« Le sang appelle le sang. »William Shakespeare,
Macbeth.
Anaxes, Domaine Barton, 20 BBY.
Un son strident, qui n’était pas celui si familier de son réveil, réveilla Leight au beau milieu de la nuit. Émergeant des brumes du sommeil, il regarda autour de lui, cherchant la source de cette perturbation. N’ayant rien vu, une idée lui vint à l’esprit, une idée horrifiante, à n’en pas douter. Il se précipita vers la fenêtre, tournant son regard vers la gigantesque Citadelle d’Anaxes, perchée sur les hauteurs qui surplombaient le domaine familial, dans les collines de Sirpar.
L’édifice, massif et impressionnant, l’était encore plus la nuit, un véritable mastodonte perdu dans la pénombre et éclairé par quelques projecteurs solitaires. Mais cette fois-ci, d’innombrables lumières étaient allumées, reflétant l’agitation de l’intérieur du bâtiment. Leight ne mit que quelques secondes à comprendre ce qui se passait.
Attaque aérienne. Invasion.Il se dirigea à grands pas vers son dressing, pour enfiler rapidement un de ses uniformes. En tant que cadet de la prestigieuse Académie d’Anaxes – aussi appelée Collège des Forces de Défenses Planétaires – il était de son devoir de prendre les armes dans de tels cas. Il avait longtemps espéré que la terrible Guerre des Clones, qui ravageait la galaxie depuis bientôt deux ans déjà, ne parviendrait pas jusqu’ici. Mais aujourd’hui, il lui fallait se faire une raison.
La Confédération attaquait Anaxes.
Alors qu’il boutonnait sa chemise, son droïde personnel, T-3PO – nommé ainsi en raison de ses carters en titane – entra dans la chambre. Bien qu’il ne puisse pas mouvoir son visage de métal, il réussit presque à prendre une mine paniquée.
- Monsieur, Monsieur !
- Calme-toi, 3P0, ordonna Leight. Et explique-moi ce qui se passe, par la même occasion.
- Une flotte séparatiste vient de sortit d’hyperespace, monsieur, elle semble s’en prendre à notre pauvre planète.
- Je m’en serais douté, répondit le jeune homme d’un ton sarcastique.
- Le doyen Harns a demandé à tous les cadets de se rendre à la Citadelle le plus vite possible, pour se préparer à riposter…
- Très bien. Fais avancer mon speeder, que je ne perde pas…
La porte de la chambre s’ouvrit une nouvelle fois à la volée, laissant entrer sa mère, Heyna, suivie de son jeune frère, Jace.
- Il paraît que ce n’est pas une attaque comme les autres, dit-elle d’un ton qui laissait percevoir toute son inquiétude.
- Maman, nous n’avons pas encore été attaqués, donc il ne s’agit évidemment pas…
- C’est Ningo, coupa-t-elle.
Le sang de Leight ne fit qu’un tour. Dua Ningo était l’un des plus importants officiers de la Confédération. Aux commandes de la Flotte Bulwark, il terrorisait l’espace républicain depuis près d’un mois, sans que quiconque ait pu l’arrêter… jusqu’à présent.
Empli d’une rage nouvelle, le jeune homme finit de mettre son uniforme et saisit son arme de fonction, un blaster DC-10 de poche, semblable à ceux de tous les autres cadets de l’Académie. Il embrassa sa mère et son frère, puis revint vers la première, et lui dit, en la regardant dans les yeux :
- Ningo paiera pour ce qu’il a fait à notre famille. La Confédération tout entière paiera.
Puis il sortit rapidement, sans laisser le temps à sa mère d’ajouter un mot. Il descendit le majestueux escalier central du manoir familial, traversa le hall d’entrée et sortit par la grande porte. Son speeder, comme prévu, l’attendait en contrebas des cinq marches du parvis de la maison. T-3PO, connecté comme tous les autres droïdes du domaine à l’ordinateur central, n’avait même pas eu à quitter la chambre de Leight pour transmettre les ordres. Le jeune homme sauta à bord et prit les commandes. L’appareil était un Incom C-25, dérivé civil quadriplace de la célèbre série T destinée au combat terrestre. L’une de ses particularités était sa polyvalence, puisque cet appareil pouvait aussi bien fonctionner en tant que landspeeder – comme à présent, à l’intérieur des riches domaines des collines de Sirpar – ou comme airspeeder, lorsque la vitesse était de mise. C’est cette fonctionnalité qu’utilisa Leight sitôt sorti des limites de la propriété de la famille Barton pour rallier plus vite la Citadelle d’Anaxes. Autour de lui, tout était étrangement calme. Seuls quelques bruits sourds, provoqués par les explosions dues aux salves des croiseurs en orbite, venaient troubler cette paix. On aurait cru à une soirée d’orage, comme cela arrivait de temps à autre sur cette planète tempérée. Mais les rares tirs séparatistes qui parvenaient à pénétrer le bouclier planétaire n’arrivaient pas à ne serait-ce qu’égaler la majesté, la beauté grandiose des éclairs.
L’approche de la Citadelle se fit sans problème. Vivant dans les collines de Sirpar, Leight jouissait d’un privilège particulier ; il n’avait jamais à franchir les défenses qui séparaient la zone d’influence du complexe du reste de la planète, et notamment de Pols Anaxes, la capitale. Il pût donc poser son speeder sans encombre aux portes de l’Académie, sur une des nombreuses plateformes réservées aux élèves. Il descendit et courut vers l’entrée du bâtiment, en état de siège.
Les gardes en faction étaient sur le pied de guerre, et ne le laissèrent entrer qu’après avoir vérifié l’intégralité de ses documents. C’est donc en retard qu’il arriva à la salle des affectations, où il eut la surprise de retrouver le doyen Harns et d’autres officiers en grande discussion.
- …pulvérisé la station E-39, expliqua l’un des hommes. Ces Bulwarks sont une plaie. Nos défenses automatisées nous lâcheront bientôt.
- C’est une situation fâcheuse, très fâcheuse, répliqua un autre, qui portait le grade d’amiral.
- Amiral Holt, vous savez tout comme moi que nous avons d’autres…
Il s’interrompit en voyant Leight entrer. Celui-ci se mit au garde-à-vous et déclina son identité.
- Vous êtes le fils de Theran ? demanda précipitamment l’amiral, en l’interrompant.
- En effet, répondit Leight, légèrement déstabilisé.
- C’est rassurant de voir que certaines familles, malgré les avanies subies, ne perdront jamais leur foi en la Marine, dit-il d’une voix forte en s’adressant à l’assemblée.
- Vous tombez bien, Leight, déclara Harns. Allez donc à la batterie A-76, et dites aux artilleurs en poste de venir avec vous.
- Sauf votre respect, monsieur, dit le jeune homme, je ne fais pas partie des apprentis-officiers canonniers.
- Je le sais bien, grommela le doyen, mais vous servirez d’officier de liaison. Une fois que vous aurez récupéré Pohn et Antilles, vous rejoindrez la salle H-1. Compris ?
- Oui, doyen, répondit Leight en saluant.
Il ressortit aussi vite qu’il était entré, n’apercevant même pas le regard à la fois curieux et amusé que l’amiral Holt fixait sur lui. Totalement occupé par sa tâche, il ne s’intéressa même pas aux groupes de soldats qui passaient épisodiquement près de lui pour rejoindre leurs postes, ni même aux convois médicaux qui transportaient les blessés vers les blocs infirmiers, situés dans les sous-sols du complexe. En vérité, il cherchait avant tout à se rappeler la localisation précise de ces deux salles. Il n’y était jamais allé ; mais, de toute façon, il doutait que quiconque – à l’exception du doyen Harns ou de quelques vieux professeurs – ait jamais visité l’intégralité de la Citadelle.
Lorsqu’il parvint enfin à trouver la salle A-76, perdue à l’extrémité de l’aile Est, il dut faire face à un nouveau problème.
Elle était en ruines.
Deux des quatre murs – probablement ceux qui hébergeaient les tourelles des artilleurs avaient été purement et simplement détruits par une des salves séparatistes.
- Mettez-vous à couvert ! cria une voix derrière lui.
Il obéit instinctivement, comme il avait été entraîné à le faire. D’autres tirs provenant de l’orbite frappèrent le bâtiment à proximité, jetant Leight à terre. En se relevant, avec seulement quelques égratignures, il se tourna vers l’homme qui l’avait averti, vit qu’il n’était pas seul, et comprit de qui il s’agissait.
- Vous êtes les artilleurs de cette station, déclara-t-il en les fixant.
- Je suis Kenth Antilles, se présenta son sauveur, et voici Lyan Pohn, ajouta-t-il en désignant son coéquipier. La batterie a été mise hors de combat il y a dix minutes environ. Nous essayons depuis de sortir, mais le panneau de contrôle était hors-service. Échange de bons procédés, donc.
- Peut-être. J’ai des ordres à vous transmettre, en tout cas. Le doyen Harns vous réaffecte à la station H-1.
L’artilleur lança un regard qui en disait long à son collègue, puis tourna à nouveau la tête vers Leight.
- Dans ce cas, ne perdons pas de temps.
Ils sortirent de la salle et verrouillèrent la porte derrière eux pour éviter toute mauvaise surprise. Avec soulagement, Leight vit que les deux artilleurs connaissaient le chemin menant à la salle H-1. Lui-même n’avait pas réussi à la localiser, en dépit d’une consultation du plan enregistré sur son datapad. Il fut néanmoins surpris de voir Kenth et Lyan le conduire vers le cœur du bâtiment, et non sur ses flancs comme il s’y était attendu.
De l’extérieur, rien ne distinguait la salle H-1, et Leight ne comprit même pas qu’ils étaient arrivés avant de voir le numéro sur la porte. Mais à l’intérieur…. À l’intérieur, c’était un endroit pour le moins étrange. Le centre de la salle était occupé par un gouffre circulaire qui semblait mener droit aux entrailles de la planète, et le plafond transpercé semblait donner sur les hauteurs de la Citadelle. Plusieurs postes de contrôle se trouvaient sur le mur opposé, surplombés par un gigantesque écran tactique animé en temps réel. Derrière les sièges qui desservaient les terminaux, un poste standard d’officier de liaison, avec les habituels transmetteurs d’ordres et les projecteurs holographiques, surplombait l’ensemble des opérations. Le cœur emplit d’appréhension, Leight y grimpa tandis que les deux artilleurs se plaçaient sur les sièges.
- Nom d’un kath, pouvez-vous m’expliquer de quoi il s’agit ? s’exclama-t-il en voyant que les informations qui s’affichaient sur son poste étaient bien différentes de ce à quoi il pouvait s’attendre.
Les deux artilleurs échangèrent à nouveau un regard, cette fois-ci empli de scepticisme.
- Si le doyen vous a choisi, commença Pohn, c’est qu’il a confiance en vous… Vous vous trouvez dans la salle de contrôle d’un canon à hypervélocité.
Devant le mutisme de Leight, qui ne comprenait pas où l’artilleur voulait en venir, il poursuivit ses explications.
- Un canon à hypervélocité est une arme combinant à la fois les technologies laser et la balistique classique. Les salves sont composées de morceaux de métal enveloppés dans du plasma, ce qui leur permet de venir à bout de la plupart des boucliers.
- C’est un prototype, ajouta Kenth, il n’a pas encore…
Il fut coupé par un son qui provenait de la console holocom de la salle. Voyant que quelqu’un cherchait à les contacter, Leight autorisa l’appel. La silhouette minuscule du doyen Harns apparut sur la plateforme.
-
Leight, mon garçon, vous êtes là ?- Tout est paré, monsieur, j’attends vos ordres, répondit machinalement Barton.
-
Très bien. Je vais vous donner les indications, même si la situation s’est légèrement compliquée…Harns s’interrompit et baissa les yeux, comme s’il consultait son terminal tactique.
- Monsieur ? demanda Lyan, une pointe d’inquiétude dans la voix.
-
Les forces des capitaines Screed et Dodonna sont arrivées, expliqua le vieil homme,
et cela va compliquer nos propres manœuvres. Notre objectif, messieurs, c’est que Ningo n’en réchappe pas.La silhouette se tourna vers Leight, dont le tempérament s’était embrasé à la seule écoute de ce nom.
-
Voilà pourquoi je vous ai choisi, mon garçon. Je suis sûr que vous ferez tout pour mener à bien cet objectif.- Avec plaisir, monsieur.
-
Pohn, Antilles, je veux que ce Bulwark soit réduit en morceaux de duracier. Peu importe le nombre de dragueurs stellaires qu’il faudra pour ramasser les débris ensuite, c’est notre seul objectif aujourd’hui.- Bien, doyen, répondirent les deux artilleurs.
-
Je compte sur vous trois, conclut le vieil homme avant de disparaître.
Leight resta un instant pensif, les yeux fixés sur la console. Puis il releva la tête.
- Au boulot.
************
Croiseur Bulwark
Unrepentant, en orbite au-dessus d’Anaxes.
- Il y a trop de vaisseaux… murmura nerveusement le capitaine Ningo.
Dunrell leva les yeux au ciel.
Inutile de le rabâcher cent fois, nous sommes foutus. Les forces ennemies étaient supérieures en nombre et avaient l’avantage du terrain. Que fallait-il donc au sullustéen pour comprendre qu’il était temps de se retirer ?
- Capitaine, dit-il une énième fois, il est peut-être temps de battre en retraite… Le Comte Dooku préfèrera sûrement conserver ses vaisseaux et ses hommes que de les sacrifier inutilement.
Ningo balaya d’un revers de la main tous les arguments censés de l’homme.
Buté comme un Hutt au moment de payer ses dettes, pensa Dunrell. Et inutile de chercher de soutien ailleurs sur le pont.
La plupart des autres membres d’équipage étaient des droïdes de combat, spécialement programmés pour opérer sur les fragiles ordinateurs du complexe de commandement. Seuls trois autres officiers respiraient, et ils appartenaient à la race des abridoniens. Et un peuple aussi porté sur l’honneur que celui d’Abridon ne pouvait supporter l’idée d’une fuite.
Agacé par tant d’aveuglement, Dunrell se concentra sur son terminal. Les données étaient mauvaises, très mauvaises. Oh, ils pouvaient toujours l’emporter, bien entendu. Mais il y avait deux conditions à cela : il fallait que leurs vaisseaux soient en bon état, et que Ningo mette au point une bonne stratégie.
Autant dire qu’ils avaient perdu.
Il maugréa une nouvelle fois. À quarante ans, il n’était que lieutenant, au service d’un sullustéen arrivé au-dessus de lui grâce à ses contacts. Et pourtant, c’était lui qui avait permis les victoires précédentes. Qui avait pointé du doigt les failles du blocus de Foerost ? Qui avait déchiffré la stratégie adverse et avait permis de prendre l’ennemi à revers sur Oskerian ? Qui avait contrôlé la flotte et gagné la bataille de Pyhruz II pendant que Ningo était dans sa cabine à cause de maux de tête ? C’était lui, et pourtant, il restait subordonné à Ningo.
Et cette tête de lard reste sourde à mes conseils… - Capitaine, s’écria l’un des abridoniens, le
Vainglorious est en mauvaise posture ! Ils demandent une aide de toute urgence !
- Dites-leur que nous arrivons, et manœuvrez l’
Unrepentant de sorte que…
- C’est de la folie ! coupa Dunrell , affolé.
Ningo se tourna lentement vers lui.
- Lieutenant Sossian, vous êtes à bord de
mon vaisseau, dit-il. Si cela ne vous plaît pas, je peux vous congédier dès maintenant !
Une secousse agita le vaisseau, manquant de projeter les deux officiers au plancher. L’un des abridoniens, accroché à son écran, commença à rechercher frénétiquement la cause de ces ennuis.
- C’est la flotte du capitaine Screed, monsieur ! Ils viennent droit sur nous !
Ningo resta pensif. Il jeta un coup d’œil aux abridoniens, puis se tourna vers Dunrell.
- Orientez tous les boucliers déflecteurs sur l’avant et les flancs. Nous allons passer à travers leur flotte pour atteindre la barrière de l’hyperespace.
Un souffle de joie balaya toutes les inquiétudes du cœur de Dunrell. La coque des Bulwarks était solide, et ils seraient bientôt hors de portée de la République.
Nous pourrons regagner l’espace séparatiste, j’aurai peut-être une promotion… L’avenir s’annonce heureux et rad…Une nouvelle secousse, bien plus forte que la précédente, malmena le vaisseau de part en part. Plusieurs terminaux explosèrent, jetant à terre les droïdes de combat qui y officiaient. La lumière s’éteignit un instant, avant de se rallumer.
- État de la situation, dit Ningo d’une voix faible.
- Nous avons perdu tous nos réacteurs, répondit l’opérateur, paniqué. Les boucliers sont toujours en état… Je ne comprends pas…
Dunrell, qui était tombé lors de l’explosion, se releva. Toute l’euphorie dans son cœur venait de s’envoler aussi vite qu’elle était arrivée. Il ne pensait plus qu’à une seule chose.
Ignorant les ordres impérieux de Ningo, il se précipita vers les quartiers des officiers.
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- Le canon recharge, monsieur, dit Kenth en voyant l’impatience de son supérieur.
Plus vite… plus vite…- Si nous ne les achevons pas rapidement, ils pourront s’enfuir.
- J’en doute, monsieur, répondit Lyan. Nous avons visé leurs réacteurs. Si cette arme est aussi efficace que prévu, ils ne peuvent plus avancer.
Leight acquiesça d’un air distrait, observant le compte à rebours. La recharge du canon prenait du temps, beaucoup de temps, et observer les chiffres défiler sur le compteur ne rendait l’attente que plus longue. Le stress qu’éprouvait le jeune homme était tel qu’il s’était mis à ronger compulsivement ses ongles, une mauvaise habitude qui lui était venue lors des examens.
Enfin, le cadran revint à zéro et les artilleurs se préparèrent pour le second tir.
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La seconde explosion d’importance projeta une fois encore Dunrell à terre. Il l’avait presque pressenti, mais il courrait si vite qu’il n’avait pu envisager de s’arrêter à temps.
Il se releva, le cœur battant à toute allure et bénissant sa chance : il avait été projeté au pied de la porte qui menait à sa cabine. Il inséra à toute vitesse sa carte d’identification dans le lecteur et entra.
- Dun ? C’est toi ?
Voir sa femme échevelée ne fit qu’augmenter la tension de Dun. Elle qui était toujours si soignée, si pomponnée… Il s’apprêtait à lui répondre, à lui expliquer la situation, lorsque sa fille passa la tête par la porte de sa minuscule chambre.
Emmener sa famille n’était pas coutumier sur les vaisseaux de guerre, mais sur un croiseur occupé par plusieurs milliers droïdes et quelques vivants à peine, c’était beaucoup plus réalisable. C’est pour cette raison que Dunrell avait emmené son épouse et sa fille sur l’Unrepentant. Persuadé qu’ainsi il les mettrait à l’abri des représailles de la République, qui serait sans aucun doute furieuse de la fin du blocus de Foerost. Représailles qui n’avaient jamais eu lieu. Et, au final, il les avait menées dans un piège bien plus grand et bien plus mortel.
Pauvre de nous.- Il faut aller aux capsules de sauvetage. Vite.
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- Parés pour le troisième tir ?
- Non, monsieur.
Leight posa un regard inquiet sur l’homme.
- Nous n’avons pas de temps à perdre, Kenth. Ils avancent toujours.
- Mais ils sont trop proches de l’
Airlionne, le vaisseau du capitaine Screed !
Un dilemme cornélien. D’un côté, il avait Screed, qui risquait d’être touché dans l’explosion. Et, de l’autre, il avait Ningo, visiblement prêt à battre en retraite.
Le choix ne fut pas long.
- Ouvrez le feu à mon commandement, dit-il d’une voix ferme. Le doyen Harns m’a confié une mission, et j’ai l’intention de la mener à bon terme.
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Haletant comme jamais, Dunrell courait derrière sa femme, portant sa jeune fille, âgée de six ans, dans les bras.
Elle n’a pas l’air de comprendre ce qui se passe, pensa-t-il avec une pointe de soulagement. Ils arrivaient presque aux capsules de sauvetage, ils pourraient bientôt…
La troisième explosion survint, le jetant à terre une nouvelle fois. Il sentit une douleur atroce, et crut un instant qu’il était mort, que le vaisseau avait explosé…
Au moins, nous serons réunis.
Mais le son était toujours là, le son des alarmes du vaisseau, accompagné par les cris de terreur de son épouse et de sa fille.
Il ouvrit les yeux.
Elles étaient là, devant lui. La jeune enfant n’avait visiblement rien, mais elle cherchait à se cacher les yeux contre sa mère. Sa femme, en revanche, le regardait, d’un air horrifié, ses mains masquant sa bouche. C’est lorsqu’il essaya de se relever pour les rejoindre qu’il comprit ce qui les terrorisait tant.
Une partie de sa jambe manquait.
À ce moment précis, comme si le fait de voir la blessure, d’en prendre conscience, la rendait réelle, la douleur s’accentua, jusqu’à devenir difficilement supportable.
Les capsules de sauvetage. Il y a du matériel d’urgence dans les capsules de sauvetage. Je dois les atteindre.
Mais le vaisseau ne tiendra plus très longtemps. Je risque de les retarder.- Courez. Courez vite aux capsules de sauvetage, dit-il en essayant de garder la maîtrise de sa voix.
- Non… Dun…
- Je vous y rejoins, ajouta-t-il sans trop y croire.
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- Préparez-vous pour le coup final, ordonna Leight, comme transcendé par l’idée d’être si près du but.
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J’y suis presque.
Encore quelques mètres…Dunrell se trouvait à quelques mètres à peine du couloir des capsules de sauvetage. De là où il était, il pouvait voir les premiers sas. À vue d’œil, il restait trente mètres.
L’une des capsules se détacha du vaisseau.
Elles y sont arrivées, se dit-il avec un soupir de soulagement.
Plus que vingt mètres. Sa jambe lui faisait horriblement mal, mais par miracle, il arrivait à garder connaissance. Le sol du couloir était couvert de sang. Un triste revêtement pour cet endroit. Habituellement, il aimait bien traîner dans ce couloir, évité par les droïdes de combat, où une vaste verrière donnait sur l’espace… Mais aujourd’hui, la vue d’Anaxes ne lui ferait aucun plaisir.
Dix mètres…Un rayon blanc jaillit de la surface. Au même moment, la pointe d’un des nouveaux vaisseaux de guerre de la République apparut dans son champ de vision.
La secousse fut pire encore que ce qu’il imaginait. Une nouvelle fois, elle le projeta en avant.
Juste devant l’entrée des capsules de sauvetage.
Juste… un petit… effort…Mais en sentant la température augmenter brutalement, il comprit qu’il n’y arriverait pas.
Et, en effet, moins d’une seconde plus tard, le mur de feu arriva.
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Anaxes, Citadelle d’Anaxes, quelques heures plus tard.
Leight était en train de regarder par la fenêtre quand le doyen Harns entra. Le visage du vieil homme était rouge, et ses yeux cernés. Il n’avait pas dormi depuis plus de vingt-quatre heures. Leight n’était guère plus reposé, mais cela lui importait peu. La réussite lui donnait des ailes.
- Alors ? demanda-t-il, sans se retourner.
- Il est toujours dans un état grave, répondit le doyen. Mais il n’est plus en danger de mort. Heureusement. La victoire aurait été bien amère si nous avions perdu le vainqueur.
- Le capitaine Screed n’a pas été décisif.
- Mais qu’est-ce qui vous a pris, Leight ? Pourquoi avez-vous donné cet ordre ?
Barton resta silencieux pendant un court instant.
- Et vous, monsieur ?
- Je vous demande pardon ? dit le doyen, interloqué.
- Vous m’avez dit de détruire Ningo à tout prix. Je l’ai fait. J’ai… obéi.
- Comment… ?
- Ont-ils détecté le canon ? Les senseurs de la Flotte ?
- Non. Et Bannidge n’a pas compris non plus ce qui se passait. Officiellement, c’est l’
Airlionne qui est à l’origine de la destruction de l’
Unrepentant.
- Bien. C’est dans votre intérêt de ne pas révéler la vérité.
- Vous osez me menacer ?
- Si je tombe, vous tombez, doyen. Souvenez-vous en.
Sans un mot de plus, Leight sortit du bureau du chef de l’Académie, persuadé que ce discours avait fait son petit effet. Mais cela lui importait peu, comparé à la froide joie qui l’envahissait. Il avait tué Dua Ningo, le commandant de la Flotte Bulwark, de ses propres mains. Il avait anéanti le meurtrier de tant de bons officiers de la République. Celui qui avait réduit en cendres le commandant du blocus de Foerost, Theran Barton.
Il avait vengé son père.