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Duel de Soldats
VI-La Traque
 
Dans toutes les guerres, il y a toujours des héros : des hommes en apparence ordinaires mais qui sont capables de se sublimer au combat, de vaincre leurs démons intérieurs pour se consacrer uniquement à la tache qui leur est dévolue. Ces hommes sont rares, mais il arrive qu’il y en ait dans les deux camps qui s’affrontent. Bien sûr, les probabilités pour que ces héros se croisent et s’entretuent sont infimes, voire nulles. Mais imaginez que deux de ces soldats hors paire soient amenés à en découdre, personnellement, comme si plus rien n’avait d’importance à part leur duel. Alors de leur affrontement pourrait bien dépendre l’issue même de la guerre.

Le combat qu’avaient décidé de se livrer Endrik Sel et Epsilon n’en était qu’à ses balbutiements et pourtant il était déjà d’une intensité sans pareille. Mais ce qu’aucun des deux protagonistes ne savaient encore à ce moment précis, c’est que de l’issue de leur duel dépendrait l’avenir de Nolvana. Car c’est là l’apanage des héros : avoir une importance considérable, sans forcément le vouloir, sur le déroulement des évènements.

***

Je courrais à en perdre haleine, l’esprit encore bouleversé par les propos d’Epsilon. Je jetais de temps en temps des coups d’œil nerveux derrière moi pour m’assurer que personne ne me suivait. Pourtant, je n’étais pas dupe, le clone était certainement à mes trousses. Je l’avais provoqué et s’il réagissait comme moi, il ne pourrait laisser passer cet affront. A la mission qui lui avait été confiée, j’avais rajouté une notion de défi qui ne pouvait le laisser de marbre. Car comme tous les hommes, les clones ont de l’orgueil. Epsilon n’échappait pas à la règle.

D’ailleurs, alors que j’empruntais une grande artère déserte qui passait au beau milieu de deux immeubles aux cimes décapitées, je ne pouvais m’empêcher de m’interroger sur la nature des clones. Je n’en savais pas assez sur eux pour émettre un jugement définitif. Cependant, je n’avais jamais entendu qu’ils étaient fourbes et vicieux. Et c’était bel et bien ce point précis qui m’intriguait. Epsilon avait-il été capable d’inventer toute l’histoire qu’il m’avait racontée ? Où était-ce la stricte vérité ? Zelekyn était il un dictateur en puissance, avide de pouvoir, où bel et bien le héros sans peur qu’il représentait à mes yeux. Se pouvait-il que cet homme en qui je vouais une confiance jusque là inébranlable soit en fait l’homme qui avait assassiné mes parents ? Toutes ces questions se chamboulaient dans ma tête et menaçaient de me donner la migraine.

Non, Epsilon n’avait pas pu inventer tout ça. Il avait forcément lu des rapports sur la situation de Nolvana au début de la carrière de Zelekyn. Mais le reste ? Le passage sur mes parents était-il aussi dans des rapports des services secrets de la République ? A l’évidence, Epsilon s’était renseigné sur moi, ce qui lui donnait un avantage indéniable. Mais, alors que je passais sans m’arrêter devant l’impressionnante carcasse carbonisée d’un droïde scarabée de la République qui bouchait une partie de l’avenue, je compris qu’il était temps pour moi de contre-attaquer. La traque ne devait pas être à sens unique. C’était au tour d’Epsilon d’être chassé.

***

Je n’en revenais toujours pas ! J’avais eu Endrik à ma portée pendant plusieurs minutes et j’avais été incapable d’agir, de trouver une stratégie adaptée pour détourner son attention et pouvoir l’attaquer. Quelque chose chez ce gars me perturbait ; peut-être ses immenses qualités de tireur qui me faisaient réfléchir à deux fois avant de le provoquer en duel. Lors de notre face à face, je n’avais même pas pensé un seul moment à tenter ma chance. Pourtant, j’étais probablement plus rapide que lui, mais rien ne me l’assurait. Je l’avais vu à l’œuvre, et si j’avais laissé Endrik ne serait ce que viser pendant une fraction de seconde, je serai mort à l’heure qu’il était. Bien que je me refusais à l’avouer, Endrik était peut être le soldat ennemi le plus redoutable que j’ai rencontré jusque là.

A vrai dire, ma condition de clone m’avait surtout amené à abattre des droïdes à tour de bras. Certes, ceux-ci pouvaient être redoutables mais ils n’avaient pas d’intelligence développée, ils n’adoptaient pas une stratégie évolutive, ils se contentaient de tirer et de tuer, sans plaisir, sans remords, sans aucune émotion. Sur Nolvana, j’avais déjà tué des hommes, les regardant mourir dans mon réticule de visée. Je n’en éprouvais pas de satisfaction, aucune jouissance, je faisais juste ce pourquoi j’avais été si durement entraîné. En fait, seule la victoire finale de la République m’importait. Je la servais, un point c’était tout !

Mais ma rencontre avec Endrik était en train de changer la donne, je le sentais. Comme si une relation étrange et indescriptible se tissait entre nous. Quand je tuais quelqu’un jusqu’à présent, je l’oubliais dès que son corps s’était effondré sur le sol. Mais c’était parce que je n’avais jamais eu l’occasion de parler avec mes futures victimes, de ressentir l’humanité qu’elles avaient en elles. Avec Endrik, c’était différent. J’avais pu percevoir en lui une farouche détermination, un courage presque inébranlable mais aussi une part d’ombre. Le Nolvanien était un tueur, je ne devais jamais l’oublier.

Cette mission serait juste plus difficile que les autres, mais plus palpitante aussi. J’aimais le danger, mais je savourais surtout la délivrance que me procurait la victoire sur l’ennemi. Et pour la première fois depuis très longtemps, je présentais que ma victoire sur Endrik n’était pas assurée. Et cette pensée suffisait à faire grimper mon taux d’adrénaline.

Tout à coup, alors que j’allais aborder une intersection, j’entendis des voix familières s’écrier :
- "Par là, il est parti par là ! Dépêchez vous, il ne faut pas le laisser s’échapper."
J’arrivais au carrefour et découvris sur ma droite une escouade de clones qui accouraient, blasters pointés devant eux. Un clone que je pouvais reconnaître entre mille à cause de son armure défoncée en de multiples endroits, s’arrêta à mes côtés et jubila :
- "Epsilon ! Ravi de voir que tu es encore en vie."
- "Je suis sur les traces de Sel !"
- "Je pense que c’est lui que nous avons vu passer à toute allure il y a une ou deux minutes à peine. Mais nous étions trop loin pour intervenir. Il est parti par là", assura Getro en désignant une grande rue encombrée par un mécanoïde calciné.
- "Je lui ai parlé Getro", ne pus-je m’empêcher de déclarer.
- "Au Nolvanien ?", s’étonna mon ami
- "Oui… J’ai insinué le doute en lui. Il est perturbé, j’ai pu le sentir. Si je veux le tuer, je dois le faire aujourd’hui."
- "Alors poursuivons-le, il se dirige vers les zones habitées. A ce rythme là, il sera bientôt hors du Quartier Industriel. Plus il s’éloigne, moins nous aurons de chance de le traquer."
- "Ne t’inquiète pas… C’est lui qui va nous attendre !"
- "Pourquoi ça ?", demanda Getro visiblement circonspect.
- "Tout simplement parce qu’il a juré de me tuer."

***

C’est en voyant les toits des premières habitations que je compris que je venais de quitter le Quartier Industriel. Bizarrement, je me sentis soulagé comme si les lieux que je quittais étaient dorénavant synonymes de mort et d’échec. Mais surtout, j’arrivais à présent dans un arrondissement que je connaissais parfaitement. Je ralentis l’allure afin d’échafauder une stratégie capable de piéger Epsilon. C’est alors que j’entendis des bruits de pas dont l’intensité allait crescendo. Je compris que quelqu’un arrivait précipitamment. Je me plaquais immédiatement contre un mur, à l’angle d’un carrefour qui avait été massivement bombardé, ce qui expliquait pourquoi la route était coupée par un vaste cratère.

Au moment où l’individu arrivait imprudemment à ma hauteur, je lui assénais une puissante manchette, ce qui le fit basculer en arrière. Dans la seconde qui suivit, je pointais mon arme sur sa tête. Mais je relâchais bien vite mes muscles et un sourire apparut sur mon visage :
- "Tomek, comme je suis content de te voir !"
- "C’est comme ça que tu montres ta joie, toi ?", s’étonna le jeune homme en se massant le cou.
- "Pardonne-moi, mais tu devrais être plus prudent."
- "Je te cherchais. Tu cours un grand danger ! Des clones viennent par ici, et j’ai la nette sensation qu’ils veulent t’abattre", dit-il en se relevant avec difficulté.
- "Je sais."
Puis, je levais les yeux et regardais la place qui s’étendait à quelques mètres après le carrefour. C’était une grande place, jadis belle et accueillante, mais qui aujourd’hui était recouverte par des débris, des détritus et même des cadavres puants. La statue qui trônait au milieu avait été décapitée et toute sa partie droite avait été arrachée par une bombe. La place était bordée de hauts immeubles, dont certains étaient encore intacts. Toutefois, la plupart n’avaient plus de fenêtre et bon nombre s’écroulaient littéralement. Enfin, je remarquais qu’un muret de pierre avait été construit à la hâte au début de la guerre, lorsque l’on craignait une percée majeure des forces Républicaines. Ce muret d’environ un mètre de haut était censé accorder une bonne protection pour les soldats Nolvaniens lorsqu’ils verraient les clones approcher. Mais la construction avait été sérieusement ébranlée, car un gros morceau manquait en plein milieu, permettant un accès à la place et à ses immeubles.

Je restais encore pendant quelques secondes à étudier la configuration des lieux, puis jetais enfin mon dévolu sur un bâtiment haut de cinq étages et qui donnait une vue imprenable sur la place.
- "J’ai un plan", fis-je.
Tomek ne pu s’empêcher de sourire.
- "Ca me rassure mais euh… Que comptes-tu faire ?"
- "Accueillir comme il se doit nos invités ! Allez viens !"
Nous montâmes sur le petit talus de pierres qui se trouvait maintenant à la place d’une partie du muret de défense, puis redescendions de l’autre côté avant de nous précipiter vers l’immeuble que j’avais repéré. Nous pénétrâmes à l’intérieur, franchîmes le hall délabré et désert, grimpâmes l’étroit escalier en bois qui serpentait dans les étages et nous nous arrêtâmes sur le palier du second. Une porte était entrouverte. Je la poussais, laissais pénétrer Tomek et refermais la porte derrière moi. Puis, sans prononcer un mot, je me dirigeais vers une fenêtre et regardais ce qu’il se passait en contrebas, sur la place.
- "Parfait ! Messieurs, je vous attends."

***

Accompagné de mon escouade de soldats, j’approchais d’une intersection qui avait subi un bombardement intensif. A vrai dire, toute la place qui se situait juste derrière avait également été la victime des vaisseaux de la République. Je fis alors signe aux autres clones de ralentir et de se baisser. En y regardant bien, la disposition de la place était idéale pour tendre un guet-apens. Mais si Endrik était toujours seul, était-il assez fou pour s’attaquer à toute une escouade de clones ? Le Nolvanien était sûr de sa force et il avait visiblement envie d’en découdre.

Je communiquais mes ordres avec les mains et finissais par indiquer le muret qui bordait la place. Avant d’avancer à découvert, il valait mieux s’assurer que l’on ne courrait aucun risque. Après tout, peut-être Endrik était-il parti se confronter à Zelekyn ? Je savais que le Nolvanien avait à présent des doutes quant au passé de son général. Et cette situation m’était favorable. Le moral jouait tout le temps un rôle majeur dans une guerre, à fortiori dans un duel…

Nous nous précipitâmes donc et nous nous arrêtâmes derrière le muret, qui nous protégeait d’un éventuel tireur isolé. Je fis alors signe à Getro de se positionner un peu plus loin de nous, après le tas d’éboulis qui séparait le mur en deux, afin d’avoir un meilleur angle de vue sur la place et ses environs. Getro s’exécuta en se précipitant, de façon à être à découvert pendant une fraction de seconde seulement. Soulagé, il se plaqua contre la construction en brique et reprit son souffle tout en calmant les battements de son cœur.

Je me tournais alors vers les autres soldats et désignais les fenêtres des immeubles bordant la place.
- "Il peut-être n’importe où…", commentais-je.
- "Comment le savoir ?", demanda un soldat à l’armure impeccable.
- "Il nous faut nous montrer patient."
- "Nous n’avons pas de temps à perdre, nous devons agir et vite. Tuons ce type et ramenons sa dépouille au général Tuul."
- "Pas de précipitation", ordonnais-je, "c’est ce qu’il veut."
Mais le jeune soldat ne m’écoutait plus. Il venait de se redresser prudemment, et laissait à présent dépasser le haut de son casque par-dessus le mur de protection.
- "Je ne vois rien d’anormal, tout semble calme", assura t-il.
- "Planquez-vous immédiatement !"
- "Non, je pense qu’il n’est pas là, nous pouvons pro…"
Il ne finit jamais sa phrase. Une décharge d’énergie lui traversa le sommet du casque et son corps bascula violemment en arrière. Il s’effondra sur le sol, les bras en croix et ne poussa même pas le moindre cri avant de s’éteindre définitivement.
- "Putain ! Vous avez vu d’où le tir est venu ?", hurla Getro à quelques mètres de moi
- "Non", répondis-je en maudissant l’imprudence du soldat mort à mes pieds.
- "Et merde", fit Getro en tentant de se dissimuler du mieux qu’il pouvait.
- "Gardez votre calme ! Il faut le repérer", lançais-je aux autres clones.
Avant qu’il ne nous tue tous les uns après les autres, pensais-je.

***

Je savais que le clone que j’avais visé était mort et je pressentais que les autres assaillants n’avaient pas encore pu me localiser. J’étais habilement dissimulé à l’angle de la fenêtre, le fusil collé contre ma poitrine, le souffle court, prêt à agir de nouveau. Derrière moi, Tomek me regardait avec des yeux grands écarquillés. Je savais que j’avais le don pour l’impressionner quand je combattais.
- "Ils sont combien ?", me demanda-t-il à voix basse
- "Cinq, peut-être six ! Je n’en suis pas sûr !"
Je me remis alors en position de tir et plaçais mon œil droit devant mon réticule de visée. Je scrutais avec attention le muret, devinant du mouvement derrière. Les clones devaient s’organiser et préparaient sûrement une stratégie d’attaque. C’est alors que je vis que le sommet du casque d’un des clones, excentré par rapport aux autres, apparaissait furtivement par intermittence. Visiblement, il cherchait à déterminer ma position. Je m’immobilisais alors et attendais patiemment que le crâne réapparaisse. Je n’étais pas pressé, je savais être patient.
- "Tu es à moi", murmurai-je alors à l’attention du clone qui ne pouvait bien entendu pas m’entendre.

***

J’avais un mauvais pressentiment, comme si quelque chose de terrible allait se produire. J’avais déjà perdu un homme, et les talents de mon adversaire m’amenaient à penser que cela ne serait certainement pas le dernier. Je rampais contre le muret, me déplaçant difficilement à cause des gravats qui me gênaient. Je relevais la tête et glissai à Getro qui se tenait à cinq mètres de moi :
- "Fais attention, le muret est moins haut à ton niveau ! Il pourrait te voir !"
Getro tenta de me rassurer :
- "C’est de ma position que l’on a le meilleur angle de vue sur la place ! Je vais le localiser, ne t’en fais pas. J’ai une idée !"
Mais je ne pouvais m’empêcher d’être inquiet. Si Endrik repérait Getro avant que ce ne soit l’inverse, je ne pourrai empêcher un drame de se produire.

Le cœur battant à tout rompre, je regardai mon ami réaffirmer sa position, se mouvoir lentement et placer la visière de son casque devant un trou qui avait été perforé dans le mur. Je souriais devant cette tactique. Si Endrik s’attendait à ce que nous nous redressions, il ne pourrait pas voir Getro qui avait opté pour une autre stratégie. Celui-ci commença à balayer du regard les étages des immeubles:
- "Non, je ne vois rien, là non plus, là… Il n’y a personne ! Bon Dieu, où est-ce qu’il est ?"
Et soudain, je le vis se raidir, et il eut juste le temps de murmurer :
- "Non… Pas ici, pas maintenant…"

***

Je ne vis jamais le sommet du casque du clone réapparaître au dessus du muret. En revanche, je discernai parfaitement le léger rayon de soleil qui, perçant la couche nuageuse, vînt se refléter sur la visière noire du casque de ma cible. Celle-ci me regardait par l’intermédiaire d’un trou dans le mur. Je descendis en une fraction de seconde mon arme pour réadapter ma position de tir et fit feu sans hésiter. La décharge vînt déchirer le silence…

***

Le tir arracha un petit pan du mur et finit sa course dans le bas du casque de Getro, au niveau du cou. Je vis mon ami basculer en arrière alors qu’il hurlait de douleur. Les yeux écarquillés de stupeur, les membres tremblants brutalement, je m’égosillai :
- "Noooooooooooooooooooooooooon ! Getro !"
Alors que j’allais me précipiter aux côtés de mon ami sans même réfléchir, je m’immobilisai à l’ultime seconde, pivotais vers les soldats restants et lançais :
- "Tir de couverture ! Sur la façade de cet immeuble ! C’est là que ce fils de pute se cache !"
- "Mais…"
- "TIR DE COUVERTURE !", m’époumonai-je
Les clones se redressèrent alors tous en même temps, braquèrent leurs fusils blasters vers l’immeuble que je leur avais indiqué et ouvrirent les hostilités, déversant un véritable déluge de feu. Profitant de cette diversion, je pris mes appuis, sautai par-dessus le tas de gravats et atterris tout près de Getro qui gémissait en se tenant le cou.
- "Tiens bon mon ami, je vais te sortir de là ! Tiens bon !"
Alors que les autres membres de mon escouade continuaient à cribler l’immeuble d’impacts, arrachant de gros bouts de béton et explosant des dizaines de fenêtres, j’ôtais fébrilement le casque de Getro. Je plissais les yeux d’effroi en voyant l’immonde blessure qu’il avait au niveau du cou. A chaque battement affolé de son cœur, une petite gerbe de sang s’échappait par un trou de trois centimètres de diamètre.
- "Epsi…", marmonna Getro alors qu’il était secoué de violentes secousses.
- "T’inquiètes pas, ça va aller ! Je vais te soigner ! Reste avec moi !", lui ordonnai-je alors que des larmes commençaient à couler le long de mes yeux.
Je tentais tant bien que mal d’arrêter l’hémorragie mais les protections de mes mains furent bientôt maculées de sang.
- "Je… Vais… Mou…rir ici !", lâcha-t-il effrayé en crachant de la bile
- "Non, non, non, ne dis pas ça ! Tu ne peux pas m’abandonner, j’ai besoin de toi. Tu m’entends, j’ai besoin de toi."
Je sortis le petit kit de survie que chaque clone avait avec lui dans sa ceinture multifonction et préparai aussitôt une piqûre de morphine. Je regardais Getro et vis que les tremblements se calmaient mais que ses yeux devenaient révulsés. Il articula avec difficulté :
- "Je ne veux… Pas… Mourir ! Sauve-moi… Sau… Moi !"
Les yeux rougis par la tristesse, j’enfonçais directement la morphine au niveau de la veine du cou.
- "Tiens, ça va te soulager !"
- "Par… Pardonne-moi Epsilon… Je t’ai… Abandonné !"
Il tenta de lever la main, je la lui pris aussitôt et la lui serra.
- "Je te vengerai Getro, je te le jure, cela ne restera pas impuni !"
Je sentis alors la main de mon ami me glisser des doigts. Elle retomba lourdement sur le sol tandis que l’ensemble du corps devenait inerte. Alors que des larmes ruisselaient sur mes joues, je fermais délicatement les yeux de mon ami, dont le sang se répandait tout autour de lui, serpentant dans les gravats.
- "Non… Non, pas toi ! Pas toi !", m’écriai-je en posant ma main sur sa poitrine.
Je restai là pendant des secondes qui me parurent durer une éternité. Puis, enfin, je me redressai, sentant une haine puissante et destructrice m’envahir. Les dents serrées, le regard cruel, je me focalisais sur Endrik Sel. Et d’une voix étonnamment grave, je jurai :
- "Maintenant, c’est personnel !"

Je me collais de nouveau contre le mur, donnais l’ordre aux clones restants de cesser le feu, puis hurlais alors qu’un nuage de poussière enveloppait progressivement l’immeuble qui avait subi les tirs de couverture :
- "Nolvanien ! Tu viens de commettre une immense erreur !"
Je restais là à attendre une quelconque réponse, mais rien ne vînt, alors je continuais, criant toujours plus fort, me servant de ma rage pour que ma voix porte encore plus loin :
- "Nolvanien ! Tu as tué mon seul ami… Tu me l’as enlevé !"
Et tout à coup, la voix d’Endrik Sel se fit entendre, venant du deuxième étage de l’immeuble que j’observais :
- "J’aurai préféré que ce soit toi, crois le bien ! Mais ton ami savait ce qu’il risquait. Il était un soldat et tu dois considérer comme un honneur le fait qu’il soit mort au champ d’honneur."
- "Ferme là ! Ne parle pas de Getro comme si tu avais de la peine pour lui !"
- "Je n’ai de la peine pour personne Epsilon. Et je n’en aurai aucune pour toi lorsque je t’éliminerai."
Regardant furtivement par-dessus le muret, je vis Endrik qui restait en position de tir, accolé au rebord de la fenêtre, guettant la moindre erreur de ma part. Mais ce qui m’intéressa surtout, ce fut de discerner le visage du jeune homme qui se tenait derrière Endrik. Et tout à coup, un plan s’élabora dans mon esprit. Je regardais alors les clones qui étaient encore en vie et qui attendaient mes ordres, puis mes yeux se fixèrent de nouveau sur l’immeuble dans lequel était terré Endrik. Oui, ça pouvait marcher ! Si je me débrouillais bien, Endrik serait mort dans les prochaines minutes et Getro serait vengé. Mais il fallait se montrer habile et rapide. Et la première étape de mon plan débutait maintenant.

Expirant lentement, je m’exclamais alors :
- "Dis-moi Endrik, toi qui semble attaché à l’honneur, que dirais tu si tu apprenais qu’il y a un traître dans vos rangs."
- "Je te demanderai qui est ce traître !", assura-t-il en retour
- "Et alors je te répondrai qu’il est juste derrière toi, à cet instant précis !"
Un silence pesant s’imposa alors. Je compris que j’avais fait mouche. Poussant mon avantage, je continuais d’une voix pleine de détermination :
- "Oui Endrik, Tomek est un traître et un lâche. Celui que tu dois considérer comme ton ami t’a vendu à la République. C’est lui qui nous a prévenus que vous alliez attaquer la centrale. Et c’est grâce à ses précieux renseignements que nous avons pu vous tendre un piège… Te tendre un piège Endrik."
Je vis alors qu’Endrik avait disparu de la fenêtre et qu’il avait probablement pivoté vers le jeune homme qui se trouvait derrière lui. Et malgré la douleur provoquée par la mort de Getro, je ne pus m’empêcher de sourire. L’avantage venait de changer une nouvelle fois de camp.

***

Je pivotais violemment sur moi-même et dévisageais Tomek qui venait de faire plusieurs pas en arrière, jusqu’à heurter le mur de la pièce. Et je lus dans son regard quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant : de la culpabilité. Je compris alors qu’Epsilon m’avait dit la vérité. Les yeux écarquillés de stupeur, je lançais d’une voix pleine de colère :
- "Pourquoi ? Pourquoi as-tu fais ça ?"
- "Je… Je…"
- "Réponds-moi ordure ! Je croyais que nous étions amis tous les deux !"
Je m’aperçus alors que je considérais bel et bien Tomek comme un être qui m’était cher. J’avais essayé pendant des semaines et des semaines de me convaincre qu’il n’était pas mon ami, et pourtant, je venais à l’instant de dire exactement le contraire. Et la situation me déchira d’autant plus le cœur. Les gémissements de Tomek me sortirent de mes pensées :
- "Je n’avais pas le choix Endrik ! Pas le choix ! Ils m’ont forcé, ils m’ont menacé ! J’étais leur pantin ! Un vulgaire pantin !"
Je fis un pas vers lui, mes yeux lançant des éclairs. Je vis Tomek être saisi de terreur et son visage juvénile afficher un air implorant :
- "Je t’en supplie Endrik, pardonne moi ! Tu es une des meilleures choses qui me soit arrivé dans ma vie !"
- "Ca ne t’a pas empêché de me trahir ! Tu m’as sciemment envoyé à la mort ! Mais tu ne m’as toujours pas répondu ! Pourquoi as-tu fait ça ? Pourquoi t’es tu abaissé si bas ?"
- "Ma famille, Endrik… C’est à cause de ma famille."
- "Ta famille a disparu Tomek, ne me mens pas !", rugis-je
- "Ju… Justement ! Elle n’a pas disparu, elle a été faite prisonnière par les troupes de la République. Quand leur général a su que je combattais à tes côtés, il est parvenu à me contacter et à me faire chanter ! Si je l’aidais, si je lui disais où et comment te tuer, il libérerait les miens ! Tu comprends Endrik, il m’aurait rendu ma famille !"
- "Je devrais te fusiller !", hurlai-je
- "Non… Je t’en prie, pardonne moi, je n’avais pas le choix !"
Tomek éclata alors en sanglots, les larmes venant nettoyer une partie de la suie qui lui recouvrait le visage. Et il répéta tout doucement :
- "Je n’avais pas le choix…"

***

Comprenant que tout se déroulait comme je l’avais prévu, je décidais de passer à la deuxième phase de mon plan. Je rejoignis alors à toute allure les autres clones et glissai à l’oreille de l’un d’eux :
- "Continue à lui parler ! Ne t’arrête surtout pas ! S’il t’entend, il croira que je suis toujours là et ne s’attendra pas à ce que je l’attaque."
- "Mais nous n’avons pas la même voix !"
- "Pour les autres, les clones ont tous la même voix. Ils ne perçoivent pas les petites nuances que nous parvenons à détecter entre nous. Fais-moi confiance, il n’y verra que du feu."
- "Et vous lieutenant, qu’allez vous faire ?"
Je regardai une dernière fois la façade de l’immeuble et répondis :
- "En finir… Une bonne fois pour toute !"
Je me redressai alors lentement, enjambai délicatement le tas de gravats, puis sprintai vers l’entrée de l’immeuble, priant pour que Endrik ne se repositionne pas à la fenêtre. Pendant ce temps là, j’entendis un clone s’écrier derrière moi :
- "Alors Endrik, on se sent seul dans des moments pareils, n’est ce pas ? Qu’est ce que cela te fait d’avoir été trahi par ton ami ?"
Il n’y eut bien sûr aucune réponse. Je pénétrai à toute allure dans le hall de l’immeuble et m’immobilisai brutalement. A partir de maintenant, je devais faire preuve de discrétion. Le cœur battant à tout rompre, le fusil pointé devant moi, je m’engageai dans les escaliers sans faire de bruit.

***

Je dominais Tomek de toute ma hauteur, le menaçant du regard, incapable de savoir ce que je devais faire. Je ne devais pas me déconcentrer, j’étais en plein combat et si je ne prenais pas garde, Epsilon pouvait en profiter. Face à un soldat comme lui, toute erreur pouvait être fatale. Fort heureusement, j’entendais toujours sa voix monotone me narguer, ce qui signifiait qu’il n’avait pas bougé. Je regardais une dernière fois Tomek qui ne cessait de pleurer toutes les larmes de son corps et crachais :
- "Tu me fais pitié !"

Tout à coup, j’entendis un craquement terrible, qui me fit instantanément pivoter sur moi-même. J’eus alors juste le temps de voir la porte de l’appartement voler littéralement en éclats, dévoilant un soldat de la République.

Et tout s’emballa…
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