
Estimés Maîtres Jedi, vous qui avez été mes professeurs, mes confrères, mes amis, faites donc ce qu’il vous plaira de ce témoignage. Voyez-y le récit d’un Jedi fou, comme vous semblez penser que je le sois, ou celui d’un héros, comme il vous plaira. Cela ne m’importe plus. Si je souhaite vous raconter une dernière fois les évènements survenus à la frontière des Régions Inconnues sur la planète Yule, c’est seulement pour clarifier une chose : vous m’accusez d’avoir assassiné mon ancien Padawan et ami Nevi Arniss ainsi que la Capitaine des Forces d’Action Spéciale de la République Maïeh Tokano, de m’être allié à un Seigneur Sith et d’avoir trahi la République ; il est exact que j’ai tué Nevi et que je me suis allié à un Seigneur Sith mais je n’ai pas tué la Capitaine Tokano et n’ai en aucun cas trahi la République, j’ai au contraire agi pour le bien de toute la Galaxie comme j’espère vous le démontrer.
Mais peut-être devrais-je reprendre les choses à leur commencement.
Au commencement, bien sûr, il y avait la mission que vous m’avez envoyé mener à proximité des Régions Inconnues, en compagnie de Nevi qui venait d’être élevé au rang de Chevalier Jedi ainsi que d’une équipe des Forces d’Action Spéciale que les services de renseignement avaient accepté de placer sous mes ordres, dirigée par la Capitaine Tokano.
Nous faisions face à une situation inquiétante : pas moins de quatre Jedi avaient mystérieusement disparu au cours des semaines précédentes ; un cinquième, le Ongree Balin Zasj, était reparu après son enlèvement mais était incapable d’expliquer de manière cohérente ce qui lui était arrivé, son comportement avait fini par devenir si étrange et si menaçant que des soldats de la République n’avaient eu d’autre choix que de le tuer pour sauver leurs vies. Ces évènements tombaient assurément très mal en pleine guerre contre les Sith.
Je me revois encore, sortant de la réunion avec votre Conseil et le directeur des services de renseignement en compagnie de Nevi et de la Capitaine que je venais de rencontrer. Si seulement j’avais su alors ce que je sais maintenant !
« Quelle est votre opinion sur notre mission, Capitaine ? demandais-je d’un ton badin à ma nouvelle subordonnée.
Dans la mesure où j’allais passer les prochaines semaines avec elle, je tenais à avoir une estimation de son intelligence et de sa franchise.
Elle haussa les sourcils, apparemment surprise qu’on lui demande son avis. C’était une humaine âgée d’une trentaine d’années, au physique singulier avec ses yeux bridés combinés à une peau d’un blanc de craie et à un visage large aux pommettes saillantes.
-Mon opinion est que des gens qui sont capables d’enlever des Jedi sont une menace à prendre au sérieux et qu’il va donc falloir faire preuve de prudence, ne pas dévoiler notre jeu avant de savoir à qui ou à quoi nous avons affaire exactement.
J’opinais, satisfait par la réponse, mais voulus la tester plus avant :
-À qui ou à quoi nous avons affaire ? Vous ne pensez pas que ce soit tout simplement les Sith qui soient derrière cela ? Qui d’autre est capable de neutraliser des Jedi et a intérêt à les cibler en tant que tels ?
-Non, je ne pense pas. Capturer clandestinement des Jedi au compte-goutte en pleine guerre ne serait pas une utilisation rationnelle de leurs forces et surtout, il semble d’après nos informations que les Sith soient eux-mêmes inquiets de disparitions dans leurs rangs…
-Tout à fait juste, Capitaine. Ce qui signifie que notre ennemi s’intéresse aux utilisateurs de la Force en général. Et quel qu’il soit… Il est d’une nature qui échappe à ce que nous connaissons jusque-là.
-Qu’est-ce qui vous fait dire cela, Général ?
-J’ai parlé à Balin Zasj, celui qui était revenu après avoir disparu. Nevi et moi étions parmi les Jedi qui l’ont retrouvé, qui vivait désormais en ermite sur Batuu, fuyant tout et tout le monde. Je l’avais connu avant sa disparition et ce n’était plus le même Ongree, pour ne pas dire qu’il était devenu fou à lier. Il divaguait sans cesse et de manière décousue à propos d’une mystérieuse planète Leng dans les Régions Inconnues, d’entités plus puissantes dans la Force que tout ce que nous connaissions, de mystérieuses menaces, se référait sans cesse à sa mère qu’il n’avait pourtant presque pas connue, ne supportait plus la vue des étoiles, paraissait à peine se rendre compte de notre présence… Je ne sais pas ce qui lui a causé un tel choc, mais quoi que ce soit, c’est très inquiétant. On parle de quelqu’un qui avait passé sa vie à parcourir la Galaxie et s’était déjà battu contre les Sith. J’espérais qu’il finirait par s’en remettre mais la suite m’a donné tort…
Je ne pus réprimer un frisson et regrettait de m’être tant étendu sur le sujet ; ma dernière rencontre avec Balin m’avait bien plus troublé que je n’aurais voulu le laisser paraître. Ce qui m’avait encore davantage troublé que ce que je venais de dire à l’officier et que je ne pouvais lui faire comprendre, c’était la sensation que m’avait fait l’esprit de Balin dans la Force, comme s’il avait été distendu au contact d’une force trop grosse pour lui jusqu’à lui faire perdre la raison. À l’expression qui s’emparait du visage nautolan de Nevi, que j’avais appris à déchiffrer depuis fort longtemps, je devinais qu’il ressentait la même chose que moi.
-Bref, repris-je, vous avez mille fois raison, Capitaine. Nous devrons être les plus discrets possible jusqu’à ce que nous sachions à quoi nous avons affaire et surtout, être parés à toute éventualité. Je suis heureux que vous le compreniez. »
Au moins savais-je pourquoi vous m’aviez choisi pour cette mission : vous connaissiez mon goût de l’analyse, mon sang-froid et ma capacité à toujours raisonner de façon rationnelle même dans les situations les plus urgentes et les plus incongrues. Je ne me sentais pourtant pas rassuré le moins de la Galaxie en embarquant avec la Capitaine et mon ancien apprenti dans un vaisseau armé mais conçu pour paraître un simple cargo, en route vers l’inconnu.
Remonter la piste de Balin sur Batuu ne fut pas difficile : les indigènes se rappelaient l’arrivée du Ongree et les propos incohérents qu’il leur avait tenus, selon lesquels il s’était évadé d’une planète appelée Yule située à la lisière des Régions Inconnues où il avait échappé à un mystérieux sacrifice. Lorsque nous avons retrouvé le vaisseau, l’historique de navigation a confirmé ses dires. Yule était référencée dans les archives de l’Ordre Jedi bien qu’il n’y ait que très peu d’informations sur ce système ; la Capitaine Tokano, de son côté, nous indiqua que selon les quelques informations dont disposaient les services de renseignement, ce monde n’avait pas d’espèce pensante native mais que l’on y trouvait néanmoins une petite population hétérogène de réfugiés de guerre qui n’avaient pas trouvé meilleur havre, de pirates, de contrebandiers ainsi que des populations venues des Régions Inconnues.
Arrivés sur Yule, en revanche, les choses se compliquèrent.
La planète était située sur une orbite excentrique dans un système qui n’était peuplé en-dehors d’elle que de géantes gazeuses ; l’essentiel de sa surface habitable, au nord, était couvert de montagnes grises et de vastes forêts de conifères, entre lesquelles de petites colonies avaient été bâties dans les vallées. Avant même que Nevi et moi n’ayons posé le pied sur cette planète, nous avons senti que quelque chose n’allait pas, ici. Nous ressentions une perturbation dans la Force, quelque chose d’étrange et d’énorme, dont nous étions pourtant incapables de déterminer la source, comme si elle n’était pas véritablement là, ou pas sur un plan que nous puissions percevoir. Je n’avais jamais ressenti une telle chose, c’était quelque chose de vivant mais qui me paraissait radicalement étranger à tout ce que nous connaissions, qui semblait perturber et même déformer le cours de la Force là où nous nous trouvions. Nous en avons parlé entre nous sans parvenir à y trouver une explication ; en revanche, nous n’en avons dit mot à la Capitaine ni à ses agents, ils ne pouvaient comprendre ce que nous ne comprenions pas nous-mêmes.
Une fois au sol, la ville s’est avérée être peuplée principalement d’humains aux origines diverses ainsi que d’une espèce que je n’avais jamais vue, des êtres émaciés à la peau gris clair rugueuse -ou était-ce plus proche d’une carapace ?- et aux yeux blancs. Je pensais être quelqu’un de totalement ouvert d’esprit à l’égard des non-humains, côtoyant depuis toujours les espèces les plus diverses en tant que Jedi, mais je devais avouer que eux me donnaient la chair de poule. Leurs visages sans émotion décelable pour mes yeux d’humain, leurs regards vides, leurs longs membres décharnés, leurs gestes fluides qui avaient quelque chose d’arachnéen, les symboles bizarres et complexes dont ils marquaient leurs vêtements, et par-dessus tout, l’étrange cliquètement de leurs voix qui parvenaient malgré tout à articuler le basic, tout en eux me déplaisait souverainement. J’essayais de me convaincre de tout ce qu’il y avait d’irrationnel dans cette attitude, de me dire que je ne réagissais ainsi que par un instinct hérité des ancêtres de mon espèce, à une époque peut-être où ils étaient chassés par des êtres qui présentaient des ressemblances avec ces étrangers gris, mais je ne parvenais pas à dominer ce sentiment.
Nous découvrîmes rapidement que les humains qui vivaient sur Yule et les quelques représentants d’autres espèces partageaient notre sentiment à leur égard.
« Ils se font appeler les Ziggharrat, déclara un employé de l’astroport à Nevi qui l’interrogeait à leur sujet. Enfin, c’est ce que ça donne quand on essaie de prononcer le nom qu’ils se donnent, en tout cas. Ils viennent des Régions Inconnues, je ne sais plus comment ils appellent leur monde natal. D’après ce que disent les anciens, ils viennent ici depuis longtemps, sans doute même depuis bien avant qu’il n’y ait des humains ici. Jusque-là, ils étaient peu nombreux et ne faisaient que des visites épisodiques mais depuis quelques semaines, la ville en grouille, et je crois que c’est pareil pour les autres colonies… Apparemment, ils attendent une espèce de, je ne sais pas, de fête, de célébration religieuse, quelque chose comme ça, qu’ils accomplissent dans le système de Yule depuis des temps immémoriaux.
-Ils ne semblent pas vous mettre à l’aise, observa mon ami. Est-ce qu’ils posent des problèmes ?
-Ah, pas du tout ! Au contraire, ils restent entre eux la plupart du temps et ne demandent rien, ou quand ils demandent quelque chose, ils le paient grassement. C’est pas comme tous ces jeunes Rodiens qui… enfin passons, s’interrompit l’homme avec un regard furtif aux tentacules de Nevi, paraissant se demander si celui-ci prendrait ombrage qu’il critique d’autres non-humains. Mais ouais, ils me mettent mal à l’aise, comme tout le monde, je ne sais pas pourquoi. Il faut dire qu’ils sont très bizarres, avec leurs rituels et tout… Il y a des humains qui sont en contact avec eux depuis longtemps et qu’ils ont apparemment embarqué dans leur délire religieux, notamment le Baron Unstern qui parle leur langue. Il y en avait un autre qui paraissait bien les connaître mais qui s’est brusquement éloigné d’eux, il est devenu très bizarre et il passe son temps à la cantina de l’astroport, maintenant, je ne sais pas son nom, un type avec les cheveux blonds et une barbe assez volumineuse. »
Lorsque Nevi nous rapporta cette conversation, la Capitaine Tokano et moi-même estimâmes ne pas faire preuve de préjugés xénophobes en faisant grimper les Ziggharrat ou en tout cas une partie d’entre eux en tête de notre liste de suspects, la coïncidence entre leur soudain afflux sur Yule et l’époque à laquelle des Jedi avaient commencé à être enlevés était trop forte. Cependant, il s’avéra impossible de trouver le moindre indice quant au passage de Balin sur cette planète : les habitants, prétendaient ne rien savoir et semblaient n’avoir jamais vu un Ongree, nombre d’entre eux ne savaient même pas ce qu’était un Jedi. La seule chose certaine était que les Ziggharrat voyageaient beaucoup et se rassemblaient régulièrement avec des humains proches d’eux pour d’obscures cérémonies dont personne ne pouvait dire où elles se déroulaient exactement, mais personne n’avait suspecté qu’ils retiennent des gens prisonniers.
Notre enquête piétinant mais étant sûr que les Ziggharrat y étaient mêlés d’une façon ou d’une autre, je décidais d’aller trouver cet homme à la cantina de l’astroport qui semblait ne les avoir que trop bien connus.
Je n’eus pas grand mal à identifier l’homme dont avait parlé l’employé du spatioport : attablé avec un inconnu encapuchonné, ses yeux et sa gestuelle donnaient une désagréable impression d’instabilité mentale, impression confirmée par ce que je percevais de son esprit dans la Force où ses pensées semblaient n’être que terreur et obnubilation. Lorsque son interlocuteur encapuchonné le quitta, je m’installais à sa table et lui proposais un verre d’une bière de Baatu.
« Qui êtes-vous ? me questionna-t-il avec une telle défiance qu’il semblait prêt à s’enfuir en courant d’un instant à l’autre.
-Un ami, le tranquillisai-je tout en exerçant une discrète influence télépathique pour le convaincre d’abandonner toute crainte.
-Vous êtes un ami, répéta-t-il d’une voix ahurie.
Je n’avais pas eu grand mal à agir ainsi : son esprit semblait si obsédé par quelque lointaine perspective cosmique qu’il ne s’apercevait pas de mon emprise.
-Un ami qui veut en savoir plus sur les Ziggharrat, précisai-je. Vous les avez bien connus, n’est-ce pas ?
-Oh oui, je les ai bien connus…
-Est-ce que vous savez si… s’il leur arrive de faire disparaître des gens ? Ou d’amener des gens ici ? demandai-je à voix basse après m’être assuré que personne n’était suffisamment proche pour nous entendre.
-Non, ça je sais pas. J’ai coupé les ponts avec eux avant que… avant qu’ils ne commencent tout ça. D’ailleurs, ils n’aiment pas que j’en parle aux gens. Ils n’aimeraient sans doute pas que je vous parle.
-Ils ne le sauront pas, le rassurai-je avec une nouvelle dose de suggestion mentale.
-Ils ne le sauront pas.
-Alors, que pouvez-vous me dire sur les Ziggharrat ? Qu’est-ce qu’ils n’aimeraient pas que vous me disiez ?
L’homme eut un rire nerveux, trop prolongé pour être celui d’un homme sain d’esprit.
-Mais vous, vous n’aimeriez pas non plus que je vous le dise. Vous qui venez d’au-delà de ce que vous appelez l’Espace Sauvage et la Bordure Extérieure, du Noyau ou de la Bordure Médiane si tranquilles, croyant que tout en cette galaxie se résume à une guerre entre une République et son ordre mystique et un Empire avec son propre ordre mystique suivant des différends philosophiques et politiques… Vous ne savez pas que dans ce que vous appelez les Régions Inconnues et par-delà notre Galaxie, il y a des centaines de menaces qui vous glaceraient les sangs si vous les connaissiez.
-Comment le savez-vous, vous ? Qu’avez-vous vu ?
-Moi ? Oh, moi, rien. Mais les Ziggharrat… Ils en savent bien plus longs que vous et moi, non seulement sur notre Galaxie mais aussi sur l’univers tout entier, sur le temps et l’espace, sur les entités qui dominent toute vie, comme la fameuse Force des Jedi et des Sith qui n’en est qu’une forme particulière à notre Galaxie. J’ai compris qu’ils avaient ce savoir immense et terrible alors j’ai voulu l’acquérir pour moi-même, les autres humains d’ici me considéraient comme un grand savant, à cette époque, pas comme l’excentrique alcoolique du coin, j’ai compris que leurs connaissances dépassaient de loin les miennes alors je me suis ouvert aux leurs ; ils m’ont montré, ils m’ont même emmené sur leur planète natale, la lointaine Leng, dans les Régions Inconnues… Si vous voyiez les cités cyclopéennes construites selon des angles impossibles qu’ils ont bâties là-bas ! J’y étais avec le Baron Unstern. Si vous saviez… Autour de la Galaxie que vous connaissez, l’espace est arpenté par des peuples de conquérants sanguinaires qui voyagent entre les mondes pour détruire et asservir ; par des planètes errantes qui vivent et pensent comme de gigantesques êtres vivants ayant leur propre faune et leur propre flore ; dans l’espace entre les galaxies existe un peuple exilé de sa planète vivante natale sur des vaisseaux-mondes, qui n’a pas de technologie telle que nous la connaissons mais sait plier toute vie à sa volonté pour transformer des êtres en leurs vaisseaux, outils, armures, exclus de la Force vivante… Il y a des êtres gigantesques qui utilisent la Force des Jedi à un niveau bien supérieur à tout ce que ceux-ci pourront jamais atteindre, sur une planète sous-marine que les peuples des Régions Inconnues appellent Hautemer, des sortes d’énormes céphalopodes appelés Ômus qui y ont créé et dirigent toute forme de vie… Et, pis que tout, il existe des êtres, situés sur d’autres plans de l’espace-temps que notre Galaxie, qui arpentent la noirceur du cosmos dont ils sont eux-mêmes faits, aussi anciens que les étoiles, suffisamment grands et affamés pour engloutir des planètes entières, des…
-Oui, ça va, j’ai compris l’idée générale, le coupais-je, agacé par ce babillage inepte.
Il regarda en direction du ciel à travers une fenêtre et secoua la tête, comme reprenant ses esprits. Je sentis une nouvelle bouffée de terreur s’emparer de lui.
Complètement taré, pensais-je. À l’évidence, je ne pourrais rien tirer de lui. J’étais cependant surpris de reconnaître dans ses insanités des thèmes communs avec les divagations de Balin, notamment celui de la planète Leng ; de toute évidence celle-ci existait bien, mais il me faudrait trouver un interlocuteur sain d’esprit pour en parler.
-Je suis désolé, je dois partir, lança précipitamment l’homme en se levant, le regard toujours fixé sur le ciel qui s’assombrissait peu à peu.
Il partit quasiment en courant ; je ne cherchais pas à le retenir mais le regardait s’enfuir, stupéfait.
-Il doit partir car il ne supporte plus la vue des étoiles. » déclara en sy bisti une voix quelque part à ma droite.
Je me retournais. L’inconnu encapuchonné que j’avais aperçu tantôt m’observait, son visage maintenant découvert.
Sa peau était bleue et ses yeux rouges.