[Sommaire]<< Chapitre précédentChapitre 11 - La trace du Portemort
Niveau 1189.
Enclave de Karzgard.Le spectacle qui se dessinait devant Iggvar était des plus désolants. Les habitations étaient en feu, criblées d’impacts laser, et les corps calcinés de gens qu’il avait autrefois connu gisaient sur la place centrale. À peine le massacre avait-il été commis, que des pillards en tout genre s’étaient précipités dans l’enclave pour y récupérer tout ce qui pouvait l’être. Aucun respect pour les défunts, aucun respect pour leurs demeures. Karzgard était tombée le jour même, et la dure loi des bas-fonds l’avait déjà rattrapée. La loi du moins scrupuleux, du plus opportuniste. Celle du premier arrivé, premier servi.
En parlant d’opportunistes, un groupe de pillards dansait autour d’un tas de corps et de mobilier en feu. Ce n’étaient certainement pas les responsables de ce massacre, ils n’auraient pas fait le poids face aux gardes endurcis et expérimentés de l’Enclave. Ce n’étaient que des voyous de bas étage, de vulgaires charognards. Iggvar aurait préféré ne pas les connaître, mais leurs visages lui étaient bien familiers.
— Hé, mais c’est Bigvache et sa copine Miro ! s’exclama une fille aux tresses vert clair vêtue d’un pantalon industriel et d’un haut noir bien trop moulant pour prétendre à une quelconque pudeur.
Cette fille, c’était Karüzel, une camarade d’enfance d’Iggvar à qui il avait toujours voué un profond mépris. Ça, ça n’avait pas changé. Mais la voir ici, maintenant, ne faisait que raviver la haine et la colère qu’il lui portait.
— Jamais sans ta babysitter, hein ? lança-t-elle d’un air désinvolte. T’arrives un peu tard pour la fête, on a tout raflé. Mais si t’as quelques crédits en poche, on peut toujours s’arranger...
— Non mais tu t’entends parler ? s’emporta Iggvar. Ces gens vous ont élevé, c’était votre famille,
notre famille... et vous dansez sur leurs cadavres ? Vous êtes à gerber.
— Roh, sois pas si dramatique… Et puis t’es mal placé pour juger, d’abord. Tu sais ce qu’on a trouvé dans la réserve personnelle du préfet ? Un camtono d’épice, un ! Je me demande bien comment il est arrivé là… Peut-être, à tout hasard, par son livreur attitré ? Comment il s’appelle, déjà, ça commence par un "I"...
— Y’a une différence entre livrer un peu d’épice et se réjouir de la mort des siens. Mais j’imagine qu’il vous manque trop de cases pour comprendre ça.
— Hé ho, redescends un peu vieux tocard. Tu cherches à te faire buter, c'est ça que tu cherches ? Parce que pour ça aussi on peut s'arranger.
— Oh, mais essaye un peu qu’on rigole.
Iggvar porta la main à son blaster, mais Kiro posa sa paume par-dessus.
— C’est pas la peine, Iggs. Si elle tire, je tirerai avant. Et toi, la verdure, avise-toi encore de m’appeler
Miro ou
babysitter, et je t’imprime un troisième œil vitesse lumière. Et t’inquiète pas, je rate jamais ma cible.
Karüzel leva un sourcil et la dévisagea d’un air dédaigneux.
— Je préfère pas prendre le risque. T’es beaucoup trop amoureuse de ton bébé pour le laisser subir sa propre nullité. Tu serais même prête à te sacrifier pour lui, je parie ? Pas très professionnel, si tu veux mon avis…
C’est alors que Ghastas et Monok arrivèrent, ayant été distancés par Iggvar et Kiro qui avaient couru sans s’arrêter depuis le speeder.
— Et si au lieu de s’entre-tuer, on essayait d’en savoir plus sur ce qui s’est passé ici ? proposa Bo’Phat.
— Faisons ça, concéda Iggvar. Karüzel, oublions nos embrouilles deux minutes et dis-moi qui a fait ça. Et t’as pas intérêt à me mentir, pigé ?
— Vous cherchez le type qui a tué tout le monde ? Je préfère vous prévenir, vous avez aucune chance contre lui… C’est devenu une légende maintenant, vous savez ? On l’appelle le
Portemort. Même moi, j’aimerais pas me frotter à ce monstre. Et personne n’a réussi à remonter sa trace... En tout cas, personne qui a survécu pour le dire.
— Mais tu l’as vu, pas vrai ? Il était ici ? Comment il était ?
— Je l’ai vu, ouais. Enfin, aperçu plutôt. Juste au moment où il partait. Un grand cyborg, deux-trois mètres de haut. Une tête de... polygone là, et un bras droit canon laser. Sûrement pas un humain, mais sûrement pas un droïde non plus.
— C’est bien lui, confirma Monok. C’est Abandon.
— Appelez-le comme vous voulez, mais c’est ce que j’ai vu.
— Merci, Karüzel, lui répondit Iggvar. T’es peut-être pas si irrécupérable que ça, après tout.
— Qu’est-ce que t’insinues ?
— Disons que je t’épargne pour l’instant, mais t’avise pas de remettre les pieds ici ou de recroiser ma route. Allez, tire-toi.
Karüzel plissa les yeux et le transperça du regard en grognant à la manière d’une louve. Elle savait qu’aucun des deux camps n’en sortirait indemne s’ils s’affrontaient. De plus, elle ignorait de quoi étaient capables ses nouveaux alliés. Pour sûr, elle avait autant envie de tuer Iggvar que lui de la tuer, si ce n’était plus. Mais si elle voulait avoir une chance contre lui, elle était bien forcée d’attendre une autre opportunité.
La jeune fille cracha par terre et siffla entre ses doigts à l’adresse de ses amis.
— On décampe, la meute ! On a plus rien à faire ici.
Tandis que les voyous ramassaient leur butin et partaient l’un après l’autre en leur lançant des regards méfiants, KC-K8 revint vers Ghastas après avoir longuement scanné la zone. Le droïde sonde semblait soucieux.
— T’as trouvé quelque chose, KC ? Des survivants ?
—
Blip.*
Le bureau du préfet avait été saccagé, dépouillé du peu qui parvenait à rendre le lieu un tant soit peu vivable et accueillant. Certes, Karzgard s’en sortait mieux que la plupart des localités situées aussi bas dans la cité impériale. Avant le massacre, c’était l’un des rares lieux de ce niveau où ne reignaient pas la misère et l’anarchie. Mais dire que cette enclave était riche, ou même aisée, aurait été une grave erreur de jugement. Karzgard était déjà au bord du gouffre, et ce massacre n’avait fait que précipiter sa chute. La question demeurait alors : Pourquoi ? Pourquoi s’attaquer à eux ? Était-ce un avertissement ? Une punition ? Quel était le sens de tout ça ? Iggvar n’avait pas le temps de chercher des réponses. Il devait agir.
Le fait que le préfet Viggnur fut encore en vie relevait du miracle. Mais même lui n’avait pas été épargné, et s’il n’était pas encore mort de ses blessures, cela n’allait pas tarder. Ses jambes avaient été séparées de son torse, et il se vidait de son sang à une vitesse alarmante. Iggvar lui en voulait encore pour ce qui s’était passé plus tôt dans la journée, mais en aucun cas il n’aurait souhaité – ou du moins, réellement souhaité sa mort. Bien qu’il n’avait pas toujours été juste avec lui, c’était la seule figure paternelle qui lui restait depuis que son père l’avait quitté. Il s’agenouilla près de lui, impuissant.
— C’est vous, Kurkins ? fit le préfet agonisant dans un râle douloureux.
— Oui, c’est moi. Désolé pour ce qui est arrivé. Si j’avais su...
— Je ne vous ai jamais vraiment apprécié, Kurkins. Mais le fait que vous soyez là veut dire que vous n’êtes pas un lâche… Et que vous vous êtes souvenu des vôtres. Mais croyez-moi, vous n’auriez rien pu faire pour empêcher ce massacre. Aucun de nous n’a pu.
— Je sais qui a fait ça. Je refuse de baisser les bras tant que cet individu est en liberté.
— Alors retrouvez-le, et faites-lui payer. Vengez l’honneur des Pyrakki. C’est ce que votre père… aurait voulu.
Sur ces mots, pour lesquels il avait rassemblé ses dernières forces, Viggnur émit un lent soupir de relâchement et perdit connaissance. La vie venait de le quitter.
Iggvar lui ferma les paupières, et demeura silencieux quelques instants avant de se relever pour s’adresser à ses camarades.
— Je sais ce qu’il me reste à faire. Ce sera peut-être un voyage sans retour, mais ça m’est égal. Je dois réparer le mal qui a été fait. Si l’un d’entre vous veut abandonner maintenant, je ne le retiens pas. Et je comprendrais, vu le danger qui nous guette. Alors, si quelqu’un préfère laisser tomber, dites-le maintenant.
Ghastas le dévisagea d’un air grave.
— J’espère que tu rigoles, gamin. Pourquoi tu crois que je suis ici ? Y’a du pain sur la planche, et les choses vont pas se faire toutes seules. KC et moi, on est là jusqu’au bout.
KC-K8 émit des bips d’approbation.
Monok secoua la tête.
— Je pense que j’ai déjà signé mon arrêt de mort en désertant l’Ordre des Proscrits. Plusieurs de mes congénères sont encore emprisonnés là-bas, et beaucoup de gens vont encore souffrir si l’Oracle n’est pas arrêtée. Si je peux faire une quelconque différence, je viens avec vous.
Iggvar tourna ensuite son regard vers Kiro qui se tenait là, aussi stoïque et imperturbable qu’à son habitude.
— As-tu déjà eu à douter de moi ? déclara-t-elle comme si elle énonçait une évidence. Tu sais que rien ne me fait peur. Si je n’étais là que pour l’argent, ça ferait longtemps que j’aurais pris le large.
Le jeune homme soupira avant de hocher la tête d’un air résolu.
— On dirait bien que vous êtes tous aussi suicidaires que moi, alors. Comme vous voudrez. Ghastas, ton plan était de rassembler des preuves pour dénoncer les agissements de l’Ordre des Proscits. Où on en est avec ça ?
— Je risque peut-être de te décevoir, mais à ce niveau-là on n’est pas vraiment plus avancés que depuis le massacre à la cantina. Tout ce qu’on a en guise de preuves c’est un suicide collectif, un règlement de comptes anonyme, et quelques témoignages. On a été au bon endroit au bon moment pour faire le lien entre tout ça, mais personne nous croira sur ces bases-là.
— Alors trouvons plus de preuves. J’irai les chercher moi-même dans la Crypte s’il le faut.
— Ça servira à rien si tu n’en reviens pas vivant. On sait pas de quoi l’ennemi est capable, alors pas question de s’aventurer sur son territoire. Pas avant d’être sûr de ce qu’on fait. Si on doit y laisser notre peau, il faut s’assurer qu’eux non plus n’en sortent pas vivants.
— Alors quel est le plan ?
— Je ne connais qu’une personne qui puisse nous aider dans cette situation. J’aurais préféré ne pas avoir à demander son aide, mais je pense qu’on n’a pas vraiment le choix si on veut empêcher le prochain massacre.
— Et de qui il s’agit ?
— Je ne suis pas sûr que la réponse va vous plaire…

(Les compléments musicaux sont optionnels. Libre à vous de les écouter avant, pendant ou après la lecture.)
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