
Uniforme, silencieuse, désertique, stérilisée, la planète sur laquelle la moindre once de verdure ou le plus petit chant d’oiseau n’était maintenant qu’un souvenir n’avait pas toujours été ainsi. Quelques mois auparavant, il s’agissait encore d’un monde luxuriant couvert de forêts tropicales. Il était impossible d’effectuer le moindre pas sur son sol sans se retrouver assailli du cri d’un primate hurleur à la fourrure bleue chassant l’un de ces scolopendres vipérins géants des sous-bois. Aujourd’hui, ces deux espèces endémiques avaient disparu. Honoghr n’était plus que poussière, l’entier de ses écosystèmes effacés, comme si elle n’avait jamais été composée d’autre chose que de monticules d’une terre contaminée recouvrant des ossements blanchâtres. La vie avait pratiquement disparu en ce lieu qui avait pour seul tort que de s’être retrouvé sur le parcours de croiseurs transportant le dernier né des laboratoires militaires de la Confédération des Systèmes Indépendants : la Trihexalophine1138. Le chargement avait été stoppé net par une flotte républicaine, mais la catastrophe n’avait pu être évitée. Plusieurs des vaisseaux abattus en orbite s’étaient écrasés sur le monde et le poison s’était répandu dans l’atmosphère. Désormais, Deekon Jeren, ainsi que sa Padawan Katooni, ne pouvaient que constater l’horreur qui avait été confinée à une seule planète. Pour des êtres sensibles à la Force, il existait difficilement pire cadre. Lors de leur arrivée deux jours auparavant, ils avaient tenté de s’ouvrir plus profondément à ce courant qui les entourait, mais n’y avaient trouvé qu’une sensation froide ponctuée par la maigre chaleur que prodiguaient les quelques survivants de la catastrophe. Les deux Jedi n’étaient pas les premiers représentants de la République à venir à apporter leur soutien et le Kage comprenait, à présent, le malaise qu’il avait pu ressentir chez ceux qui l’avaient précédés.
— Vivement que nous quittions cette planète, frissonna son apprentie à ses côtés. J’ai l’impression d’avoir été enfermée dans un cercueil ouvert.
Deekon comprenait sans peine ce que la jeune Tholotienne voulait dire, lui-même se sentait nauséeux depuis leur arrivée, mais soutenir les populations affectées par la guerre faisait partie de leurs tâches.
— Encore quelques jours, Padawan. Une fois que les équipes médicales et de ravitaillement auront la situation en main, nous pourrons les laisser s’en charger.
— Bien sûr, Maître. Je sais que les Noghris ont besoin de notre aide et je ne peux qu’imaginer leur désespoir, mais ce monde est comme…
— Mourant, termina Deekon en fixant le ciel. Je n’avais que rarement senti une pareille sensation. Le pire se trouve dans les échos qui sont émis, des échos de ce qui fut.
— Je les sens aussi, mais je n’en comprends pas la raison, avoua Katooni en parcourant le paysage désertique qui entourait leur camp de base. Il n’y a plus rien, mais je suis encore capable de percevoir la présence d’un animal ou d’une forêt à travers la Force.
— La Force ne se limite pas à l’instant présent, expliqua le Kage. Elle maintient la galaxie en un tout commun aussi bien physiquement, que dans sa temporalité.
La Tholotienne fronça les sourcils.
— Je ne suis pas sûre de comprendre. À vrai dire, je ne comprends pas du tout.
Et moi donc.
— Lorsque tu jettes un caillou dans un lac, l’onde émise ne se limite pas à la zone d’impact, tenta-t-il de décrire. Il faut un instant avant que l’information de ce caillou entré dans l’eau ne se propage avant de finalement disparaître pour laisser place à une surface calme. C’est ce que tu ressens actuellement. Un écho d’un événement passé qui continue son parcours jusqu’à se dissiper.
Sa Padawan ne répondit pas immédiatement et il sentit son regard interrogateur couplé à son intense réflexion.
— Cela ne fait pas beaucoup plus sens, finit-elle par avouer.
Le Chevalier Jedi eut un petit rire amusé.
— Pour moi non plus, Padawan, mais ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas quelque chose que cela n’existe pas.
Du coin de l’œil, il vit son apprentie croiser les bras et contempler le ciel avec lui.
— Parfois, je me demande où vous avez appris tout ça et comment vous pouvez passer de la tête brûlée au sage avec tant d’aisance, avoua-t-elle.
— Mon ancien mentor avait une façon bien à elle de voir la galaxie et les gens qui la peuplent. J’aimerais avoir l’occasion de te montrer tout ce qu’elle m’a appris.
— J’aurais aimé la rencontrer, avoua Katooni d’une voix candide qu’elle adoptait lorsqu’elle avait peur d’avoir prononcé les mauvais mots.
— Vous vous seriez extrêmement bien entendues. Peut-être trop même, s’amusa-t-il en imaginant les deux Jedi s’allier contre lui.
Sar Labooda avait été une instructrice atypique, mais elle avait fait de lui un meilleur Jedi qu’il ne l’aurait jamais pensé. Il espérait pouvoir faire de même avec son apprentie.
— Parfois, murmura Katooni, j’ai l’impression que, malgré vos méthodes peu habituelles, vous êtes bien plus fidèle à la conception que je me suis toujours faite des Jedi que certains membres du Conseil.
— Je te rappelle que tu t’adresses à un général, soupira le Kage.
La Tholotienne se tourna vers lui.
— Un général qui passe le plus clair de son temps à regretter cette guerre. Je me rappelle encore ce que vous m’avez dit après l’évacuation de Bothawui. La guerre nous transforme en soldats. Nous ne sommes plus les gardiens de la paix que nous étions. Croyez-moi, j’ai vu où cela pouvait mener certains d’entre nous et ce que cela coûte.
Sa voix s’était cassée sur la dernière phrase et il savait exactement pourquoi. Une semaine après l’évacuation de Bothawui, ils étaient retournés sur Coruscant. Il était parti en quête d’informations dans les bas-fonds et Katooni, elle, en avait profité pour peaufiner son entraînement auprès de Maître Sinube. Le premier jour, il y avait eu un attentat, le premier dont avait été victime le Temple depuis des siècles. Il y avait eu une enquête, des accusations lancées trop rapidement et des erreurs. Une innocente en avait payé le prix. Le Conseil s’était retourné contre l’une des leurs : Ahsoka Tano. Katooni admirait la Togruta, il le savait. C’était elle qui l’avait accompagnée lors de sa Collecte. Deekon était rentré au Temple pour les funérailles, il avait insisté sur le fait qu’un Jedi ne pouvait pas être coupable de tels actes, encore moins une personne aussi droite et prête à se sacrifier pour les autres comme l’était la Padawan d’Anakin Skywalker. Il n’avait alors eu qu’à moitié raison. Ce jour-là, la foi en constante diminution qu’il avait en le Conseil avait chuté, pire encore, de nouveaux doutes avaient émergés chez son apprentie. L’Ordre Jedi s’étiolait et cette attaque venue de l’intérieur était un symptôme du mal qui le rongeait.
— Vous pensez que Barriss Offee avait raison ? demanda Katooni. Vous pensez que nous nous sommes perdus en chemin.
Deekon soupira, réfléchissant aux paroles qu’il allait prononcer. Après tout, sa Padawan avait vu la Mirialan affronter Anakin Skywalker au sein même du quartier général de l’Ordre.
— Je pense que nous nous en sommes éloignés et que je ne sais pas encore si nous pourrons le rejoindre à l’endroit précis où nous l’avons quitté.
Offee était persuadée que cela n’était pas possible. Peut-être était-elle dans le vrai, mais le meurtre, la trahison d’une amie, rien ne justifiait cela.
Alors que d’obscurs pensées les envahissaient, un éclat lumineux au sein de la Force les fit soudainement réagir, déclenchant le même sourire chez le maître et l’apprentie. Le voile qui assombrissait leur horizon commença peu à peu à se dissiper.
Elle est arrivée.
Il entendit le pas pressé et le son caractéristique de l’armure claquant à chaque mouvement derrière lui.
— La frégate médicale est arrivée, signala Deviss casqué et accourant à leurs côtés avant de voir leurs visages, mais je suppose que vous étiez déjà au courant. Les Jedi et leur fichue Force.
Dans le ciel, trois transports venaient de percer l’atmosphère. La présence lumineuse que Deekon et Katooni avaient perçue était à bord de celui de tête.
— Ne vous en faites pas, Deviss, répondit le Kage. J’apprécie énormément la rapidité à laquelle vous transmettez les informations, ainsi que votre professionnalisme.
— Pour ce que ça vaut, marmonna le commandant clone de sa voix modifiée par son casque. Parfois, je vous envie. Être capable de tout ressentir, de manipuler votre environnement et de communiquer par la pensée. Cela m’intrigue chaque jour.
— Je vous assure, commandant, déclara Katooni dans un tremblement, vous êtes bien chanceux de ne pas être sensible à la Force sur cette planète.
Le soldat en armure blanche et rouge contempla les alentours et les natifs amaigris pris en charge par les médecins de leur section. Lui aussi n’était pas très à l’aise, il ne pouvait le cacher.
— Je ne peux qu’imaginer ce que vous ressentez depuis que nous sommes ici. Un monde complet réduit à une sphère de poussière. J’ai encore de la peine à croire qu’ils aient pu survivre à tout cela.
Les Noghris avaient survécu, oui. Cependant, il ne restait plus qu’une fraction de ce que la planète avait alors connu comme population. Les rescapés étaient devenus des nomades qui se déplaçaient d’une zone tout juste épargnée à une autre qui l’était encore moins. Deekon se demandait combien de tribus comme celle qu’ils ravitaillaient aujourd’hui étaient encore coupées de tout sur la planète. La guerre faisait des victimes et pas uniquement au sein des armées s’affrontant sur le champ de bataille. Certains des membres de l’Ordre ayant refusé de prendre le commandement de la Grande Armée, comme Maya, l’avaient vu et parcouraient la galaxie pour venir en aide à ce que l’état-major appelait des « dégâts collatéraux ». Katooni, elle, leur avait donné le nom de premières victimes et elle avait parfaitement raison.
Combien de civils sont-ils morts depuis Geonosis ? Combien ont perdu leur famille pour s’être trouvés au mauvais endroit au mauvais moment ?
Devant lui, la navette médicale se posait avec délicatesse dans un grondement propre à sa taille et les deux Jedi, accompagnés du commandant clone, s’avancèrent pour accueillir les nouveaux arrivants. Deekon, retenait un sourire, ce qui n’était pas le cas de sa Padawan qui trépignait d’impatience. Lorsque la rampe se déploya pour toucher le sol dans un nuage de poussière stérile, il la vit. Elle était resplendissante dans sa tenue habituelle blanche étincelante, ses longs cheveux descendant en cascade sur ses épaules. À son arrivée, elle leur lança un sourire radieux et le petit comité d’accueil alla à sa rencontre. Le Kage put sentir que Katooni s’efforçait de ne pas sauter dans les bras de Maya en présence des deux autres guérisseurs Jedi qui l’accompagnaient. Le Chevalier Jedi, lui, s’inclina de manière protocolaire.
— Maya, heureux que ce soit toi qu’ils aient envoyé, annonça-t-il. Bien que j’aurais préféré que cela soit en d’autres circonstances.
L’Arkanienne était bien plus sensible à la Force que lui. Le torrent de sensations qu’elle avait dû encaisser à son arrivée avait donc certainement été bien plus agressif que ce à quoi il avait été contraint de faire face. L’expression inquiète sur le visage de son amie en disait suffisamment, mais il ne mit pas longtemps à comprendre qu’il y avait autre chose, quelque chose qu’elle brûlait de lui dire. Elle modifia très vite ses traits et lui répondit avec une expression chaleureuse.
— Deekon, je te remercie pour ton accueil, s’exprima-t-elle avant de se tourner vers le second du Kage. Vous devez être Deviss. J’ai beaucoup entendu parler de vous et je vous remercie de prendre soin de cette tête brûlée depuis le début de ce conflit.
— C’est un plaisir.
La réponse du clone avait été brève, dénuée d’une pique lancée contre son supérieur ou du moindre commentaire plus élaboré. Cela ne lui ressemblait pas. Maya s’inclina avant de fixer Katooni de son intense regard saphir.
— Katooni, c’est toujours un plaisir de te revoir.
— C’est un plaisir pour moi également, Maître, rayonna la Tholotienne.
Sa Padawan brûlait d’envie de discuter avec la Scion Arkanienne, iIl n’était pas compliqué de le voir, aussi décida-t-il de leur accorder ce moment d’intimité après avoir remarqué un nouvel individu émergeant de la navette.
— Padawan, je te laisse informer nos nouveaux invités des derniers événements.
L’apprentie jedi accepta avec un enthousiasme non dissimulé et enjoignit les guérisseurs de s’engager à sa suite, ce qu’ils firent sans discuter. Toutefois, Maya s’arrêta brièvement à sa hauteur.
— Il faut que je te parle, murmura-t-elle avec une voix atténuée par la Force. Rejoins-moi dès que tu auras un moment.
Il la regarda ensuite s’éloigner avec le reste de l’équipe médicale menée par Katooni.
J’avais vu juste.
— C’est quelque chose, lâcha Deviss qui sembla remarquer le haussement de sourcil de son supérieur. Je veux dire, votre amie. Lorsqu’elle m’a regardé, j’ai eu l’impression de me retrouver sans protection et pourtant vous savez à quel point je vante cette armure. C’était à la fois extrêmement agréable et effrayant.
— Les Jedi ont souvent cet effet sur les gens, répondit le Kage un peu absent.
— Pas vous, répondit le clone avant de se raviser. Enfin, pas de la même manière. Vous, vous êtes un soldat fait de chair et de sang. J’arrive à vous comprendre. Elle, on aurait dit un être de lumière. J’ai entendu des descriptions sur les Anges des lunes de Iego et je dois avouer que j’ai eu l’impression d’en apercevoir un.
La réflexion de son second le frappa et lui rappela une phrase que Maître Yoda leur avait dit lors de leur formation en tant que novices.
Nous sommes des êtres illuminés, pas une simple matière brute.
Maya correspondait parfaitement à cette description et les mots de Deviss venaient de le prouver. L’Arkanienne était peut-être même l’une des dernières représentantes de l’Ordre qui correspondait à cette définition.
« Vous, vous êtes un soldat fait de chair et de sang. »
L’officier clone avait aussi raison sur ce point. Il ne s’était que trop éloigné de ce qui faisait de lui un Jedi et il espérait, chaque jour, qu’il ne lui serait pas impossible de revenir sur cette voie.
— Deekon Jeren, grommela une voix forte en s’approchant. Tu vas me faire poireauter encore longtemps après m’avoir tiré de mon confort ?
Le Kage se sortit de sa réflexion en entendant les mots construits par des cordes vocales usées par des années d’inhalation de substances cancérigènes.
— Toujours aussi charmant Rohm, claqua-t-il à l’attention du Duros qu’il avait aperçu sortir du vaisseau un instant plus tôt.
Plutôt grand pour un membre de son espèce, le non-humain à la peau bleu-gris lui lança un regard empli de suffisance au travers de lunettes trop petites pour son énorme crâne. Il s’avança en lissant sa blouse du corps médical républicain qu’il avait vraisemblablement enfilée plus par obligation que par conviction, comme en témoignait son port débraillé.
— Les Jedi, ils croient qu’il suffit de claquer des doigts pour qu’on accourt prêt à faire leurs quatre volontés, grogna-t-il avant de cracher sur le sol.
— N’est-on pas en droit de l’exiger lorsqu’on sort des pauvres créatures ingrates du caniveau ?
Le Duros se plaça à un mètre de lui, une expression de défi dans ses yeux rouges avant d’éclater de rire et de le prendre dans ses bras pourvus de bien plus de force musculaire que son âge ne pouvait le laisser présager.
— Ah Deek, c’est un plaisir de voir que tu es toujours la même tête de Nerf, déclara-t-il en le lâchant, lui rendant ainsi sa capacité à respirer. Tu as une sale mine.
— Ne penses même pas à me sortir que j’ai une teint grisâtre, Doc, le prévint le Kage avant de pointer le petit cylindre brun que le Duros venait d’allumer. Je suis surpris que ces saletés ne t’aient pas encore bousillé les poumons.
Ce dernier prit une bouffée et relâcha un petit nuage cendré.
— Ces trucs ont déjà eu raison de moi, il ne reste qu’à savoir quelle sera ma date d’expiration exacte. Sans toi, celle-ci aurait d’ailleurs pu arriver à échéance il y a quatre ans.
— J’ignore encore si inhaler ces machins est meilleur pour ta santé que court-circuiter le Soleil Noir dans la fourniture de médicaments, pour tout te dire, plaisanta le Jedi tout en gardant un ton sérieux.
— Ces pourritures avaient condamné tout un secteur. Lorsqu’on fait serment d’aider, soit on le fait pour tous, soit on reste planqué au chaud chez soi. Tu devrais le rappeler à tes camarades du Temple.
La remarque du Duros n’était pas dénuée de vérité. Le Jedi décida néanmoins de ne pas relever l’attaque contre son Ordre et l’autre en eut l’air déçu.
— C’est qui le capitaine de parade avec un balais dans le fondement ? demanda finalement Rohm pour changer de sujet.
— Commandant clone, CC-6210, 128e Légion de la Grande Armée de la République, s’annonça le militaire en saluant plus par habitude que par respect pour le médecin, ses doutes vis-à-vis du Duros n’étant de loin pas imperceptibles.
— Deviss, enchaîna Deekon, je vous présente Rohmutilia’taarami Haakon.
— Docteur Rohmutilia’taarami Haakon, déclara-t-il en insistant sur son titre avant de tendre la main, mais tout le monde m’appelle Doc Rohm.
Le clone hésita un instant, puis accepta la poigne présentée.
— Bon, Deek, grogna le docteur en prenant une nouvelle bouffée de son poison en cylindre, quel est le problème ? Tu sais que je suis spécialisé dans la chirurgie neuronale et pas dans…
Il contempla les alentours un instant avant de soupirer, visiblement affecté par ce qu’il voyait.
— Pas dans ce genre de connerie militaire, quelle qu’elle soit. Par les tous les volcans de Mustafar, qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?
— Arme chimique, répondit le Chevalier Jedi de manière brève. Tout a été totalement réduit à l’état de cendres et seuls quelques tribus noghris en ont réchappé. Certains présentent des troubles qui échappent à nos médecins.
— S’ils sont tous aussi coincés que celui-là, cela ne m’étonne pas, maugréa Rohm en essayant de dévisager Deviss.
Deekon n’eut aucune peine à imaginer son second grincer des dents derrière son casque et le remercia secrètement pour son stoïcisme à toute épreuve.
— Tu peux jeter un œil, oui ou non ?
Le Duros marmonna quelques mots incompréhensibles avant de jeter le tube encore incandescent sur le sol et d’en allumer un nouveau.
— Mouais, si tu me trouves quelqu’un pour me montrer les cas les plus avancés.
— Je vais mettre Red sur le coup, Général, annonça Deviss qui semblait pressé de se débarrasser du praticien.
— Tant qu’il est capable de la fermer pendant que je bosse, déclara le Duros en haussant les épaules avant que Red n’arrive.
Le soldat CRA en armure noire et rouge salua avant de tourner sa tête casquée vers le seul inconnu du groupe.
— C’est ce gars que je dois escorter ?
— Docteur, le corrigea Rohm de sa voix rocailleuse en soufflant une nouvelle volute de fumée sur le côté.
— Docteur en quoi ? insista nonchalamment Red visiblement brièvement briefé par son supérieur.
— Chirurgie neurologique, ce qui signifie que je suis tout à fait capable d’aller triturer l’intérieur de votre boîte crânienne si vous décidez de continuer à me faire perdre mon temps.
— C’est noté, répondit le clone totalement impassible. Par ici, Doc.
Rohm sembla hésiter un instant, tentant de dévisager le soldat derrière son masque à l’expression figée, puis décida d’abandonner et de suivre la direction indiquée.
— À quel point a-t-on besoin de lui, Général ? grinça Deviss.
— Assez pour que vous ne le descendiez pas tout de suite, Commandant, répondit Deekon qui se demandait à quel point il devait rendre sa réponse sérieuse.
— Je ne promets rien. Je dois avouer qu’entre votre petite amie et le vieux grognon, vous avez une diversité de connaissances relativement étendue.
— C’était fourni avec ma formation, Deviss, répondit-il en soupirant.
Le clone émit un léger son amusé avant de le saluer et de s’éloigner.
— Et Deviss, ce n’est pas ma petite amie, corrigea-t-il sans toutefois le regarder.
— Si vous le dites, Monsieur.
L’officier rejoignit un groupe de clones situés un peu plus loin. Laissant le Kage seul avec cette dernière phrase emplie d’amusement et absolument loin d’être prononcée avec conviction. Deekon se mit en marche sans cesser d’y réfléchir.
Si je le dis…
Le simple fait qu’il savait déjà ce dont l’Arkanienne désirait lui parler lui prouvait que la situation n’était pas aussi simple qu’il voulait le croire. Son second n’était pas idiot et il s’en était rendu compte.
Tout semblait plus facile vingt années en arrière.
Ses pensées l’avaient mené tout droit à sa tente ou plutôt à la présence lumineuse de Maya qui s’y trouvait. Il mit de l’ordre dans ses pensées et poussa l’épaisse toile grise qui lui bloquait l’accès pour très vite découvrir la silhouette de son amie se dessiner, contemplant des cartes recensant diverses positions stratégiques dans la galaxie.
— C’est donc ça que tu passes ton temps à lire, maintenant, déclara l’Arkanienne sans se préoccuper de l’effet de la critique.
Deekon ne put cacher un air légèrement gêné sur son visage gris.
— Il me faut bien avoir une idée de l’emplacement des ressources d’importance pour la République.
— Tu parles comme un politicien ou un militaire de carrière, lui fit remarquer la jeune femme sur un ton empli de reproches.
Lorsqu’elle fit volte-face, il put clairement lire la surprise sur le visage pâle de Maya qui ne s’était pas attendue à le voir si proche. Seuls quelques centimètres les séparaient. Il aurait été tellement facile de les effacer, mais aucun des deux ne fit le pas. Ils étaient conscients de ce que cela aurait pu engendrer, surtout au vu de la situation actuelle.
— Mais je reste un Jedi, répliqua-t-il sans oser effectuer un nouveau geste et en se forçant à prendre un air désinvolte. C’est de cela que tu voulais me parler ? Ta peur que je ne fasse campagne pour un poste permanent au sein de la Grande Armée ou au Sénat Galactique ?
— Tu sais très bien de quoi je veux discuter, rétorqua-t-elle en reculant d’un pas, lui faisant clairement comprendre qu’elle n’apprécierait que peu la moindre blague.
Deekon se mordit la lèvre.
— Je sais et je peux t’assurer que j’y ai beaucoup réfléchi ces derniers jours, déclara le Kage en se frottant le menton. Tu penses toujours que c’est la bonne solution ?
Depuis cette discussion qu’il avait eu avec la jeune femme, suite à l’attaque sur le Temple, il n’avait cessé de ruminer le sujet. Il n’avait cessé de penser au retour de ce Sith qui avait pris le contrôle de la pègre, puis de Mandalore sans que le Conseil ne lève le doigt. Il avait vu une Jedi s’attaquer au fondement même de leur Ordre et été témoin d’un Conseil aveuglé par son arrogance pousser une Padawan à suivre le chemin des Égarés. Il était descendu dans les bas-fond de Coruscant pour constater la disparition de la foi fragile envers les Jedi qui s’y était pourtant toujours maintenue auparavant. Il désirait protéger la République, ses citoyens, ses valeurs plus que tout, mais l’Ordre avait bien changé depuis qu’il n’avait été qu’un novice. Ses doutes avaient commencé lors de son apprentissage avec Sar Labooda, puis n’avaient cessé d’augmenter après Geonosis. Les Séparatistes n’étaient pas ces meurtriers qui étaient présentés sur l’holonet. À dire vrai, beaucoup des planètes ayant fait sédition aspiraient à leur indépendance, à la paix et à la démocratie. Pourtant, une part de lui-même savait qu’il ne serait pas totalement libre de ses choix tant que ce conflit perdurerait. Maya sentit ses incertitudes.
— Deek, chaque jour je la ressens grandir : cette ombre qui plane au-dessus de nos têtes. La guerre, notre arrogance, la soif de pouvoir de Dooku, mais aussi celle du Chancelier l’ont alimentée et elle est maintenant prête à nous engloutir, expliqua-t-elle ne pouvant masquer de furtifs sanglots. Pour la première fois, j’ai peur de ce qui va arriver. Pour la première fois, je crains que l’Ordre ne soit plus en mesure de diffuser la même lueur d’espoir sur la galaxie.
La peur, il ne l’avait plus entendue dans la voix de Maya depuis la Collecte et ce moment lors duquel elle avait été forcée de continuer seule. Il était conscient qu’il serait prêt à tout sacrifier pour ne plus la percevoir chez elle, qu’il voulait rester à ses côtés quelles qu’en soient les conséquences. Il avait déjà pris sa décision en entrant dans la tente, mais il ne le réalisait que maintenant. Il s’approcha et effaça subtilement une larme qui brillait sur la joue de l’Arkanienne. Il avait encore une tâche à effectuer, une tâche qu’il ne pouvait pas laisser inaccomplie. Le Comte Dooku, Grievous et leur armée reculaient, jour après jour. Le temps leur était compté et l’ombre qu’ils projetaient disparaitrait. La République pourrait ensuite se reconstruire, prendre un nouveau départ. Les choses changeraient, il le savait.
— Ce conflit touche à sa fin, je le sens, admit-il en lui prenant délicatement les mains. Lorsqu’il sera terminé, je quitterai l’Ordre avec toi.
Une phrase, un choix et il sentit que le contact avec la peau blanche de son amie était soudainement différent. Sans qu’il ne puisse le comprendre et encore moins le décrire, quelque chose venait de changer.