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Chapitre 14 : Accomplir son destin
 
La forêt était dense et verdoyante, ne faillant pas à sa réputation. Les gros troncs étaient si près les uns des autres que leurs branches épaisses et feuillues s’entremêlaient, s’enroulaient et s’enlaçaient, au point de ne plus savoir à quel arbre elles appartenaient. Un cours d’eau clair murmurait à travers le sol spongieux, alimentant en humidité la mousse qui en recouvrait la surface. L’épais feuillage ne faisait pas que dissimuler le grand soleil qui brillait dans le ciel, mais il empêchait également l’air de circuler, augmentant ainsi la température de plusieurs degrés.
Transpirant sous l’effet de la chaleur étouffante, Obi-Wan retira son manteau épais et finit le trajet qui le séparait des ruines en le portant sous le bras. Tout autour de lui virevoltaient des insectes colorés aux longues ailes brillantes et argentées au milieu des grains de pollen nacrés des grystils, qui flottaient silencieusement vers le sol en tournoyant comme de légers flocons de neige au gré d’une courte brise chaude occasionnelle. Nullement dérangés par la présence d’un étranger, les différents vertébrés peuplant les lieux s’adonnaient tranquillement à leurs occupations quotidiennes, chassant, jouant et poussant des cris espiègles et insouciants. Par trois fois déjà, de petits mammifères étaient venus gambader brièvement autour des jambes du Jedi, qui fut à deux doigts de trébucher. Toute cette vie et cette fabuleuse abondance contrastait effroyablement avec la répulsion que provoquait en lui le souvenir des ignominies dont ce même endroit avait été le sinistre théâtre.
Au bout d’une longue marche de plusieurs heures à travers une végétation extrêmement dense, Obi-Wan arriva en vue des ¨ruines¨. Alors qu’il s’était attendu à trouver quelques vieilles pierres éparpillées ça et là dans une petite clairière sombre, ce qui se présenta à lui le stupéfia. Il se figea et prit quelques minutes pour contempler l’immense structure qui s’élevait à une hauteur impressionnante.
Il ne restait certes plus grand-chose du premier rempart qui avait dû protéger la forteresse des centaines d’années plus tôt ; seuls quelques tas de grosses pierres subsistaient encore, ainsi que de simples murets par endroits, mais la seconde muraille était, elle, toujours intacte. A en juger par les morceaux de fer rouillé qui ressortaient de la grande arcade au centre, la herse qui s’y était autrefois trouvée avait depuis longtemps été retirée, et rien ne semblait barrer la route recouverte d’herbe haute qui menait à la première cour intérieure. Derrière le bastion se dressaient les murs, complétés au sommet par trois tours qui avaient connu de meilleurs jours. Les pointes s’étaient écroulées, le trou béant qu’elles laissaient à leur place conférant aux antiques beffrois des airs de cheminées noires et désolées. Un ou deux vitraux ornaient toujours certaines fenêtres rendues opaques par la crasse et la poussière. Mais par-dessus tout, cet endroit, contrairement à la forêt autour, semblait mort. Froid. Lugubre. Insurmontable.
Obi-Wan inspira une fois, puis relâcha son souffle, évacuant tout le stress superflu qu’il avait accumulé. Le moment était venu d’agir, et mettre un terme à ce qui avait bien trop duré. Il n’avait pas eu beaucoup de temps pour s’habituer à combattre sans l’aide de la Force, mais il faudrait qu’il se contente de ce médiocre entraînement.
Il ferma les yeux et prit conscience de l’énergie qui l’entourait dans ses moindres détails afin de pouvoir ensuite la bloquer efficacement, directement à la source. Il fut sur le point d’y parvenir quand une présence vive et pénétrante attira son attention et le força à perdre sa concentration, rappelant la Force jusqu’à lui. Il remarqua alors une chaleur particulière contre son torse, et porta une main sur sa tunique. Il sourit en allant fouiller dans la poche intérieure, pour en retirer une pierre sombre, presque noire mais striée de rouge, qui semblait pulser dans la paume de sa main. Sa pierre, tirée tout droit de la Rivière de Lumière, cadeau de Qui-Gon pour son treizième anniversaire et qui avait définitivement scellé leur lien maître-padawan douze ans plus tôt. Il se rappelait encore sa surprise lorsqu’il avait découvert que cette pierre était sensible à la Force.
Obi-Wan referma ses doigts sur sa seule réelle possession, son bien le plus précieux, qui répondit à son toucher en s’illuminant un peu plus. Il ne pouvait cependant pas la garder avec lui, car tant qu’il la porterait, il lui serait impossible de se séparer totalement de la Force. Ses yeux survolèrent les alentours, puis trouvèrent un large muret qui lui arrivait à la taille, et sur lequel il finit par déposer délicatement son manteau et sa ¨pierre de rivière¨. Il la récupérerait en repartant, se promit-il, refusant d’envisager l’échec. Il s’en détourna vite, sans laisser la place au doute, et avança en un bruissement à travers l’herbe rendue jaune par les rayons impitoyables du soleil. Reprenant les étapes l’une après l’autre, il appréhenda la Force dans sa totalité, puis, au prix d’un incroyable effort, commença petit à petit à bloquer ses sens, à refuser la présence de cette énergie qu’il considérait comme une partie de lui-même et dont il avait appris à dépendre comme de l’air qu’il respirait. Il pouvait percevoir la ténacité de la Force, qui refusait de l’abandonner, revenant à lui dès qu’il perdait un peu de concentration. Alors Obi-Wan tomba à genoux, se recroquevilla, et supplia l’énergie de le pardonner au moment où il érigea un immense barrage mental. Et l’espace d’une seconde, il ne fut plus conscient de rien si ce ne fut de l’atroce rupture qui lui donna l’impression de s’arracher un morceau de sa propre âme. Puis il resta là, prostré à terre quelques instants, tandis que le monde autour de lui avait changé de manière radicale, ayant perdu toute couleur, tout mouvement, toute vie. Il se releva lentement, ne remarquant même pas l’unique trace humide sur sa joue, et se remit en route vers l’intérieur du château.
Il passa sous l’arcade, par la première entrée, construite d’un seul énorme rocher taillé. D’anciens gonds étaient encore apparents, ainsi qu’un reste de console électronique qui, avec le temps et le progrès de la technologie, avait succédé à la porte d’origine. La cour intérieure n’était pas très grande, mais le manque de décoration et l’absence de sculptures la rendaient plus vaste. Là-aussi la végétation avait repris ses droits et envahi l’espace, recouvrant presque en totalité les dalles du sol, et Obi-Wan se demanda un instant pourquoi la créature occupant les lieux n’avait pas empêché l’édifice de tomber en ruine.
Le chevalier avança jusqu’au bâtiment principal, allant au hasard, et fut tenté une fois à l’intérieur d’allumer son sabre laser afin de mieux voir dans l’obscurité omniprésente. Il emprunta un étroit escalier en colimaçon, s’aidant du mur froid pour ne pas perdre l’équilibre sur les petites marches pas même assez larges pour y poser son pied en entier. Ses pas résonnaient sur la pierre étrangement humide qui ruisselait par endroits, et même l’écho de sa respiration lui semblait étrangement amplifié. Il monta pendant une éternité, voyant la cime des arbres autour s’éloigner à travers les meurtrières, jusqu’à ce qu’il arrive enfin au sommet de l’aile où il se trouvait. Il s’arrêta le temps de reprendre son souffle et en profita pour observer le décor, regrettant amèrement l’absence de la Force qui lui aurait permis de sonder la grande salle dans sa totalité en un temps record.
Aux murs pendaient tristement de vieilles tapisseries déchirées et ternies et quelques armes antiques rouillées qui auraient eu leur place dans un musée ; les hautes fenêtres n’étaient plus que des trous dans les murs gris foncé et laissaient entrer des courants d’air tièdes. Plusieurs colonnes se dressaient encore, mais ne retenaient plus le plafond dont les misérables restes gisaient sur le sol. Quelque chose dans cet endroit troubla le chevalier. Peut-être était-ce cette désolation plus prononcée encore qu’ailleurs dans le château, ou bien l’étrange familiarité des lieux, mais quoi que ce fut, il ne voulut pas se permettre de se déconcentrer afin de mieux comprendre, au risque d’autoriser la Force à revenir à lui, ce qui avec un ennemi comme celui qu’il venait affronter signerait sa perte.
La chaleur de l’après-midi arrivait jusqu’à lui par effluves, mais ne parvenait pas à faire monter la température à l’intérieur des murs. Obi-Wan frissonna et voulut resserrer sa cape autour de lui, puis se souvint l’avoir laissée en bas, et se remit donc à avancer vers l’autre bout de ce qui avait dû être une salle de réception. Il ne comprit pas pourquoi, mais petit à petit il commença à se crisper, à avoir les mains moites et la gorge serrée. Sa main gauche ne cessait de vérifier que son sabre était toujours bien accroché à sa ceinture et ses pas se firent incertains, presque chancelants. Ce dont la Force ne put l’avertir décida de se manifester alors qu’il était à mi-chemin à travers la pièce.
Un léger crissement de pierres lui parvint depuis le sombre couloir en face de lui, et avant même que la silhouette vaporeuse ne lui apparaisse en entier, il avait décroché son arme, l’avait activée, et la tenait devant lui, prêt à répondre à toute menace.
-Quel manque de courtoisie, remarqua une voix grave et au timbre asexué mais qui, sans la Force, paraissait néanmoins chaleureux.
Sans bouger un muscle, Obi-Wan dévisagea l’inconnu. Le Omyn sortit de l’ombre et entra dans la salle, se frayant agilement un chemin entre les grosses pierres couchées au sol. Son corps longiligne mais guère plus grand que le chevalier était couvert d’une simple toge grossière de tissu gris et épais, et de lourdes bottes de cuir usé.
-N’avancez pas, prévint le Jedi, qui fut surpris de ne pas entendre sa voix vaciller.
La créature obéit docilement et s’arrêta, croisant les mains.
-Mon nom est Saern, déclara-t-il avec une douceur suspecte, un sourire factice en travers de son visage à l’apparence très humaine.
-Je crois que je n’ai pas besoin de me présenter, rétorqua Obi-Wan.
-Tu as donc l’intention de me tuer ?
Le jeune homme fronça les sourcils, troublé.
-Ton sabre, expliqua le Omyn. Tu l’as bien sorti pour une raison…
Obi-Wan força ses bras à se détendre et prit une position prudente, mais moins menaçante.
-Vous ne m’en voudrez pas de prendre mes précautions, remarqua-t-il. Je ne suis pas venu pour vous tuer. Mais je fais appel à votre bon sens. Rendez-vous à la justice.
-La justice ? Mais qu’est-ce que la justice ? ricana Saern en se remettant à marcher vers le Jedi. Etre enlevé à son peuple à son plus jeune âge ? Etre traité comme un animal ? Etre condamné à survivre misérablement dans la décrépitude ?
-Payer pour ses crimes ! Pour avoir tué des innocents, pour avoir fait souffrir tant de monde, riposta Obi-Wan.
-Pour t’avoir fait souffrir toi, chuchota doucement le Omyn.
Le jeune homme secoua férocement la tête.
-Je suis un Jedi. Je ne viens pas me venger.
-Soit, sourit encore Saern. Je vois en tout cas que tu as su trouver ton chemin jusqu’à moi…
-Grâce à Lay. Comment avez-vous fait ?
-Je savais que tu étais sur Coruscant, et j’ai aussi appris qu’après toutes ces années, une déléguée de Panescan allait s’y rendre à son tour. Elle a été mon catalyseur pour te joindre.
Toujours à bonne distance du Jedi, Saern se mit à tourner lentement autour de lui, fixant la lame bleue qui le suivait invariablement. A présent Obi-Wan pouvait voir les détails de son visage tellement pâle qu’il lui était presque possible de discerner les muscles et les tendons en-dessous. La peau qui normalement aurait dû être lisse se fendillait étrangement.
-Il m’a fallu trois mois pour arriver à isoler sa signature personnelle dans la Force. Dès que j’y suis parvenu, je l’ai tout simplement imprégnée de sentiments que toi seul pourrais reconnaître.
-¨Tout simplement¨, fit Obi-Wan. Mais encore ? Expliquez-vous. Quels sentiments ?
-Disons juste que… l’expérience que j’ai vécue avec ton père m’a permis de le connaître dans toute sa profondeur, et d’appréhender ses pensées les plus intimes…
Obi-Wan serra les dents, écœuré au plus haut point par l'irrespect du Omyn, mais ne voulut pas l’interrompre avant d’avoir tout compris.
-J’ai pu reproduire les sentiments qu’il avait pour toi et qu’il vous arrivait d’échanger…
-Et vous les avez projetés sur Lay Jooles en sachant que je les remarquerais, devina-t-il.
Saern souriait toujours, peut-être parce qu’il était satisfait de lui, ou bien pour faire sortir Obi-Wan de ses gonds, ou même les deux à la fois.
-Pourquoi mon père ? Pourquoi moi ? voulut savoir le jeune homme.
Saern soupira.
-Regarde autour de toi. Depuis tant d’années que j’en ai perdu le compte j’ai vécu ici, sans jamais pouvoir sortir. Cette forteresse est entourée d’une forêt de grystil, et il m’est impossible de la traverser sans y perdre la vie. J’ai besoin de force pour y parvenir, d’une réserve assez grande pour me permettre de tenir jusqu’à la sortie, et les Jedi sont parmi les êtres qui ont le plus de puissance à offrir.
-Il n’y a pas que ça, contredit Obi-Wan. Vous aviez pris mon père pour cible bien avant de comprendre que vous pourriez sortir grâce à un Jedi.
Le sourire fut de retour.
-En effet. Je puise la puissance d’une créature en ouvrant son esprit au mien, me permettant d’avoir une vue de premier choix au fond de son âme, si tant est qu’elle en ait une. Et quoi de plus satisfaisant que de pouvoir s’approprier ce qu’il y a de plus beau et de plus pur ?
-S’approprier ? souffla Obi-Wan, interdit, reculant involontairement.
Comme si le jeune homme n’avait été qu’un simple ami de longue date, le Omyn s’appuya sur une colonne, l’air nostalgique.
-Une droiture si parfaite, une sérénité et une honnêteté presque innocentes. Tu n’imagines pas ce que c’est de pouvoir effleurer cet idéal, de sentir couler sa douceur exquise juste là, sous tes doigts, envahir chaque parcelle de ton corps, illuminer tes cellules… La faire tienne.
Saern se perdit dans un frisson de délectation avant de reposer ses petits yeux rapaces sur Obi-Wan.
-Et toi…, reprit-il avec son éternel sourire.
-Oui, moi, coupa Obi-Wan. Mon père, je comprends, il vivait ici, vous aviez eu le temps de le repérer et de savoir qu’il…
Il ne put se résoudre à continuer.
-Tu te crois moins puissant ? Moins spécial ? compléta Saern. Et c’est là où tu te trompes.
Le Omyn se redressa et se rapprocha du Jedi, dont la lame bleue les séparait toujours.
-Tes semblables sont soit trop bêtes pour le remarquer, soit assez déloyaux pour ne pas te l’avoir dit.
-Dit quoi ?
-Tu as un potentiel qu’aucun autre Jedi n’a, et le pire est que tu l’ignores.
Obi-Wan secoua la tête, refusant de laisser Saern semer la confusion dans son esprit.
-Je sais ce que je vaux. Je suis un bon Jedi, au-dessus de la moyenne d’après certains de mes maîtres, mais je suis très loin d’être le meilleur. Et ce n’est pas ce que je recherche.
Saern le regarda comme un enfant qui aurait encore beaucoup à apprendre.
-Je ne parlais pas d’un potentiel physique, jeune Jedi, corrigea-t-il. Mais de ce que tu as en toi. Dans ton cœur.
Obi-Wan balaya l’air avec son sabre laser, à la fois pour détendre ses muscles et pour couper court à la conversation.
-Comment pourriez-vous bien le savoir ? Ca suffit. Rendez-vous.
Saern n’essaya pas de reculer, et s’inclina humblement.
-Je le sais parce que la Force me parle, et j’ai pu lire en toi. Gâcher ton excellence en l’offrant en pâture à la République serait une honte, c’est pourquoi j’entends bien en faire meilleur usage. Ta puissance est très grande, jeune Kenobi, ta faculté à te séparer de la Force le prouve. Et je vais aimer te la prendre.
Il se redressa lentement.
-Mais si tes boucliers sont trop grands, et que cela m’est impossible, j’aurai au moins un honneur. Etre celui à t’avoir détruit.
Comme sorti de nulle part, un sabre laser fut soudain dans la main du Omyn. Il avait dû le récupérer sur le corps d’un des Jedi qu’il avait tués. Obi-Wan, privé de ses fulgurants réflexes, ne put totalement esquiver le coup, et sentit une intense brûlure sur son bras. Inspirant une courte bouffée d’air, il n’eut pas le temps d’inspecter sa blessure, car son ennemi, qui de toute évidence maîtrisait particulièrement bien les techniques de combat à l’épée, revenait à la charge. Il bloqua adroitement une seconde attaque, puis contra un coup dirigé vers ses jambes, virevolta, fendit l’air avec son sabre dans le but de désarmer son adversaire, mais celui-ci contrecarra sa tentative en relevant subitement son bras gauche. Les lames, toutes deux bleues, s’entrechoquèrent en une pluie d’étincelles, et Obi-Wan put sentir le choc remonter le long de ses bras. Les deux combattants se disputèrent l’avantage pendant plusieurs secondes, les yeux dans les yeux, mesurant l’endurance de l’autre. Kenobi était tellement occupé à surveiller la moindre faille dans le regard du Omyn qu’il ne décela pas la légère oscillation de son sabre, et l’arme de Saern glissa sur sa lame, pour aller ronger la peau de son autre bras. Obi-Wan ravala un cri et fit un saut maladroit en arrière, manquant de perdre l’équilibre.
Combattre sans la Force était encore plus dur qu’il ne l’avait prévu, comme si ce qui coordonnait ses gestes l’avait déserté, et le laissait se déplacer dans un environnement à l’apesanteur décuplée. Un poids semblait alourdir ses membres et les priver de leur ressort habituel.
“Sans parler des réflexes”, se rappela-t-il en évitant un coup latéral qui aurait pu aisément le découper en deux.
-Tu vois, Jedi, remarqua Saern qui le taquinait en remuant sa lame devant lui. Que tu te coupes ou non de la Force, c’est à mon avantage.
Il relança son assaut impitoyable sur le jeune Jedi en une série parfaitement combinée de frappes, de tournoiements, de coups brusques dirigés tour à tour vers son torse et sa gorge, ou destinés à lui trancher un bras ou une jambe.
Saern fut tout de même forcé d’admettre que malgré son handicap, Obi-Wan restait un jeune homme vif et alerte, qui avait bénéficié d’un entraînement physique rigoureux tout au long de sa vie, et dont il ne viendrait pas aisément à bout. Il en était d’ailleurs réjoui. Il savourerait avec plaisir sa rencontre avec cet être unique et exceptionnel, il profiterait de sa présence comme il avait profité de celle de son père, prendrait le temps de l’observer et de graver dans sa mémoire chacun de ses gestes, chaque mouvement de muscle, chaque regard et chaque inflexion de sa voix. Tant de noblesse comme il n’en aurait jamais, si ce n’est pendant ce court instant où son esprit fusionnerait avec le sien et où il pourrait goûter à ce trait de caractère qui lui était inconnu.
Le Omyn feignit une attaque vers les chevilles du Jedi, que celui-ci para au dernier moment, puis en profita pour lui envoyer un puissant coup de pied au thorax. Le souffle coupé, Obi-Wan ne put éviter le revers de la main de Saern, qui le frappa violemment au visage. Un éclair de douleur aveugla momentanément le Jedi, et du sang au goût cuivré provenant d’une coupure à sa lèvre inférieure vint inonder sa bouche. Il en recracha une partie tandis qu’il retrouvait son équilibre.
-Tu en as assez ? ricana son adversaire.
Obi-Wan essuya au dos de sa main un mince filet de sang qui avait coulé sur son menton.
-Je ne céderai pas, se borna-t-il. Ce combat sera fini avant que je renonce ou que je perde ma concentration.
Saern abattit son sabre sur celui du Jedi.
-En es-tu si sûr ? C’est aussi ce que croyait ton père, avant que je ne le tue.
Le jeune homme pinça les lèvres et eut du mal à parer l’attaque suivante.
-Est-ce que ça t’ennuie que je t’en parle ? fit le Omyn d’un ton innocent. Oh j’ai bien essayé de faire en sorte qu’il ne souffre pas, mais il m’a tellement résisté…
Il tourna vivement sur lui-même et assena un nouveau coup arrêté de justesse par le chevalier.
-Il a cru jusqu’au bout qu’il survivrait ! rit cruellement la créature.
Saern gifla encore le Jedi au même endroit, n’attendant pas qu’il se redresse pour poursuivre son attaque en faisant adopter une courbe à son sabre, dont la lame d’énergie bleue rencontra celle d’Obi-Wan en un éclair grésillant. Le jeune homme parvint à prendre le dessus et à repousser son ennemi, juste le temps de rajuster ses boucliers mentaux qui avaient failli basculer.
-Mais si vous avez réussi à prendre la force de mon père, pourquoi n’êtes-vous pas parti ? demanda-t-il afin d’arrêter l’affrontement un court instant.
Saern recula encore d’un pas et se remit en position offensive.
-Parce que je n’ai pas pu aller jusqu’au bout. J’ai été interrompu, répondit-il. J’ai dû retourner me cacher le temps de récupérer, et quand j’étais de nouveau en état, je n’avais déjà plus assez de force. Mais ce que je lui ai pris a suffi à tuer ton père.
Obi-Wan se souvint alors ce qu’il avait lu sur le métabolisme des Omyns dans ce que lui avait transmis Bant. Le stress imposé à leurs cellules demandait aux créatures un certain temps afin de s’en remettre, et lors du transfert de Force dans leurs midi-chloriens, aucune interruption ne pouvait être tolérée, car une fois qu’ils étaient arrêtés, ils ne pouvaient recommencer immédiatement.
-Mais peut-être ne me crois-tu pas, sourit Saern, une idée lui venant soudain. Je me rappelle des moindres détails.
Il marqua une pause et en quelques secondes retrouva la signature estompée d’Obi-Wan dans la Force.
-Peut-être as-tu besoin de revoir ce qui s’est passé ce jour-là…
Saern désactiva son sabre laser sous les yeux stupéfaits d’Obi-Wan. C’est alors que l’esprit du jeune Jedi fut inondé d’images du passé qu’il fut forcé de voir à nouveau.

~*~


Il n’avait pas emprunté cette route depuis vingt-cinq ans, et pourtant il se souvenait des moindres détails du parcours. Il connaissait un raccourci à travers bois qui lui avait fait gagner plus d’une demi-heure, mais il ne ralentit jamais son allure, ignorant totalement le paysage et l’activité alentour, lui qui ne jurait que par la Force vitale. Relativement essoufflé par ses enjambées plus grandes encore qu’à son habitude, il avait depuis plusieurs heures perdu la capacité d’apaiser son esprit. Il était arrivé à Vestenda et s’était précipité chez Eanel Kenobi, pour être accueilli par la voisine, Roen Istesna, et un petit garçon de quatre ans qu’il déduisit être son fils. Il avait ordonné à Anakin de rester avec eux et était immédiatement parti pour les…
Les ruines. Il y était enfin. La grande masse aux pierres volcaniques sombres n’avait pas changé. Toujours aussi haute, délabrée et hostile. Il put se rendre compte que la forêt de grystil s’en était encore un peu rapprochée, menaçant la créature qui y était séquestrée. Qui-Gon Jinn ferma les yeux et se concentra, espérant parvenir à localiser son ancien apprenti dans la forteresse. Il chercha sa signature psychique, mais dut renoncer au bout de quelques minutes. Aucun signe de sa présence. Il ne sut si cette absence était due à la destruction récente du lien mental qui les avait unis lorsqu’ils étaient encore maître-padawan, ou bien si Obi-Wan se dissimulait volontairement, ou encore si… s’il avait disparu définitivement.
Réprimant un élan de panique, Qui-Gon força ses nerfs à se calmer, quand du coin de l’œil il aperçut un point lumineux. Le soleil devait se refléter quelque part. Il tourna la tête et découvrit la bure d’Obi-Wan soigneusement repliée sur un muret dont il s’approcha. Juste à côté du manteau sombre, une pierre. Mais pas une pierre comme les autres. Celle-ci…
… était claire et transparente, minutieusement taillée dans un cristal très pur provenant des montagnes de l’autre côté de la planète. Qui-Gon se pencha et prit dans sa main ce qui s’avéra être un fin pendentif représentant deux dragons s’étreignant l’un l’autre. Les figures étaient si précises que le Jedi pouvait discerner les écailles sur le corps ondulant des deux animaux.
“C’est… Eanel qui me l’a offert un peu avant notre mariage”.
Qui-Gon passa résolument la chaîne autour de son cou et se décida à pénétrer dans le château. A peine entra-t-il dans le premier bâtiment qu’un courant d’air âcre agressa ses narines, et il sut qu’il était au bon endroit. L’air était emprunt d’électricité et de cette odeur caractéristique créée par l’entrechoquement de sabres laser. Sans même y penser, il grimpa les marches qui se trouvaient directement devant lui, et ne s’arrêta qu’au sommet, refusant de perdre du temps pour reprendre son souffle. Lorsqu’il entra dans la grande salle, tout sembla se dérouler au ralenti. Il vit d’abord son ami debout au milieu, puis la créature en face de lui, dont les mains étaient fermement pressées sur les tempes de sa proie. Tout ce que Theran pouvait faire était essayer faiblement de le forcer à lâcher prise. Qui-Gon ne se rendit pas compte qu’il avait sorti son sabre avant que le Omyn, dont le front était presque collé à celui du jeune chevalier, ne tourne la tête dans sa direction au moment même où Theran perdait la bataille, laissant ses bras tomber mollement le long de son corps. La créature se détacha alors brusquement de lui, comme déconcentrée, et Theran Kenobi s’effondra.
Les secondes qui suivirent furent floues pour Qui-Gon, qui ne vit pas le Omyn ramper vers une sortie secrète connue de lui seul et disparaître. Il se retrouva sans le savoir agenouillé à côté de Theran, et s’entendit l’appeler, comme de très loin, détaché de cette situation qui ne pouvait pas arriver, qui ne pouvait être réelle. Les yeux du chevalier étaient presque fermés et les pupilles trop dilatées qui obscurcissaient le bleu-vert des iris semblaient fixer un point vague dans l’espace.
- Theran ! répéta Qui-Gon, affolé.
Et très lentement, le regard vide du Jedi reprit un peu de vigueur et se posa sur lui.
- Qui-G… Q.. Qui-Gon…, souffla-t-il avec difficulté.
Celui-ci, effrayé par la fatigue de son ami, laissa éclater sa colère née de la peur.
- Pourquoi es-tu venu ici ?! Par tous les Sith, Theran !! cria-t-il en le secouant par les épaules.
- Le c… qu’a dit… le conseil ? demanda le jeune homme, incapable de rester focalisé sur le visage de Qui-Gon.
Le maître Jedi ne sut quoi répondre. Devait-il lui dire que le conseil s’était une fois de plus rangé de son côté, et qu’avec son aide tout ceci aurait pu être évité ?
- Ils ont refusé, décida-t-il de mentir, choisissant de ne pas le culpabiliser.
Le chevalier convulsa brièvement et Qui-Gon le prit dans ses bras afin de le soutenir. Quand le malaise fut passé, Theran gémit doucement.
- Je suis désolé, dit-il, des larmes brillant dans ses yeux clairs.
Qui-Gon resserra son étreinte sur lui et ravala le nœud qui s’était formé dans sa gorge en sentant les forces de son ami l’abandonner.
- Tu ne peux pas mourir, Theran ! Tu ne dois pas ! Tu es père de famille ! Ils ont besoin de toi…
Jinn sentit son cœur se briser quand tout à coup le jeune homme perdit tout contrôle et se mit à sangloter. Il se rappela alors pour la première fois depuis bien longtemps que Theran avait beau être un Jedi, il n’avait que vingt-six ans. Et il était mourant.
- Force, Qui-Gon…, se lamentait-il. Je ne… je ne veux pas… les laisser… Aide-moi…
Jinn le berça contre lui, ne sachant quoi faire d’autre. Puis quelque chose sembla changer dans le comportement du jeune homme. Il se ressaisit subitement, et plongea son regard dans les yeux de son aîné tandis qu’une dernière larme roulait le long de sa joue.
- Promets-moi… Obi-Wan… Il ne doit jamais savoir. Il… ne doit jamais essayer de l’affronter… Je t’en prie.
Qui-Gon fronça les sourcils, puis hocha la tête.
- Tu as ma parole, il n’en saura rien. Nous y veillerons tous.
Theran soupira de soulagement en fermant les yeux, pour ne jamais les rouvrir. Qui-Gon continua de le bercer, tout en essayant d’apaiser la douleur de son ami dans ses derniers moments. Il ne pouvait pas imaginer la vie sans les plaisanteries douteuses de son ami. Il n’avait jamais envisagé le vide que pourrait causer son départ. Malgré ses inquiétudes, il avait toujours pensé qu’il arriverait à temps. Il ne pouvait pas le perdre, il ne pouvait pas !
La main de Theran relâcha doucement sa prise sur la manche de Qui-Gon et tomba sur les dalles lisses et froides. Le maître se pencha en avant et enfouit son visage dans l’épaule du jeune homme dont la présence chaude et vibrante dans la Force s’estompa lentement, puis disparut, s’effaçant à jamais.
Accablé, Qui-Gon n’osa plus bouger, pensant à l’ami qu’il venait de perdre, et à la famille qu’il laissait derrière lui. Alors il se laissa enfin aller à ses émotions et autorisa les sanglots qu’il avait retenus à secouer sa large silhouette.


~*~


Les pleurs de son ancien maître résonnaient encore dans son esprit quand la vision projetée par le Omyn s’acheva. Obi-Wan eut à la fois envie de hurler, d’abattre cette cruelle créature et de se recroqueviller dans un coin pour disparaître. Il ne fit aucune de ces trois choses, trop désorienté pour savoir laquelle serait la plus satisfaisante, et resta donc planté où il se trouvait, laissant inconsciemment quelques larmes couler sur son visage. Saern n’avait pas bougé non plus, observant attentivement ses moindres réactions. Il s’aperçut que les mains tremblantes du Jedi n’arrivaient presque plus à serrer le sabre, et sut qu’il avait atteint son but.
-Eh bien…, remarqua-t-il d’un ton suave. Aurais-je réussi à te faire perdre ta concentration ? Tant de discipline si vite oubliée à la plus petite contrariété…
La moquerie ne toucha même pas le chevalier, qui ne se rendait plus totalement compte de son environnement, se repassant mentalement la terrible scène. Le regard de son père. L’étreinte de Qui-Gon. La souffrance. L’incrédulité.
-Enfin il est vrai qu’avec ton père ça avait été encore plus facile, continuait le Omyn. Il a simplement fallu que je prononce une seule fois ton nom.
Obi-Wan entendait bien les railleries mais elles n’arrivaient pas à l’affecter, et il se demanda vaguement pourquoi. Tout semblait si loin, si irréel et futile. La seule chose dont il était parfaitement conscient restait cette désolation, ce mal profond et omniprésent qui engourdissait sa perception. Il savait qu’il était en danger, et qu’il ne maîtrisait plus vraiment son arme, il sentait ses barrages mentaux se désagréger lentement et réalisait qu’il ne tiendrait plus longtemps. Mais étrangement, ça ne semblait plus avoir d'intérêt à ses yeux. A présent, peu importait ce que le Omyn avait l’intention de lui faire. Rien ne pouvait l’indifférer davantage. Une partie de lui-même se rebellait à cette pensée, et s’acharnait à lui dire que cela ne lui ressemblait pas, qu’il n’avait pas l’habitude d’abandonner. Obi-Wan fut sur le point d’écouter cette petite voix et de se ressaisir quand une autre, bien réelle, interrompit ses réflexions.
-Obi-Wan ! Ecarte-toi !! cria Qui-Gon en entrant précipitamment dans la pièce.
Il n’en fallut pas plus pour complètement déstabiliser le jeune homme. Il n’eut pas le temps de se demander ce que son ancien maître faisait là, car tous ses sens profitèrent de son inattention pour prendre le dessus. Il ferma les yeux, submergé par l’intensité de ce qui lui arrivait tandis que la Force revenait subitement à lui. Ce retour fut tellement brutal qu’un champ magnétique se créa tout autour de lui en l’espace d’une seconde. Qui-Gon, qui s’était précipité dans sa direction, fut pris par surprise et violemment projeté en arrière, allant se cogner la tête contre des débris. Il fut instantanément assommé. Obi-Wan de son côté se paralysa, incapable de faire quoi que ce fût le temps que la Force ait fini de le regagner, et relâcha malgré lui son sabre laser, qui tomba sur la pierre en un cliquetis.
Au milieu de ce chaos, seul Saern resta de marbre, car depuis longtemps préparé pour ce moment qu’il avait tant attendu. Aussi rapide que l’éclair, il s’approcha d’Obi-Wan, leva le manche de son sabre désactivé haut dans les airs, et l’abattit brutalement sur le visage du jeune homme, ne l’autorisant pas à reprendre ses esprits. Le Jedi tomba avec un cri lorsque le coup ouvrit une plaie profonde en arc de cercle sous son œil gauche. Profitant de l’étourdissement passager, le Omyn attrapa Obi-Wan par les tempes et le souleva jusqu’à ce qu’il se trouve presque nez contre nez avec lui.
Alors le supplice commença.
Au début, Obi-Wan ne sentit rien à part la présence du Omyn, qui cherchait à se frayer un chemin entre ses premières défenses juste à l’entrée de sa conscience. Puis Saern dut trouver une faille qui lui permit de s’insinuer plus loin dans l’esprit du Jedi. Il eut alors accès à la surface du mental d’Obi-Wan, aux émotions prédominantes faciles à distinguer. Le chevalier sentit la Force bouger en lui, dans toutes les fibres de son corps, l’envahir de sa chaleur et de sa lumière éclatante. Il eut presque envie de se laisser aller à la caresse réconfortante, mais Saern ne lui en laissa pas la possibilité. Il se saisit du flux avec une étonnante facilité et commença petit à petit à le diriger vers lui, sans qu’Obi-Wan ne puisse l’en empêcher. S’étant volontairement coupé de la Force à peine quelques instants plus tôt, il n’avait pas eu le temps de la maîtriser à nouveau, et même s’il arrivait à la percevoir tout près de lui, à sa portée, il n’avait pas pu l’appréhender avant le Omyn. Celui-ci s’était littéralement mis à pomper toute son énergie, et Obi-Wan pouvait la sentir partir lentement, inexorablement, emmenant avec elle toute sa vigueur en un fleuve de souffrance. La douleur physique que lui provoquaient ses blessures n’était rien en comparaison de cette énorme entaille béante dans son esprit rendu fragile et vulnérable par le manque de protection psychique et l’invasion impitoyable de la créature qui lui volait son énergie.
Saern sentit les mains d’Obi-Wan agripper les siennes, comme l’avait fait son père vingt-cinq ans plus tôt pour essayer de le faire lâcher prise, et il sourit tout en continuant d’absorber cette substance immatérielle vitale. Mais il ne voulut pas se contenter de ce maigre contact. Aussi décida-t-il d’utiliser tout son talent pour plonger au fond du mental du Jedi et peut-être avec de la chance, effleurer cette âme pure et parfaite qui ne demandait qu’à être profanée. Il piqua comme une flèche à travers les dernières couches protectrices du chevalier, se moquant complètement du mal qu’il pourrait causer en se forçant un passage d’une telle manière. Obi-Wan commit l’erreur de résister jusqu’au bout, et ne put retenir un cri de douleur au moment où ses faibles défenses furent sauvagement lacérées. S’il ne voulut pas regarder dans l’esprit maintenant uni au sien, son adversaire ne s’en priva pas. Insensible aux gémissements désespérés du jeune homme paniqué face à ce voyeurisme et qui se débattait sous ses mains, Saern prit le temps de découvrir chaque pensée et souvenir - bon ou mauvais - du chevalier. Il reconnut un petit garçon incertain dont le vœu le plus cher était de devenir un grand Jedi, il vit ces mêmes rêves détruits par un grand maître réticent, puis enfin exaucés ; il vit les visages rieurs de trois autres apprentis qui avaient partagé ses hauts et ses bas. Il aperçut rapidement des scènes de carnage sur des planètes lointaines, ressentit de brefs flashs de tristesse et des rayons d’espoir qui avaient permis au padawan de surmonter les pires épreuves.
Obi-Wan fut forcé de revivre tous ces événements avec son tortionnaire, et dès qu’il essayait de dissimuler quelque chose de particulier ou d’intime qu’il n’avait jamais partagé avec personne, pas même avec Qui-Gon, Saern se l’appropriait cruellement. Il en fut ainsi de moments magiques tels que celui où sa paume avait enfin touché celle de Cerasi et où ils s’étaient promis d’être une famille, ou encore de ce jour où Yoda lui avait montré un petit jardin au temple inconnu de tous sauf d’eux. Un désespoir poignant s’empara d’Obi-Wan, qui voyait, impuissant, toute sa personne souillée. Et pendant tout ce temps, le Omyn ne cessait d’absorber régulièrement sa Force vitale, l’affaiblissant de seconde en seconde. Bientôt il ne lui resterait plus rien pour combattre cet assaut.
C’est alors que Kenobi arrêta de remuer et se figea. Ce rythme qu’avait adopté le Omyn pour ingurgiter la Force était bien trop mesuré pour n’être qu’un moyen de prendre son temps. Et il comprit. Un Jedi savait parfaitement que même si une quantité considérable de Force était à sa disposition, il était très dangereux de l’exploiter en une seule fois, car le résultat de la pression imposée à ses midi-chloriens pouvait s’avérer hasardeux, voire même fatal. Si le corps d’un Omyn était très différent de celui d’un humain, les midi-chloriens devaient sans doute partager cette fragilité. Peut-être que s’il envoyait plus de Force qu’il n’était possible au Omyn de tolérer, alors il arriverait à en venir à bout… En espérant que ses propres midi-chloriens ne cèdent pas avant.
Obi-Wan inspira à fond et se détendit, laissant sa colère et sa peur le quitter doucement. Puis il se concentra, appela ses dernières réserves de Force jusqu’à lui, et relâcha le Omyn.

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Qui-Gon Jinn revint lentement à lui, et avec la conscience retrouva-t-il également un terrible mal de tête. Sur le moment, il ne se souvint ni de l’heure, ni de l’endroit où il était. Il garda les yeux fermés et tâta le sol, trouvant rapidement une colonne à quelques centimètres de lui. Il se releva sur un coude, puis entreprit de se relever en s’aidant du morceau d’architecture, se demandant pendant une fraction de seconde s’il était tombé de son lit, et surtout ce que pouvait bien faire une colonne dans sa chambre. Mais à peine eut-il fini de se poser la question qu’il réalisa où il se trouvait et écarquilla les yeux, ignorant la sensation de tournis qui l’accueillit. Il se força à reprendre ses esprits et, le dos toujours calé sur la colonne pour éviter de retomber par terre sous le coup du vertige, chercha son ancien apprenti du regard.
Jinn crut pendant un instant avoir été transporté dans le passé, condamné à contempler encore la mort de son ami, victime du Omyn, mais cette fois-ci Theran n’avait plus sa barbe. Puis il réalisa avec horreur que la personne qui gesticulait faiblement à quelques mètres de lui, le visage crispé et baigné de larmes, était Obi-Wan. Pétrifié par une peur certes indigne d’un maître Jedi, mais bien légitime pour un homme dont l’enfant agonisait juste devant ses yeux, Qui-Gon ne put trouver la force d’intervenir, sans compter le fait que ses jambes engourdies ne l’auraient probablement pas soutenu.
Ce fut en voyant les mains d’Obi-Wan relâcher celles du Omyn qu’il réalisa qu’il était sur le point de le perdre pour de bon, et cette pensée le força à se ressaisir. Un hurlement de colère et de désespoir se fraya un chemin à travers sa gorge serrée par l’émotion, et il allait se jeter sur l’immonde créature au mépris du danger quand il s’aperçut avec stupéfaction que le jeune chevalier qu’il voulait secourir relevait difficilement les bras et repositionnait ses mains sur les tempes de son ennemi, qui fut trop surpris pour comprendre ce qui lui arrivait.
Qui-Gon ne sut pas avec certitude si la fatigue et son coup sur la tête avaient provoqué une hallucination ou si ce qu’il discerna était bien réel, mais il jura plus tard à un groupe d’amis Jedi avoir vu l’aura de son padawan aussi clairement qu’il les voyait.
La Force, lorsqu’elle était en grande concentration, pouvait devenir visible pour l’œil humain, mais de tels événements étaient extrêmement rares et peu de Jedi en avaient fait l’expérience. Ce fut le cas de certains, quatre exactement en une période de deux cent cinquante ans, qui affirmèrent à l’époque avoir été confrontés à une manifestation de quelque Jedi décédé. Mais jamais, aussi loin que remontait sa mémoire, Qui-Gon n’avait entendu dire qu’un chevalier vivant pouvait rassembler tant de Force autour de lui. Obi-Wan lui prouva à cet instant que tout était possible.
Le sphère bleue étincelante qui entoura le jeune homme n’apparut que pendant une seconde, mais sa clarté et sa beauté surnaturelle se gravèrent à jamais dans la rétine du maître Jedi émerveillé. De petits éclairs parcoururent rapidement le corps du chevalier, puis passèrent par ses bras, ses mains et finalement ses doigts, pour pénétrer directement dans le crâne du Omyn. Ce spectacle invraisemblable sembla durer une éternité, mais il dut s’agir en réalité de quelques minutes à peine. Les rôles se trouvèrent ironiquement inversés quand le Omyn comprit ce qui se passait et essaya en vain de se dégager. Il poussa un long hurlement strident, les yeux exorbités, et Obi-Wan se dégagea, le laissant tomber à terre. Les yeux translucides et vitreux de la créature étaient fixes. Saern était mort.
Qui-Gon détacha son regard du cadavre et observa un instant Obi-Wan, qui tenait sur des jambes chancelantes, mais était aussi bel et bien vivant. Le vieux maître ressentit un tel soulagement qu’il osa à peine y croire et il faillit tout simplement s’effondrer et remercier la Force d’avoir permis ce miracle qu’il avait cessé d’espérer. Il sourit à Obi-Wan, mais le jeune homme ne le vit pas, étrangement fasciné par ses mains qu’il s’était mis à examiner. Il releva lentement la tête et, tenant toujours ses mains devant lui, fronça les sourcils, comme remarquant Qui-Gon pour la première fois. Jinn allait parler et laisser exploser son enthousiasme quand les yeux d’Obi-Wan se révulsèrent soudain, ses genoux cédèrent, et il s’écroula.
-Non… non !!
Qui-Gon fut à ses côtés avant même de s’apercevoir qu’il avait bougé et constata que le jeune homme était déjà revenu à lui. Mais son visage était terriblement pâle, et tout son corps tremblait sous les mains du maître.
-Ca va aller, Obi-Wan, ça va aller, répétait celui-ci en lui envoyant autant d’ondes réparatrices qu’il pouvait.
Mais il fit sans le savoir plus de mal que de bien aux midi-chloriens du Jedi, qui avaient déjà été très éprouvés par la pression qu’il leur avait imposée. Aussi Qui-Gon ne comprit pas pourquoi il commença à se débattre et à essayer de se dégager de son étreinte.
-Arrêtez…, gémit Obi-Wan, des gouttes de sueur perlant sur son front. Non… arrêtez…
-Reste tranquille, tu vas t’en sortir, le réprimanda Jinn en l’immobilisant.
Une chose était certaine dans son esprit : il n’allait pas le perdre comme Theran. Se sachant incapable de revivre une telle tragédie, il redoubla d’efforts pour envoyer son énergie vitale à celui qu’il avait appris à considérer comme son enfant, inconscient de la douleur supplémentaire qu’il lui causait.
-Ca suffit ! cria désespérément Obi-Wan en réussissant enfin à repousser son ancien mentor.
Complètement épuisé, il s’éloigna de lui en rampant difficilement sur les dalles glacées de la pièce, mais ne put aller très loin avant que ses forces ne l’abandonnent. Abasourdi, Qui-Gon l’observa pendant un instant et n’osa l’approcher, de peur de l’agiter encore plus. Mais lorsque le corps prostré à terre commença à laisser s’échapper des sanglots étouffés, il se décida à le rejoindre et le prit lentement dans ses bras. Trop éreinté pour résister davantage, Obi-Wan accepta la présence réconfortante et dissimula ses larmes de fatigue, de chagrin, de colère et de honte en pressant son visage contre la tunique rugueuse de Qui-Gon.
-C’est fini maintenant, le rassura doucement celui-ci en passant une main sur les cheveux cuivrés du jeune homme.
Il sentit Obi-Wan hocher la tête contre lui et se détendre légèrement. Il le serra alors, et profita de ce contact qui lui avait manqué sans qu’il ne s’en rende compte.
-Tu as réussi, sourit-il fièrement.
Le chevalier se dégagea et garda les yeux baissés.
-Non, souffla-t-il.
-Non ?
-J’ai… j’ai voulu le tuer, avoua Obi-Wan. J’ai vu ce qu’il a fait à mon père et j’ai voulu qu’il meure.
-Ah…, comprit Qui-Gon. L’éternelle tentation du côté obscur. Et c’est à ce moment que tu l’as terrassé ?
Le jeune homme secoua la tête.
-Non j’ai… je n’ai pas su quoi faire.
Il releva des yeux gris embrumés par la douleur et le remords et se saisit vivement de la manche de Qui-Gon.
-J’aurais dû pouvoir faire ce choix, un vrai Jedi n’aurait pas hésité et aurait décidé de le laisser vivre ! Je n’ai pas pu… Je n’ai pas pu…
-Bien sûr que si, tu as pu, contredit le maître. Voulais-tu sa mort lorsque tu as réussi à le vaincre ? Est-ce à cela que tu pensais ?
Obi-Wan fronça les sourcils.
-Non, se rappela-t-il.
Qui-Gon sourit encore et rajusta sa prise sur son ancien apprenti, calant sa tête dans le creux de son bras. Il traça tendrement le contour de son œil gauche en prenant soin d’éviter l’énorme bleu qui virait déjà au violet et la coupure qui venait d’arrêter de saigner.
-Au moment d’agir tu n’as pas voulu sa mort : tu as voulu vivre. Toute la différence est là. Tu n’as fait que te défendre.
Il regarda le chevalier et attendit qu’il saisisse ce qu’il venait de dire. Il savait qu’Obi-Wan avait vécu une expérience traumatisante aujourd’hui, et qu’il lui faudrait un temps considérable pour s’en remettre psychologiquement. Certaines de ces blessures mentales ne guériraient peut-être même jamais. Mais il fut soulagé de voir un poids se soulever petit à petit dans le regard du jeune homme, comme si un voile disparaissait.
-Tu n’as rien à craindre du côté obscur, mon garçon, finit-il. Tu es un enfant de la lumière.
Obi-Wan serra un instant le bras de son mentor et ferma les yeux. Qui-Gon crut qu’il s’était endormi et commença à réfléchir à un moyen de le sortir de cet endroit sinistre sans trop le bousculer quand le jeune homme sourit doucement.
-Qu’y a-t-il ?
-Rien. Je ne savais pas que vous aviez si bien connu mes parents. Vous auriez presque pu être mon père, rit-il.
Qui-Gon cligna des yeux, et tandis que le chevalier Jedi s’abandonnait enfin au confort de l’inconscience, il chuchota :
-J’en aurais été fier…

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