. Là fourmillaient, se coudoyaient, se provoquaient, se menaçaient, luttaient et vivaient tous ces combattants qui sont aujourd’hui des fantômes. »

Une quinzaine de Grands Moffs se tenaient autour d’une grande table ronde gris métallisé, ainsi que de nombreux autres Moffs, amiraux et officiers que Sate Pestage renonça à compter. Tous n’étaient pas présents en chair et en os, mais par canal holographique, ce qui donnait à ces derniers un aspect presque fantomatique, irréel – de véritables spectres. Pestage reconnut cinq Grands Amiraux parmi eux. Leur uniforme blanc immaculé scintillait de mille feux.

Kutchann rejoignit sa place réservée, à l’autre bout de la table. Pestage s’y dirigea également, et s’installa sur un siège à répulseur qui se trouvait à la droite de ce qui, jusqu’à présent, avait constitué le trône impérial. Le siège avait toujours été celui du Grand Chancelier. Le trône était à Palpatine. Ou à celui qui saurait lui succéder.

Un silence pesant s’était imposé face au choix particulièrement symbolique de Pestage.

- Messieurs, je vous remercie de votre attente, déclara d’entrée de jeu celui-ci.

Quelques ricanements résonnèrent.

- Comme vous le savez, poursuivit froidement Pestage, l’Empereur a été tué dans des circonstances inconnues au cours d’un affrontement avec les Rebelles à Endor. La flotte du Seigneur Vador a pareillement été vaincue. L’Etoile noire a été détruite.
- Nous le savons, Chancelier, répliqua un Grand Moff d’une vois tranchante. La question qui se pose est de savoir si l’Empereur a pris ses dispositions pour la succession.
- Permettez, fit valoir un des Grands Amiraux. Il nous faut d’abord évaluer la menace que font peser les Rebelles sur nos systèmes.

Et ce qui avait commencé dans le calme le plus hypocrite déboucha en quelques secondes sur un lamentable brouhaha. Pestage remarqua que Kutchann gardait le silence.

- Je vous parle de dizaines – que dis-je, de centaines – de systèmes qui ont pris les armes contre nous à la seconde où la mort de l’Empereur a été annoncée, intervint un autre Grand Moff. Nos forces de sécurité sont débordées.
- … quand elles existent ! rétorqua un amiral.
- … quand elles existent, en effet, approuva la Grand Moff.

Pestage, de toute évidence, avait déjà perdu le contrôle. Intérieurement, il savourait toute l’ironie de la situation. L’Empereur avait mis fin à la République parce que cette dernière était par trop divisée. L’Ordre nouveau ne se justifiait que par le totalitarisme, non la multiplication des points de vue. Grande avait été la désillusion : les Moffs s’avéraient en réalité aussi insupportables que les sénateurs les plus aguerris. Peut-être qu’au fond il était impossible d’instaurer un régime tel que revendiqué par Palpatine et ceux qui, comme Pestage, l’avaient soutenu…

Pestage se demanda également pourquoi les Moffs avaient toujours le faciès de l’emploi. Pas un qui ne fût dénué de quelque défaut physique : gros ou maigre, petit ou très grand, tous… d’une laideur à faire pâlir les plus grands esthètes. La palme revenait sans aucun doute au feu Grand Moff Tarkin – surnommé le « nabot maléfique » parmi ses ennemis. Il n’y avait guère que Leonia Tavira à être vraiment bonne…

Une voix tonna dans la salle. Tous la reconnurent immédiatement. Plusieurs paires d’yeux se tournèrent vers un hologramme représentant un amiral de la Flotte.

- Amiral Zsinj, répliqua Pestage calmement. Avez-vous des suggestions à formuler ?

L’hologramme dénommé Zsinj trembla. Apparemment, la communication était difficile à maintenir. L’homme en question n’avait rien de bien remarquable sur le plan physique. Il était néanmoins fort réputé pour ses capacités tactiques et surtout son manque total de pitié.

- Des suggestions, Chancelier ? sourit cruellement Zsinj – il avait particulièrement appuyé ce dernier mot. Non, en vérité. Simplement des constats.

L’assemblée s’était tue. Zsinj reprit, sinistre:

- Je constate que l’Empereur a cessé d’exister. Je constate qu’il n’a pas de successeur. Je constate que le pouvoir central est incapable de faire régner l’ordre dans sa propre capitale…

Pestage se racla la gorge, pressentant ce qui allait venir.

- Je constate au surplus que face à ces périls, les membres de cet honorable Conseil passent davantage de temps à se chamailler et faire jouer leurs rivalités qu’à émettre une véritable stratégie.

Il y eut des réactions chez certains. Pestage attendait l’inévitable.

- Chacun d’entre nous a été nommé à ce poste parce qu’il jouissait de la confiance, de la protection de l’Empereur, ajouta Zsinj. Ne nous leurrons pas : tout reposait sur l’Empereur. Notre système était entièrement fondé sur des rapports de fidélité entre lui et nous. L’Empereur est mort. Je m’estime dès lors délié de mes obligations envers lui.
- Est-ce à dire que vous passez à l’ennemi, amiral ? répliqua instantanément Pestage.

Le sourire de Zsinj s’agrandit.

- Non, Chancelier. Je constate que la galaxie est à qui veut la prendre.

Cette phrase résonna comme un coup de tonnerre sur l’assemblée. Un coup de tonnerre que tous attendaient, en fait. Car Zsinj avait dit vrai. L’amiral acheva en grande pompe son bref exposé :

- Dès cette seconde, moi, Zsinj, me proclame Seigneur de la Guerre du Secteur Quelli ! Je n’ai plus de compte à rendre à l’Empire pas plus qu’il n’en a à mon égard. Messieurs, je vous salue bien.

Et l’hologramme disparut.

- L’amiral Zsinj a entièrement raison, renchérit soudainement un autre amiral par retranscription holographique. Il est pitoyable de voir les anciens thuriféraires de l’Ordre nouveau sombrer dans des bisbilles dignes des heures noires de la Guerre des Clones.

Une lueur d’inquiétude brilla dans les yeux de certains membres du Conseil. Celui qui venait de parler n’était autre que l’amiral Gaen Drommel, commandant du supercroiseur interstellaire Gardien, un vaisseau de la classe Executor. Un fait qui était en soi désagréable à la lumière de sa prise de position et devenait carrément terrifiant lorsque l’on savait que le Gardien était en orbite géostationnaire au dessus de… Coruscant.

- Je me sens également délié de mon serment de fidélité à l’Empire. L’homme qui incarnait cet Empire et justifiait ce serment est mort. Je n’ai rien à faire ici. Il me faut protéger mon secteur contre les menées des Rebelles et autres traîtres.

L’hologramme s’éteignit à son tour.

- Bon sang, éructa un Grand Moff. Ce salopard de Zsinj possède lui aussi un supercroiseur de type Executor !

Sur la console d’informations située en face de Pestage, ce dernier put également lire une information aussi déprimante : le Grand Moff Kaine, à qui l’on avait également confié un vaisseau Executor, avait décrété l’indépendance de son système regroupant cinq corporations impériales de grande taille désormais baptisées Alignement Pentastellaire. A défaut de lucidité et de loyauté, songea Pestage, Kaine ne manquait ni d’imagination, ni de gloriole.

Et pendant quelques minutes, le même spectacle se répéta : le Grand Amiral Grunger constituait son propre royaume dans le secteur Gargon avec ses quarante destroyers, le Grand Amiral Teshik également, et ainsi de suite… Chacun y allait, assouvissant ses fantasmes de grandeur impériale. Pestage assistait à cette mascarade sécessionniste, fataliste et écoeuré. Un douloureux sentiment d’impuissance le paralysait – mais au fond, c’était un juste retour des choses. Palpatine avait sciemment détruit la République en attisant les séparatismes, quitte à se débarrasser de ces pantins ultérieurement. L’Empire périssait de la même manière…

Pestage se dit qu’il devait intervenir. Mais avant qu’il n’ait pu prononcer un mot, une voix féminine se fit entendre. A cet instant, l’autorité qui avait manqué à Pestage se réintroduisit dans la salle du Conseil.

- Ces traîtres paieront tous, déclara Ysanne Isard, qui venait d’entrer dans la pièce, refroidissant immédiatement l’ambiance. Ils seront exterminés jusqu’au dernier. Pour félonie, sédition, et… incompétence.

Elle se dirigea vers Pestage à pas rapides, mais d’une rapidité dosée, celle du félin qui était prêt à fondre sur sa proie. Sa beauté était à couper le souffle – et les membres du Conseil ne purent s’empêcher de la contempler, à la fois charmés et terrorisés. Au milieu de ces tuniques vert-de-gris, son uniforme rouge détonnait et renforçait l’aura presque surnaturelle qui se dégageait d’elle. Au vrai, ce n’était pas exactement une femme, c’était un monstre – la torture à visage humain. L’horreur, la ruse et le cynisme avaient fusionné pour accoucher de ce corps magnifique, ces formes parfaites surmontées d’un visage sublime et d’une admirable crinière de cheveux noirs. Non pas cette noirceur banale, voire artificielle que d’aucunes affectaient, mais une noirceur absolue, une noirceur aussi profonde que l’âme de celle qui avait hérité de cette si belle silhouette.

Isard ne regarda pas un instant les Moffs, Grands Amiraux et autres officiers supérieurs qui étaient demeurés présents – une bonne moitié, en fait, de l’assistance originelle. A dire vrai, elle visait ostensiblement Pestage. Ce dernier dut rassembler tout son courage pour soutenir la puissance de ces yeux rouge et clair qui, chez beaucoup, avaient été la dernière chose qu’ils eussent pu voir avant de regagner l’au-delà. Non sans une grâce toute… impériale, Isard passa près, vraiment près du Chancelier et s’assit de l’autre côté du trône vide. Pestage n’avait pas cillé.

- Les traîtres paieront ? fit un Grand Moff, le premier à avoir ouvert la bouche au cours de cette audience. Avez-vous les moyens de les faire payer ? Je n’en ai pas l’impression.
- La situation est en effet extrêmement grave, ajouta un Grand Amiral. La Flotte a perdu ses meilleures unités à Endor et nombreuses sont les forces à avoir théoriquement rallié les séparatistes dans les… minutes qui ont précédé. Le reste de nos escadres est dispersé dans la galaxie à la recherche des Rebelles. Là réside d’ailleurs le problème majeur : la dispersion de l’armée impériale. Le manque d’effectifs a laissé des secteurs sans surveillance ou contrôlés par des garnisons réduites à une peau de chagrin.

L’Empire s’effondrait parce qu’il était trop grand. Seul un Palpatine, voire un Dark Vador auraient pu unifier ces systèmes. Un Seigneur noir de Sith, en d’autres termes. Pestage chassa cette pensée sacrilège de son esprit. Pas maintenant.

- Grand Amiral Il-Raz, répliqua Isard, n’êtes-vous pas en train de nous dire que vous consentiriez à abandonner ces secteurs ?

Le Grand Amiral se récria :

- Bien sûr que non ! Je préconise au contraire une résistance absolue et inconditionnelle des secteurs menacés. Chacun d’entre eux devra se transformer en complexe fortifié qui ralentira ou même repoussera chaque offensive ennemie. Chaque soldat se battra jusqu’à la dernière goutte de sang. Tenir sur place en attendant l’intervention des escadres subsistantes, voilà ce que je recommande.
- C’est absurde ! rétorqua violemment un autre Grand Amiral. Cette stratégie n’aboutira qu’à sacrifier inutilement des troupes privées de toute possibilité de retraite. L’Alliance rebelle ou les Seigneurs de la Guerre n’auront qu’à s’en prendre séparément à chaque système. Notre Flotte a été bien trop amputée pour pouvoir jouer son traditionnel rôle de police. Il faudrait au contraire regrouper nos unités, jouer sur ce qui a fait notre force, à savoir notre mobilité, et concentrer suffisamment de puissance de feu en un lieu choisi par nos soins pour y attirer l’ennemi et l’y anéantir.
- En somme, mon cher Takel, persifla Il-Raz, rééditer le scénario d’Endor…

Dans cette atmosphère chargée d’électricité sith, Pestage se demanda si les deux Grands Amiraux – l’hostilité réciproque qui les animait était notoire – n’allaient pas en venir aux mains, ou pire : aux blasters. Ce qui pouvait s’avérer comique, étant rappelé qu’ils n’étaient pas présents dans la salle autrement que par canal holographique…

- Ecoutez, il n’y a qu’une urgence, à l’heure actuelle, répondit le Grand Amiral Takel, qui ne s’était pas laissé démonter. L’Empire est en péril. Pour le sauver, tous les moyens sont bons. Tous ! Les dangers se multiplient ? Alors soyons à la hauteur, donc soyons terribles. La terreur seule est à même de consolider notre prééminence. Tel était le message de l’Empereur : soyons atroces, comme il a été atroce. Palpatine est mort mais ses méthodes demeurent. Ecrasons les séditions dans le sang ! Faisons des exemples ! Nous sommes menacés d’extermination : exterminons nos adversaires. En ces heures de troubles, telle est ma politique, telle doit être notre stratégie, tel sera le but vers lequel tendront tous nos efforts : annihilons l’ennemi.

Murmures parmi l’assistance, d’approbation, généralement.

- L’on ne peut qu’y souscrire, répondit aimablement Kutchann, qui parlait pour la première fois.

Et il ajouta :

- Mais quel est notre ennemi ?

Rires. Consternation.

- J’avoue être surpris, général, confessa un Grand Moff. L’Ubiqtorate serait-il donc si mal en point que l’un de ses chefs ne sache pas qui veut notre perte ?
- La question est d’importance, répondit tout aussi courtoisement Kutchann. Voyez-vous, il me semble que vous négligiez ce fait essentiel. Quelle menace, parmi toutes celles qui sévissent, s’avère être la plus dangereuse pour l’Empire ?
- L’Alliance rebelle, évidemment, assura Isard.
- Les Seigneurs de la Guerre, corrigea Takel.
- Lisez les informations que me transmettent nos agents, le contredit Isard. L’Alliance, depuis Endor, ne cesse de rallier les mondes qui parsèment cette galaxie. Pas une heure sans qu’une délégation de ceux qui étaient jusqu’à présent nos plus fidèles serviteurs ne lui rende visite. Pas une minute sans qu’un message contenant un appel à l’aide ne lui soit envoyé. Pas une seconde sans que quelque part, nos Stormtroopers ne soient conspués, pris à partie, agressés, massacrés par des peuplades en furie. Et je ne parle pas simplement des planètes éloignées, mais également des Mondes du Noyau – de Coruscant. De tout ce que je viens de vous dire, il résulte ceci : l’Alliance rebelle, simple bande de déserteurs, tend à se renforcer, à devenir une alternative politique. Sans compter qu’elle dispose d’un Chevalier Jedi à sa disposition.
- Un charlatan de plus, maugréa Takel.
- Un charlatan que l’Empereur a traqué sans merci, le coupa Isard.

Pestage en venait presque à admirer la tranquille assurance du Directeur de l’Ubiqtorate. Face à la marée, elle ne se laissait pas faire. Elle semblait même y trouver du plaisir. L’accoutumance au danger. Une drogue.

- Continuons, poursuivit Isard. L’Alliance compte davantage de peuples à son service et ces ralliements ne sont pas près de cesser. Qu’on le veuille ou non, notre politique raciale nous a aliéné bien des nations, mais ne nous arrêtons pas sur des péchés de jeunesse.

Péchés de jeunesse ? Sur le coup, elle y allait un peu fort ! Pestage avait en tête de multiples exemples de péchés de jeunesse qui se traduisaient en millions, voire en milliards de victimes. Un nom s’inscrivit en lettres rouges dans son esprit : Caamas.

- Les Rebelles se renforcent, reprit Isard. Pendant ce temps là, une nouvelle espèce s’en prend aux secteurs frontaliers. L’amiral Prittick m’a annoncé que la zone Bakura avait été prise d’assaut par des vaisseaux de type inconnu. Il semble que les Rebelles y aient envoyé un commando assez fourni, visiblement pour venir en aide à ces envahisseurs. Et vraisemblablement conclure un pacte d’alliance. De là, tout devient très clair. L’épidémie rebelle se répand, contourne les complexes planétaires les plus fortifiés, s’infiltre dans les Mondes du Noyau en investissant certaines planètes qui, comme Alderaan jadis, n’ont jamais dissimulé leur acrimonie à notre égard. Coruscant tombera comme un fruit mûr pourri de l’intérieur par nos propres citoyens. Avant un mois standard, la plus importante portion de la galaxie appartiendra à la République.
- Vous voulez dire à l’Alliance rebelle, dit Takel.
- Non, à la République.

Et, après un silence, elle ajouta :

- Il ne faut que quelques années pour écraser une rébellion. Il faut vingt millénaires pour éliminer la République.

Et un Seigneur noir de Sith, renchérit mentalement Pestage. Takel esquissa un sourire.

- Vous redoutez la République, Directeur. Moi, je redoute l’anarchie. La République, si elle est restaurée, sera impuissante à éliminer les Seigneurs de la Guerre. Simplement parce qu’elle devra éradiquer une immense guérilla bénéficiant de nos dernières armes de pointe. Vous soulignez le danger rebelle : je rappelle celui que posent les Moffs et Amiraux qui nous ont trahis. Bientôt, il ne restera rien de la galaxie. Sinon des ruines.

Et il se lança, une fois de plus :

- Chaque officier qui se proclame Seigneur de la Guerre porte un coup majeur à l’Empire. Pourquoi ? Parce qu’il nous ôte ce sur quoi nous comptions pour maintenir l’ordre : la crainte que nous inspirions. Chaque défection est une humiliation supplémentaire. Chaque désertion est une preuve de notre incapacité. Si nous voulons sauver l’Empire, il nous faut supprimer les traîtres, épurer les rangs, aggraver l’état d’exception. Commençons par faire le ménage chez nous. Purifions nos armées, nos administrations. Détruisons les Zsinj, les Drommel, les Kaine, un par un. Ce n’est qu’alors que nous pourrons nous en prendre à l’Alliance rebelle. L’Empire consolidé n’aura qu’à les écraser en une seule bataille décisive, et les mondes qui auront rejoint la Rébellion se presseront pour implorer leur retour et notre pardon. La Rébellion gagne des systèmes ? Ce ne sont là que des gains provisoires. Les Rebelles n’ont pas assez de troupes pour lancer une offensive majeure. L’extension de leurs territoires ne leur donnera pas immédiatement les combattants et les armes nécessaires à notre défaite. Nous bénéficions là d’un répit. Détruisons une planète au hasard, à la manière d’Alderaan ou de Caamas, et les systèmes hésiteront à se faire républicains. Pendant ce temps, nous anéantirons les Seigneurs de la Guerre un par un.
- Ce que vous proposez n’est rien moins que de la boucherie pure et simple, intervint un amiral. Caamas et Alderaan ont déjà été anéanties, et regardez le résultat : nous en sommes encore à délirer sur la meilleure manière de massacrer son prochain.
- L’heure l’exige, garantit Takel.

Un silence se fit. Les orateurs semblaient épuisés par leurs propres prestations.

- Avec tout le respect que je dois aux services de renseignements impériaux et à la Flotte, dit quelqu’un, j’estime que ni le Directeur Isard, ni le Grand Amiral Takel n’ont une vue complète de la situation.

Pestage, le premier, l’avait remarqué. Un Moff de taille moyenne, véritable caricature du Gouverneur tel que l’imaginaire se le représentait : crâne dégarni, visage massif et épuré, percé d’un trait horizontal qui n’était autre que la bouche, corps assez malingre quoique marqué par un début d’embonpoint, mais regard brillant de fanatisme et d’ambition.

Le Grand Moff Nesta. Gouverneur de Coruscant. Lui aussi, un fidèle d’entre les fidèles de Palpatine. Corrompu jusqu’à la moelle, fourbe et vicieux, extrêmement intelligent. Mieux valait être son allié.

- Vous, Directeur Isard, redoutez la République, vous, Grand Amiral Takel, craignez l’anarchie. Vous avez raison. Mais partiellement. Le péril qui nous menace se trouve d’abord ici, dans les allées du pouvoir. Les Rebelles, les Seigneurs de la Guerre, sont dangereux mais visibles. Or, avec la mort de l’Empereur ont proliféré les cellules cancéreuses qui s’en prennent à notre Ordre de l’intérieur. Lorsque ces cellules seront arrivées à maturation, vous ne serez plus en mesure, ni de vaincre les Rebelles, ni de restaurer la paix civile dans les systèmes dissidents.
- Venez en au fait, trancha Isard.

Nesta sourit. Le Grand Amiral Takel en fut visiblement indisposé.

- Nous sommes dans l’incapacité de contrôler des zones entières de Coruscant. La situation est la même sur toutes les autres planètes. Les Seigneurs de la Guerre affrontent cette même difficulté. Le danger est là, tant dans les bas-fonds de la Cité impériale qu’au sein du Palais. Le ravitaillement ne suit plus, les taxes ne rentrent plus, mais la propagande circule, mais les rumeurs se répandent, mais les fausses nouvelles font tache d’huile. Les peuples ont vécu une génération sous la férule d’un système policier : ils apprennent que celui qui était ce système policier a été tué au combat, ils apprennent que l’Alliance gagne en puissance, ils apprennent que des Impériaux font dissidence. Que font-ils ? Les idiots, et ils sont nombreux, se révoltent. Les autres conspirent. Chaque arrondissement urbain compte son front de libération et son projet de société. L’administration est gangrenée par la trahison. La mort plane partout parce que l’on conspire partout. Le secret est ici un vain mot. Soyez assurés que l’opinion apprendra, si ce n’est déjà le cas, ce qui s’est dit et passé dans cette salle. Nous portons les attributs du pouvoir mais nous sommes en train de nous noyer dans un océan populaire. Si ennemi il y a, il se trouve en bas, chez ces millions de civils las de la guerre, las de la dictature, las de la corruption, las de nous tous. Ils nous ont d’abord appuyés parce que nous avions promis l’ordre – ils n’ont pas eu l’ordre, ils ont eu la tyrannie. Et c’est la tyrannie qui les a maintenus en laisse, rien d’autre. A présent, ils nous font connaître leur ressentiment. Calmer le peuple s’avère ainsi la première nécessité.

Il ajouta :

- C’est une question de survie.
- Et que proposez-vous ? demanda un Grand Moff.
- Je puis approuver les projets de répression déjà évoqués. Mais nous ne pourrons nous passer de certaines concessions…
- Quel genre de « concessions » ?
- Un plus grand libéralisme. La restitution de certains pouvoirs aux autorités locales. L’atténuation de l’esclavage. Une révision de notre politique raciale. A titre provisoire, bien entendu.

Ces paroles lui ressemblaient bien, sourit Pestage. Nesta était connu pour son pragmatisme. Tant qu’il pouvait sauver sa peau…

- Vous savez bien que c’est hors de question, fit Takel. Beaucoup, à commencer par moi, n’admettraient pas ce genre de mesures…
- Est-ce à dire que vous allez maintenant nous jouer la comédie du satrape qui annonce la sécession ? lui demanda Nesta sans quitter son sourire mesquin.
- Je vous interdis de mettre en cause ma loyauté envers l’Empire ! explosa Takel.
- Je ne faisais qu’émettre une supposition.
- Prenez garde à ne point aller trop loin, Gouverneur.

Le ton de Takel laissait entendre qu’il ne s’agissait pas là d’une menace en l’air.

- Il est temps de déterminer une stratégie, lança Pestage.

Kutchann se contenta de se caresser la moustache.

- Il me paraît évident que les dangers qui entourent l’Empire ne sont pas à négliger, dit Pestage. Il ne me paraît non moins évident que les sécessionnistes causent beaucoup de tort à l’Empire, ainsi que l’a fait remarqué avec compétence le Grand Amiral Takel. Néanmoins, il convient d’admettre que la menace la plus sérieuse touche à notre légitimité gouvernementale. L’Alliance rebelle a réussi, en quelques jours, à se poser en système politique à même de nous terrasser et de nous remplacer. De la sorte, le moral de nos armées et de nos populations connaît une crise sans précédent. Les victoires rebelles encouragent les menées de certains officiers ambitieux. Il est aujourd’hui facile, avec un ou deux destroyers stellaires, de s’autoproclamer roitelet d’un système planétaire et d’y parodier l’Ordre nouveau. Il me semble dès lors, en tant que Grand Chancelier impérial, qu’il serait nécessaire d’infliger une défaite militaire à l’Alliance – afin de rappeler à la galaxie qu’elle n’est pas invincible, loin s’en faut.
- J’ignore si nous aurons les moyens de lancer une telle contre-offensive, répliqua Takel. Toutes nos escadres sont en première ligne.
- Non, pas toutes.

Nesta venait de parler.

- En dépit du départ… inopiné de l’amiral Drommel, il me semble que l’escadre chargée de la protection de Coruscant conserve encore quelques unités valables. N’est-ce pas, amiral Hiffrig ?

Un hologramme approuva de la tête :

- Ma force de combat comprend quinze destroyers aguerris. Aux ordres de l’Empire.
- Vous voyez, dit Nesta.
- Je vois surtout que vous êtes prêt à laisser Coruscant sans défense ! protesta le Grand Amiral Il-Raz.
- Ah ? rétorqua Nesta, amusé. Il s’agit là de la zone la mieux protégée de l’Empire. Vous n’y trouverez jamais autant de stations orbitales Golan, ni autant de troupes au sol. Sans parler de ma présence.
- Votre présence ? ricana Il-Raz.
- En effet, Grand Amiral. Je vais maintenir l’ordre, ici. Comptez là dessus.
- Et si les Rebelles ont vent de l’absence de la Flotte ? contre-attaqua Isard.
- Ils ne feront rien. D’abord parce qu’ils savent que Coruscant est bien protégée. Ensuite parce qu’ils auront à se défendre là où nous les attaquerons.

Nesta reprit, l’air innocent :

- Je ne fais que suivre la tactique préconisée par le Grand Amiral Takel : regrouper nos forces, faire preuve d’audace, quitte à laisser certains secteurs sans défense.
- Et où allons-nous les attaquer ? l’interrompit Il-Raz. Où pouvons-nous dénicher leur flotte ?
- Nous allons les attirer à l’endroit que nous aurons choisi, répondit Nesta sans quitter Takel des yeux. Nous allons sélectionner une planète et y envoyer une unité mobile d’extermination. Nous massacrerons ses habitants, obligeant les Rebelles à bouger. Ils seront contraints d’agir, au nom de… l’humanité. Sous peine de se voir traités d’égoïstes et de menteurs. Comme nous y aurons massé une partie de notre Flotte d’attaque, ils devront envoyer la grosse artillerie. Alors, le gros de l’escadre de l’amiral Hiffrig leur tombera dessus.
- Et à quelle planète songez-vous ?

Ce fut vers Pestage que Nesta se tourna.

- Une planète où cohabitent humains et non-humains. Un lieu paradisiaque, en vérité. Un symbole de l’ancienne République. Suffisamment éloigné du Noyau pour empêcher les Rebelles de s’en prendre à Coruscant. Une planète, enfin, en révolte contre nous.

Pestage avait déjà compris au regard de Nesta. Et ressentait une drôle d’impression. Pas agréable, cette impression.

- Il n’est pas question de toucher à cet endroit, articula-il avec difficulté. Le Seigneur Vador…
- Le Seigneur Vador n’est plus de ce monde, trancha Nesta.

Pestage jeta un coup d’œil à Kutchann. Ce dernier avait compris, lui aussi.

- Il s’agit là d’une des perles de cette galaxie, protesta Pestage, vous ne pouvez pas…
- C’est justement son statut qui nous intéresse, Grand Chancelier, dit Nesta. Je sais que jamais les Rebelles ne laisseront se commettre de tels forfaits sans réagir. Ils y enverront leur flotte.
- L’Empereur n’aurait jamais approuvé cela…
- L’Empereur n’est plus. Que cela vous plaise ou non.

Le Grand Amiral Takel posa la question que tous les profanes attendaient :

- Mais enfin, de quelle planète parlez-vous ?

Un silence de mort s’abattit sur le Conseil lorsque Nesta laissa échapper ce simple mot :

- Naboo.
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