La suite !
<<Chapitre précédant<< Sommaire >>Chapitre suivant>>Chapitre 38 La silhouette irrégulière et asymétrique de la station Exis se détachait nettement de l’étoile rougeoyante du système Teedio. Seul port d’attache du système, elle aurait semblé quelque peu perdue sans les destroyers et croiseurs stellaires qui stationnaient à proximité d’elle.
La légende prétendait que la station avait jadis accueilli les reliques Jedi d’Ossus qui avaient pu être sauvées lors de la dévastation de l’Amas de Cron. Ce qui était certain, en revanche, c’est que l’endroit avait accueilli un conclave Jedi d’importance dix ans plus tard, avant de tomber dans l’oubli au cours des siècles suivants. Exis n’avait plus été visitée que par des marginaux, des égarés, quelques chercheurs de fortune… et une équipe de saboteurs impériaux.
— Cette station aurait fait une base de choix pour la Rébellion, expliqua Carth Poldrei tandis que Leia et lui approchaient à bord de la navette qui les emmenait du
Guardian jusqu’au complexe. Beaucoup de vieilles stations indépendantes auraient pu servir à votre cause, d’ailleurs… Vador a donc ordonné de les détruire toutes. Mais l’officier qui avait été missionné pour la station Exis connaissait son histoire et rechignait à y mettre un terme. Il a donc obtenu qu’on installe plutôt une surveillance passive et des pièges, en faisant valoir que ce serait le moyen d’attirer plus de Rebelles sur place afin de les détruire…
— C’était un choix courageux, remarqua-t-elle. Vador n’était pas le genre d’hommes à accepter que l’on discute ses ordres.
Si elle avait accepté son ascendance, Leia ne parvenait toujours pas à se résoudre à appeler Anakin Skywalker « Père ». C’était un terme qui, dans son esprit, serait à jamais associé à Bail Organa.
Sa remarque sembla amuser Poldrei.
— Je vous remercie, mais je savais parfaitement ce que je faisais, répondit-il avec un sourire.
Elle haussa un sourcil.
— C’était votre mission ?
Il acquiesça.
— Vador n’aimait pas qu’on le contredise, mais il n’était pas totalement fermé aux suggestions… Surtout quand elles étaient fondées. En raison de mon expérience sur Polcaphran, j’étais plutôt bon pour comprendre la logique des mouvements séditieux. Je savais que le meilleur moyen pour prendre des combattants dissidents au piège était de les coincer dans leur refuge. J’ai donc proposé une destruction ciblée des stations abandonnées et des anciennes bases séparatistes, dans l’espoir que les installations restantes attireraient l’œil des insurgés, qui penseraient qu’elles étaient passées sous le radar de l’Empire.
Leia se souvenait bien des difficultés rencontrées quelques années plus tôt par l’Alliance Rebelle pour établir de nouveaux points de chute. La stratégie préconisée par Poldrei avait été efficace.
— Vous disiez jusqu’ici que vous n’aviez pas affronté la Rébellion, lui fit-elle remarquer.
Il ne se laissa pas démonter par l’accusation sous-entendue.
— L’ordre de sabotage avait été émis bien avant le Traité Corellien, expliqua-t-il. Des petits groupes, regroupant pour beaucoup d’anciens Séparatistes, se soulevaient déjà par endroits à l’époque. Ce n’était pas encore la Rébellion, mais on s’en approchait petit à petit… Lorsque j’ai été affecté à la défense de Polcaphran, il y a treize ans, la guerre n’avait pas encore réellement débuté.
C’était, comme l’aurait dit Luke, une question de point de vue. Mais elle s’y habituait peu à peu avec Carth Poldrei, au terme des cinq jours de voyage au cours desquels elle s’était longuement entretenue avec le Consul de la Fédération Impériale. Des années plus tôt, après la bataille d’Endor, Luke lui avait parlé d’Obi-Wan Kenobi et de ses demi-vérités. Assurément, Poldrei était lui aussi passé maître en la matière.
Ils débarquèrent au sein d’une station en pleine effervescence. Exis n’avait pas été choisie au hasard. Le système Teedio, inhabité, se trouvait aux frontières tout juste définies entre la Nouvelle République et la Fédération Impériale. C’était un endroit neutre, idéal pour regrouper les forces et préparer les premières opérations communes. Bien sûr, les deux flottes n’allaient pas s’y rendre toutes entières ; une partie des vaisseaux étaient partis depuis le point de rencontre pour gagner Bilbringi, une autre pour rallier Fondor.
Les équipes de maintenance de la Fédération étaient sur place depuis bientôt trois jours et s’affairaient à rendre l’endroit vivable, à défaut d’être confortable. Mais il y faisait encore plutôt froid, y compris dans le poste de contrôle où ils entrèrent quelques minutes après leur arrivée.
Un officier fédéral se précipita vers eux pour les accueillir.
— Excellence, Conseillère Organa Solo, bienvenue à bord de la station Exis, salua l’homme en faisant claquer ses talons sur le sol métallique.
Poldrei fronça les sourcils.
— Repos, colonel, lui dit-il. Conseillère, voici le colonel Drakk, en charge de la réhabilitation de cette station. Vous n’avez rencontré aucun souci, j’espère ?
— Rien de très grave, Monsieur, assura l’homme. Quelques systèmes étaient particulièrement défectueux, mais nous nous y attendions et nous avions les pièces nécessaires… Les systèmes de survie sont à nouveau pleinement opérationnels, et nous avons installé quelques armes de défense anti-chasseurs. Nos techniciens examinent actuellement le blindage des modules centraux, qui auront sans doute besoin de quelques renforcements. Nous redoutions une présence importante de mynocks, mais ils semblent assez peu présents… Ah, et nous avons appréhendé une intruse, également.
— Une intruse ? répéta Leia.
Elle se tourna vers le Consul.
— Je croyais que vous aviez « une surveillance passive et des pièges »…
— Oui, moi aussi, admit Poldrei, embarrassé. S’agit-il d’une contrebandière ?
— Eh bien… Difficile à dire, répondit Drakk, hésitant. Je vous dirais bien oui, Excellence, mais nous n’avons retrouvé aucun matériel avec elle, hormis des vivres et un nécessaire de survie. Son vaisseau est un petit cargo, mais un vieux modèle, pas parmi les plus performants. Nous l’avons démonté sans rien trouver de compromettant. Et elle n’avait pas d’arme.
— En somme, c’est une voyageuse de l’espace ? résuma le Consul.
— On dirait bien.
— Mais qui est parvenue à déjouer nos systèmes de sécurité.
— C’est ce qu’il semblerait, oui.
Le Consul semblait loin d’être ravi.
— Heureusement que Vador est mort, marmonna-t-il, sans quoi cette histoire aurait pu me coûter cher…
Malgré elle, Leia eut envie de sourire en entendant ces mots. Poldrei avait été une telle épine dans le pied de la Nouvelle République, ces derniers mois, qu’elle s’amusait secrètement de le voir en délicatesse sur ce sujet portant peu à conséquences.
— Transmettez-moi votre rapport sur l’avancement des travaux, reprit-il d’une voix plus forte. Et détachez un garde pour nous escorter, la Conseillère et moi. J’aimerais voir cette prisonnière.
— Cette histoire vous intrigue, n’est-ce pas ? lui demanda Leia quelques instants plus tard, alors qu’un jeune lieutenant les conduisait au centre de détention improvisé.
— Un peu, oui, admit Poldrei. Si ni la surveillance ni les pièges ne se sont déclenchés, c’est parce qu’elle n’a sans doute réactivé aucun générateur. C’est pourtant ce que ferait quelqu’un qui souhaite s’installer ici… Donc, pour quelle raison serait-elle venue au milieu de nulle part ?
— À vous de me le dire.
— Eh bien, je n’ai pas non plus la réponse ! D’où ma curiosité.
Leur guide les fit passer par des sections de couloirs qui étaient en plus mauvais état encore que celles par lesquelles ils étaient arrivés. Le passage était difficile dans ces artères sombres et étroites. L’âge de la station était visible, son état de décrépitude très inquiétant par endroits. Leia avait bien sûr visité des bases en pire état… Mais elles étaient au sol, protégées par l’atmosphère, et non exposées au vide stellaire.
Avec un frisson, elle décida de faire appel à ses perceptions issues de la Force afin de s’assurer qu’il n’y avait aucun danger… Et sentit alors une étrange présence, un peu devant eux. Rien d’inquiétant, bien au contraire ; un îlot de paix et de sérénité au milieu de tous les Néo-Républicains et Fédéraux-Impériaux qui débarquaient au même moment sur la station Exis.
Comme pour confirmer son pressentiment, le lieutenant s’arrêta dans un petit corridor et se tourna vers eux.
— Nous y sommes, annonça-t-il. Excellence, Conseillère, je vous prie de reculer de quelques pas… Je vais ouvrir la porte.
— Je ne crois pas que votre invitée soit dangereuse, intervint Leia.
Elle était même certaine de cela.
— Faites-la sortir de là, ordonna Poldrei.
Le lieutenant ne se le fit pas dire deux fois. Il activa le système d’ouverture de la porte et apostropha l’occupante des lieux. La cellule temporaire était plongée dans l’obscurité, aussi Leia mit-elle quelques instants avant de voir la silhouette de l’occupante bouger.
Puis elle sortit en pleine lumière.
La première pensée de Leia fut que la prisonnière ressemblait étrangement à Winter : sa chevelure et sa peau étaient pâles comme celles d’une Echani, et ses traits doux. Puis elle croisa son regard et vit ses pupilles elles aussi très claires. Était-elle Arkanienne ? La Conseillère ne l’aurait pas certifié.
Heureusement pour elle, son geôlier n’était pas spéciste.
— Je suis le Consul Poldrei de la Fédération Impériale, se présenta-t-il. Mes agents vous ont appréhendée sur cette station et ne sont pas en mesure de me dire ce que vous y faisiez. J’espère que vous pourrez nous apporter, à la Conseillère Organa Solo et à moi-même, quelques éclaircissements.
Leia sentit la surprise de la jeune femme à la mention de son nom ainsi qu’un autre sentiment – de l’excitation, peut-être. Mais elle se reprit bien vite.
— Je m’appelle Tionne, répondit-elle d’une voix qui témoignait d’une grande douceur. Je suis native de Rindao, dans la Bordure Extérieure.
Poldrei consulta Leia du regard, mais avant que celle-ci puisse avouer son ignorance, leur interlocutrice ajouta :
— Dans le secteur Hadar.
— Ah ! C’est une région que je connais assez mal, avoua le Consul. Entre le secteur Senex et le quadrant d’Eriadu, si mes souvenirs sont exacts… Donc très loin d’ici.
— Je suis venue ici à la recherche d’informations, reprit-elle.
La remarque amusa l’ex-Moff.
— C’est rare que des espions avouent aussi facilement leur culpabilité, lança-t-il.
La jeune femme rosit sous l’effet de la confusion.
— Pas ce genre d’informations-là, assura-t-elle. Je suis une barde itinérante, et je compose des chants sur d’anciennes légendes…
Elle hésita.
— Les anciennes légendes Jedi, devina Poldrei.
Tionne acquiesça brièvement.
— Ce n’est pas un crime.
— C’est pourtant la raison pour laquelle ma grand-mère a été exécutée par des soldats impériaux, répliqua-t-elle bravement.
La remarque n’agaça pas le Consul ; au contraire, Leia sentit en lui un sentiment de culpabilité qu’il confirma vite par ses propos.
— Je reformule : ce n’est
plus un crime. Le véritable criminel, nous le savons à présent, n’était autre que Palpatine…
Il glissa un regard en direction du lieutenant, qui observait avec attention la scène, pour s’assurer qu’il avait bien entendu.
— C’est donc la raison pour laquelle vous êtes venue sur la station Exis, n’est-ce pas ? demanda Leia.
— Oui. Je suis venue explorer les lieux à la recherche d’anciens ouvrages Jedi, mais ils avaient disparu. Je souhaitais aussi avoir des informations sur le conclave Jedi qui a eu lieu ici…
— Celui organisé quelques années après la défaite de Revan et Malak, intervint Poldrei.
Tionne réagit avant même que Leia ne parvienne à se remémorer ces noms.
— C’était avant leur attaque, répondit-elle. Avant les guerres mandaloriennes. L’ennemi que l’Ordre Jedi venait de terrasser était Exar Kun.
Poldrei sourit en s’entendant contredire. Il se tourna à nouveau vers le lieutenant.
— Relâchez-la, ordonna-t-il. Elle est bien ce qu’elle prétend être.
— Vous vous êtes intentionnellement trompé pour vous assurer de ma sincérité ? demanda Tionne, surprise.
— Il se trouve que j’ai quelques connaissances historiques, répondit Poldrei, amusé. Et les conflits du début du vingt-et-unième millénaire ont fait partie de mes sujets favoris lors de mes études à l’université de Polcaphran. Les offensives qui ont déstabilisé la galaxie à cette époque sont un moment-clé dans l’histoire galactique, car elles ont marqué la fin d’une domination hégémonique de l’Ancienne République qui n’était jusqu’alors menacée que par…
Une sonnerie de comlink interrompit ce qui s’annonçait comme un long monologue. C’était l’appareil de Poldrei. Le Consul grommela pour la forme, prit l’appareil et répondit à son interlocuteur.
— Poldrei, j’écoute…
Leia n’entendit pas la conversation, mais elle vit le visage de son homologue se rembrunir. Il raccrocha au bout de quelques instants et s’adressa à elle.
— Mes devoirs m’appellent, annonça-t-il. Les Moffs ont organisé une réunion pour faire le point sur la sécurité intérieure de notre territoire et souhaitent que j’y participe. Je suis navré de vous abandonner, mais vous comprenez…
La jeune femme eut un sourire rassurant.
— Chacun ses affaires internes, approuva-t-elle.
De fait, c’était Mon Mothma qui gérait celles de la Nouvelle République. La présidente du Conseil Provisoire était partie pour Mon Calamari afin d’administrer le gouvernement civil, le temps qu’une nouvelle capitale soit choisie. La plupart des autres Conseillers s’étaient joints à elle, ce qui laissait Leia seule pour gérer les relations avec la Fédération Impériale.
Mission délicate s’il en était.
— Vous pouvez rester à bord de la station, poursuivit Poldrei en direction de Tionne. Mais vous n’aurez pas le droit de la quitter tant que la Conseillère Organa Solo ou moi-même ne vous y aurons pas autorisée. Notre présence ici est encore confidentielle, pour l’heure, et nous aimerions éviter autant que possible les fuites.
— Je comprends, répondit-elle. Merci pour votre accueil.
— Lieutenant, indiquez à la Conseillère le chemin de ses quartiers… Et trouvez-en aussi pour cette demoiselle, un peu plus confortables que ceux auxquels elle était cantonnée jusqu’ici.
— Ce sera fait, Excellence.
Il repartit d’un pas vif, seul, en direction du centre de contrôle. Et tandis qu’elle le regardait disparaître dans l’obscurité, Leia se demanda une fois encore si elle arriverait à percer le mystère que représentait Carth Poldrei.
* *
*
Han arriva sur la station une dizaine d’heures plus tard. Aux commandes du
Faucon Millénium, il avait participé à l’acheminement de réfugiés vers Taanab. Il arriva dans la chambre – une réserve aménagée à la va-vite, mal éclairée, assez froide, avec un lit de campagne inconfortable… le nec plus ultra, selon les standards d’Exis – fatigué, sa veste tachée par les réparations de son appareil capricieux, et l’air pas franchement réjoui. Il grimaça en passant la porte.
— On aurait peut-être mieux fait de rester sur le
Faucon…
Assise sur son lit, Leia leva la tête du rapport qu’elle était en train de lire et ne put s’empêcher de sourire.
— J’aurais bien aimé, moi aussi, mais il faut que je reste à proximité des autres dignitaires afin de pouvoir participer aux discussions, rappela-t-elle. Et ce n’est pas si terrible, après tout. Nous avons déjà connu pire… Rappelle-toi Hoth, par exemple.
— Tu parles de la nuit dans le vaisseau de reconnaissance ?
Elle rougit à l’évocation de ce qui avait failli être l’un de leurs premiers moments d’intimité.
— Plutôt des deux semaines qui ont suivi… lâcha-t-elle. Pendant l’installation de la base. Les modules thermiques n’étaient pas encore achevés et les chambres étaient taillées à même la glace. C’était encore plus froid qu’ici.
— C’est vrai, admit-il. Mais au moins l’endroit ne tombait pas en ruines comme ici ! Bref… Il y a de quoi manger un morceau ici ?
En le conduisant à la cafétéria la plus proche, elle lui parla de son voyage avec le Consul et de sa rencontre avec Tionne, en compagnie de laquelle elle avait pris le repas précédent.
— Elle m’a parlé des récits qu’elle avait découvert pendant près d’une heure, expliqua-t-elle au moment où ils entrèrent dans la salle de repas. D’anciennes légendes Jedi…
Son sourire se tendit légèrement.
— J’aimerais vraiment la présenter à Luke.
Ses talents dans la Force réduits ne lui permettaient malheureusement pas de savoir où était son frère. Elle sentait qu’il était sain et sauf… Mais pour combien de temps ? Son inquiétude croissait d’heure en heure.
Ils s’installèrent à une table libre, l’un en face de l’autre. Han balaya du regard la salle, où dînaient de nombreux officiers du Pacte.
— Ça fait bizarre de voir autant d’uniformes impériaux… et surtout de ne pas les prendre pour cible, chuchota-t-il. Pour un peu, je me croirais revenu à l’Académie Impériale.
— Nous sommes dans le même camp, maintenant, rappela-t-elle en posant sa main sur celle de son époux. Il va falloir t’y faire.
Mais elle le comprenait, bien sûr. Ils étaient sans doute tous dans la même situation. Quelques officiers impériaux avaient du mal à cacher l’hostilité dans les regards qu’ils lui adressaient. D’autres, toutefois, faisaient tous les efforts possibles pour faire preuve de courtoisie.
Et en parlant de courtoisie… Ses yeux venaient de croiser ceux de l’amiral Pellaeon, assis à quelques tables de là. Il l’avait vraisemblablement reconnue, puisqu'il la salua d'un signe de tête. Quelques instants plus tard, l’homme avec qui il était en conversation se tourna pour regarder dans sa direction.
Il se leva et vint à leur rencontre.
— Chéri, nous avons de la visite, avertit-elle Han.
— Hmm ?
Il se tourna juste à temps pour voir arriver à leur hauteur Garm Bel Iblis.
— Ravi de voir que vous êtes de retour, général Solo, dit-il de sa voix bourrue. Puis-je me joindre à vous ? ajouta-t-il en s’adressant à Leia.
— Avec plaisir, Garm, répondit celle-ci. Mais l’amiral Pellaeon ne risque-t-il pas de ne pas apprécier que vous l’abandonniez avant le dessert ?
— Je ne vous dérangerai pas longtemps, promit-il. Et Pellaeon sait pourquoi je suis ici. J’ai enfin pu parler à Ackbar.
Leia haussa les sourcils.
— Il a enfin été relâché ?
— Oui. Il semblerait que le commandant de la base de Bilbringi ait fait un excès de zèle… Je lui ai officiellement remis ma démission, en sa faveur, du poste de Commandeur Suprême. Je crois bien que je n’aurai battu Sovv que de quelques heures, glissa-t-il, amusé.
Leia aurait aimé prendre la situation ainsi, elle aussi, mais les querelles de pouvoir au sein du Haut Commandement de la Nouvelle République étaient encore trop fraîches et trop douloureuses à ses yeux.
— Nous avons aussi eu une discussion sur l’organisation à adopter pour notre flotte. Je lui ai fait quelques suggestions et il les a adoptées. Nous sommes d’accord pour revoir en profondeur notre organisation afin de devenir réellement l’armée de la Nouvelle République, et non plus celle de la Rébellion.
— Comment cela se traduit-il ?
— Pas plus de rationalité.
En guise d’exemple, il désigna les galons sur son uniforme – auxquels Leia n’avait pas prêté attention jusqu’à présent.
— Ce ne sont pas des insignes de général, mais d’amiral, remarqua-t-elle.
— Exactement. Une flotte se doit d’être dirigée par un amiral. Nous allons clairement redéfinir la hiérarchie au sein des trois armes de nos forces : la Flotte, la Chasse et l’Armée. Avoir des généraux polyvalents était un atout du temps des cellules rebelles, mais nous n’en sommes plus là aujourd’hui – surtout si nous voulons pouvoir parler d’égaux à égaux à nos homologues de la Fédération Impériale.
Leia acquiesça. C’était un choix logique, et il s’inscrivait dans la lignée du discours que lui avait tenu Bel Iblis lors de leur discussion, peu après qu’il ait fait connaître sa candidature au poste de Commandeur.
— J’ai aussi obtenu son accord pour rapatrier une partie des forces de défense de Contruum et des mondes voisins en vue de notre offensive. Nous aurons besoin de toutes les forces possibles, car nous allons nous attaquer à un gros morceau.
Leia allait demander lequel, mais une étincelle dans le regard de Bel Iblis attira son attention. Elle jeta brièvement un coup d’œil en direction de Pellaeon – qui semblait les observer discrètement tout en buvant son café – puis sur Han. La solution s’imposa d’elle-même.
— Corellia. Vous voulez attaquer Corellia.
Bel Iblis acquiesça.
— Nous avons enfin une opportunité. Nous devons la saisir.
Han, lui, semblait surpris.
— Corellia ! Ce n’est pas une mince affaire…
— Non, admit l’amiral. En particulier depuis que la flotte de Palpatine en a fait sa principale base de ravitaillement dans le Noyau – du fait de la destruction de Kuat. Leia, je suppose que le Consul Poldrei vous a transmis des informations sur la situation et l’identité du nouveau Diktat ?
Elle grimaça. Elle avait espéré remettre cette discussion à plus tard.
— Oui, admit-elle en se tournant vers son mari. Il m’a dit être très surpris lors de leur échange par holocom, car il te ressemble…
Han réagit plus vite qu’elle ne l’avait pensé, levant les yeux au ciel et serrant les dents.
— C’est pas vrai, grommela-t-il. Pas lui. Pas le cousin Thrackan…
— Tu le connais ? dit Leia, surprise. Tu ne m’en as jamais parlé…
— Ouais, Thrackan Sal-Solo. Ce cher cousin Thrackan.
L’amertume dans la voix de Han était particulièrement prononcée. Elle l’avait rarement entendu aussi amer – même quand il évoquait sa collaboration passée – et involontaire, à ce qu’il en disait – avec des esclavagistes Hutts.
— Je l’ai rencontré quand j’étais encore un gamin des rues, sur Corellia, expliqua-t-il. C’était déjà le genre à arracher les ailes des insectes. Il s’est servi de moi comme d’un lambin et a fini par me livrer au gang d’où je m’étais enfui. Alors, désolé, mais je n’avais pas très envie de l’inviter à notre mariage…
Leia se sentit coupable d’avoir ramené ces souvenirs à la surface, mais Han s’était déjà tourné vers Bel Iblis et poursuivit :
— Donc il est maintenant Diktat de Corellia, vassal direct de Palpatine ? Y a pas à dire, il est resté égal à lui-même.
— Le problème est plus grave que cela, répondit l’ancien sénateur. Thrackan Sal-Solo revendique le titre de Diktat, mais il n’est pas impossible qu’il revendique très vite le trône de Corellia. La maison Sal n’était qu’une baronnie de faible importance, mais les Solo… Il s’agit de la dernière dynastie en date de l’histoire corellienne. Son impact demeure considérable. Berethron e Solo a, de son plein gré, abandonné la royauté pour refaire de Corellia une démocratie pleine et entière. Son nom demeure connu chez nos enfants, tout comme celui de Jonash e Solo – le Prince-Amiral qui a mis un terme aux Guerres Alsakanies en soumettant à la fois Alsakan
et Coruscant. Thrackan Sal-Solo veut apparaître comme leur héritier légitime – et vous êtes le seul à pouvoir l’en empêcher.
— Tout ça, c’est bien joli, répliqua Han, mais si Bouton-d’Or était là, il vous dirait que je n’ai pas une goutte de sang royal. Mon grand-père était un pirate, et mon arrière-grand-père a été pendu…
— Parce qu’il a prétendu au trône, signala Bel Iblis avec un mince sourire. Mon grand-oncle servait à la CorSec à l’époque et a évoqué une fois cette histoire, quand j’étais enfant. Une lutte entre factions corelliennes. Votre aïeul Korol a été pris au milieu, et votre grand-père – Dalla le Noir – s’est enfui avant que le Diktat Segmary ne puisse le faire tuer à son tour. Les preuves doivent encore exister dans les archives centrales de Coronet – pas dans une section réservée au public, bien entendu. Je suis certain que votre cousin n’aura aucun mal à prouver son lignage.
— Vous êtes partisan d’un retour à la monarchie, Garm ? demanda Leia.
— Non. Mais je ne néglige pas l’impact psychologique de certains noms… Pas plus que les risques que vous encourez. Si Thrackan Sal-Solo suit cette logique, il tentera de se débarrasser de tous ceux qui pourraient représenter une menace pour sa légitimité – vous, général Solo, ainsi que vos enfants.
Le cœur de Leia se serra à cette idée, et elle sentit que Han se tendait, lui aussi. C’est avec moins de virulence qu’il s’adressa à nouveau à Bel Iblis.
— D’accord. Qu’attendez-vous de moi ?
— Je veux attaquer Corellia, comme l’a deviné votre épouse. L’excuse d’un Diktat neutre et indépendant ne tient plus, de toute façon. L’amiral Pellaeon est également d’accord pour soutenir ce plan. D’après ses informations, la flotte qui y est située se prépare à attaquer le long des voies commerciales partant du Secteur Corellien pour paralyser un peu plus la Nouvelle République. Nous pouvons empêcher cela avec un assaut de masse qui les prendra par surprise.
— C’est une stratégie risquée, et potentiellement coûteuse en vies et en vaisseaux, remarqua Leia.
— Nous aurons bien des paramètres à vérifier avant de lancer toute attaque, la rassura Bel Iblis. Hors de question de foncer tête baissée dans un piège. Nous avons déjà commencé à réfléchir à des diversions potentielles pour diviser leurs forces le moment venu… Mais pour que cette attaque fonctionne, nous aurons besoin d’officiers compétents en qui nous pouvons avoir confiance.
Il regarda Han dans les yeux.
— Je veux que vous soyez l’un d’eux.
Leia vit son mari réfléchir, mais sentit qu’il avait déjà pris sa décision. Et il acquiesça effectivement, quelques instants plus tard.
Bel Iblis sembla satisfait.
— Je vais enregistrer votre transfert au sein de la Flotte, annonça-t-il. Vous aurez le grade d’amiral. Je vais également vous confier un de nos destroyers de classe République, un appareil flambant neuf qui sort tout juste des chantiers d’Allanteen VI. Vous n’aurez plus qu’à lui trouver un nom… à moins que vous en ayez déjà un en tête, bien sûr.
Han acquiesça une nouvelle fois. Il se montrait très calme, un peu trop aux yeux de Leia. Sans doute était-ce la mention de son cousin qui l’avait placé dans cet état.
— J’ai bien une idée, dit-il en glissant un regard d’excuse à Leia.
Devinant ce que son mari avait à l’esprit, elle lui signala son approbation d’un discret signe de tête.
— Nous allons libérer Corellia pour la Nouvelle République, non ? reprit Han. Dans ce cas, je pense que nous devons avoir nous la personne grâce à qui la Résistance Corellienne a pu voir le jour… Enfin, l’autre personne, précisa-t-il par égard pour l’ancien sénateur.
Mais celui-ci avait déjà compris.
— Bria Tharen.
— Elle aurait mérité de voir ce jour arriver.
Han avait parlé avec conviction, et un sérieux qui ne lui était pas coutumier. C’était souvent le cas quand il évoquait cette période de sa vie. Leia savait que son mari l’aimait, qu’il aimait leurs enfants… mais Bria Tharen restait un cas à part. Un amour de jeunesse, une histoire difficile qui avait contribué à forger le gentil vaurien qu’il était devenu…
Leia ne se sentait pas jalouse. Bria Tharen était morte en héroïne sur Toprawa, en livrant au
Tantive IV – son vaisseau – les plans de la première Étoile de la Mort. Leia, elle, avait survécu à la guerre et vivait avec Han. Aucune jalousie n’était possible.
Elle était plutôt curieuse. Tout ce qu’elle savait de la jeune femme lui avait été raconté par Winter – qui l’avait rencontrée – et Lando Calrissian, nettement moins élogieux. Han lui-même n’en parlait pas, tant les souvenirs étaient douloureux, mais elle savait qu’il avait déjà nommé son premier vaisseau en l’hommage de la jeune femme.
Elle allait exprimer verbalement son approbation, mais une sensation apparut brusquement dans son esprit. Sa surprise devait être visible sur son visage, car celui de Han se tendit aussitôt.
— Qu’y a-t-il, chérie ? Des ennuis en perspective ?
Elle se concentra quelques instants sur ses perceptions afin de les confirmer, puis sourit à son époux et à Bel Iblis, qui la regardait d’un air inquiet.
— Au contraire, répondit-elle. Luke vient d’arriver.