Jagen Eripsa a écrit:Bon cette fois-ci pas d'excuse, j'aurai mis un sacré temps à sortir la suite... Désolé pour ceux qui veulent suivre l'histoire.

Comme ce chapitre clôture l'arc Opah Settis, je conseille à ceux qui seraient un peu perdus de reprendre à partir du chapitre 14. ^^
Deux ans et demi plus tard... Je recommande de relire si possible depuis le début. J'ai dû le faire, moi aussi, pour terminer ce fichu chapitre sur lequel je suis resté bloqué si longtemps.

M'enfin, ce coup-ci, c'est pour de bon : je vais finir cette histoire ! Et je ne commencerai pas le deuxième tome de la
Fédération Impériale tant que ce ne sera pas le cas
<< Chapitre précédent << Sommaire >> Chapitre suivant >>Chapitre 18 Knight’s Blade, en approche du secteur Corusca, deux cent vingt-cinq jours AK.
En dépit de mon jeune âge, je pouvais me targuer d’avoir affronté un grand nombre de dangers aux formes aussi diverses que mortelles. J’avais échappé aux Hutts, aux esclavagistes, aux turbolasers, aux lasers tout courts et même aux repas de famille. Et je sortais tout juste d’un piège de la Brigade Stellaire qui avait impliqué un gigantesque volcan sur le point d’exploser.
Après tout ça, je ne me serais jamais douté que mon plus grand défi arriverait sous la forme d’une invitation officielle.
Elle me parvint deux jours avant la date fatidique, envoyée directement par le bureau du Chancelier. Un texte court, lapidaire même, qui me conviait à une réception organisée par le chef d’État dans un des dômes orbitaux de Coruscant à l’occasion de la veillée du Jour de la République.
La sonnerie indiquant la réception d’un message sur mon datapard retentit lorsque nous émergeâmes de l’hyperespace, à quelques encâblures de Centax II, l’une des lunes de la planète-capitale.
Les travaux de la base des F.A.R. sur le premier satellite, Centax, avaient commencé quelques semaines plus tôt. Pour l’heure, nos vaisseaux s’amarraient sur des quais civils à proximité de la seconde lune, qui comportait quelques installations civiles de stockage et d’industrie.
— Déployez le sas numéro vingt-sept, ordonnai-je à mon équipage avant de consulter mon datapad.
En voyant l’invitation, je ressentis une grande joie et une certaine fierté d’avoir été ainsi honoré. La cérémonie du Jour de la République, qui marquait dans le Calendrier Galactique Standard – dérivé de celui de Coruscant – le début de la nouvelle année, était l’événement le plus important qui soit dans le petit monde des élites de la République. Les invités du Chancelier avaient la chance d’être aux premières loges des festivités.
Puis vint la désillusion, cruelle et immédiate.
L’invitation était valable pour deux personnes.
— Manœuvre réussie, annonça le lieutenant Vandrast à l’ensemble de l’équipage. La première navette pour Coruscant décollera à 1025, je répète, 1025. Bonne permission à toutes et à tous !
Après les missions successives des derniers mois, et cette éprouvante mission sur Opah Settis, j’avais obtenu pour toute ma flotte deux semaines de congés dont je comptais également profiter. Déjà tous ceux qui le pouvaient quittaient leur poste pour rejoindre à temps la première navette. Je sentis que je devais agir vite pour avoir toutes mes chances.
— Vanya, voulez-vous bien m’accorder un instant ? demandai-je à la lieutenante mandalorienne.
— Bien sûr, répondit-elle en approchant.
J’attendis qu’elle soit suffisamment proche pour lui parler.
— J’ai une proposition à vous faire, dis-je en rassemblant tout mon courage.
À deux mètres de nous, Syal Rodan tendit ostensiblement l’oreille.
— J’aimerais que vous m’accompagniez à la réception donnée par le Chancelier pour la veillée du Jour de la République, lançai-je sans reprendre mon souffle.
Blast ! Je n’avais jamais eu autant de mal à prononcer des mots pourtant simples. Pourquoi était-ce tellement plus difficile que de m’adresser à mes troupes ?
— Puis-je vous demander en quel honneur ? me répondit-elle en rougissant légèrement.
Mon cœur sauta quelques battements. Devais-je révéler la vérité sur mes sentiments à son égard ? Oui, Vanya me plaisait. Elle m’attirait, physiquement bien sûr, mais aussi de par sa personnalité si complexe. Sa froideur m’aguichait. Il émanait d’elle une force déterminée que je trouvais follement attirante.
Mais je ne voulais pas dévoiler mes sentiments devant d’autres officiers. Je ne souhaitais pas passer pour un bourrin ou un sentimental, ni même faire jaser l’équipage avec la rumeur d’une liaison entre nous. Aussi décidais-je d’emprunter une voie dérobée.
— Eh bien, vous êtes mandalorienne… Je souhaiterais vous présenter au Chancelier, peut-être que ça pourrait…
— Le Chancelier connaît sans doute très bien mon peuple, me coupa-t-elle avec brutalité.
Toute trace de couleur avait disparu de son visage. Je commençais à sentir que j’avais commis une erreur.
— Mais vous êtes aussi membre de mon équipage, à la tête de la sécurité…
— Prenez un autre membre d’équipage, lança-t-elle sans détour. Le lieutenant Vandrast, par exemple ?
L’intéressé releva brusquement la tête du rapport qu’il rédigeait, et semblait vraiment surpris de se retrouver impliqué.
— Eshaan, êtes-vous libre pour le Jour de la République ? Le commodore souhaite inviter un membre de son équipage…
Bon sang, elle était vraiment furieuse ! Et je n’avais pas le moins du monde envie de me retrouver coincé avec Vandrast lors d’une réception. Ce type semblait incapable de se détendre.
Je devais absolument tenter quelque chose. Je n’avais encore jamais eu recours à la manipulation mentale, telle qu’elle était pratiquée par les Jedi, mais cela me semblait être mon seul espoir. Je m’imaginai aussitôt projetant mon esprit vers mon aide de camp, pour lui entrer dans le crâne une pensée simple.
Réponds non. Tu ne peux pas venir.
— Hélas non, dit-il d’une voix égale. Je serai auprès de ma famille.
Il cligna des yeux, puis ajouta :
— Demandez à la lieutenante Rodan.
Je vis une lueur de surpris glacée naître dans le regard de la Mandalorienne. Sa tactique s’était retournée contre elle. Du coin de l’œil, j’aperçus Syal se lever de son poste ; j’entrepris aussitôt la même manœuvre qu’avec Eshaan.
Réponds non, toi aussi. Tu ne peux pas venir non plus. — Ce sera avec plaisir, si vous le voulez bien, dit-elle en me souriant.
De toute évidence, mes talents laissaient encore à désirer.
J’étais coincé. Si je refusais, je risquais de m’humilier devant mon équipage, devant Vanya. Je pouvais lui donner sur moi un ascendant important, sans doute trop pour le moment. J’étais attiré par elle… Mais pouvais-je lui accorder une totale confiance ? Mais si j’acceptais… Si j’acceptais, elle risquait de ne pas apprécier.
Cela étant, elle l’avait bien cherché.
— Très bien, répondis-je avec résignation. Je vous transmettrai les coordonnées du point de rendez-vous. Rompez.
Elle n’était même pas au garde-à-vous lorsque j’énonçai cet ordre, mais cela n’avait guère d’importance. Je me contentai de tourner la tête vers Vanya, de lui lancer un regard lourd de sens : « Tu es contente ? ». Mais une part de moi prit en pitié son visage aux beaux traits magnifiés par la tristesse et… Oui, il y avait là de la déception.
Peut-être les choses iraient-elles mieux la prochaine fois.
Je ne pouvais que l’espérer.
* *
*
District Manarai, Coruscant, deux cent vingt-sept jours AK.
Je me levai tôt le jour fatidique, mais pas en prévision de l’événement. Un ordre m’était parvenu la veille pour m’inviter à rejoindre le siège opérationnel de du Bureau des Renseignements du Sénat.
L’agence était l’une des institutions les plus secrètes de la Galaxie, directement rattachée au cabinet du Chancelier. Si son directeur siégeait habituellement dans une tour du Palais de la République, ses agents se rendaient plus volontiers dans le bâtiment ultra-sécurisé du district Manarai qui abritait les hangars, espaces d’entraînements et centres d’analyse.
La circulation dense de l’astroport voisin était idéale pour camoufler les allées et venues, mais ce matin-là je constatai surtout ses désagréments : il m’était impossible d’avancer aussi vite que je l’aurais voulu avec mon airspeeder. Je pestai contre cette affluence, à laquelle je n’étais plus habitué, jusqu’à ce qu’un passage s’ouvre pour me permettre de rejoindre le point de rendez-vous.
Deux gardes m’escortèrent depuis l’entrée des visiteurs jusqu’à la salle d’interrogatoire où j’étais attendu, s’assurant que je n’apercevais rien de compromettant.
Deux hommes m’attendaient là. Le premier qui s’avança avait un physique massif : aussi grand que moi, il arborait une mâchoire carrée et un regard dur. Je me retins de grimacer quand il m’écrasa la main de sa poigne vigoureuse.
— Merci d’être venu si vite, Commodore, me salua-t-il. Je suis le capitaine Isard. C’est moi qui suis en charge de la traque de la Brigade Stellaire au sein du BRS.
— Ravi d’apprendre que cette menace est désormais prise au sérieux, répondis-je prudemment.
— Elle l’a toujours été, précisa le second agent en me serrant la main à son tour.
Son visage sombre affichait un air impassible, et dénotait surtout par le regard inquisiteur qui y brillait.
— Le lieutenant Narcassan est notre meilleur analyste, m’annonça Isard. Il a décrypté tous les enregistrements de vos affrontements avec ces pirates.
— Vous avez pu en tirer quelque chose ?
— Plus que vous ne l’imaginez, m’annonça l’agent. Les réponses très différentes de leurs flottes sur Corbantia, Denon ou Cademimu cachaient des tactiques similaires, révélant qu’une coordination existait bel et bien entre les différents commandants. L’hypothèse d’un coordinateur avait été évoquée. Grâce à votre rapport sur les événements d’Opah Settis, nous avons enfin un début de confirmation sur son existence.
Je mis quelques instants à comprendre de quoi il parlait.
— « L’Informateur », c’est ça ?
— Effectivement. Vous souvenez-vous précisément de que HagasFierruj a dit à ce moment-là ?
— Qu’il devait négocier avec. Il leur avait promis quelque chose, apparemment.
Les deux agents échangèrent un regard silencieux.
— Je n’ai jamais cru en cette histoire de direction coordonnée, lâcha finalement Isard. Dans n’importe quel groupe, il y a toujours un chef qui se détache, au final, pour donner des ordres que les autres exécutent. Je ne vois pas pourquoi ces pirates auraient choisi un fonctionnement différent.
— « Direction coordonnée » ? répétai-je, dérouté. Pouvez-vous être plus précis.
D’un geste, le capitaine m’invita à m’asseoir.
— Lors de votre échange avec le Chancelier, voilà quelques mois, vous lui avez indiqué savoir ce qui était arrivé au
Bloody Angel, commença-t-il. Jusque-là, nous pensions que Trenik Fehn était le chef de la Brigade Stellaire, mais cette hypothèse a été abandonnée.
— Nous en sommes arrivés à supposer l’existence d’un « conseil » composé d’anciens membres de l’équipage du
Bloody Angel, chacun ayant une flotte à son compte, poursuivit Narcassan. Nous en avions repéré cinq.
Je commençai à assembler les pièces du puzzle dans ma tête.
— Cette liste comprenait Fierruj et Hagas ?
— Non, admit-il. Et il pourrait y avoir d’autres inconnus. Hagas étant mort, il ne nous reste que Fierruj pour nous apporter les informations nécessaires. C’est la raison pour laquelle vous êtes ici.
— Si vous estimez que je peux aider…
— C’est le cas, affirma l’analyste. Vous indiquez dans votre rapport qu’ils ont été déstabilisés quand ils ont appris que vous étiez à bord du
Bloody Angel au moment de sa destruction.
La scène me revint en tête. Pendant des jours, j’avais vu les deux faux diplomates cabotiner avec aisance ; mais à cet instant, alors que j’étais réduit à l’impuissance dans ma cellule, ils étaient réellement apparus déroutés, presque hagards, lorsque je leur avais asséné cette information.
— Vous pensez que ma présence suffira à rendre Fierruj bavard ?
— SI ça ne marche pas, on essaiera autre chose, répondit Isard avec une moue. Mais autant tenter la méthode douce avant de risquer de l’abîmer.
J’acquiesçai en me demandant s’il s’agissait d’humour ou s’il parlait sérieusement.
— Faites-le entrer, alors.
Le capitaine décrocha son comlink et aboya un ordre. Quelques instants plus tard, l’ex-ambassadeur fit son entrée. Il semblait en petite forme, dans cette tenue orange bien moins seyante que celle qu’il portait le jour où je l’avais arrêté. Il plissa les yeux en me voyant.
— Vous avez l’air d’être mieux traité que je ne l’ai été dans vos prisons, commentai-je en instillant dans ma voix tout le mépris dont j’étais capable.
Je m’attendais à ce qu’il réponde, mais il resta muet comme une carpe pendant qu’on l’installait sur le siège approprié. Sur invitation du capitaine Isard, je pris place en face de lui, encadré par les deux agents des renseignements.
— Renn Fierruj, matricule PHS-8092-2000-6, lut le lieutenant Narcassan. Vous avez été extrait de votre cellule pour répondre à un nouvel interrogatoire portant sur les faits de haute trahison qui vous sont repprochés.
— Je veux voir un avocat, dit-il doucement.
Le signe de tête que fit Isard doucha ses espoirs.
— C’est un droit qui est réservé aux inculpés de droit commun. Vous êtes placé à l’isolement et au secret jusqu’à ce que nous mettions un terme aux agissements de la Brigade Stellaire.
— Alors je veux des garanties, tenta-t-il.
— Nous ne garantissons rien, prévint le capitaine. Mais dites toujours.
— Je veux qu’on me fournisse une nouvelle identité. Nom, histoire… Ce qu’il faut de chirurgie pour altérer mes traits et mes empreintes… Le nécessaire pour dérouter les chasseurs de prime.
— Vous croyez que nous allons vous laisser partir si vous coopérez ? s’étonna Narcassan.
L’idée m’agaçait profondément. Le souvenir des vastes cavernes et des esclaves qui s’y entassaient était encore trop présent.
— Je suis un homme pragmatique, répondit Fierruj. Je me doute bien que vous allez me condamner à une longue peine. Mais ne vous attendez pas à ce que j’y survive sans aide. Au sein de la Brigade Stellaire, il n’y a que la victoire ou la mort : un traître potentiel ne fait pas long feu.
— Vous pensez qu’ils auraient le bras assez long pour vous atteindre ici ? demanda Isard.
— Je n’en doute pas un instant.
Le capitaine le fixa intensément.
— Très bien, lâcha-t-il finalement. Je soumettrai votre demande à vos supérieurs. Maintenant, parl…
— J’ai une autre demande, l’interrompit Fierruj. Je veux qu’il parle d’abord.
Il avait dit cela en me désignant d’un coup de menton.
— C’est votre interrogatoire, pas le mien, répliquai-je en fronçant les sourcils.
— Mais vous savez ce qui s’est passé le jour où le
Bloody Angel a été détruit.
J’échangeai un regard avec les deux agents, qui m’invitèrent à parler. Je ne pus retenir un soupir, tant reparler de cet épisode me dérangeait. Mais je n’avais visiblement pas le choix.
Le début du récit me vint naturellement, tandis que j’évoquais mon escapade sur Tatooine, Gardulla et la rencontre avec Trenik Fehn. Puis mes propos se firent moins fluides comme nous arrivions à ma fuite du
Bloody Angel… Au combat avec Trenik Fehn… La mort de Thyrs Onasi… Et au mystérieux vaisseau républicain qui avait tenté de nous détruire en même temps que le vaisseau des pirates.
Quand mon récit s’acheva, je vis que Fierruj avait ferrmé les yeux. Ce fut à son tour de soupirer.
— Un vaisseau républicain… Évidemment…
— Pourquoi « évidemment » ? l’attaqua Isard.
— Vous savez qui commandait ce croiseur ? demandai-je aussitôt.
Le capitaine me foudroya du regard, mais je n’y prêtai pas attention.
— Pas le moins du monde, mais j’ai des soupçons, répondit notre prisonnier. Vous les comprendrez si vous me laissez raconter, à mon tour, une histoire.
— Allez-y, lui intima Narcassan.
Fierruj se redressa légèrement.
— Je n’étais qu’un gamin des rues quand j’ai rencontré Trenik Fehn, commença-t-il. J’avais monté un numéro avec un autre orphelin de Nar Shaddaa, Piet Hagas. Pour faire court, on escroquait des passants, chaque jour dans une rue différente. Un jour, j’ai manqué de jugement et on s’en est pris à Trenik. Il s’en est tout de suite rendu compte, évidemment. Mais plutôt que de nous le faire payer, il a décidé de nous engager. Il avait besoin de beaux parleurs dans son équipage, des acheteurs capables de faire fructifier ses affaires par tous les moyens.
— C’était votre rôle à bord du
Bloody Angel ? l’interrogea le lieutenant.
L’ex-ambassadeur acquiesça.
— Le vaisseau n’était que le centre névralgique d’une organisation criminelle naissante. Trenik était ambitieux, et surtout il savait se donner les moyens de son ambition. Il détestait les Hutts, mais n’hésitait pas à travailler avec eux quand c’était dans son intérêt. Le négoce des esclaves n’était que l’une de ses activités. La contrebande rapportait souvent plus, surtout le trafic d’armes. Trenik trempait aussi dans plusieurs cercles de jeux, et il avait préparé le
Bloody Angel pour en faire un navire d’abordage, ce qui était très pratique quand une occasion se présentait. Mais ça ne lui suffisait pas : il lui fallait toujours plus. Un jour, il a été contacté par un mystérieux négociant en informations qui proposait de lui vendre des codes d’accès à un dépôt d’armes ultra-sécurisé de la République.
— Celui d’Ord Ligarr ? l’interrogea Narcassan.
— Oui, mais vous allez un peu vite en besogne. Trenik avait appris à se méfier des propositions un peu trop généreuses. Il a donc décidé d’envoyer quelques-uns de ses hommes à la rencontre de cet « Informateur ». Hagas et moi en faisions partie.
— Que s’est-il passé ?
— Des discussions un peu vives autour du prix, un échange de coordonnées, et notre homme s’est comme évaporé. Nous sommes repartis assez vite. Seulement, quand nous avons rejoint le point de rendez-vous avec le
Bloody Angel, il n’y était pas.
Il baissa la tête.
— La nouvelle de sa destruction a commencé à se répandre. Une poignée de jours plus tard, l’Informateur nous a recontactés. Il avait appris nos déboires et proposait de nous aider à accomplir les projets de Trenik… Mais à sa façon à
lui. Pour nous assurer de son bon vouloir, il nous a fait livrer les armes du dépôt d’Ord Ligarr… Ainsi que les crédits que nous lui avions versés pour acquérir les codes d’accès. Il nous a parlé d’un conflit sur Opah Settis où ces armes pouvaient trouver preneur chez les belligérants, à bon prix… Pour financer d’autres opérations. Chacun d’entre nous allait devoir prendre la tête d’un nouveau groupe pour effectuer ses propres missions. Lui se chargeait de nous transmettre des informations, des conseils et des stratégies, en échange d’une part des bénéfices de l’affaire.
— Vous avez accepté le marché ?
— On en a beaucoup discuté entre nous, admit Fierruj. Vous aurez deviné, j’imagine, que nous soupçonnions l’Informateur d’être impliqué dans la mort de Trenik… Mais nous n’avions rien pour le prouver. Donc nous avons fini par sceller le marché, et la Brigade Stellaire était née.
— Et Korsterck, dans tout ça ? demanda Isard. Qui est-ce ? L’Informateur ?
— Son vrai nom est Isak Corta, corrigea Fierruj. Korsterck est la planète où il a installé sa base, celle en orbite de laquelle nous avons signé notre pacte.
— Où se situe-t-elle ?
— Je l’ignore. Je ne connais rien aux coordonnées stellaires. Hagas les avait en mémoire, je crois… Et comme nous travaillions ensemble, je n’avais pas de raisons de les apprendre moi aussi.
— Et Corta ? À quoi ressemble-t-il ?
— Jeune, avec une barbe brune et un bouc.
— La couleur des yeux ?
— Je ne m’en souviens pas.
La description était évidemment loin d’être satisfaisante, et même Fierruj dut l’admettre.
— Écoutez, je ne suis pas physionomiste, mais plutôt psychologue. Et ce que je peux vous garantir, c’est que ce gars-là est retors. Il semble avenant au premier coup d’œil, mais je sais que ce n’est qu’une couverture.
Il se permit un sourire amer.
— Il est encore plus impitoyable que moi, je peux vous le garantir.
* *
*
L’interrogatoire dura plus d’une heure. Isard et Narcassan cuisinèrent le prisonnier de multiples façons avant de le renvoyer dans sa cellule. Puis nous passâmes encore un long moment à récapituler ce que nous avions appris.
Neuf membres de l’équipage du
Bloody Angel avaient survécu à la destruction de leur vaisseau. Avec la mort d’Hagas et la capture de Fierruj, ils n’étaient plus que sept à présent, et nous avions leurs noms. Ils étaient, avec Isak Corta, en tête de notre liste de traque.
L’ex-ambassadeur avait été très disert sur les méthodes employées par la Brigade Stellaire pour collecter des fonds. Il nous avait servi une quantité incroyable de noms et de détails, sans doute pour s’assurer de la bonne volonté du BRS.
Et il avait de fortes chances d’être exaucé, à en croire Isard.
— C’est un témoin de premier plan, avait déclaré le capitaine. Et il n’est pas impossible qu’il ait raison sur la dangerosité de ce Corta. Nous ferons ce qu’il faut pour le garder en vie.
Un témoin ? Cela revenait à qualifier d’accident un bombardement planétaire. Renn Fierruj avait participé à la dévastation d’Opah Settis, à l’asservissement de milliers d’hommes et de femmes, de tous âges, y compris des enfants. Combien étaient encore captifs, dans les territoires les plus sauvages de la Galaxie, par sa faute ?
Non, ce n’était pas un témoin. Plutôt un criminel.
Même si les informations qu’il pouvait nous fournir étaient précieuses, je me sentais sale à l’idée de négocier avec lui. J’aurais préféré lui extirper tout ce qu’il savait en lui collant un fusil sur la tempe, puis le livrer en pâture à ses victimes. Mais la justice ne fonctionnait pas ainsi… Et je savais également que mon passé m’empêchait de réfléchir calmement à ce genre de problèmes.
J’avais encore la tête à ces problèmes le soir venu, ce que ne manquèrent pas de remarquer mes parents.
— Tu as quelqu’un en tête, supposa ma mère.
Je retins un soupir en entendant cette vieille rengaine. Les détails de ce que j’avais appris sur la Brigade Stellaire devaient rester confidentiels, aussi décidai-je de réorienter la conversation à mon avantage. Le sujet idéal me vint très vite à l’esprit.
— En fait, oui. J’ai rencontré une jeune femme sur Opah Settis… Une Jedi, précisai-je en voyant les regards inquisiteurs de mes parents. Melena Nash.
Le nom fit réagir mon père.
— La fille de Serena Nash ?
— C’est ce qu’elle m’a dit, oui.
— J’ai appris pour Serena… Sale histoire…
— Melena m’en a parlé. Elle m’a expliqué qui elle était et ce que sa mère lui avait confié.
— Tu vas travailler avec elle ?
— Je n’ai pas le choix, visiblement, répondis-je sans cacher mon embarras.
— Travailler avec les Shan a toujours été profitable à notre famille. Ils ont la Force, et nous les moyens d’agir en cas de problème. Une telle alliance n’a pas de prix.
— Sauf que c’est encore un pacte secret. Le genre de complots qui ne me plaît pas.
Cette fois-ci, le soupir sortit pour de bon.
— Tous ces mystères ne me disent rien de bon.
Mon père glissa un regard vers la vitre qui nous séparait du chauffeur du taxi. Elle était opaque, et le système de communications semblait désactivé. Néanmoins, c’est à voix basse et en se penchant vers moi qu’il reprit la parole.
— Ces mystères, comme tu dis, font que la République est parvenue à se maintenir telle que tu la connais depuis si longtemps. Les grandes batailles entre armées, les affrontements stellaires, les duels de héros… C’est plus épique, plus romantique, peut-être, mais ça ne garantit pas la survie du régime. Nos ennemis ont toujours employé d’autres armes. Si d’aventure ils revenaient… Tu seras bien content d’avoir un réseau de partenaires fiables sur lesquels t’appuyer pour faire ton devoir.
Cette réflexion me fit penser à ce que nous soupçonnions sur Isak Corta : qu’il s’agissait d’un traître infiltré dans les rangs des officiers de la République. Même si je n’appréciais guère les arguments de mon père et ce qu’ils impliquaient, je ne pouvais leur nier une certaine justesse.
Un sifflement signala le passage de l’aérotaxi dans les couches supérieures de l’atmosphère. L’écran qui nous permettait de voir l’avant du véhicule nous laissa alors apercevoir notre destination.
La Folie de Darus.
C’était le surnom donné à cette grande plateforme, officiellement appelée Station Orbitale Perlémienne. L’ancien chancelier Thoris Darus l’avait faite construire quelques années plus tôt avec une débauche de luxe. L’endroit était doté de toutes les installations nécessaires pour offrir un confort optimal à ses invités. Son attrait principal était un immense jardin installé à son sommet sous un dôme de transparacier offrant une vue sublime sur l’espace environnant et la surface si particulière de Coruscant. Dans cette jungle artificielle richement fournie en plantes exotiques – mais toutes inoffensives, pour éviter de malheureux accidents –, des allées courbes permettaient aux groupes d’invités de circuler d’une clairière à l’autre sans avoir à se frayer un chemin dans les bosquets. Des buffets étaient installés à plusieurs points stratégiques, et des droïdes chargés de coupes de diverses boissons raffinées déambulaient en proposant des rafraîchissements à qui les regardait.
Une véritable oasis de nature, à trois cents kilomètres au-dessus des cimes de la Cité Galactique.
C’était une extravagance, même pour une Coruscant déjà vue comme telle par l’ensemble de la galaxie. Bien qu’ayant passé une grande partie de ma jeunesse sur la planète – lors de mes vacances, avant l’assassinat de mon grand-père, puis plus régulièrement ensuite quand mon père l’avait remplacé au Sénat –, je m’y sentais toujours étranger, en particulier lorsque je voyais des endroits comme celui-ci. C’était si éloigné de la culture corellienne dans laquelle j’avais été élevé par mes deux parents ! Paradoxalement, plus je voyageais dans la galaxie et plus cette impression se renforçait. Nulle part ailleurs encore je n’avais vu de telles absurdités dans cet univers qui, à mesure que je l’explorais, se révélait toujours plus vaste, plus étrange et, paradoxalement, plus pragmatique. Il n’yavait que sur Triple Zéro – le nom de la planète dans le jargon hyperspatial – qu’on voyait de telles choses.
Je ne manquai pas de m’en ouvrir à mes parents en descendant dans le hangar d’honneur où nous descendîmes de l’aérotaxi.
— Les Coruscantis n’ont décidément aucune logique. Pourquoi ne pas laisser la nature profiter de l’environnement naturel, et relocaliser les usines dans des installations orbitales ? C’est ce que nous faisons sur Corellia !
— C’est dans leur façon d’être, répondit mon père.
Il semblait légèrement blasé par le spectacle objectivement splendide qu’offrait le hall d’accès dans lequel nous déambulions à présent. Des dorures et des tentures habillaient les murs avec profusion. La démesure, dans tous les sens du terme, partout et pour tout…
— La plupart des Coruscantis n’ont jamais connu le moindre environnement naturel, rappela aussitôt ma mère. Cette planète était déjà une immense ville lors de la fondation de la République…
— Ce qui signifie qu’elle était surpeuplée avant l’invention de l’hyperespace. Comment faisaient-ils pour se nourrir ?
— À l’époque, ils avaient des fermes orbitales…
Elle laissa échapper un mince sourire tandis que nous pénétrions sous le dôme stellaire.
— Aujourd’hui, ils achètent leurs vivres dans toute la Galaxie et nous nous faisons un plaisir de les leur livrer, ajouta-t-elle avec un regard entendu.
Elle avait raison, bien entendu. Le seul marché coruscanti, en valeur et en volume, devait à lui seul représenter dix pour cent des activités de la Corporation Astrell. Pour TibannaCorp et le Holding Eripsa, la part était moindre mais Coruscant demeurait aussi le premier débouché.
Parcourant des yeux le parvis où nous nous trouvions, à la recherche de Syal, je repérai une silhouette familière qui se dirigeait vers moi.
— Ambassadrice Brenn’
TOR ! la saluai-je aussitôt. Je suis ravi de vous revoir, en de meilleures circonstances que la dernière fois.
Elle eut un sourire peiné.
— La mort de maître Pomvaliou était un drame, mais je chérirai toujours la mémoire d’un être de valeur dévoué à la paix jusqu’à son dernier souffle. Je transmettrai son
memni à mes parents et mes descendants pour que nul n’oublie jamais son sacrifice.
— Il le mérite.
Je lui désignai mes parents, qui observaient la Caamasi avec intérêt.
— Voici ma mère, Palina Astrell, de la Corporation Astrell, et mon père, Saron Eripsa, sénateur du secteur Anoat et du Corridor d’Ison. Papa, Maman, je vous présente l’ambassadrice Sofis Brenn’
TOR, avec qui j’ai eu le plaisir de travailler lors de deux missions ces derniers mois.
— C’est un honneur de vous rencontrer, dit-elle en s’inclinant légèrement dans leur direction.
— Tout à fait réciproque, répondit mon père.
— Exactement, ajouta ma mère.
Je remarquai alors qu’elle n’était pas très à l’aise ; commençant à deviner ce qui la dérangeait, je me tournai vers Brenn’
TOR.
— J’ai été ravi d’apprendre que vous aviez pu quitter Opah Settis sans problèmes.
— Visiblement, nos ennemis ne faisaient pas grand-cas de ma présence, dit-elle avec un sourire d’excuse. Je suis navré des tourments qu’ils ont pu vous faire subir.
— Je suis vivant, c’est le principal. Opah Settis est presque devenu une victoire, grâce à la réussite de l’évacuation. Et sur le plan militaire, cette histoire pourrait aussi porter ses fruits… glissai-je en repensant à mon « entretien » avec Fierruj.
— Vous m’en voyez ravie. Si vous le voulez bien, je vais vous laisser profiter de ce moment de paix avec les vôtres.
— Merci, ambassadrice, bonne soirée à vous aussi.
Tandis qu’elle s’éloignait, je me tournais vers mes parents, un sourire aux lèvres.
— Non, sérieusement ? Tu as cru…
— Tu n’as jamais été très clair sur tes préférences sexuelles, contra ma mère à voix basse.
Je levai les yeux au ciel, à la fois amusé et agacé par la situation.
— C’est
toi qui fantasmes sur mon tableau de chasse ! Tu me voyais en couple avec toutes mes amies à l’école. Et tu m’as même demandé une fois si j’étais attiré par Jaim ou Ait !
— Eh bien… Comme je l’ai dit…
— Je suis discret, c’est tout. Et… Je les préfère… Disons, avec moins de poils et plus de poitrine.
Voyant qu’elle était embêtée, je lui tirais légèrement la langue.
— Commodore ? fit alors une voix dans mon dos, à quelques mètres de moi.
Je me retournai brusquement ; Syal m’attendait.
Nous aurions pu venir ensemble à cette soirée, mais j’avais préféré lui donner rendez-vous directement sur la plateforme, en lui remettant un pass pour qu’elle puisse prendre la navette qui effectuait ce soir la liaison entre le Sénat et la plateforme. Je préférais que la rencontre ait lieu ici, malgré la présence de mes parents, plutôt qu’à leur domicile. Syal était déjà ma subordonnée, et je ne voulais pas non plus l’écraser en lui montrant le vaste appartement familial au sommet de la tour Kyradan.
J’avais appréhendé ce moment, car je craignais qu’elle ne soit mal à l’aise dans ce cadre d’élite.
Mais, à cette instant, la jeune femme que j’avais sous les yeux n’avait rien à voir, ou presque, avec la caporale Rodan que je connaissais.
Elle était… Ah, quel terme employer ? Belle était en tout cas un euphémisme. Magnifique ? Éblouissante ? Resplendissante ?
Syal portait une splendide robe écarlate très simple dans sa coupe et son ornement, si bien que la perfection de son corps – oui, à ce niveau-là, on pouvait bien parler de perfection – n’en ressortait que davantage. Ses cheveux, bien coiffés comme à son habitude, étaient passés derrière ses petites oreilles ornées de boucles dorées. Comparée à la plupart des femmes humaines présentes, elle n’était que peu maquillée. Et cela lui convenait très bien. En fait, tout dans son apparence semblait conçu pour exposer aux yeux de tous ses atouts naturels. Le décolleté, en particulier, paraissait n’exister que pour attirer vers lui tous les regards vagabonds.
Je devais faire mon maximum pour ne pas y succomber. Je tentais d’y superposer des images bien plus déplaisantes. Des larves de hutts, par exemple.
Deux larves de hutts…
— Je suis là, balbutiai-je en rougissant.
Elle approcha ; mon père me glissa alors à l’oreille :
— Eh bien, je comprends mieux pourquoi tu veux si vite nous abandonner…
Ma mère lui donna une tape qui se voulait réprobatrice sur l’épaule.
— Bonsoir, dit-alors Syal en souriant.
— Bonsoir, Syal. Papa, Maman, je vous présente la caporale Syal Rodan, officière en charge des communications sur le
Knight’s Blade. Syal, voici mes parents, Saron et Palina Eripsa.
— Je suis ravie de vous rencontrer, répondit la jeune femme en serrant la main de ma mère.
— Moi de même, déclara mon père qui au lieu de serrer la main qui lui était tendue s’inclina légèrement et la porta à sa bouche pour y déposer un baiser. J’ai toujours su que j’aurais dû m’engager dans l’armée…
La claque de rappel de ma mère se fit cette fois-ci plus forte. Je faillis éclater de rire devant cette scène un peu pitoyable. J’étais mal à l’aise, et j’avais de plus en plus chaud. Nous étions dans une serre, donc la température élevée n’était pas si étrange… Mais à ce point ?
Ma gêne devait se voir, puisque ma mère m’adressa un petit sourire ambigu.
— Tu devrais aller boire, Jag, me conseilla-t-elle doucement. Tu es écarlate… Et même si le rouge et le blanc vont bien ensemble, je ne suis pas sûr que cet assortiment te convienne.
Je décodais bien vite le sous-entendu.
Message reçu, Maman. Tu ne l’aimes pas. — Profite bien de la soirée, me dit mon père.
— Vous aussi, amusez-vous bien. Nous nous voyons demain…
Je lui lançai un regard appuyé, auquel il répondit d’un signe de tête. Il se souvenait, lui aussi, que nous avions un rendez-vous bien particulier.
Je pris congé, entraînant Syal à ma suite, malgré la moue désapprobatrice de ma génitrice.
Nous nous enfonçâmes au cœur de la Folie de Darus. Repérant un droïde de service, j’attrapai deux coupes d’un grand cru vert aldéranien et en tendis une à ma partenaire.
— À votre santé, dis-je en levant mon verre dans sa direction.
— Et à la vôtre, Commodore, répondit-elle en m’imitant.
Je portais le breuvage à mes lèvres. Il était exquis, un vrai nectar doux et savoureux, sans arrière-goût amer.
— Je suis ravie d’être ici, Commodore, déclara-t-elle après sa première gorgée.
— Appelez-moi Jagen, je vous en prie, dis-je en souriant. Nous ne sommes pas en service.
— Je sais, c’est juste… Enfin, vous comprenez ?
— Oui, bien sûr. Dans notre métier, il est difficile de faire la part entre la vie privée et la vie professionnelle. C’est une vocation envahissante…
Je bus une autre lampée de vert.
— J’y suis habitué, poursuivis-je. J’ai grandi avec des parents évoluant en politique et dans les affaires. Mais je conçois que ça puisse désarçonner…
J’avalais une autre gorgée. Bien que froid, le breuvage ne parvenait pas à baisser ma température corporelle, anormalement élevée. Je jetai un coup d’œil au buffet le plus proche, mais n’y vis aucun glaçon.
Je fus alors abordé par un homme aux riches vêtements et aux cheveux courts qui me serra la main.
—
Ol’val, selba Yaqenn e Ripsan, soKhoehng Tralusi. Pris au dépourvu, je mis quelques secondes à trouver mes mots.
—
Ol’val, squu’rssk Fordox. Aliha sel valle vorgoth ? Le sénateur Fordox sourit en entendant ma réponse.
— Juste saluer un digne fils de Corellia, me répondit-il. J’apprécie de voir que la pratique de l’
Olys Corellisi n’a pas complètement disparu.
— Ravi de vous faire ce plaisir, alors, répondis-je sans montrer la moindre joie. Passez une bonne soirée.
— Vous de même.
— Comment vous-a-t-il appelé ? me demanda Syal, tandis qu’il s’éloignait.
—
Yaqenn e Ripsan. C’est ainsi qu’on prononce mon nom, en vieux corellien…
— Mais le reste ?
Je fronçai les sourcils.
— « Prince de Tralus ».
Elle se mit à sourire.
— J’ai un rencard avec une tête couronnée ?
— Pas vraiment… La maison Ripsan régnait autrefois sur Tralus, l’un des cinq mondes du système Corellien. Enfin, c’était il y a très longtemps, c’est-à-dire plusieurs millénaires. Je descends de cette famille, certes, mais tout le système également !
C’était plus ou moins la vérité, même si j’étais effectivement l’héritier en droite ligne de cette antique maison. Mon prénom me venait d’ailleurs autant de mon grand-père maternel que d’un lointain ancêtre homonyme, Yaqenn IX e Ripsan, un prince-amiral tralusi qui avait mené un détachement corellien aux côtés des Alsakanis à la bataille de Cyrillia, contre les fanatiques du Pius Dea.
— Alors, pourquoi… ?
— Corellia a toujours connu une histoire politique compliquée, expliquai-je, et il faut ménager les différences sensibilités. Il y avait sans doute d’autres Corelliens, à proximité, des proches des Ensterites. Ils entendront parler de cette histoire et jugeront donc que Fordox a fait un geste dans leur sens.
— Des « Ensterites » ?
— Un mouvement qui prohibe toute relation… Notamment maritale… Avec des étrangers au Secteur Corellien. Ils sont très traditionnalistes, et assez influent.
— Et…
J’eus un petit rire.
— Je n’en fais pas partie, si c’est ce qui vous fait peur.
— J’ai toutes mes chances, alors.
L’appel du pied étant tentant. Syal était ravissante, et dotée d’un esprit vif, ce qui n’était pas pour me déplaire. Elle me charmait, en fait. La possibilité d’une union physique n’était pas pour me déplaire.
Mais je savais, au fond de mon âme, qu’elle n’aurait été qu’un pis-aller. Celle qui m’attirait vraiment, celle qui habitait mes pensées, c’était Vanya.
— C’est appréciable de prendre un peu de bon temps et de profiter d’un moment de paix, lançai-je pour réorienter la conversation.
— Surtout pour vous, après ce que vous avez vécu sur Opah Settis…
— C’est vrai. Ça n’a pas été un moment facile… Mais j’en suis ressorti indemne, je n’ai pas à me plaindre.
— Pourtant vous devriez, fit alors une voix que je reconnus aussitôt.
Je me retournai et vis arriver Trevor Willspawn, revêtu d’un uniforme impeccable où s’affichaient quelques médailles. Il arborait un air mi-sévère, mi-amusé, mais j’ignorais si c’était à cause de mes propos.
— Bonsoir, amiral. Ce que je voulais dire, c’est que je suis vivant, alors que j’aurais pu mourir, rappelai-je doucement.
— La faute à qui ? contra Willspawn.
— À la Brigade Stellaire !
— Foutaises ! Elle a agi comme elle en a l’habitude. Le problème, c’est que vous n’auriez jamais dû être affecté à ce genre de missions. C’était le rôle d’un plénipotentiaire, un diplomate formé ou un agent des Renseignements. Vous commandez des navires, vous planifiez des opérations – vous menez même des opérations de douane, à la limite – mais vous n’allez pas remplir ce rôle d’ambassadeur en terrain hostile.
— Nous appartenons au Département Judiciaire.
— C’est l’argument trop simple que nous servent les politiciens pour utiliser nos services à tout va, répliqua l’amiral. Je m’y refuse. Nous avons un honneur à défendre.
— Nous avons prêté serment, rappelai-je aussitôt. Envers la République. Envers le Sénat. Je ne refuse pas les tâches qu’on pourrait attribuer à d’autres fonctionnaires d’autres branches du Département.
— Une branche, oui, justement. Voilà tout ce que nous sommes. Placés sur le même piédestal qu’une bande d’illuminés aux pouvoirs mystérieux et à la fiabilité parfois douteuse. Vous trouvez ça valorisant ?
— Il y a pire qu’être considéré comme l’égal des Jedi…
— Nous devrions être indépendants. Pas des Judiciaires – de véritables militaires, comme dans les temps anciens. Une flotte, une vraie. C’était l’ambition d’Aiden Corona – et j’ai bien peur qu’elle soit morte avec lui.
Je sentis mon cœur se serrer en entendant ces mots. Au fond de moi, je me refusai toujours à admettre l’évidence ; je gardai le secret espoir de retrouver un jour mon mentor bien vivant, m’accueillant dans son refuge de fortune avec sa chaleur habituelle.
— Ce que les militaires veulent, les politiciens peuvent l’obtenir, lança alors une nouvelle voix.
Je connaissais ce ton, légèrement grinçant, qui me fit me retourner.
— Nous connaissons votre implication sur ces dossiers, sénateur Tarkin, dis-je en le saluant.
Le représentant d’Eriadu avait revêtu une tenue à la coupe stricte, exécutée dans des tissus précieux mais d’une teinte sobre, si bien que l’ensemble ressemblait davantage à un uniforme que mes propres vêtements.
— Et nous apprécions tout le soutien que vous pourrez nous apporter, ajouta l’amiral Willspawn en inclinant légèrement la tête.
— Allons, allons, je ne fais que remplir mon devoir, répondit Ranulph Tarkin. En toute franchise, c’est plutôt vous qu’il faudrait remercier pour le travail que vous accomplissez. Les coups de boutoir que vous infligez à cette Brigade Stellaire nous permettent d’envisager de meilleurs lendemains… Et de maintenir une illusion de fermeté autour de l’action du Sénat, qui laisserait sans cela entrevoir toute sa navrante faiblesse.
— Le Chancelier traite cette affaire avec toute la diligence dont il sait faire preuve, objectai-je avec précaution.
Je n’avais pas envie de gâcher la soirée avec un discours politique du chef des Militaristes ; si j’étais en accord avec certaines de ses idées, je n’aimais pas sa façon de les promouvoir, trop virulente à mon goût.
— Il n’empêche que les moyens vous manquent encore pour assurer la sécurité des principales routes galactiques. Et c’est un problème, car les guildes et corporations en profitent pour demander davantage de dérogations pour leur armement…
— En quoi est-ce un problème ?
C’était Syal qui venait de poser cette question ; le regard de Tarkin se posa alors sur elle, pour la première fois depuis son arrivée. Mais elle ne semblait pas impressionnée.
— Toute aide est bonne à prendre, poursuivit-elle. Si le Clan Bancaire ou la Fédération du Commerce veulent armer leurs vaisseaux pour résister aux pirates, pourquoi s’en plaindre ? Nous aurions moins de ressources à dépenser pour leur défense, et d’autant plus pour traquer les bases des pirates !
— Vous êtes ? demanda Tarkin, perplexe.
— Sénateur, intervins-je aussitôt, voici le caporal Rodan, mon officier en communications.
— Vraiment ? me répondit-il d’une voix tout de suite plus chaleureuse. Eh bien, mademoiselle, peut-être que votre cavalier pourra vous expliquer pourquoi vous faites fausse route.
Il m’invita du regard à poursuivre.
— La protection des voies hyperspatiales est un des devoirs de la République, expliquai-je alors à Syal sous le regard attentif des deux autres. Dans l’idéal, tout un chacun devrait pouvoir participer au commerce galactique sans craindre d’être attaqué. Si nous privatisons la sécurité – en autorisant par exemple la Fédération du Commerce à armer ses vaisseaux –, nous créons une inégalité de fait. Les petites sociétés seront incapables de survenir à leur protection. Et elles se feront absorber par les consortiums déjà existants, qui en profiteront pour accroître leur importance et établir un monopole dans certains secteurs.
— Je vous remercie, Commodore, mais ce n’est pas ce que j’avais en tête, contra Tarkin. Tout est affaire de prestige, voyez-vous. Peu importe la philosophie naïve qui est celle de la République depuis un millénaire : dans les faits, les armes sont toujours la source du pouvoir. Si nous voulons avoir une République forte, alors il nous faut une armée et une flotte qui le soient tout autant. Nous ne pouvons pas laisser des groupes privés devenir plus puissants que notre gouvernement galactique.
— En somme, vous voulez que les militaires servent votre prestige, trancha Willspawn, l’air perplexe. Charmant. Passez une bonne soirée...
Il s’éloigna sous le regard surpris du sénateur.
— Une telle susceptibilité est inquiétante, de la part de notre Commandeur… marmonna Tarkin.
— Veuillez l’excuser, le priai-je aussitôt.
Je ressentais le besoin d’aplanir les angles entre ces deux hommes qui, certes, ne m’étaient pas très sympathiques, mais disposaient d’un pouvoir que je ne voulais pas voir gaspillé dans des querelles enfantines.
— L’amiral est tendu. Cela ne fait pas très longtemps qu’il occupe ce poste, et avec les actions de la Brigade Stellaire, il a beaucoup de dossiers à suivre…
— Oui, oui, sans doute… Il n’empêche, ce n’est pas de lui que mes amis au Sénat parlent en ce moment. Ils s’intéressent plutôt à vous, Commodore. Vous avez fait forte impression ici, avec cet imbroglio sur Opah Settis !
— J’espère que c’est en bien.
— Naturellement, naturellement. Vous serez sans doute ravi de savoir que j’ai obtenu une subvention pour les réfugiés.
— Je vous en remercie. J’aurais aimé faire plus pour eux… La perte de leur monde est une tragédie dont ils mettront longtemps à se remettre.
— Surtout avec les événements qui se sont produits… J’ai entendu des rumeurs, ces derniers jours... Est-ce vrai que la Brigade Stellaire cherche à déclencher une guerre dans la Bordure ?
— Eh bien…
J’hésitais sur la conduite à tenir. L’information n’aurait pas dû aller au-delà du bureau du Chancelier ; mais les fuites étaient nombreuses, et Tarkin, en tant que sénateur du système d’Eriadu – l’un des plus puissants de la Bordure – était sans doute l’un des mieux placés pour en être informé.
— C’est effectivement le cas, déclara Syal en me devançant.
— Hmm. Ces forbans ont donc plus d’ambitions que la racaille habituelle. Je ne vous cache pas que cela m’inquiète. Vous connaissez la Bordure, mademoiselle ?
— Je suis originaire de Commenor, expliqua-t-elle tout en chassant une mèche qui lui tombait devant les yeux d’un geste que je ne pus m’empêcher de trouver sensuel. En fait, tout ce que je sais de la Bordure, je l’ai appris sur le terrain, depuis que j’ai été affectée au
Knight’s Blade. C’est vraiment un endroit étrange… Et sauvage.
— Tout dépend de l’endroit où l’on se trouve, répondit Tarkin en gloussant. Eriadu n’a rien de très sauvage.
— Mais c’est une exception.
— En effet. Donc, pour vous, un conflit est possible ?
Il s’adressait autant à moi qu’à Syal, mais une fois encore elle me devança.
— Ce n’est pas possible, mais plutôt probable et même imminent. Les planètes du Noyau jouissent d’une opulence largement supérieure à celle de la Bordure, et décident pour l’ensemble de la Galaxie. Mais les territoires en marge aspirent également à un semblant de progrès… Vous avez étudié les lois de l’électricité, Sénateur ?
— Cela date un peu…
— Mais vous savez sans doute que lorsque nous avons deux solutions, avec d’un côté des ions positifs et de l’autre des négatifs qui entrent en contact… Il y a réaction, et parfois explosion.
— Une métaphore intéressante. Quel est votre avis, Commodore ?
Avalant à cet instant un petit four que j’avais attrapé sur un plateau de passage, il me fallut quelques secondes avant que je ne puisse répondre.
— Je pense également qu’il faut que nous fassions des efforts pour intégrer ces espaces. Mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas nous préparer à une riposte d’un autre ordre…
— C’est aussi mon avis. Malheureusement, le Chancelier n’y prête pas attention… Peut-être saurez-vous le convaincre mieux que moi.
— L’avenir nous le dira.
— Tout juste. À présent, si vous voulez bien m’excuser… Passez une agréable soirée.
Il s’éloigna à son tour, me laissant en tête-à-tête avec Syal.
— J’aimerais que vous réfléchissiez à ce que vous dites, lui murmurai-je alors à l’oreille. Ce ne sont pas des informations de pacotille que nous avons là.
— Il était au courant, de toute façon.
— C’était une rumeur, rien de plus. La perspective d’un conflit étendu est une de ces chimères que ressortent les politiciens de temps à autre… À présent, avec votre confirmation, il dispose de quelque chose de tangible.
— Et alors ? Il veut nous donner plus de moyens. Ce n’est pas une mauvaise chose.
— Plutôt que d’avoir plus de moyens, le mieux serait que nous sachions utiliser ceux dont nous disposons…
Je soupirai.
— De toute façon, il est trop tard, à présent.
Je baissai les yeux de découragement, pour les relever aussitôt, comme s’ils avaient été brûlés. Il faut dire que le spectacle qu’ils avaient entrevu était particulièrement
chaud…
Syal me répondit avec un sourire.
— Il n’est jamais trop tard.
* *
*
Minuit approchait dans le district du Sénat quand je sortis de l’immense édifice.
Il devait y avoir une centaine de kilomètres entre la Rotonde et la tour Kyradan, mais j’avais besoin de marcher avant de regagner l’appartement familial. La tête me tournait encore, et j’avais besoin de mettre de l’ordre dans mes pensées.
J’avais lâchement abandonné Syal en prétextant la fatigue, ce qu’elle avait plus ou moins cru. Après tout, je rentrais tout juste d’une mission éprouvante.
La vérité, c’est que je ne m’étais pas senti à l’aise avec elle. Elle était ravissante, vive d’esprit, mais son intervention dans l’échange entre Tarkin et Willspawn m’avait laissé mal à l’aise. J’avais passé trop de temps avec un sénateur pour ne pas mesurer le danger qu’il y avait à leur souffler de mauvaises idées.
Et puis, surtout… Je pensais trop à Vanya.
La foule se pressait partout sur l’avenue des Fondateurs du Noyau, discutant vivement et ne cachant pas sa joie. Nous n’étions plus qu’à quelques minutes du changement d’année, qui devait être célébré avec un grand feu d’artifice. Le trafic aérien du secteur avait déjà été réduit à son minimum par le système de contrôle de la circulation.
Comme toujours quand je passais par là, je jetai un coup d’œil à la statue de Johon e Karelli, qui avait signé au nom de Corellia le traité de naissance de la République. Tant d’années s’étaient écoulées depuis… Et pourtant, l’antique régime était toujours là, transformé par les ans, régnant sur un territoire bien plus vaste que ne l’avaient rêvé ses fondateurs.
Je repensai à l’inquiétude de mon père, à ses recommandations d’alliances et de pactes secrets. Avait-il raison de s’inquiéter ? Y avait-il réellement une menace pesant sur la République ?
Se pouvait-il que ce soit la Brigade Stellaire ? J’imaginais mal une bande de pirates réussir là où les anciens empires des Sith et les guerres civiles avaient échoué. Mais la discussion entre l’amiral Willspawn et le sénateur Tarkin m’avait laissé un mauvais pressentiment.
L’explosion d’une première fusée me tira de mes pensées. C’était le signal que tous attendaient : nous étions entrés dans une nouvelle année, la neuf cent cinquante-cinquième depuis les réformes de Ruusan.
Le spectacle qui débuta alors au-dessus de moi était d’une beauté à couper le souffle. Les couleurs jaillissaient de partout, illuminant la nuit coruscantie avec ses flashs si différents de ceux des éclairages électriques qui s’en chargeaient d’ordinaire. C’était un spectacle ancien, presque primitif mais chargé d’une joie simple et sincère. Il y avait là tout le côté épique des batailles spatiales, mais sans la tristesse et la mort qui venaient avec.
La vue devait être belle depuis la Folie de Darus, songeai-je à cet instant avec une pointe de regret qui s’évanouit vite. Mais elle était sympathique aussi, depuis la large passerelle où je me trouvais. M’appuyant sur la balustrade la plus proche, je contemplai cette foule assemblée dans la joie.
Voilà pourquoi je me battais : pour permettre à ces moments de plaisirs simples d’exister. Ces gens innocents, qui n’avaient sûrement aucune idée de ce qui était fait pour leur sécurité, je voulais qu’ils soient aussi nombreux que possible. Et pas que sur Coruscant : partout où c’était possible, jusque dans les mondes les plus reculés de la Bordure.
Voilà pourquoi la Brigade Stellaire devait absolument être vaincue. Voilà pourquoi il fallait que je trouve cet Isak Corta et que je le neutralise, avec tous ceux qui l’avaient suivi.
J’avais du travail devant moi.
Je m’apprêtais à repartir, le sourire toujours aux lèvres, quand la vue d’une silhouette familière me figea sur place.
C’était Vanya.
La probabilité pour que je l’aperçoive par hasard, ici, sur Coruscant, était infinitésimale ; pourtant j’eus la certitude, à cet instant, que c’était bien elle. Comme Syal un peu plus tôt, je la découvrais sous un jour inédit.
Elle riait.
Elle s’amusait.
Elle était plus belle que jamais.
Mon cœur fit un bond dans la poitrine, mais se serra aussitôt quand je la vis prendre dans ses bras un homme.
À la faveur de l’explosion d’une nouvelle fusée, son visage m’apparut clairement ; c’était le commandant des forces terrestres du
Knight’s Blade, le capitaine Salussa.
Lui aussi riait.
Pas moi.
Le spectacle que j’avais tant apprécié quelques instants plus tôt avait désormais perdu toute beauté à mes yeux. Je me détournai et poursuivis ma route, en direction de la station de taxis ouverte la plus proche.
En cet instant, Isak Corta n’était peut-être pas celui qui avait le plus à craindre de moi.