Allez, le premier texte de la journée !
Partie 3Le regard du garde de faction passa de la tablette qu’il tenait en main au visage de Carth, une fois, puis deux. Au troisième froncement de sourcils, le jeune résistant fit mine de s’agacer.
— Nos papiers ne vous plaisent pas ?
L’autre ne se départit pas de son air suspicieux, mais parut gêné.
— Sauf vot’respect, marmonna-t-il, j’ai pas entendu parler d’un nouveau r’crutement.
— Et vous êtes, bien sûr, tenu informé de tout ce qui se passe au sein du palais…
— De c’qui compte.
C’était de l’esbrouffe, bien sûr, et Carth le savait.
— Le commandant Pelasz m’avait indiqué que nous serions accueillis avec gratitude et respect, mais il ne devait pas se souvenir que vous étiez de faction ce soir, lieutenant Vermok.
L’autre s’empourpra.
— D’où qu’vous connaissez m’nom ?
— Si vous m’aviez écouté, vous sauriez que mes hommes et moi venons des forces gouvernementales stationnées à Lagvi, la ville natale de Pelasz. Le commandant est un vieil ami de mes parents et nous parle souvent de son travail. Et, pardonnez-moi, mais vous êtes assez reconnaissable.
Ce n’était pas vraiment un compliment. Âgé d’une quarantaine d’années, le lieutenant en faisait dix de plus, avec sa barbe hirsute taillée en deux pointes. Ses cheveux étaient blonds courts mais sales, et il louchait légèrement.
De toute évidence, Thalas a pris les meilleurs gardes avec lui quand il a déserté… C’était grâce aux informations transmises par son ami que Carth pouvait parfaitement se fondre dans la peau de l’aspirant Guyran, jeune blanc-bec un peu arrogant venu renforcer les effectifs de la garnison du palais. Thalas, ayant pris connaissance de l’organisation des gardes du palais ce soir-là – sans dire à Carth de quelle façon il l’avait obtenu – lui avait aussi détaillé tout ce qu’il savait du profil de Kosh Vermok, et notamment le peu de considération que lui portaient ses collègues.
— J’devrais demander au commandant de v’nir pour voir c’qu’il en dit.
— Vous pourriez, mais il est à Lagvi ce soir, non ? Tout comme le gouverneur Jaderan. Il est discret, mais on sait généralement quand il vient dans notre secteur… Ce sont les soirs où madame Desviiron ne donne pas de réception.
Il se demanda s’il n’en faisait pas un peu trop. À la place de Vermok, il aurait été méfiant…
Mais le garde semblait plus perdu qu’autre chose. Il observa une fois encore Carth et son groupe, puis fit un geste de la main.
— ‘llez, c’est bon. Z’allez voir l’capitaine pour vot’ affection. C’est d’l’aut’ côté du bâtiment, d’rière l’ail’est.
— Nous devrions trouver, fit Carth avec une amabilité forcée. Ne vous donnez pas la peine de nous accompagner.
— C’est qu’j’peux pas, v’voyez…
— Oui, oui, bien sûr. Bonne soirée, lieutenant Vermok.
Le petit groupe s’éloigna sous le regard un peu dérouté de l’homme de faction, s’éloignant du hangar ouest du palais pour se rapprocher du bâtiment principal.
— Ce pauvre homme se semble souffrir d’importants troubles cognitifs, chuchota une voix à son oreille quand ils se furent éloignés du garde.
— Même les imbéciles ont leur utilité, Givin, chuchota Carth. Surtout quand ils sont dans le camp adverse.
Le scientifique était l’autre membre-clé du groupe. C’était le seul à pouvoir identifier Rodol Dellani si jamais ils venaient à le retrouver. Mais c’était aussi l’élément qui inquiétait le plus Carth. Givin Croff n’avait pas l’habitude du terrain. Il se battait mal et mentait encore moins bien.
Fort heureusement, la chance était de leur côté, pour le moment.
C’était la première fois que Carth menait un tel groupe de combat dans une opération aussi importante, et malgré le stress qu’il ressentait, il prit le soin d’observer les pièces qu’il traversait. Il connaissait bien l’aspect extérieur du palais, avec ses façades finement ciselées en pierre noire volcanique et ses décors en métal clair ouvragé, mais c’était la première fois qu’il entrait dans le bâtiment. Il fut surpris de constater que le bois – un bois si peu sombre qu’il en était presque beige, mais néanmoins chaleureux – était omniprésent. Les couloirs, assez larges pour que cinq ou six personnes passent de front, étaient peu meublés, mais ici ou là un guéridon agrémenté d’un vase ou d’une petite sculpture venait rompre l’alignement un peu monotone des portes.
Dans d’autres conditions, il aurait sans doute apprécié la visite.
Ils finirent par arriver dans une pièce que le jeune résistant reconnut sans peine : le hall d’honneur, l’endroit où étaient accueillis tous les invités officiels. C’était le lieu des cérémonies, des événements importants de la vie politique polcaphréenne de l’avant-guerre. Il jeta un coup d’œil vers le plafond, occupé par une immense verrière ; mais celle-ci ne donnait que sur la nuit, et les étoiles n’étaient pas visibles, du fait de la présence de lustres en cristal aldéranien, aux belles formes élégantes.
— Alors, on va où ? demanda l’un de ses hommes.
Carth vérifia rapidement qu’il n’y avait personne à portée avant de se retourner pour répondre.
— On va s’en tenir au plan. Lomspen, tu prends tes trois agents avec toi et vous allez en direction du centre de commandement. Il faut que quelqu’un se présente auprès du capitaine Yrvon, au cas où Vermok l’aurait prévenu…
— Il va sans doute s’inquiéter s’il ne voit que la moitié des hommes promis arriver.
— Je ne suis pas sûr que Vermok sache compter jusqu’à dix, répliqua Carth en levant les yeux au ciel. Et même si c’est le cas, vous rejetterez la faute sur lui. Vous direz qu’il a bu et qu’il devait voir double ou triple.
Il tira de la poche son comlink pour vérifier l’heure.
— De toute façon, Yrvon aura sans doute d’autres préoccupations au moment où vous arriverez là-bas, ajouta-t-il. Le feu d’artifice doit commencer dans cinq minutes…
— Entendu, répondit Dar Lomspen.
Il sélectionna son équipe et salua Carth d’un signe de tête avant de s’éloigner.
— Givin, Dyna, Meill, Jarbo, vous êtes avec moi. Direction l’annexe.
Il suivit le chemin emprunté par Lomspen, le temps de gagner les escaliers centraux qui permettaient d’accéder à l’étage. L’annexe, tout comme le centre de commandement et le bâtiment des quartiers privés du gouverneur, avait été construite sur un plateau surplombant les rues avoisinantes. D’après les plans récupérés par Thalas, il était possible d’y accéder depuis l’intérieur du palais, grâce à une porte communicante située à l’extrémité nord de l’aile ouest. Mais l’endroit était, selon leurs informations, plutôt bien gardé…
L’aile ouest, qui accueillait des bureaux et une poignée de logements, était décorée dans un style assez proche de celui du bâtiment de service par lequel ils étaient entrés, avec peut-être un peu plus de soin apporté aux détails. Des tapis écarlates habillaient le dallage de marbre blanc du couloir qu’ils parcoururent, mais ils semblaient avoir été abîmés par endroits.
Avant qu’ils n’arrivent au bout de l’aile, Carth repéra la statue de la gouverneure Larouass – une des dirigeantes les plus célèbres de l’histoire de Polcaphran – installée dans une niche, ainsi qu’on la lui avait décrite. Il retint Givin qui continuait à avancer, n’ayant rien remarqué.
— C’est là, dit-il simplement à voix basse. Installons le brouilleur…
Comme l’avait indiqué Thalas lors des préparatifs, il y avait assez de place derrière le socle de la statue pour y installer le petit appareil qu’ils avaient embarqué avec eux. De la taille d’un comlink, il devait perturber toutes les holocams de surveillance sur un périmètre restreint. Il ne s’agissait pas de couper l’affichage, mais plutôt de le figer, afin de ne pas attirer l’attention des opérateurs qui devaient superviser la sécurité du palais depuis leur poste de contrôle.
Givin le positionna au sol sous le regard scrutateur de ses équipiers et l’activa. Il n’y eut aucun voyant pour indiquer que l’appareil avait commencé son travail, mais en posant sa paume dessus, Carth sentit quelques infimes vibrations.
Il hocha la tête en signe d’approbation, se releva, sortit son databloc et reprit son avancée.
Quelques mètres plus loin, le couloir se divisait en deux embranchements partant à gauche et à droite. Ils prirent le premier et virent, un peu plus loin, l’obstacle que Carth redoutait tout particulièrement.
— Halte ! Qui va là ? Identité requise !
Il se retint de grimacer en entendant la voix métallique du droïde de combat B1. Il y en avait cinq en tout, en faction devant une porte à haute sécurité, leurs blasters dressés en direction des nouveaux arrivants. Carth et ses hommes levèrent les mains, et le jeune commandant prit la parole.
— Aspirant Guyran, se présenta-t-il en avançant un peu plus doucement. Mes hommes et moi venons pour la maintenance du bloc sanitaire du deuxième niveau. On nous a signalé une fuite, et le commandant Pelasz nous a demandé de nous en charger…
— Aucun ordre dans nos bases de données, je répète, aucun ordre dans nos bases de données. Cessez d’avancer ou nous ouvrons le feu.
— SI je cesse d’avancer, je ne pourrai pas vous donner mon ordre de mission, contra Carth.
Le droïde ne semblait pas s’attendre à un tel dilemme. Il resta figé, l’armée pointée vers les Polcaphréens, pendant quelques instants ; puis il avança vers le commandant du groupe, et ses congénères firent de même avec les autres hommes et femmes présents.
— Tenez.
Le commandant de l’escouade droïde attrapa le databloc que lui tendit Carth et consulta l’écran.
— Je ne vois rien d’écrit… Hé !
S’il protestait, c’était parce que sa cible venait de lui arracher son blaster. Comme un seul être, les autres membres du commando firent de même avec les autres droïdes. Carth prit le canon de l’arme, puis, avant que la machine ne puisse réagir, il abattit la crosse sur son plastron qui se fissura sous l’impact. Le droïde tomba à la renverse.
Un deuxième coup sur le cou, et l’engin décapité cessa de bouger. Le jeune homme se reporta alors sur celui que Givin tenait en respect, visiblement sans trop savoir comment procéder. Carth soupira intérieurement.
C’est déjà un miracle qu’il ait pu prendre l’arme et ne se soit pas évanoui…Quelques instants plus tard, c’était fini… et beaucoup plus silencieusement que s’ils avaient fait usage des blasters.
— Je les croyais plus solides, dit Givin, en sueur, en contemplant les carcasses métalliques au sol.
— Ouais, moi aussi, mais c’était avant d’en détruire quelques-uns, répondit Carth en vérifiant que l’arme dont il s’était emparé n’avait pas subi de dégâts. Thalas pense que la République s’est arrangée pour saboter l’alliage dont se servent les Seps… Tant mieux pour nous.
Il se mordit les lèvres, puis ajouta :
— C’était pas trop mal. Au moins, tu as évité d’être blessé.
Après tout, c’était la première fois que Givin était directement confronté à l’infanterie mécanoïde de la Confédération ; tous les autres membres du groupe avaient déjà pratiqué ce genre d’affrontements pour se débarrasser des patrouilles qui infestaient quelques mois plus tôt les rues d’Heduris.
Dyna et Meill étaient déjà au travail sur le panneau de contrôle de la porte, veillant à déconnecter toutes les mesures de sécurité pour pouvoir ouvrir l’accès sans déclencher l’alarme.
Le cœur de Carth faillit s’arrêter quand il entendit une sirène se déclencher. Il échangea un regard avec Jarbo qui semblait aussi surpris que lui. Mais un coup d’œil en direction des deux femmes, qui poursuivaient avec application leur tâche, leur apprit que la cause de l’alerte était toute autre.
Sans doute Thalas, jugea Carth.
Il doit être passé à l’action. Pas question de traîner ici… Un claquement métallique lui indiqua qu’ils allaient pouvoir poursuivre leur avancée.
L’obscurité régnait dans le couloir de l’autre côté de la porte sécurisée. Mais plus encore que la luminosité, c’était le décor qui tranchait avec le couloir où ils se trouvaient. Si l’annexe apparaissait déjà plutôt grossière dans sa conception par rapport au reste du complexe qu’elle agrandissait, ce n’était rien en comparaison avec ce que Carth voyait là : des couloirs nus, mal finis, où les murs étaient couverts de tuyaux et de gaines mal ajustées qui laissaient voir les enchevêtrements de câbles qu’elles étaient censées cacher.
— Eh bien, au moins, nous sommes certains que ce n’est pas un bâtiment d’agrément… marmonna-t-il.
Il activa la lampe de son comlink et passa le premier dans le couloir. Désormais, ils étaient en terrain inconnu ; même le ou les contacts si bien informés de Thalas n’avaient pu lui fournir de plan des lieux.
Les premières portes qu’ils trouvèrent ne donnaient que sur des réserves de matériel quasiment vides. Dans la quatrième, Carth trouva une pièce métallique semi-circulaire et la montra à Givin.
— Qu’est-ce que c’est ? La gaine d’un laser ?
Le scientifique prit son temps avant de répondre.
— Non, je ne crois pas. Ça ressemble plus à un implant crânien, vous savez, ceux dont se servent les interfacés…
— Les systèmes de simulation neurale pour ceux qui ont été victimes de séquelles, suite à un accident vasculaire cérébral ou un autre trouble du genre ?
— Ils ne sont pas utilisés qu’à des fins thérapeutiques, le renseigna Givin. Certains choisissent volontairement d’être équipés d’une interface neurale pour augmenter leurs capacités cérébrales, ou pour pouvoir travailler en synergie avec des machines ou des droïdes. Il peut s’agir de techniciens informatiques, de chercheurs, de certains opérateurs financiers…
Carth fit une moue dégoûtée.
— Qu’est-ce que les Seps peuvent bien faire avec ça ?
— Nous créer des ennuis, suggéra Dyna en jetant un coup d’œil à l’appareil. Imaginez qu’ils en équipent des soldats vivants pour leur donner le pouvoir de coordonner une escouade entière de droïdes…
Avec un frisson, Carth accrocha la pièce à sa ceinture.
— Vérifions qu’il n’y a pas d’autres informations ici et passons à la pièce suivante. La diversion créée par Thalas ne durera pas éternellement.
Les deux salles suivantes ne leur apportèrent aucun autre élément. Ils se résolurent alors à gagner l’étage, en espérant y trouver de quoi ne pas repartir bredouilles…
Il leur fallut parcourir plusieurs mètres avant d’atteindre la première porte. Dès qu’elle fut ouverte, Carth comprit que l’endroit était très différent des réserves qu’ils avaient pu explorer en-dessous. L’obscurité y régnait, mais il y avait bel et bien du matériel, et le plafond n’était pas repérable depuis le seuil où ils se tenaient…
Il fit un pas pour entrer, et les lumières s’allumèrent.
— Au nom de la Force, qu’est-ce que c’est que ce bordel… ? murmura-t-il
La table d’opération, les cuves remplies de liquide verdâtre et les pièces de matériel qui traînaient un peu partout faisaient penser au laboratoire d’un scientifique dérangé, mais les droïdes présents – bien que désactivés – étaient des modèles médicaux, et les parois étaient recouvertes de revêtements étanches permettant de créer un environnement stérile, comme dans les meilleurs complexes hospitaliers de la galaxie…
— Vous croyez que c’est ici que…
Il n’acheva pas sa phrase.
Il s’était retourné vers son équipe pour parler, et venait de voir la silhouette d’un être – Humain ? Il n’aurait pu le certifier – qui fonçait sur eux. Il leva aussitôt son arme.
— Attention !
Il aurait voulu tirer, mais Meill et Jarbo étaient dans sa ligne de tir. Ils se retournèrent, eux aussi, mais il était trop tard ; l’attaquant venait de donner un coup latéral avec sa main tendue, touchant d’un même geste l’arrière de leurs deux crânes. Ils s’écroulèrent, et leurs sangs se mélangèrent sur le sol.
Tout s’était passé très vite.
Trop vite.
Beaucoup trop vite.
Il vit que la créature avait des ongles anormalement longs, à présent tachés de rouge…
Il tira, mais loupa son coup. Dyna avait aussi ouvert le feu, mais Givin était resté hébété, comme paralysé par ce qu’il venait de voir. Ce fut pourtant vers la femme que l’assaillant se dirigea, les mains en avant. Elle hoqueta de douleur tandis qu’il la transperçait de ses larmes digitales et la soulevait, sous le regard horrifié de Carth. Il la contempla, le temps d’une fraction de secondes, puis la balança vers le jeune homme.
Il fut trop lent pour s’écarter et fut heurté sur le flanc. Il tomba au sol. Il entendit Gavin Croff lancer un grand cri qui s’acheva en gargouillements.
Quand le scientifique s’effondra au sol, une grande marque sanguinolente en travers du cou, Carth comprit qu’il était le dernier homme de son escouade à pouvoir encore respirer.
L’attaquant avait récupéré l’arme inutilisée de Givin. Il la tendit vers le survivant, prêt à tirer. Il avança doucement, et le jeune homme le regarda arriver comme s’il voyait la Mort elle-même s’avancer vers lui.
L’assaut avait été si rapide qu’il n’avait pas pu voir très clairement l’être qui l’attaquait. Mais, cette fois, il repéra les quelques servomoteurs apparents le long des membres, jusqu’aux longs appendices qui avaient été fatals à son équipe et étaient à présent rétractés pour pouvoir manier l’arme ; il vit la combinaison de vol grise, désormais couverte de sang et même, comprit-il, d’un peu de cervelle ; et la tête, surtout, la tête dont la majeure partie de la moitié gauche était couverte par une coque rappelant les crânes des droïdes de protocole, capteur optique compris.
Quant à l’autre moitié du visage… Ce n’était plus que les vestiges des traits d’un homme. La barbe était plus ou moins rasée, mais les cheveux restants, d’un brun terne avec des notes de gris, semblaient sales et gras et tombaient sur l’épaule droite. Au milieu de ce triste spectacle, un œil, un œil vert qui posait un regard désorienté sur sa prochaine victime.
Je connais ce regard, songea Carth sans trop comprendre pourquoi.
Alors, stimulé par l’adrénaline qui semblait parcourir toutes les cellules de son corps, il rassembla ses souvenirs et son imagination, essayant de se représenter à quoi avait pu ressembler l’être avant de se trouver si horriblement défiguré.
La réponse le choqua autant que la mort de ses équipiers.
— Ollie… murmura-t-il. Ollie Fexmond…