La suite !
<< Chapitre précédent << Sommaire >> Chapitre suivant >>Chapitre 2 Quai Alpha-6, Ord Mantell, deux mois plus tard.
En arrivant sur le quai, je ne pus retenir une expression de jubilation. Enfin ! Il était devant moi, ce fameux croiseur !
La procédure pour en prendre le commandement avait été plus longue que je ne le croyais. Il m’avait fallu subir une audition, plusieurs examens médicaux et remplir un nombre incroyable de paperasses. Mais le moment était enfin arrivé, et je contemplais désormais mon premier vaisseau de commandement. Et quel vaisseau !
La proue caractéristique du Hammerhead était couverte de marquages rouges et blancs. Cette « tête » imposante reposait au-dessus d’une fosse assez large qui permettait d’accueillir au sol ces navires destinés aux voyages spatiaux. Sur les flancs qui s’élargissaient direction du bloc réacteur, quelques batteries laser étaient alignées pour venir appuyer – et protéger – les imposants turbolasers installés sur chaque flanc du pont. À l’arrière, un petit hangar pouvant accueillir une navette ou quelques chasseurs était visible.
Mais des signes du laisser-aller étaient bien là, à mon grand mécontentement. La rampe abaissée, en premier lieu. Ces types croyaient-ils que les contrôles épisodiques de la police militaire à l’extérieur de l’astroport assuraient une protection suffisante ? Ma tâche s’annonçait ardue. Leur négligence avait toutefois un avantage appréciable ; j’allais faire une approche discrète pour une entrée remarquée.
Fort heureusement, l’intérieur était parfaitement réglementaire, sans doute grâce aux droïdes d’entretien programmés par le constructeur. Le vaisseau semblait vide, mais je savais que son équipage était très réduit. Rendili StarDrive avait assemblé la classe Hammerhead NG-2 pour prouver l’efficacité de ses systèmes asservis, utilisés ensuite sur la flotte Katana. Moins puissants que jadis, ces navires de guerre étaient rapides, maniables et pouvaient donner du fil à retordre à la plupart des pirates. Je ne leur en demandai pas davantage.
C’est en arrivant sur le pont que je fis la connaissance de l’équipage. Si on pouvait utiliser ce terme pour un tel ramassis d’incapables… Ils étaient tous humains, ou presque. Quelques-uns visionnaient des vidéos sur leur terminal, tandis que les autres s’étaient regroupés au bout de la passerelle en forme de V caractéristique des Hammerheads, autour d’une table improvisée sur le pupitre du commandant, avec une bouteille de brandy de Champala bien en évidence. Aucun ne portait l’uniforme. Le seul non-humain était un givin, qui se leva en me voyant arriver.
— Capitaine sur le pont ! lança-t-il à ses camarades.
— Du calme, Galieet, ou nous allons encore devoir nous énerver.
Celui qui venait de parler était l’un des types attablés. Il avait la carrure d’un wookiee, sans la pilosité qui va avec, ce qui mettait davantage en valeur sa musculature visiblement entretenue. Et quand il se leva, je vis qu’il faisait bien ma taille, ce qui n’arrangeait rien… Enfin, pour moi. J’imagine qu’il devait rencontrer un certain succès auprès des demoiselles aimant le genre « fort et bête ».
— Alors, vous êtes le nouveau capitaine ? lâcha-t-il à mon adresse.
Les autres se levèrent et vinrent se placer derrière lui. Seul le givin – Galieet – resta à son poste. J’avais le sentiment d’être tombé dans un guet-apens. La situation était pire que ne le laissaient entendre les rapports ; d’emblée ils faisaient tous bloc contre moi.
Je devais agir très vite.
— Garde à vous, ordonnai-je sans trop d’espoir.
— Garde à vous aussi, me répliqua le colosse avec un air narquois. Ils nous ont donc envoyé un bleu… Comme c’est touchant.
— Vous refusez d’obéir à un ordre direct ?
— L’amiral Willspawn est notre commandant, jusqu’à nouvel ordre de sa part.
Évidemment. L’aldéranien faisait traîner les choses. Rien d’étonnant de sa part… Il voulait garder le contrôle de
mon vaisseau le plus longtemps possible.
— Mes ordres de mission viennent directement du Commandeur Suprême, répliquai-je calmement.
— Et qu’est-ce qui nous le prouve ?
Je sortis le flimplast signé de la main d’Aiden. Il le prit et le contempla d’un air sceptique.
— Mouais…
Puis, avant que je puisse réagir, il le froissa pour en faire une boule qu’il balança à l’autre bout du pont.
— Voilà ce que j’en pense, me dit-il, provocateur.
Bon. Autant pour la diplomatie. Je devais trouver une solution… Je fis demi-tour.
— Vous avez vu, les gars ? On l’a maté ! fanfaronna la grosse brute.
— On verra si vous aurez autant de succès avec la police militaire, répliquai-je d’une voix aigre.
En y repensant, je me rends compte que cette remarque était une très mauvaise idée… Surtout face à un groupe de balèzes qui agissaient visiblement en totale impunité.
Au moment où j’allais franchir la porte du pont, je vis l’ombre d’un bras se contractant derrière moi – un bras terminé par un énorme point.
Ce furent mes réflexes qui me sauvèrent. Les gros biceps ? Très peu pour moi. La musculation n’était pas mon sport favori ; je préférais le pilotage. En tant que Corellien, je me devais de défendre une réputation d’expert de la manœuvre risquée et de la vitesse folle. Deux domaines requérant des sens affûtés… D’où mes réflexes.
Je m’écartai juste à temps pour sentir le point frôler mes côtes – et la grosse brute, entraînée dans son élan, s’écraser au sol.
L’instant d’après, il était à terre, dans une position peu flatteuse. Ses amis auraient sûrement ri sans ce regard de haine qu’il me décocha – et qui sembla les rappeler à leurs « devoirs ».
J’aurais sans doute pris mes jambes à mon cou si l’alarme de bord ne s’était pas déclenchée à ce moment-là.
— C’est encore ce foutu sullustéen ! maugréa l’un de mes agresseurs.
— Filons ! s’exclama un autre.
Ils s’enfuirent sans demander leur reste, à mon grand étonnement.
— Tout va bien ? demanda une voix dans mon dos.
Je me retournai. Le givin, Galieet, avait quitté son poste et se tenait là. Il avait un air soucieux – plus encore que celui qu’arborent les givins actuellement, et je peux vous assurer qu’il n’est pas franchement joyeux.
— Euh… Oui, répondis-je dans un grand moment d’éloquence. On doit courir ?
— Ce ne sera pas nécessaire, m’assura-t-il avec confiance. Il n’y a aucun risque. C’est le mécanicien du bloc moteur gauche, Tiken Sovv, qui a déclenché l’alarme sur ma demande.
Il restait donc deux membres d’équipage à bord. Mais fiables, au moins.
— Excellente initiative. Faites-le venir sur le pont… Nous discuterons une fois que j’aurai réglé le problème de vos ex-coéquipiers.
Il esquissa un sourire.
— À vos ordres, Capitaine.
* *
*
Ma première rencontre formelle avec l’équipage se fit dans la salle de réunion à l’arrière du pont.
En fait, une cabine aurait pu convenir pour nous accueillir… Tous les trois. Mais je tenais à faire les choses dans les règles, et à profiter pleinement de mon nouveau statut.
Mon esprit était encore chamboulé par cette prise de commandement difficile. J’étais persuadé que Willspawn était derrière tout ça. Comment allait-il réagir en apprenant que ses fidèles croupissaient désormais derrière le champ de force d’une cellule de la garnison ? Je sentais que l’amiral ne tarderait pas à me donner de ses nouvelles.
Dans l’immédiat, je devais surtout constituer un nouvel équipage, sur une planète qui était avant tout réputée pour ses cantinas et ses salles de jeu. Vaste programme…
Pendant que j’établissais le plan d’une campagne de recrutement, Galieet Hurieegh entra sur le pont en compagnie d’un nouveau venu pour le moins atypique. Si le Givin ressemblait à ses compatriotes de Yag’Dhul, Tiken Sovv n’était pas vraiment un Sullustéen typique. Il était plutôt bien bâti, sans embonpoint, et son visage trahissait une vie mouvementée. Il était couvert de cicatrices, il lui manquait une partie de l’oreille gauche et sa joue droite était couverte par un tatouage tribal.
Un vrai baroudeur.
— Mécanicien Tiken Sovv au rapport, capitaine, dit-il dans un basic acceptable.
— Repos, répondis-je avec assurance. Et merci. Votre intervention est venue à point nommé.
— Je n’ai fait que mon devoir, assura-t-il avec humilité.
— Vos camarades auraient dû suivre votre exemple. Et celui de monsieur Hurieegh. Nous nous retrouvons à présent avec un équipage réduit… À nous trois. Pourriez-vous me constituer une liste des postes à pourvoir ?
— Ce sera fait, assura Galieet.
— Parfait. Nous allons organiser une session de recrutement aussi vite que possible. Le règlement militaire m’autorise à compléter les postes manquants de mon équipage dans l’urgence, mais si Willspawn – pardon, l’amiral – l’apprend, il nous imposera une nouvelle équipe aussi brillante que la précédente. Tiken, j’aimerais que vous veniez avec moi, pour juger les aptitudes techniques de vos futurs collègues.
— Comme vous voudrez.
Il n’y avait pas pas de temps à perdre ; mais, pris d’une soudaine inspiration, j’ajoutai :
— Je souhaiterais aussi vous conférer à tous les deux le grade de lieutenant.
Vu leur visage, on aurait cru que je venais de leur demander de plonger dans un trou noir jonché sur une motojet.
— Eh bien, vous n’êtes pas comme votre prédécesseur, remarqua Galieet. Capitaine, ce serait un honneur.
— Tout à fait, approuva Tiken.
— Que s’est-il passé ? demandai-je, intrigué. Je veux dire, avec l’ancien capitaine…
— Il ne faisait pas mystère de son opinion sur les non-humains, lâcha le sullustéen.
Ses bajoues rendaient ses expressions difficiles à interpréter, mais je croyais y distinguer un rictus.
— Je vous assure que je ne ferai jamais une chose pareille, dis-je solennellement. Galieet, vous serez également le capitaine en second.
Les deux échangèrent un regard et se mirent au garde-à-vous. Je savais que j’avais gagné leur loyauté.
Il n’allait pas être facile de faire accepter à l’amiral ces nominations, mais mon instinct me disait que ça en valait assurément la peine.
Et je suis toujours mon instinct…
* *
*
— …et, bien entendu, je souhaite une prime de risque annuelle.
Avec trois jours de congé par semaine, peut-être ? Je peinais à garder le contrôle de mes nerfs. Ce type prenait la Flotte de la République pour un sabacc gagnant ?
— Elle est déjà intégrée dans le contrat, répondis-je avec froideur.
Il eut une moue de mécontentement, ce qui ne fut pas pour me déplaire.
— Ce n’est pas assez, me dit-il avec culot.
— Et c’est tout ce que la Marine peut vous offrir. Suivant !
Il parut comprendre son erreur.
— Attendez ! Peut-être que finalement…
Me prenait-il pour un négociateur toydarien ? Ma décision était déjà arrêtée.
— Je détesterais vous imposer un travail trop peu rémunéré pour vous, déclarais-je avec une moue triste largement exagérée. Mais d’autres, qui n’ont pas vos compétences – ou vos exigences – s’en contenteront très bien.
Voyant que tout était perdu, il sortit d’un pas lourd. La porte ne se referma pas derrière lui, car un autre s’approchait. Je le regardai avec étonnement, car je n’avais jamais vu un type pareil. À part dans les holofilms.
Il portait une vieille armure en métal, marquée par la rouille et quelques traces de brûlures. Plusieurs plaques semblaient plus récentes ; elles avaient sans doute été remplacées. Sur son visage couleur d’ébène, il arborait une expression sévère.
Mais le plus impressionnant était sans doute le casque accroché à sa ceinture, avec sa visière en forme de T.
C’était la première fois que je voyais un Mandalorien. Bien sûr, j’ignorais s’il l’était vraiment ou s’il ne faisait que porter l’armure. Mais j’avais bien l’intention de le découvrir…
— Nom, prénom et planète d’origine, demandai-je en suivant la procédure.
— Jurgan, Thnod, répondit-il d’une voix grave et lente. Originaire de Mandalore.
Me voilà fixé.
— C’est noté. Le poste qui reste à pouvoir est celui d’artilleur de l’aile droite d’un croiseur Hammerhead NG2, le
Forte Tête. Les horaires et le salaire sont indiqués sur ce formulaire – je lui tendis un datapad – en bas à droite. Avez-vous des questions ?
Une présentation rapide ; les vérifications viendraient plus tard. Pour l’heure, je devais absolument achever le recrutement.
J’étais plutôt satisfait de mes choix. Le remplaçant de Tiken – promu à la supervision des réacteurs – dans le bloc moteur gauche était un wookiee du nom de Chrwarrok, qui avait visiblement quelques ennuis avec des esclavagistes et les fuyait depuis la Bordure. Un humain de Brentaal, Ren Jorvis, assurait la maintenance du réacteur droit ; il venait de la base d’Ord Mantell, comme Tern Hoovys et Jos Geraan, deux canonniers extrêmement doués à qui je confiais les tourelles anti-chasseurs. Sovv avait également choisi un lieutenant, Kol’yan, un twi’lek lethan originaire de Nar Shaddaa à qui il manquait un lekku.
Sur le pont, Galieet occupait les postes de capitaine en second et de navigateur, aidé en cela par ses capacités innées pour les mathématiques. L’officier des communications était un bothan, Horsk Tre’far qui après avoir fait partie du réseau d’informateurs de Kothlis souhaitait revenir à un travail plus calme. Enfin, j’avais choisi un zabrak, Kento Gaarufan, qui se chargeait des tourelles lourdes de l’aile gauche.
Restait à voir si Jurgan ferait l’affaire.
— Laissez-moi lire, et je vous dirai ce qu’il en est ensuite.
J’acquiesçai et en profitais pour faire une recherche rapide dans les bases de données républicaines. Sans surprise, sa fiche d’identité était associée à plusieurs primes illégales, dont une de très forte valeur.
— Vous êtes un homme courtisé, monsieur Jurgan, lui dis-je avec une certaine ironie. Mais je suppose que la compagnie des chasseurs de primes ne vous intéresse pas vraiment.
Il me jeta un regard féroce qui faillit me faire reculer, puis revint sur le datapad.
— Je souhaite simplement un nouveau départ.
— Je m’en doute. Et c’est ce que je vous offre.
Il me regarda à nouveau. L’espace d’un instant, je fus indécis. Avais-je prononcé des paroles qui lui déplaisaient ?
Sans avertissement, il sortit un stylet et signa le contrat.
— Bienvenue au sein de la Flotte, lui dis-je en commençant à remballer mes affaires.
Les choses sérieuses allaient enfin commencer.
* *
*
— Poussez les moteurs à la vitesse maximale, et voyons de quoi ce vaisseau est capable.
Galieet obéit immédiatement à mon ordre. Basculant mon moniteur sur une vue héliocentrique, je pris note des chiffres qui s’alignaient. Ils étaient bons. Très bons même. Malgré mon chauvinisme de Corellien primaire, je devais reconnaître que l’ingénierie rendilienne s’y connaissait en navires de guerre.
Mais les meilleurs cargos ont toujours été ceux de la Corporation Technique Corellienne. Ça, je n’en démordrai pas !
— Capitaine, il y a une communication entrante en provenance d’Anaxes, me signala Tre’far. C’est l’amiral Corona.
— Merci, Horsk, lui répondis-je immédiatement. Je la prends dans la salle de réunion.
Il était sans doute déjà au courant des évènements de la veille. Nous venions de quitter Ord Mantell, sans trace de l’amiral Willspawn jusqu’à présent. Allais-je subir mes premières réprimandes ? Connaissant le tempérament d’Aiden, c’était peu probable.
Je pris place sur le siège qui m’était réservé. Il était facile à reconnaître ; les commandes de l’holoprojecteur étaient installées devant lui., J’appuyai sur un commutateur et vis immédiatement le visage de mon mentor apparaître.
— Bonjour, amiral, dis-je en souriant.
—
Bonjour, Jagen¸ me dit-il d’aussi bonne humeur.
La prise de commandement s’est bien passée ? — Comme un charme, assurais-je en simulant l’innocence.
—
Vraiment ? J’ai eu d’autres échos… — Il y a eu quelques difficultés, mais tout est réglé à présent. Le
Forte Tête est pleinement opérationnel.
Tous mes choix d’équipiers s’étaient révélés judicieux. La chance du débutant…
—
C’est une excellente nouvelle, même si Trevor ne le prendra pas ainsi… Enfin… Que penses-tu de ton navire ? — Il est efficace. Rendili StarDrive est une société sérieuse.
—
Je suis bien d’accord. Ils viennent d’achever le Katana,
et les dix derniers vaisseaux seront bientôt prêts. Ainsi, Aiden avait enfin son vaisseau amiral, au moment même où je prenais possession du mien ! C’était assurément une bonne nouvelle.
—
Kalpana a planifié une visite dans une semaine, et j’aimerais que le Forte Tête
soit sur place. Ce serait une occasion pour l’examiner, et tu pourrais ainsi faire valoir ton efficacité… — Une semaine, répétai-je, pensif.
Il me fallait obtenir des uniformes corrects pour tout le monde, et quelque chose de plus seyant pour mon usage personnel. Sans compter le voyage… Le délai allait être quelque peu serré.
— Entendu, nous y serons.
* *
*
Sept jours plus tard, je me trouvais sur le pont quand le
Forte Tête quitta l’hyperespace et entra dans le système de Rendili. Comme les autres, j’eus le souffle coupé par le spectacle qui s’offrait à moi.
Nous étions revenus dans l’espace normal à hauteur de l’hémisphère de la planète, et, devant nous, la planète occupait l’ensemble de la verrière. Pourtant, ce n’était pas ce spectacle à la fois habituel et unique qui accaparait notre attention. C’était la vision des chantiers navals de Rendili StarDrive, et surtout des vaisseaux qui y étaient amarrés.
La Flotte Katana s’étendait à nos pieds.
Depuis le pont, je pouvais observer chacun des deux cents cuirassés Dreadnought améliorés. Je compris alors d’où elle tirait son surnom de « Force Sombre » ; les vaisseaux étaient peints en gris sombre, tels des ombres dans une mer d’encre. Les seules sources de lumière étaient les lampes des coursives du vaisseau ; mais leur nombre était fortement réduit du fait de la présence des systèmes automatisés.
Après un interlude de presque mille ans, la République retrouvait enfin une flotte digne de ce nom. J’en avais presque les larmes aux yeux, consumé que j’étais par l’envie que m’inspiraient ces croiseurs.
L’un d’eux se détacha du groupe pour se diriger vers nous. Sur la coque, à quelques mètres en-dessous du pont, était écrit son nom en lettres dorées.
Katana.
Le vaisseau-amiral d’Aiden lança une procédure d’approche et nous envoya ses codes d’amarrages. Pendant que le tube de transfert entre les deux navires était déployé, je vérifiais une dernière fois l’état du pont. Tout était en ordre ; mon équipage avait revêtu son nouvel uniforme, en tissu bleu sombre d’une coupe stricte avec des casquettes semblables à celles que je portais à l’Académie. Ma veste était de la même couleur, mais suivait un dessin légèrement plus élaboré ; quant à mon pantalon, il était d’un blanc sans tache qui contrastait avec mes bottes impeccablement cirées. Je renvoyais l’image que j’avais toujours voulu donner, celle d’un homme sérieux impliqué dans son travail. Même mon père serait obligé de me donner sa bénédiction après m’avoir vu comme ça.
Le sas s’ouvrit et je pus enfin traverser la coursive aux parois de verre.
C’était un spectacle formidable. Je me tenais là, dans ce fragile ensemble entre deux immenses vaisseaux, avec l’impression de voguer dans l’espace, d’être suspendu dans le vide. Avoir grandi sur Bespin puis Coruscant m’avait protégé de toute forme de vertige, mais je ressentais pourtant ma vulnérabilité dans toute sa cruelle vérité, associée à un attrait du vide d’une puissance phénoménale. Je découvrais sous un jour nouveau la majesté de l’infini… Et sa dangerosité.
En entrant dans le
Katana, je ressentis une impression familière que j’avais déjà éprouvée enfant, en visitant le Sénat, ou en arpentant les plus vieux bâtiments de la Citadelle d’Anaxes : un sentiment de puissance, de force brute. Aiden avait un slogan de campagne en aurabesh :
Republic is back. La République est de retour. Aujourd’hui, j’en comprenais vraiment le sens.
Cette atmosphère particulière régnait dans toutes les coursives du vaisseau. On s'y affairait de tous côtés : mécaniciens et droïdes qui passaient à toute vitesse, mais aussi plusieurs chariots de transport. Le vaisseau était bien plus peuplé que le
Forte Tête, malgré leurs systèmes dirigés. Il était beaucoup plus massif, aussi, et deux fois plus long. La différence la plus flagrante reposait dans la puissance de feu, avec un rapport qui allait sans doute à un contre vingt. Mais il ne régnait pas dans le
Katana ce sentiment d’étouffement que j’avais senti en visitant un cuirassé d’ancienne génération, pendant mon cursus académique. La promiscuité y était vraiment dérangeante…
J’arrivais bien vite au bureau d’Aiden, et les gardes m’y firent immédiatement entrer. Je fus d’abord surpris par les couleurs autour du moi ; plutôt que le gris classique, c’étaient le bleu et le doré qui régnaient en maître. L’ensemble, légèrement clinquant – et tellement moins distingué que le bleu-argent des Eripsa ! – renvoyait une impression ostentatoire de luxe. C’était sans doute un prérequis du Sénat, pour les missions diplomatiques que devraient remplir les vaisseaux.
Si un de ces bureaucrates égocentriques me demandait de tapisser les cabines du
Forte Tête de velours rouge, il risquait de le sentir passer…
Quatre hommes se trouvaient dans le bureau, autour d’une table basse. Aiden était là, bien sûr, avec un uniforme couvert de décorations ; il y avait aussi un gars de mon âge, avec l’uniforme de Rendili StarDrive, et deux autres revêtus de tuniques amples. Le plus jeune m’était inconnu ; il avait des traits plutôt fins et des yeux d’un bleu électrique. Quant à l’autre... Je ne l’avais jamais rencontré, mais je le connaissais de vue.
— Mes hommages, Excellence, dis-je en m’inclinant en direction du Chancelier Suprême, Kalpana.
— Vous êtes le capitaine Eripsa, devina-t-il.
— Effectivement, Monsieur.
— Vous ressemblez à votre père, ajouta-t-il avec un mince sourire.
Je le remerciai d’un signe de tête, bien que ses paroles n’aient rien d’agréable à mes oreilles.
— Amiral Corona, j’attends vos ordres, dis-je en me tournant vers Aiden.
— Permets-moi de te présenter le sénateur Valorum… dit-il en désignant l’homme aux yeux bleus.
Le nom ne m’était pas inconnu. Ainsi, c’était là le descendant du grand Chancelier des Réformes de Ruusan, représentant du secteur Lytton !
— C’est un honneur, dis-je en le saluant.
— Il est réciproque, m’assura-t-il avec gravité.
— …et voici le représentant des chantiers, Walex Blissex, le jeune prodige concepteur des croiseurs Hammerhead NG-2.
— Alors, je dois vous féliciter, lui dis-je avec un franc sourire. Votre navire fonctionne à merveille.
— Je suis content de savoir mes vaisseaux entre de bonnes mains, me répondit-il en me tendant une main ferme.
— Jagen, nous avons déjà visité le
Katana, reprit Aiden en se levant. Mais j’aimerais offrir une démonstration grandeur réelle à nos invités. Comme mon cuirassé est encore en rodage, peut-être pourrions-nous organiser cela à bord du
Forte Tête ? Monsieur Blissex aurait alors l’occasion de voir les résultats de ses travaux.
— Ce serait un honneur, répondis-je aussitôt.
Intérieurement, je me félicitais du soin apporté aux uniformes. Voilà un autre investissement réussi !
* *
*
Rejoins par Galieet et Tiken, nous examinions l’infirmerie de bord derrière la salle de réunion, quand le sas s’ouvrit pour laisser apparaître une silhouette que je redoutais de voir.
— Messieurs, je suis à vous, annonça Trevor Willspawn.
Bien qu’il soit sensiblement du même âge qu’Aiden, soit une cinquantaine d’années, il en paraissait dix de moins. Mon mentor était rongé par les soucis, usé avant son temps, alors que Willspawn, avec ses cheveux d’un blond-roux éclatant et sa fine moustache, débordait de jeunesse, de dynamisme, d’énergie. Son regard était dur ; j’y cherchais les signes de l’addiction aux épices de Kessel que la rumeur lui prêtait, sans succès. Son uniforme, de la même coupe que celui d’Aiden, était mal ajusté.
Je ne l’avais jamais rencontré avant ce jour ; tout juste l’avais-je aperçu au détour d’un couloir, ou lors des conférences qui jalonnaient la vide des étudiants de l’Académie. Il n’accordait que peu d’importance aux établissements d’enseignement de la Flotte, si ce n’est pour parrainer quelques élèves comme ce « cher » Ozzel.
Je me mis au garde-à-vous.
— Excellence, Sénateur, bienvenue sur
mon vaisseau, dit-il sans accorder le moindre regard aux autres personnes présentes.
— Amiral Willspawn, répondit poliment Kalpana en inclinant légèrement la tête.
— Vous êtes là aussi, Aiden ? dit l’Aldéranien – c’était le surnom que nous lui donnions à l’Académie, tant les militaires venus de ce monde étaient rares. Ce vaisseau n’est pourtant pas sous vos ordres, non ?
— Il faut bien que quelqu’un s’en occupe pendant que vous visitez les maisons closes et les bars, Trevor, répondit acerbement le vieil homme avec hargne.
— Messieurs, messieurs, calmez-vous ! intervint alors le chancelier. Ces échanges de coups bas ne seront bénéfiques pour personne, alors comportons-nous tous en personnes civilisées.
— Évidemment, Excellence, répondit Willspawn avant de se tourner vers moi.
Je décidai immédiatement de ne pas baisser le regard, pour ne pas lui laisser la moindre victoire contre moi.
— Quant à vous, capitaine Eripsa, déclara-t-il d’une voix doucereuse, on m’a averti de votre comportement scandaleux sur Ord Mantell. Vous prenez des décisions qui ne relèvent pas de votre compétence, vous outrepassez consciemment des ordres que j’ai clairement établis !
Je veillai une nouvelle fois à ne pas perdre mon sang-froid face au souvenir de ma confrontation avec l’ancien équipage.
— Le fait est que le sous-lieutenant Galter (la fameuse brute qui m’avait défiée) et ses suivants ont fait preuve d’un comportement de mutins, répliquai-je avec assurance. Comme mes prérogatives m’y autorisent, j’ai donc recruté un équipage plus compétent et assurément plus loyal.
— Je vois, dit-il en jetant un regard aigre à Galieet et Tiken. Plus loyal envers vous… Je suppose qu’il s’agit des deux que vous avez promus.
— Effectivement.
— Promotion refusée, lâcha-t-il aussitôt. Vous êtes capitaine en poste depuis une semaine, et vous prenez déjà d’énormes libertés ! Malgré l’appui de certains – il jeta un regard courroucé à Aiden –, vous n’êtes toujours qu’un simple capitaine.
— Allons, Trevor, ne soyez pas si aigri, lança Kalpana en tentant une nouvelle fois de calmer le jeu. Puisque vous doutez des capacités de ce jeune homme et de son équipage, que diriez-vous d’assister avec nous à une petite démonstration ? Vous aurez sans doute une idée plus juste de ses compétences.
— Être le fils d’un sénateur n’en fait pas un bon capitaine, répondit-il sèchement.
— Nous en jugerons nous-même. Aiden, peut-être pourriez-vous déclencher la simulation avec quelques vaisseaux factices ?
— Commençons avec une frégate, répondit mon mentor avant de donner ses ordres.
Je pris une grande inspiration. « Démonstration »… Quel terme anodin pour un test aussi important pour mon avenir et celui de ce vaisseau.
Lorsqu’Aiden eut fini, il nous fit signe de se diriger vers le pont. J’ouvris la marche, tandis que Willspawn la fermait. Il semblait renfrogné, tandis que son adversaire et le chancelier semblaient plutôt satisfaits d’eux. Je compris alors qu’ils avaient espéré imposer à Willspawn cet exercice. Afin de démontrer mes capacités ? C’était placer de bien grands espoirs sur mes épaules de débutant.
Galieet, qui était parti sur le pont avant même qu’Aiden n’ait fait la demande d’exercice aux autorités des docks rendiliens, se trouvait à son poste quand nous entrâmes. Les autres membres d’équipage, qu’il avait probablement prévenus, étaient également installés derrière leurs terminaux. Tous se levèrent et se mirent au garde-à-vous en voyant entrer la délégation officielle.
— Repos, messieurs, dis-je d’une voix forte.
J’étais galvanisé par l’approche de mon premier test en conditions réelles. Je m’approchai de mon ordinateur personnel et m’assis dans le fauteuil du commandant, avant de presser le bouton activant le haut-parleur du vaisseau.
— Exercice en conditions réelles, type Alpha-9-7, commençai-je alors. Nous allons être attaqués par une frégate robotisée. Ce vaisseau est bien mieux armé que le nôtre, nous allons devoir donc faire preuve d’ingéniosité. Tous les membres d’équipage à leurs postes de combat, je répète, tous les membres d’équipage à leurs postes de combat. Tiken, je veux que les droïdes astromechs soient sur le pied de guerre. Tern, Jos, vous n’aurez pas d’ennemis directs, alors concentrez-vous sur les batteries adverses. Thnod, Kento, je veux que vous désactiviez ses boucliers. Galieet, il s’agira de mener le vaisseau à la limite de la zone de tir.
— C’est entendu, capitaine, répondit le Givin.
S’il continuait à se montrer aussi efficace… Je risquais de finir par l’embrasser.
Derrière nous, au fond du pont, Aiden, Finis, Willspawn, le chancelier Kalpana et l’ingénieur Blissex s’assirent et bouclèrent leurs ceintures.
— Galieet, dis-je en m’adressant de façon moins formelle à mon second, il faut absolument que tu nous trouves la zone limite de tir.
Dès la fin de cette première semaine, je le tutoyais déjà, tout comme je le faisais avec Tiken.
— Nous devons absolument encaisser le moins de dommages possibles. Comme l’a indiqué monsieur Blissex au cours de la visite, nos batteries ont une bien meilleure portée que celles de la plupart des autres vaisseaux.
— C’est peut-être du baratin d’ingénieur, tempéra le lieutenant.
— Non, répondis-je, catégorique. Fais ce que je te demande.
J’en étais vraiment convaincu. J’ai tendance à sentir quand les gens me mentent ou pas, et Blissex était honnête. S’il devait y avoir une mauvaise surprise, elle ne viendrait pas de lui.
À moins qu’il ne se soit trompé dans ses calculs…
— Entendu.
— Capitaine, intervint Horsk Tre’far, le vaisseau ennemi est une frégate de classe Praetorian. C’est un croiseur lent, peu maniable, mais résistant et doté d’une bonne puissance de feu. Il présente plusieurs signes de dommages à l’arrière, c’est sans doute pour cela qu’il est voué à la destruction.
— L’arrière, hein ? Eh bien, nous allons l’attaquer par là. Galieet, s’il est aussi peu manœuvrable, notre tactique peut être modifiée.
— Je vous écoute, capitaine.
Je souris à l’idée de ce que j’allais lui ordonner… Et en imaginant la réaction de mes passagers.
— Fonçons-lui dessus.
Le visage livide du givin devint en un instant plus blanc que la neige d’Aldérande, mais il ne tenta pas de discuter mes ordres ; au contraire, il mit un zèle particulier à les accomplir au plus vite.
Le
Forte Tête accéléra progressivement jusqu’à atteindre une vitesse de croisière élevée. La frégate Praetorian, invisible jusque lors, grossit progressivement. Nous venions à peine d’entrer dans son rayon d’action lorsqu’elle ouvrit le feu.
— Galieet, nous allons passer sur son flanc droit. Par conséquent, concentrons toute la puissance des boucliers sur notre flanc gauche et sur le pont.
— Je suis d’accord, dit le givin.
Tout se passait à merveille. Peu de salves nous atteignirent pendant la phase d’approche. Leur précision augmenta progressivement, mais ce n’était pas assez pour endommager les boucliers du croiseur Hammerhead NG-2. Les batteries du
Forte Tête, sous-alimentées, ne pouvaient pas répliquer, mais cela n’était pas prioritaire au cours de la manœuvre.
Enfin, les deux vaisseaux se trouvèrent côte-à-côte. Du pont, je pouvais enfin voir l’étendue des dégâts qu’Horsk avait détectés ; ils étaient proprement impressionnants. La coque était percée par endroits, rendant visibles les entrailles du vaisseau. Une partie du bloc moteur avait été proprement pulvérisée, sans doute par une surchauffe du réacteur. Mais les tourelles étaient opérationnelles, et elles nous canardaient à bout portant.
Cela ne dura que quelques secondes, mais le
Forte Tête fut largement secoué par de violentes turbulences. Fort heureusement, je n’avais pas surestimé la capacité d’absorption énergétique des robustes boucliers de Rendili StarDrive.
Puis ce fut rapidement l’accalmie. Les batteries du Praetorian ne pouvaient plus nous cibler, puisque nous nous étions réfugiés derrière les moteurs du vaisseau.
Et le pilonnage recommença… Mais cette fois, nous tenions le canon. Galieet fit pivoter le
Forte Tête très rapidement, et put rediriger totalement la puissance des boucliers vers les batteries de canons. Je me levais et rejoignis la baie de transparacier pour coordonner l’offensive.
— Tirez sur leurs réacteurs, ordonnai-je aux artilleurs. Nous devons l’immobiliser. Ensuite, nous pourrons le mettre hors de combat.
—
Pas de désintégration ? demanda Thnod Jurgan via l’intercom.
— Pas de désintégration, confirmai-je presque à regret. Cette coque a sûrement du mal à voler, mais nous pourrions sans aucun doute en tirer encore quelques composants et surtout du blindage bon à recycler. Autant ne pas passer à côté.
Je jetai aussitôt un coup d’œil au comité assis au fond du pont. Visiblement, cette attention faisait vraiment plaisir aux sénateurs et à Aiden.
Les boucliers du vaisseau ennemi flanchaient rapidement, à présent. La coque sous pression chauffa aux endroits où les salves de lasers la frappaient, allant jusqu’à se déformer. Les tourelles défensives, bien qu’inutiles, furent promptement détruites par quelques tirs bien placés. En à peine plus d’une minute, la frégate était hors de combat, à la dérive dans l’espace.
— Félicitations, capitaine, me gratifia le chancelier Kalpana en se levant à la fin de l’exercice. Vous avez très largement prouvé vos compétences.
— Très largement ! s’offusqua Willspawn. Mais il ne s’agissait que d’une frégate droïde, et d’un exercice banal…
Bien malgré moi, je me devais de lui donner raison. C’était sans comparaison aucune avec la réalité du combat.
— Auquel vous avez participé autrefois, Trevor, l’interrompit l’homme d’État. Mon oncle Feragan était superviseur des opérations au Centre Naval de Metellos, et il nous a souvent raconté votre pitoyable performance face à une frégate de cet acabit.
— Il s’agissait d’un accident, répliqua l’amiral, vexé.
— Et vous avez fini amiral, conclut Kalpana. Alors, permettez-moi d’accorder toute ma confiance à ce jeune capitaine !
Et il s’en alla, sans un mot de plus, suivi par Finis Valorum et Aiden Corona, en grande discussion. Willspawn, dépité, les suivit, sans oublier de me lancer un regard assassin. Je fis comme si je n’avais rien vu.
— Je crois qu’il ne vous aime pas, me dit Galieet avec une pointe d’ironie.
— Peu importe, répondis-je d’un air blasé. J’ai le soutien d’Aiden.
Je sortis pour rejoindre le comité, conscient néanmoins que cette confrontation avec l’amiral Willspawn était la première… Mais sûrement pas la dernière.
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Pour info, j'utilise des Hammerheads depuis la première ébauche de l'histoire (avant même que ce soit un roman) en 2009, alors interdiction de dire que j'ai copié
Rebels et
Rogue One.
