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La Lame de la Justice
Fiche | An -15 | Dix-sept ans plus tard… | Vingt ans plus tard...
Dix-sept ans plus tard…
 
Un éclair déchira l’obscurité, illuminant furtivement une silhouette immobile perchée sur une grosse branche d’arbre. Un être, ou plutôt une forme, de presque deux mètres de haut, recroquevillée pour ne représenter plus qu’une masse au milieu de laquelle brillaient deux yeux d’un blanc aveuglant.

La représentation au Grand Théâtre de Bothawui venait de prendre fin, et les bourgeois qui y avaient assisté rejoignaient leurs véhicules à répulseurs pour regagner leurs appartements. Des humains pour la plupart, en fait des officiers de l’Empire qui venaient pavaner et proclamer leur victoire sur le monde natal des bothans. Cet Empire avait étendu son règne despotique à travers toute la galaxie, au mépris de la liberté des peuples. Même les fiers bothans avaient appris à se plier à la loi martiale de l’Ordre Nouveau, même s’il était acquis que la résistance souterraine ne manquait pas de partisans, qui mettaient leurs talents d’espionnage au service d’une Rébellion qui se propageait à toute vitesse, surtout depuis la victoire de Yavin.
Mais l’Empire se servait de ces faits pour accentuer sa domination sur l’espace bothan. Le Grand Théâtre était jadis un lieu où se retrouvait le gratin des clans dominants, il était désormais le lieu où les officiers impériaux en poste se plaisaient à se montrer.
Le Général March était de ceux là : un brillant officier de la Marine Impériale - comprenez sadique jusqu’à la moëlle et sans pitié - affecté depuis peu au commandement des forces déployées dans le système. Un poste de mérite quand on connaissait l’importance de la flottille qui évoluait autour de Bothawui ; il en fallait pour mater les bothans… Et March ne manquait pas de le rappeler, présent à tous les événements de société, affublé de son plus bel uniforme vert olive, et escorté de quatre solides molosses, présents pour mettre en exergue son importance et dissuader d’éventuels terroristes.
Il sortait tout juste du Grand Théatre, un garde devant, un derrière et les deux autres de chaque côté, aucun à plus de deux mètres de distance des autres, et descendit prestement les marches majestueuses exposées à la pluie pour arriver à son landspeeder XD-99, qui l’attendait juste en bas. Un garde lui ouvrit la porte et il monta, accompagné de deux gardes du corps tandis que les deux restants s’éloignaient pour rejoindre des moto-speeders d’escorte.
Peu après, les trois appareils démarrèrent en trombe, leurs répulseurs éclaboussant d’eau de pluie les passants alentour. Un speeder prit la tête, suivit du XD-99 puis de l’autre speeder qui fermait la procession. Il fallut peu de temps au cortège pour sortir de la ville et s’engager sur la longue route qui les mènerait à la base impériale où résidait le général. La route était trempée par la pluie et bordée de grands arbres typiques de Bothawui, battus par le vent et éclairés de temps en temps par un éclair. Les coups de tonnerre, en pleine nuit, venaient ajouter à cette ambiance morbide et peu rassurante.
– Hâtez-vous, je vous prie, marmonna March à son chauffeur.
– Oui mon général, répondit docilement le chauffeur en accélérant.
March n’avait qu’une envie : rentrer au plus tôt pour retrouver sa maîtresse, sa femme étant restée dans leur palais sur Thyferra. Il vit que le speeder de tête avait compris et accélérait à son tour. Puis il jeta un regard distrait par la fenêtre et fut pris d’un malaise. Une sale sensation, comme une présence. Décidément, il détestait cette planète et ses arrogants habitants à fourrure qui ne devrait (selon lui) ne servir que pour faire de splendides tapis devant sa cheminée. Il allait finir par demander une autre affectation…

Un bruit de moteurs lui fit relever la tête. De ses yeux perçants, il constata que les appareils en approche étaient ceux de la cible : une voiture à répulseurs et deux speeders. D’un geste vif de sa longue main gantée, il tira sur un filin accroché à l’arbre, l’autre extrémité étant reliée à un second arbre de l’autre côté de la route. Au-dessus de la voie, le filin tiré se tendit entre les deux arbres et s’éleva à un mètre et quelques au-dessus du permabéton glissant.
Le speeder de tête arrivait à toute vitesse, et le mouvement du filin attira l’attention du pilote. Trop tard. Il fut tranché en deux comme du beurre par la corde en duracier effilé, tranchante et fine. La partie supérieure du corps du garde partit en l’air tandis que le bas et le speeder continuaient leur route quelques instants avant de s’écraser avec fracas sur un pylône au bord de la route trempée.
Pris de court, le chauffeur de la voiture juste derrière freina de son mieux puis braqua violemment pour tenter d’éviter ce qu’il imaginait être la cause de l’accident du speeder. Mais il perdit le contrôle à cause de la pluie qui altérait la visibilité et quitta la chaussée pour aller s’encastrer contre un arbre qu’il ne vit qu’au dernier moment. Le choc étourdit les quatre passagers, tandis que le speeder derrière parvenait lui à s’arrêter correctement à côté du XD-99.
Encore sous le choc, le général March se redressa, vit que son front saignait, puis parvint à grommeler quelques mots.
– C’est quoi ce…
Un bruit sourd l’interrompit. Un bruit sur le toit de la voiture. A ses côtés, les gardes du corps avaient parfaitement repris leurs esprits, en bons professionnels, et dégainaient leurs blasters. Le chauffeur quant à lui était toujours sonné. Soudain, tous entendirent un bref sifflement et un petit cri vite étouffé, alors qu’une giclée de sang aspergeait les fenêtres déjà trempées par la pluie. Enfin, ils perçurent le son d’un corps qui tombait à terre.
En un geste, les gardes du corps sortirent de leur côté respectif, et le général March put mieux distinguer l’extérieur de la voiture. Une grande ombre se tenait immobile sous la pluie, sa main droite levée et placée derrière sa nuque. Le premier garde du corps braqua son blaster et fit feu, mais l’être avait déjà souplement glissé à côté de lui, plus vite que March ne l’eût cru possible. Un éclair de lumière jaillit de derrière sa nuque, un sabre apparut dans ses mains et la lame en cylar trancha le soldat de l’épaule droite au flanc gauche, d’un unique coup. Puis le second garde du corps bondit de derrière la voiture, sa vibro-lame activée et prête à trancher. Il était suffisamment professionnel pour savoir que, compte tenu de l’agilité de l’adversaire et de l’obscurité, son blaster ne serait d’aucune efficacité. Il frappa l’individu, qui para aisément de son sabre. D’un geste fluide, il contra une seconde attaque et sa lame étincelante se déplaça à toute vitesse, déchirant le ventre de l’impérial. Un deuxième coup l’empala, puis un coup de pied dégagea le cadavre de la lame ensanglantée. Le corps sans vie alla rebondir contre la carrosserie de la voiture avant de s’écraser face contre le sol boueux.
Tétanisé, le général n’avait pu faire le moindre geste. Un garde tué par le filin, l’autre abattu à peine descendu de son speeder, et les deux derniers massacrés sous ses yeux… Des incapables. Le chauffeur, enfin réveillé, réagit à son tour. Il tenta de redémarrer la voiture à répulseurs pour pouvoir emmener son maître loin de ce carnage, mais l’appareil avait gravement souffert du choc contre l’arbre et le moteur n’émit que quelques toussotements décourageants. Conscient qu’il allait devoir servir le général jusqu’au bout, il sortit son propre blaster et sauta hors du véhicule après avoir chargé son arme, l’air décidé. L’assassin s’était approché de l’appareil, ses yeux fixés sur March, paralysé de peur sur la banquette arrière aux portes restées ouvertes.
Le type avait toujours son sabre dégainé (March pensait que ce type d’arme ne se trouvait que dans les musées, mais il commençait à se dire qu’elles n’étaient pas si inutiles que cela…) et avançait lentement, imposant et terrifiant, quand le chauffeur surgit à sa droite, arme braquée. L’assassin ne le regarda même pas, mais sa lame s’élança vivement en prolongement de son bras droit et transperça la gorge de l’impérial, laissant March seul face au tueur. Un splosh lui indiqua que son dernier soutien finissait à son tour ses jours dans la terre boueuse de Bothawui.
L’assassin passa la tête à l’intérieur de la voiture, sabre toujours à la main, et le général aperçut son visage sous sa capuche noire. Long et ovale, de teinte jaune clair, avec une multitude de petites cornes arrondies tout autour du crâne, des dents pointues et… des yeux terrifiants, malgré une absence d’expression. Le général, comme tout bon officier impérial, était parfaitement capable de se défendre en combat rapproché. Mais voir tous ses gardes périr en quelques secondes face à cet individu était effrayant et March resta immobile sur la banquette, tétanisé. Fasciné malgré lui, il regarda les terribles yeux blancs de son agresseur et ne fit pas attention à la pointe de la lame qui approchait. Les lèvres de l’extraterrestre frémirent et il parla tout doucement.
– Pour la justice.
La lame pénétra dans la gorge du général March, et en ressortit juste après. L’impérial agonisa en grognant, et un petit filet de sang jaillit entre la gorge et l’arme. March perdit la vie alors que le sabre, que l’assassin venait d’essuyer contre l’embouchure du fourreau placé à la verticale le long de son dos, regagnait ce même fourreau, son rôle accompli.
Autour de la voiture, la pluie s’était mêlée au sang des cadavres. Sans un regard en arrière vers son forfait, l’assassin partit lentement, son grand corps sombre semblant ignorer la pluie tout comme la mort qu’il semait autour de lui.

– C’est dingue… Mais qui c’est ce type ?
– Je l’ignore.
Les deux compères se jetèrent un regard perplexe en découvrant les traces de l’intervention de l’assassin. Après tout, c’était leur groupe qui lui avait donné ses ordres, mais ils ne s’attendaient pas à ça… Ils étaient arrivés à peine quelques secondes après l’attaque, mais le type n’était déjà plus là. Une ombre… Mais jamais ils n’avaient vu d’ombre aussi mortelle.
Tous deux étaient ce que leur groupe appelait les « nettoyeurs », chargés de passer après les actes des assassins pour s’assurer que le travail avait été bien fait mais aussi pour éliminer toute trace, tout indice, qui pourrait permettre de remonter la piste de l’assassin jusqu’au donneur d’ordre, les tireurs de ficelles. Ceux que les gens dénommaient comme étant les Rebelles…
– Tout ce que je sais, ajouta le bothan, c’est qu’il fait le boulot qu’on lui demande. Et qu’il le fait bien.
– Ça tu l’as dit, acquiesça l’humain en avisant un cadavre d’impérial, tué d’un seul coup net à la gorge. Dis-moi, il sort d’où ?
– Je t’ai dit que j’ignorais tout de lui. Les chefs l’ont recruté il y a à peine quelques semaines, et à chacun de ses quarante-trois assassinats c’est le même spectacle : net et sans bavure. Quant à propre je ne sais pas si c’est approprié. Quoiqu’on puisse se le demander, un tir de canon blaster ne ferait pas mieux…
Il appuya ses propos d’un vague geste de la main en direction de l’herbe couverte d’un mélange de sang et d’eau de pluie. Tout en discutant, les deux hommes inspectaient chaque cadavre, chaque marque, qui serait susceptible de révéler une caractéristique majeure de leur agent.
– Et personne ne sait d’où il vient ? Ni comment il a appris à… faire ce qu’il fait ? Et puis son arme, ça fait des millénaires que plus personne n’utilise ce genre d’antiquités !
– Je ne sais même pas quelle est son espèce, répéta le bothan. Les chefs savent peut-être quelques trucs… Pour ce qui est de son sabre, je crois que c’est un choix stratégique.
– Comment ça ? fit le jeune humain peu expérimenté, et intrigué.
– Sa tâche exige une discrétion absolue, et je ne suis pas sûr qu’une vibro-lame soit parfaitement furtive, et encore moins une arme laser comme celles des anciens Jedi. Et puis, quand tu commenceras à t’y connaître en contrebande, tu verras que les détecteurs impériaux cherchent les cellules énergétiques avec leurs scanners, ils ne prêtent pas attention à de simples bouts de métal. Tu piges ?
– Ouais… Dis, tu prétends ne rien savoir de lui mais visiblement tu en connais un rayon !
– Simple déduction, et encore je suis loin de pouvoir affirmer connaître ce type. Une véritable énigme.
– Et personne ne connaît son nom ?
– Pas même les chefs je crois. Enfin, de toute façon personne n’en a besoin.
– Comment ça ?
– Il suffit de savoir son surnom. Il se fait appeler Justice.
L’humain ricana tandis qu’ils s’éloignaient du théâtre de l’assassinat.
– C’est assez amusant quand on tient compte des circonstances… Très amusant…

Le chiffon passa lentement le long de la lame étincelante, la nettoyant du sang des victimes et lui rendant peu à peu son éclat, la lueur d’une des lunes se reflétant sur le cylar poli. Les années passaient et il était encore obligé de faire des victimes…
En réalité, Maran Cahru ne tuait pas pour le plaisir, au contraire même. Depuis qu’il avait vu ses parents (enfin c’est comme ça qu’il s’en souvenait, comme de ses parents adoptifs) se faire massacrer sauvagement, il avait fait le serment que, le jour venu, il serait capable de choisir son destin, de se défendre, de venger ceux qui étaient tombés mais surtout de protéger les innocents et la justice avec toute son âme.
Ses souvenirs étaient depuis bien longtemps de vagues notions et images floues, comme peu à peu rongés par le temps, qui avait altéré leur visibilité. Il se souvenait d’avoir grandi au milieu d’autres enfants, puis d’un vaisseau où ils étaient avec des adultes, puis enfin de la mort de ces adultes et de la fuite des enfants. Il avait beau se triturer l’esprit, sa mémoire restait une mer troublée, agitée, incontrôlable. Ignorant qui étaient ces gens qui l’avaient élevé, ils avaient pris la place de parents dans ses pensées.
Seuls les événements consécutifs au drame prenaient un sens dans sa tête. Lui et quelques enfants, tous parqués dans une capsule de sauvetage avec le cadavre d’un de leurs « parents », avaient échoué sur un monde inconnu et inhabité, dont il ne connaissait toujours pas le nom et où une équipe d’explorateurs avait fini par les retrouver, bien des années après. Seuls deux enfants avaient survécu à des dizaines de mois entiers d’errance, à se nourrir de ce qui leur tombait sous la main, vivant comme des sauvages en pleine nature et luttant désespérément pour survivre dans un environnement plutôt hostile. Tous leurs camarades avaient succombé, de maladie, de froid, de faim ou encore de peur ou de désespoir… Seuls deux s’en étaient tirés, probablement grâce à une bonne constitution typique de leurs races respectives (takisha et falleen).
Maran Cahru ignorait où était passé son camarade d’infortune : après avoir été retrouvés, ils avaient été abandonnés sur une planète civilisée, et son compagnon Detheos avait disparu, tandis que lui errait dans les rues, sans ressources mais avec sa volonté de survivre comme béquille. Il avait tenu bon près d’une dizaine de longues années, en pleine nature, et devoir se tirer d’affaire dans une grande cité ne lui faisait plus peur du tout. Et d’après lui il se devait d’être heureux d’avoir survécu, par respect en mémoire de ceux qui n’avaient pas eu cette chance.
Quant à savoir se défendre… ses longues années de rescapé lui avaient permis de mettre au point la solution à cet éternel problème. Il avait eu tout le temps d’y penser…

Il devina l’arrivée de son interlocuteur bien avant de le voir, et encore plus de l’entendre. Adossé à un arbre, le grand takisha à la peau jaune clair et aux petites cornes autour de son long crâne attendit patiemment que l’autre type arrive jusqu’à lui avant de prendre la parole.
– C’est fait.
– Je sais, répondit l’aqualish, qui depuis déjà deux ans lui donnait ses instructions. Bon travail.
Maran grogna de façon peu amicale.
– Excuse-moi, fit l’aqualish, je sais que ce terme ne te plaît pas beaucoup. A propos…
Il fut interrompu quand une ombre obscurcit son champ de vision ; d’un mouvement souple, le takisha s’était placé devant lui, et Dorok eut à soutenir le regard glacial de Maran Cahru. Il baisa les yeux et bafouilla quelque chose.
– Je t’ai demandé de m’excuser…
– Ne redis jamais ça. Je ne travaille pas. Je sers la justice parce que c’est mon choix, et tu n’as pas à me donner d’ordres, déclara Maran de sa voix rauque. Je ne sers personne. Mon seul objectif est la justice.
– Oui oui je comprends, dit Dorok en reculant lentement devant la grande silhouette menaçante.
Maran le fixa encore quelques instants, de ses petits yeux de tueur implacable, puis il se détourna enfin et l’aqualish souffla discrètement de soulagement.
– Bien. Que veux-tu ?
– Nous… enfin je veux dire la justice a besoin de toi ! fit-il avec un sourire stupide.
Un long silence parvint à inquiéter sérieusement Dorok, qui commença à se demander ce qu’il avait encore pu dire de travers. Puis soudain celui qu’il ne connaissait uniquement que sous le pseudonyme « Justice » parla à nouveau calmement.
– Soit.
Sans attendre une seconde de plus, l’aqualish extirpa de sa veste une enveloppe noire et la tendit au takisha, puis il détala sans demander son reste. Il avait rempli sa mission, c’est à dire transmettre les données de l’affaire au bras armé de leur groupe ; la suite n’était pas de son ressort.
D’un geste bref, Maran déchira le haut de l’enveloppe et en sortit un petit morceau de filmplast sur lequel figuraient des instructions en caractères codés que seuls lui et quelques autres membres de sa faction étaient en mesure de déchiffrer. Trois lignes : un nom, un lieu, une date. Un seul regard lui suffit à tout assimiler, et il eut tôt fait de détruire le morceau de papier compromettant.

Il devait quitter Bothawui au plus vite, ce qui ne poserait aucun problème : son groupe avait toujours mis à sa disposition les transports et crédits nécessaires pour régler ses « affaires ». Dès les prémices de la Rébellion, Maran avait eu vent du mouvement. Il travaillait seul à l’époque, quatre ans auparavant, à semer le trouble dans les opérations impériales en plein Coruscant. Il s’était taillé une réputation de justicier mystérieux implacable, et son surnom de « Justice » lui était venu de là. Puis des leaders rebelles étaient parvenus à entrer en contact avec cet être insaisissable qui causait bien des soucis aux troupes de sécurité impériales. Les rebelles lui avaient fait comprendre combien ses talents seraient utiles dans leur projet de restauration d’une paix et d’une justice dans la galaxie.
Conservant son anonymat par pure précaution, il avait accepté de collaborer (il le voyait comme ça) avec des gens qui voulaient la même chose que lui. Enfin à peu de choses près… Alors que les rebelles souhaitaient en finir avec l’Empire, Maran avait des motivations encore plus personnelles : sa rancœur allait vers ceux qui avaient causé la mort de tous ses proches. Les deux êtres qui avaient impitoyablement mené la traque aux Jedi des années auparavant : l’Empereur Palpatine et son sombre séide, Darth Vader. Maran ignorait si les gens qui l’avaient élevé avaient été des Jedi, ce genre de souvenirs faisait partie de ceux qui avaient bizarrement disparu de sa mémoire, mais il savait que toutes ces morts avaient un rapport avec cette purge des Jedi.
Depuis, il avait juré que, le jour venu, il ferait payer leurs crimes à ces êtres. Il avait vite compris que, en ces temps troublés, peu importait la force qui l’habitait, car nul ne pouvait changer le cours du destin. S’attaquer à Palpatine ou Vader n’était donc pas de son ressort, il s’était donc résolu à les frapper là où il le pouvait : dans leur Empire chéri, l’incarnation du Mal qui habitait ces deux êtres rongés par l’ambition, la cruauté et la violence.

Au cours de ses actes sur Coruscant, il avait certes saboté et détruit nombre d’installations impériales, sans jamais se fixer le meurtre comme objectif. Puis un entretien avec un leader rebelle arkanien avait soulevé la question délicate et fatidique.
– Te sens-tu prêt à tuer pour une ère nouvelle ?
Un bref instant de surprise avait ébranlé Maran Cahru, mais sa réponse était vite arrivée. Silencieux, il s’était contenté d’opiner du chef.
Trois jours plus tard, son antique sabre issu d’une société féodale de Munto Codru ôtait la vie à sa première victime, un ingénieur impérial qui concevait des armes de mort. Maran s’était toujours refusé à tuer les sous-fifres qui n’étaient que les servants de l’Empire, mais les rebelles lui avaient fourni des occasions de frapper fort, de priver l’Empire de cerveaux, d’éléments militaires dangereux ou encore de bouchers particulièrement cruels. Uniquement des êtres profondément impliqués dans l’horreur impériale… Il les avait tués, et à sa grande surprise n’avaient rien ressenti en les perçant de sa lame. Aucune appréhension, aucun remords, rien. Seule la justice qu’il appliquait apparaissait à son esprit, cette excuse lui suffisait. Peut-être qu’à force, les piliers de l’Empire seraient affaiblis, et que ce jour là Palpatine et Vader payeraient enfin. Et Maran aurait alors participé au retour de la justice. Même s’il savait parfaitement qu’il ne serait pas l’instrument de la victoire, ses actes aideraient peut-être un quelconque héros à triompher.
Cela avait déjà été le cas deux ans plus tôt lorsqu’il avait intercepté un agent impérial qui détenait des informations sur un mercenaire qui avait subtilisé des plans vitaux pour l’Empire. L’impérial avait enquêté et avait découvert qu’un certain Kyle Katarn avait infiltré une base impériale, et il était parti pour en informer en personne le haut-commandement impérial, évitant le risque de communiquer de telles informations par communication inter-systèmes. Mais le réseau d’espions rebelles avait placé Maran Cahru sur sa route, et l’impérial n’était jamais parvenu à destination. Katarn avait visiblement réussi sa mission, et peu après une station de combat appelée l’Etoile Noire était détruite à Yavin… Maran n’avait pas la certitude que tout était lié, mais il avait ses soupçons. Si le meurtre de cet agent impérial avait permis à un mercenaire et à un pilote de remplir leurs objectifs et à affaiblir grandement l’Empire, alors l’esprit de Maran était en paix.

Un seul coup tailla en pièces les deux vigiles reptiloïdes, qui partirent en arrière dans un flot de sang. L’esclavagiste trandoshéen qu’ils étaient censés protéger subit le même sort quelques secondes après, avant même qu’il ne comprenne ce qui lui arrivait. Affrontant l’Empire, il s’agissait de la première fois que Maran abattait un non-humain, mais ce trandoshéen faisait partie des lâches qui jouaient le jeu de l’esclavage impérial, et était donc placé dans le même panier.
Maran avait usé de tous ses talents pour s’infiltrer au cœur du centre d’esclavage sur Kashyyyk sans se faire repérer, ne doutant pas que ressortir serait bien plus aisé. Faisant un pas en arrière pour s’écarter de la mare de sang qui se répandait sur le sol en bois, il rengaina habilement son sabre. Cette position dans son dos pouvait paraître peu pratique, mais elle avait son utilité, que seuls quelques adversaires coriaces avaient pu découvrir, secrets que ces rares élus avaient tous emporté dans leur tombe…
Les membres de sa faction l’avaient caché à bord d’un convoyeur en partance pour le monde natal des wookiees, race que l’Empire se plaisait à asservir comme travailleurs forcés. Le but de l’opération était d’assassiner les trandoshéens chargés de gérer l’esclavage de leur race ennemie, et ce afin de semer une zizanie qui pourrait permettre aux wookiees de ce campement de se rebeller sans aide extérieure. Maran venait donc de tuer son troisième maton esclavagiste, il lui en restait encore deux mais il savait que très prochainement l’alerte serait donnée… Son plan était de profiter de la pagaille (il en savait suffisamment sur les fiers wookiees pour savoir qu’ils tireraient partie de toute cette agitation pour faire la preuve de leur force et de leur courage, et profiter de la moindre seconde d’inattention ou de désorganisation des gardes trandoshéens), puis de finir le travail et de quitter les lieux à bord du premier appareil venu. Il avait les compétences nécessaires pour mener un vaisseau normal en orbite pour y retrouver ses contacts rebelles.
En réalité, Maran Cahru n’avait eu que de très rares contacts avec cette organisation souterraine qu’était l’Alliance Rebelle. Il n’avait en réalité affaire qu’avec l’une des nombreuses factions, et ne rencontrait que trois ou quatre contacts, toujours les mêmes. Il n’avait jamais eu l’opportunité de découvrir plus en détail cette organisation, et n’en avait jamais exprimé un désir manifeste. Il savait que tous visaient le même idéal, qu’ils avaient plus ou moins le même but et un ennemi commun. Il ne perdait donc pas de temps à se faire préciser l’identité de ses cibles, il se contentait d’accomplir ce que l’on attendait de lui. Son combat ne tolérait pas qu’il s’égare, il faisait donc confiance aux rebelles pour le mettre sur les bons coups.

Deux heures après, Maran Cahru sortait du chasseur Pinook qu’il avait volé puis posé dans le hangar du grand cargo rebelle qui l’attendait dans le système de Kashyyyk. Il ouvrit l’écoutille, se débarrassa de son casque, récupéra son sabre posé entre ses jambes et sauta souplement hors de l’appareil. Il se hâta, par habitude, de sangler son fourreau derrière son dos et de réajuster son éternel costume noir.
Il fallut quelques instants pour que quelqu’un s’approche de lui. Il vit arriver trois hommes, dont deux lui étaient familiers : l’aqualish Dorok et un shistavanen, deux de ses habituels contacts. Il mit cependant un certain temps à reconnaître le troisième, un grand humanoïde, puis enfin il se souvint de cet arkanien qui lui avait proposé de servir la justice aux côtés de l’Alliance Rebelle.
– Justice… commença le grand arkanien. Cela fait bien longtemps, ravi de te revoir.
Maran se contenta d’incliner simplement le torse en signe de salut, puis l’arkanien reprit la parole.
– Ravi également de voir avec quelle efficacité tu sers notre cause commune. Rien à redire, c’est du bon travail, je te félicite.
L’aqualish et le shistavanen parurent gênés, conscient du fait que Maran n’aimait guère ce genre de propos. La réplique, cinglante, ne se fit pas attendre.
– Je n’ai que faire de vos félicitations…
L’arkanien se reprit aussitôt.
– Bien sûr, je te prie de m’excuser. Il s’agit d’une simple expression, peu appropriée je te l’accorde. Permets-moi de me présenter : ici on m’appelle Le Cerveau. C’est un sobriquet amusant, que je dois au simple fait d’être celui qui répartit les tâches entre nos agents. Disons que je coordonne le tout… Je suis la tête, et toi tu es l’un de mes bras armés.
– Je ne suis le bras de personne, rétorqua sèchement Cahru.
– Désolé à nouveau, encore une expression qui me joue des tours… Venons-en au fait : nous tiendrons une réunion importante lors de notre prochaine assemblée. J’aimerais que tu sois des nôtres…
– C’est un honneur, mais permettez-moi de le décliner.
– Tu es un allié de taille, Justice. Nous estimons que tu es en droit de participer aux décisions importantes.
– Pas moi. Je suis un assassin, je n’ai pour seul talent que celui de tuer. Donnez-moi des objectifs, je ne veux rien de plus.
– Ecoute, ce cargo va droit vers le lieu de la réunion, viens au moins avec nous jusque là, et alors tu aviseras. Et puis laisse-moi te dire qu’il y a un certain nombre de personnes qui souhaiteraient te rencontrer…
– Soit, je viens avec vous jusqu’au lieu de rencontre. Mais là bas vous me donnerez le prochain objectif.
– Très bien. Dorok, dit l’arkanien en s’adressant à l’aqualish, indique ses quartiers à Justice.
– Tout de suite.
Le takisha et l’aqualish sortirent du hangar, laissant l’arkanien – « le Cerveau » et le shistavanen seuls. L’homme-loup n’y tint plus et s’adressa vivement au grand humanoïde.
– Cerveau, vous êtes sûr que c’est une bonne idée de le convier à cette réunion ? s’enquit-il ?
– Oui et non, répondit paisiblement le leader.
– Je ne suis pas persuadé qu’il soit raisonnable que ce type découvre tout de nous… Certaines choses pourraient lui déplaire.
– Tu as on ne peut plus raison sur ce point, acquiesça le Cerveau. Mais je savais pertinemment que ce Justice déclinerait mon offre, je commence à le connaître.
– Alors pourquoi lui avoir demandé ?
– Parce que même s’il ne vient pas, le fait de savoir qu’il aurait pu avoir accès à tous nos petits secrets endormira son éventuelle méfiance.
Avec un petit sourire en coin face à la malignité de son supérieur, le shistavanen ne trouva rien à ajouter. Mais il ne put s’empêcher de redouter l’éventuel jour où Justice découvrirait la vérité…

La petite cabine qui lui avait été allouée était certes confortable, mais guère à son goût. A la petite couchette qui faisait l'angle du mur, Maran Cahru avait préféré… le sol en métal. Cela faisait des années qu'il vivait ainsi et il ne lui serait pas venu à l'esprit de changer son mode de vie : un luxe qu'un individu qui menait son type d’existence ne pouvait pas se permettre. Il en était ainsi depuis qu'il avait vu tous ses proches, les enfants comme les adultes, sauvagement massacrés pour une raison qu'il ne parvenait toujours pas à saisir.
Puis, après avoir lutté des années pour survivre sur un monde désert, il avait vécu une forme de survie tout à fait différente dans les rues les plus mal famées de Duro, planète polluée mais au moins civilisée. Il ne pouvait alors compter que sur lui même pour se défendre et avait alors pu mettre en pratique ses théories, exercer l'art de combat que lui seul avait développé lors de sa longue solitude.
La rage lui avait donné la motivation. Le chagrin lui avait apporté la volonté. Et le désir de vengeance avait été le moteur de ces actes. Toutes ces années, il s'était juré qu’en grandissant, il deviendrait fort et serait son propre maître. Il avait travaillé dur mais le temps lui avait permis de se connaître lui-même, et en fin de compte de comprendre précisément de quelle manière il allait acquérir la puissance qui lui permettrait d'atteindre ses objectifs.
Des années, presque seul (son seul camarade, le falleen qui avait également survécu, était aussi loquace que lui...), avec deux seules occupations : la survie et l'entraînement. La réflexion, l'expérience, tout cela l'avait aidé à concevoir sa propre technique de combat. Plus personne n'était là pour lui apprendre quoi que ce soit, alors il devait progresser par lui même. Aidé de quelques bases apprises avec ses instucteurs, il avait réfléchi à la meilleure façon de manier une arme avec efficacité. Des journées entières passées à élaborer seul des coups, des positions, des parades, des enchaînements, et ce sans conseil et alors qu'il n'était qu'un enfant qui vivait dans des conditions misérables. Il n’avait après tout que cela pour occuper ses journées de désespoir...
Il ignorait parfaitement si cette méthode qui lui était venue si naturellement conviendrait à des individus d'autres espèces, et il n'avait pas non plus la moindre idée de ce que valait cet art martial en combat. Jusqu'à ce que des explorateurs le retrouvent et le ramènent à la civilisation en le laissant dans un astroport de Duro… Là, il avait été livré à la rue, son ennemi n'était dès lors plus la solitude mais le danger omniprésent de certaines ruelles, de véritables coupe-gorge. En fait, une occasion parfaite de mettre en pratique ses propres "enseignements"…
Le musée d'art antique de la capitale n'avait pas résisté à ses talents de voleur, et lui avait procuré ce dont il rêvait : une arme. Son choix s'était porté sur un sabre codru-ji, une arme que ce peuple utilisait encore de manière rituelle et qui était réputée pour son mode de fabrication : la lame était forgée plusieurs fois, avec plusieurs couches et dans un métal particulièrement rare, le cylar. Le résultat donnait des lames dont on murmurait qu’elles étaient incassables et résistantes, aux vibro-lames entre autre. Maran était alors retourné dans la rue, où pendant des jours des malfrats, des petites frappes, l'avaient martyrisé. Le sabre avait à peu près le même poids que les objets avec lesquels le petit Maran avait édifié sa technique. Les malfrats le tabassèrent, comme d'habitude. Mais aucun des membres du gang n'en sortit indemne, tous durent fuir, plus ou moins amputés mais vivants. Sa technique était au point, et il n'avait à l'époque qu'à peine une douzaine d'années...
Maran Cahru, depuis de nombreuses années, ne dormait plus qu'ainsi : à même le sol, adossé au mur et tenant le fourreau et son sabre entre les jambes, prêt à être dégainé à tout instant. Une mesure de sécurité acquise après tant de nuits passées dans des coins mal famés où la mort rôdait sans cesse. Cela avait commencé après la mise en déroute du gang de Duro par le jeune Maran, et cette habitude lui était venue les jours suivants, craignant les représailles de ces voyous dont il s'était vengé. Il s'était alors taillé une réputation de gamin démoniaque et mortel dans les bas-fonds, acquérant une paix royale et le respect des clans de truands. Il était même parvenu à se faire arranger un voyage vers Coruscant, capitale de la galaxie. Son regard glacial était à lui seul une légende, on disait que ce fameux regard avait été trempé dans le même métal que son sabre...
Une fois arrivé sur Coruscant, son ère d'opérations punitives envers l'Empire avait alors débuté, et son surnom de "Justice" lui était assez rapidement venu. Jusqu'à ce qu'il s'engage véritablement et accepte de servir d'assassin pour la cause de la Rébellion. Il lui avait paru qu'il s'agissait là de la meilleure manière de mettre sa technique personnelle au service de ceux qui en avaient besoin. Même si cela impliquait de tuer, encore et encore.

L'aqualish entra sans un bruit dans les quartiers d'équipage où dormait ce fameux Justice, et il avisa le grand humanoïde qui se tenait assis, sabre entre les jambes. Dorok fut assez troublé de voir cet être réputé si dangereux dans un tel état de faiblesse : il fut même tenté de le mettre en joue avec son blaster pour pouvoir ressentir la puissance qui pourrait émaner d'une telle situation.
Ce type était certes fort, mais dans le fond c'était un idiot : il était persuadé de servir une juste cause en commettant ses assassinats pour le compte de ce groupe, mais était loin de se douter de quoi il s'agissait réellement. Avec cette pensée en tête, l'aqualish dégaina son blaster et en pointa le canon sur la tête du takisha endormi. Un seul geste, c'était tout ce qu'il avait à faire pour abattre un type qui, pour le moment, servait son groupe mais risquait, un jour ou l'autre, de devenir un ennemi. Pour l'heure, l'aqualish n'avait pas la moindre intention de tuer Justice, mais il avait juste envie de se dire qu'il en avait eu l'occasion. De se sentir en force face à un être réputé si puissant, de se sentir grisé par cette impression de domination.
Mais cette prétention n'était que pure vanité de sa part. Alors qu'il esquissait un sourire en regardant l'assassin, il ne prit pas garde que ce dernier bougeait légèrement. Quand enfin il s'en aperçut, il ne put réagir assez vite. La main de Justice se posa sur le poignée de son sabre et il fit soudain un geste du bras en avant. Il tenait toujours le sabre, mais son mouvement avait fait glisser le fourreau qui partit à toute vitesse pour aller percuter l'aqualish en plein visage.
Le non-humain tituba sous le choc et, quand il se ressaisit, il vit qu'il avait laissé tomber son blaster. Il tenta de le ramasser, et tomba nez à nez avec la pointe de la lame du sabre de Justice. Louchant devant la pointe métallique, il bafouilla une explication, mais Justice le coupa :
– Donne-moi une bonne raison de ne pas te tuer sur le champ.
– Heu… je suis désolé… c'est une erreur !
– Ce n'est pas une raison. Adieu.
– Attends ! s'écria l'aqualish. Je… je portais mon blaster par habitude, je n'avais pas la moindre intention de te faire du mal !
– Tu n'y serais pas arrivé, rétorqua sèchement Justice en approchant sa lame de la gorge de son interlocuteur.
L'aqualish se retint d'affirmer le contraire, conscient que sa situation n'était déjà pas brillante. Il recula lentement.
– Je t'en prie mon vieux, crois-moi ! On est dans le même camp quoi !
Avec un regard méprisant, Maran Cahru ramassa son fourreau, l'attacha dans son dos comme d'habitude et y glissa sa lame d'un mouvement souple de son bras. La longueur des bras des membres de son espèce lui permettait, contrairement aux humains, de mettre un sabre aussi long dans son dos et de pouvoir le dégainer sans incliner le fourreau. Il ne jeta même pas un regard à l'aqualish encore tremblant et sortit de la pièce, après une dernière réplique.
– Ne te présente plus jamais devant moi armé. Ou tu pourrais y perdre la tête.
L'aqualish préféra ne rien répondre et sortit à son tour, dans la direction opposée.

La planète de destination était probablement l’une des plus somptueuses que Maran aie jamais eu l’occasion d’admirer. La petite sphère qu’était Vortex s’approchait rapidement, et Maran pouvait à présent en discerner la géographie par le petit hublot de sa cabine. Planète verdoyante et chaleureuse, elle était le berceau des Vors, maigres êtres ailés réputés pour leurs arts musicaux : la Cathédrale des Vents, monumental édifice de cristal et symbole de Vortex, était un complexe instrument de musique dont seuls ses créateurs savaient tirer la magnificence sonore.
L’immense monument fut visible dès l’entrée dans l’atmosphère, scintillant majestueusement sous les rayons d’un doux et généreux soleil. Le vaisseau fut violemment secoué par les vents puissants qui agitaient les cieux de la planète (et qui étaient la cause de nombreux accidents malheureux), ces mêmes vents qui permettaient à la Cathédrale d’émettre sa musique célèbre dans toute la galaxie.
La splendeur du monde élu par les Rebelles pour tenir leur réunion avait d’abord surpris Maran Cahru, puis la logique du raisonnement lui était apparue : la tradition de l’Alliance Rebelle était de s’établir sur des mondes reculés, voire hostiles, où l’Empire ne viendrait pas les chercher. Mais les impériaux avaient fini par cerner le stratagème, et les sbires de Darth Vader commençaient à débusquer les rebelles dans leurs terriers. Le groupe de Maran avait donc vraisemblablement pris le pari, en se réunissant sur Vortex, de duper les agents impériaux. En outre, la planète jouissait d’un calme absolu, et les Vors échappaient (relativement) à la main de fer de l’Empereur : donner des concerts avec la Cathédrale à la haute société impériale avait suffi à obtenir un semblant de tranquilité.
Maran Cahru, toujours seul dans sa cabine, sentit que le vaisseau virait, toujours balloté par les vents, et mettait le cap vers le lieu de rendez-vous. Il ne put le constater de visu par le hublot : les vitres en transparacier s’étaient soudain assombries pour masquer toute visibilité ; certainement une habitude rebelle : seuls les pilotes et les leaders connaissaient la localisation précise de leur objectif, et ce afin de limiter les risques de fuite. Maran ne porta pas grief à ses « compagnons » de le tenir ainsi à l’écart. Après tout, il avait été le premier à se montrer distant...
Le voyage dura encore une bonne heure, avant que le vaisseau n’amorce sa descente finale. Maran avait replacé son fourreau dans son dos, et sa sombre tunique avait été ajustée pour faciliter ses mouvements. Il n’était pas « en service », mais la prudence était depuis nombre d’années une de ses meilleures habitudes, dont il n’était pas prêt de se défaire.
Une ultime secousse lui indiqua que la navette s’était posée, et il se décida alors à quitter la cabine pour rejoindre les coursives. Les autres passagers avaient fait de même, et il les suivit vers la rampe de débarquement. Il se retrouva peu après hors de l’appareil, à savoir dans une petite grotte au fond de laquelle un petit couloir faiblement éclairé s’enfonçait dans les profondeurs de Vortex. Il allait s’y engager lorsqu’une voix le retint.
– Bienvenue, Justice.
Il se retourna pour faire face à l’arkanien, toujours flanqué de ses deux habituels acolytes.
– Où sommes-nous ? s’enquit Maran sans prendre la peine de saluer.
– Je ne doute pas que tu aies identifié la planète par toi-même, répondit le « Cerveau ». Mais je suis désolé d’avoir à te cacher notre localisation exacte...
– L’endroit est sûr ?
– Les Vors sont parvenus à tenir l’Empire plus ou moins à l’écart de leurs cités, mais Vortex est trop proche du Noyau pour que les impériaux ne la négligent totalement. Mes agents ont rapporté qu’ils disposent d’une petite base et d’avant-postes mineurs. A ce propos...
L’arkanien prit soudain Maran par le bras – le takisha se laissa exceptionnellement faire – et l’entraîna à l’écart de ses deux gardes du corps. Ces derniers n’eurent pas l’air enthousiastes à l’idée d’être tenus hors de la conversation, mais ils respectèrent la volonté du Cerveau.
– J’ai besoin de toi, Justice, déclara le Cerveau en guise de préambule.
– J’ai exprimé ma volonté de ne pas prendre part à votre réunion, rétorqua sèchement Maran.
– Je le sais, mais cette réunion n’est de toute façon par la vraie raison qui m’a poussé à souhaiter ta présence ici.
– Vous avez besoin de mon sabre, affirma Maran, toujours avare en paroles.
– C’est exact.
– Je n’agis que si je le veux, je ne suis pas votre agent, lâcha Justice avec un soupçon de menace dans la voix.
– Je le sais, répéta le Cerveau sur un ton conciliant. Mais je tenais tout de même à ce que tu viennes. Nombre de leaders rebelles seront là ce soir et les prochains jours, et...
– Ces hommes pourraient avoir besoin de protection, acheva Maran.
– Exactement. L’Empire n’est jamais bien loin.
Maran sembla hésiter un moment, puis acquiesça enfin.
– Ce n’est pas dans mes habitudes mais j’accepte. Ces hommes servent la même cause que moi, et si leur sécurité est vitale, alors ma lame les protègera. Considérez cela comme un service, en aucun cas comme une embauche.
– Bien sûr. Je te remercie Justice, fit l’arkanien avec un franc sourire.
Maran Cahru allait prendre congé quand le Cerveau le rappella.
– Ce n’est pas tout...
Le takisha ne prit pas la peine de se retourner encore une fois, devinant que l’on avait besoin de sa lame pour des besoins bien plus radicaux que la protection.
– Qui ? demanda simplement Justice.
– Simple : le chef de la garnison locale.
– Pourquoi ?
– Cela tu le sais.
Sans rien ajouter, Maran s’éloigna et descendit le long couloir qui menait – probablement – à la base rebelle souterraine. Les deux acolytes du Cerveau en profitèrent pour rejoindre leur supérieur.
– Alors ? interrogea l’aqualish.
– Il a accepté, répondit son chef.
– Comme prévu.
– Oui. Tout se déroule exactement comme prévu.

Maran Cahru ne se serait jamais figuré que ce petit groupe de rebelles pouvait disposer de telles installations. Le couloir l’avait mené loin dans les entrailles de Vortex, et il y avait découvert la base en question. Sa surprise fut de taille en découvrant la qualité du matériel employé par le groupe.
Il avait toujours eu la vague impression qu’il s’agissait d’un groupe relativement à l’écart du canal principal de l’Alliance Rebelle, et tout ce qu’il vit ne put que confirmer ses soupçons. Il ne distingua nulle part le symbole de la Rébellion, et aucun des gens qu’il croisait ne portait d’uniforme reconnaissable. Les types de multiples espèces qui déambulaient dans le complexe étaient tous armés jusqu’aux dents et semblaient pour le moins peu communicatifs. Ces faits ainsi que le rôle de Justice tendaient à prouver la tendance radicale de cette faction.
Ils disposaient d’un matériel de pointe qui aurait pu faire pâlir pas mal d’officiers impériaux. Maran jeta un coup d’oeil discret aux divers appareils de détection et de codage, et se fit la réflexion que cela correspondait davantage aux moyens du Soleil Noir (auquel il avait déjà eu affaire sur Coruscant) qu’à ceux des rebelles. A moins qu’une nouvelle source de financement aie permis à l’Alliance Rebelle de se procurer autant de matériel de pointe au marché noir. Après tout, Justice ne pouvait s’en prendre qu’à lui s’il était tant à l’écart des rouages du fonctionnement de ce groupe.
Il se trouvait apparemment dans le hall central du complexe ; des appareils de près de deux mètres de haut étaient placés contre les murs de la grotte, des techniciens s’affairaient, et de petits couloirs taillés dans le roc menaient aux autres secteurs. Des gardes armés bloquaient certains accès, et Maran se demanda avec curiosité s’ils le laisseraient aller et venir à sa guise dans ce dédale... Il se demanda d’ailleurs à quoi il pourrait bien occuper son temps en attendant que les responsables ne lui en disent plus sur les « services » qu’il était censé rendre.
Il s’aperçut également que, depuis son arrivée, pas mal de paires (ou plus selon les espèces) d’yeux s’étaient braqués sur lui, et en particulier sur l’étrange fourreau métallique orné de broderies brunes qui longeait son dos. Les takishas étaient une espèce peu commune dans la galaxie, mais en voir un représentant ne sembla guère piquer la curiosité des rebelles, ni les surprendre. Après tout, la Rébellion avait rassemblé tant d’espèces non-humaines opprimées par la doctrine de l’Ordre Nouveau de Palpatine, que voir apparaître de nouvelles têtes ne devait pas être extraordinaire. Ce n’était donc pas les origines de Justice qui semblaient attirer l’attention, mais plus l’allure de l’individu lui-même… Maran remarqua avec amertume que seuls les moments difficiles parvenaient à mener à une solidarité d’envergure... Quoi qu’il en soit, les quelques regards soupçonneux qui pesaient sur son fin visage jaune clair étaient assez déconcertants.
Son repérage professionnel des lieux dura encore quelque instants, avant qu’un petit quarren survolté ne surgisse dans son champ de vision pour parler à toute allure.
– Monsieur Justice ? Je vais vous conduire à vos quartiers.
Sans un mot, Justice suivit son interlocuteur et ils s’engagèrent dans l’un des couloirs. Taillé dans le roc sombre et mal éclairé par de vieux néons verdâtres, il débouchait sur une porte coulissante gardée par un dévaronien visiblement peu comique. L’être cornu, sans préambule, désigna le fourreau du doigt et fit clairement comprendre qu’il devait rester à l’entrée. Un simple regard glacial de Maran exprima le fait que l’idée ne serait même pas prise en compte. Le dévaronien, craignant de s’être mal fait comprendre et peu enclin à discuter, aboya d’une voix rauque et braqua son blaster pour appuyer ses propos.
– L’antiquité reste dehors.
– Bien. Moi aussi alors.
La takisha tourna les talons et repartit calmement, mais le quarren le retint en sautillant, tout en s’adressant au garde.
– Hé, cool les mecs ! Voici Justice (il s’approcha du dévaronien et lui parla doucement), c’est le type qui va protéger le Cerveau...
Le non-humain, guère satisfait, finit par abaisser son arme en grognant, puis fit coulisser la porte pour laisser passer Maran Cahru. Accompagné du quarren, il arriva dans un nouveau couloir, confortablement aménagé celui-ci, parcouru de portes menant sans doute à divers dortoirs. Au fond de ce couloir, une porte bien plus imposante attira son attention, ce que son guide remarqua immédiatement.
– Le centre de commandement, expliqua-t-il. La réunion de ce soir aura lieu ici. Nous attendons encore d’autres groupes, mais tous ne pourront loger ici. J’ai cru comprendre que certains ont installé des campements dans le coin. C’est plus sûr au cas où les Imps débarqueraient ici.
– Je vois.
– Le Cerveau m’a demandé de t’expliquer le programme. Deux « missions » sont pour ce soir, ensuite on compte sur toi pour assurer nos arrières lors de la réunion.
Maran songea que le quarren n’avait probablement pas été « briefé » sur la susceptibilité de Justice... Mais il décida de le laisser exposer les « ordres » sans broncher.
– Je serai là, se contenta-t-il de répondre.
– Parfait ! s’exclama jovialement l’autre.
Il prit un ton plus grave en lui tendant soudain deux enveloppes noires.
– Ce soir. Tous les deux.
– Bien.
– Le premier dirige la base impériale de Vortex, mais la surveillance est minimale : les Vors ne sont pas du genre à les agresser à coups de bec... Ce devrait être facile et rapide, et sa disparition devrait les déstabiliser, de sorte qu’ils nous fichent la paix lors de la réunion.
– Certes.
La stratégie était en effet valable : avec l’assassinat de leur chef, les impériaux s’exciteraient pour essayer de comprendre quelque chose, et ne prêteraient pas garde à l’arrivée irrégulière de vaisseaux civils sur Vortex, et avec de la chance la réunion passerait totalement inaperçue.
– Pour le second, poursuivit le quarren, c’est... plus complexe (Maran perçut un vague sentiment de malaise chez son interlocuteur). Il s’agit en fait d’un groupe d’impériaux en civil...
Justice le fixa, réellement intrigué, et le quarren fuit son regard. Des impériaux en civil, voilà qui était nouveau, et assez bizarre : Palpatine n’était pas du style à planquer ses troupes, il était au contraire coutumier des grandes démonstrations de puissance. Etrange.
– Ouais mon gars, je sais que c’est bizarre, enchaîna le quarren, mais on les a repérés ces marioles. Il faut croire que le Moff du secteur a voulu renforcer discrètement la surveillance de Vortex, il a donc dû placer quelques hommes à lui dans un petit campement minable, et tente de les faire passer pour un simple groupe de contrebandiers. Ce qui est stupide quand on connaît Vortex et l’intérêt que cette planète pourrait avoir pour des contrebandiers... C’est un vrai trou ici.
Maran resta impassible et continua à le fixer.
– Mais ne te fais pas de bile, ces types sont bel et bien de foutus impériaux ! assura le rebelle, tu le verras vite en observant leur matos. Un sacré bazar, que seul l’Empire peut s’offrir. Pas des contrebandiers, ça c’est sûr.
L’assassin voulut répliquer que ce groupe aussi était plutôt bien équipé, mais il s’en abstint. Conscient que la localisation de ses objectifs de la soirée devait être indiquée dans les enveloppes en filmplast noir, il estima disposer de toutes les informations nécessaires et s’éloigna du quarren. Celui-ci, toujours aussi surexcité, lui précisa encore l’heure précise de la réunion, avant de le laisser (enfin) seul.

La fameuse réunion aurait lieu en pleine nuit, parfait. Il aurait un peu de temps devant lui pour remplir sa mission avant de revenir pour assurer la sécurité des chefs rebelles qui allaient se rencontrer. Il lui restait quelques heures avant que la nuit ne tombe et il espérait pouvoir en profiter à sa guise, mais ses espoirs s’écroulèrent lorsqu’un nouvel interlocuteur fit brusquement irruption dans son champ de vision. Un geste rapide et fluide, qui avait failli prendre Justice par surprise – ce qui était suffisamment rare pour être remarquable.
« Quoi encore ? » se retint de lâcher Maran. Mais ce type, rien qu’à sa façon de se mouvoir, avait attiré son attention, et méritait peut-être quelques minutes de son temps. Maran chercha son regard, son visage conservant néanmoins son éternel masque d’impassibilité.
– Salut, fit le type.
Un togorien, une tête de plus que lui, fourrure noire comme la nuit, le fixait de ses yeux jaunes de félin à l’affût. Aucun vêtement, juste une arme qui pendait à une ceinture en cuir. Un assassin, songea aussitôt Maran, sans douter une seconde. Il se surprit à lui envier sa fourrure noire (plus discrète que sa peau jaune), son agilité naturelle de félinoïde, son absence de besoin de vêtements...Maran et lui étaient tous deux des tueurs de l’ombre, et ces gens là se repéraient mutuellement comme s’ils portaient un insigne les distinguant.
– Salut, répondit Justice sur un ton neutre.
Aucun des deux n’avait grande envie de se lancer dans une grande discussion, mais leur salut était sincère. Justice ne respectait pas tous ses « camarades », certains étaient des malades psychopathes, mais si celui-là était là, c’était qu’il servait certainement aussi la cause rebelle.
– Ce truc là coupe encore ? s’enquit le togorien avec un sourire en coin, désignant le sabre de Maran.
– Demande à mes victimes, répliqua immédiament Justice, légèrement irrité.
Le togorien le fixa, puis émit un feulement qui devait correspondre à un rire, et il montra sa propre arme.
– Disons que j’ai plus confiance en un bon vibro-sabre, qui lui ne devrait pas être légué à un musée...
– Chacun ses défauts, rétorqua Maran. La liberté de mouvement va de pair avec la simplicité.
– Et tu penses que ton vieux machin est plus pratique ?
– Pour l’utilisation que j’en fais, oui.
Le félinoïde le contourna pour observer le vieux fourreau dans son dos avant d’ajouter, pensif :
– J’ai entendu parler de ta... technique. Quelques vagues échos.
Justice ne réagit pas. Bluff ou non, cela lui était bien égal. Ce « collègue » ne savait pas apprécier la puissance d’un vrai sabre, c’était son problème et son erreur. Quant à sa technique, elle était unique, il l’avait élaborée seul et nul autre dans la galaxie ne savait la maîtriser. Certes il était au début avec le falleen qui avait été le second survivant et qui avait partagé quelques entraînements, mais sans pour autant s’investir autant que lui. Il s’était forgé cette technique, la perfectionnant inlassablement au cours de nombreuses années de solitude, agitées par un désir d’être fort, de se défendre, d’agir et de se venger. Il doutait que qui que ce soit d’autre que lui ne connaisse son attaque fétiche : ceux qui en avaient été témoins n’étaient plus en vie pour en parler...
– Il paraît que tu la gardes pour les adversaires coriaces, ce doit être un grand honneur ! poursuivit l’autre assassin.
Aucune réponse, ce qui ne l’empêcha pas de continuer.
– J’avoue que je suis assez curieux d’en savoir plus... Un rapport avec cette position du fourreau ? Ou alors est-ce que c’est une autre de tes excentricités ?
Toujours aucune réponse. Avec un ronronnement, le togorien donna un petit coup de coude au takisha. Les togoriens étaient une paisible race de chasseurs, et il était surprenant d’en voir un devenu assassin. Mais Maran Cahru était bien placé pour savoir que le destin laissait rarement le choix de son avenir...
– Allez mon vieux, insista-t-il, toi et moi on est dans le même business après tout ! Alors dis, c’est quoi ton secret ?
– Je serais ravi de partager des tuyaux avec un honorable collègue, fit Justice d’un ton sarcastique, et de faire une démonstration. Mais ce serait alors ta dernière expérience...
Le regard glacial qui accompagnait fut du plus bel effet, mais le togorien ne se laissa pas démonter pour autant et préféra ricaner.
– Il paraît que ceux qui y ont goûté ont été retrouvés coupés en deux... de la tête aux pieds... Intéressant.
Cette fois, Maran se figea pour de bon, réalisant que son interlocuteur en savait beaucoup plus que prévu. Apparemment, le groupe était bien informé, et ce alors qu’il n’avait utilisé sa botte secrète qu’à de très rares occasions. Contre des gardes du corps particulièrement bien entraînés, contre des experts en arts martiaux ou encore contre d’autres assassins. Uniquement des adversaires qui lui avaient donné du fil à retordre, et dans des situations où il avait eu à abréger efficacement l’affrontement, avec un seul et unique coup. Les « nettoyeurs » rebelles qui passaient derrière lui avaient certainement fait pas mal d’observations sur l’état des victimes. Mais les paroles du togorien révélaient aussi que nul n’avait encore remarqué la particularité, sur le corps des victimes, qui révélait tout le secret de son attaque.
Désireux de changer de sujet, Justice porta son attention sur les deux enveloppes noires, semblables aux siennes, que le togorien tenait dans sa patte velue.
– Toi aussi c’est pour ce soir ? demanda Maran.
– Ouais. Je crois qu’ils ont réparti les camps impériaux entre nous deux.
– Probable. Bizarre cette histoire d’imps en civil.
– Ouais... Bon, j’imagine qu’on se retrouvera ensuite ici pour veiller sur les gros bonnets.
– En effet.
– Bien.
Aucun n’estima nécessaire d’en dire plus, et ils se séparèrent sans un mot. Mais avant cela, Maran perçut chez le togorien un petit sourire ironique, qu’il ne sut comment interpréter. Décidément, ces rebelles étaient bizarres... Il se rendit alors dans la chambre dont le quarren lui avait laissé la carte d’accès, et décida d’y prendre un peu de repos en attendant l’heure d’agir.

Le garde eut la courtoisie de mourir en silence, si l’on omettait le craquement sinistre de sa nuque brisée. Justice avait laissé son speeder à deux kilomètres de la base, qu’il avait alors atteinte à pied. La base impériale était plutôt petite et, comme prévu, peu gardée : les impériaux ne craignaient pas d’attaque de la part des paisibles vors. Des remparts hauts de six bons mètres l’entouraient, équipés de batteries laser maniées par un garde, à chaque angle de l’édifice.
Furtif comme une ombre, Maran Cahru s’était glissé au pied des remparts en permabéton gris, profitant de l’obscurité mais surtout du manque de vigilance des stormtroopers, blasés par la monotonie de leurs interminables tours de garde nocturnes. Son équipement de varappe lui avait permis d’escalader le rempart sud-est et de surgir derrière le garde, qui n’avait eu aucune chance de se défendre. Les autres gardes n’avaient rien entendu et n’avaient pas l’habitude de vérifier si leurs collègues étaient bien à leurs postes. Par acquis de conscience, Justice dissimula le cadavre du garde derrière le canon dont ce dernier avait la charge de son vivant.
Il descendit alors rapidement l’échelle qui menait à la cour intérieure, déserte. Seuls quatre gardes sur les remparts assuraient la défense de la base, c’était vraiment dérisoire. Les trois qui restaient sur les hauteurs avaient l’attention tournée vers l’extérieur, et Maran n’avait plus rien à craindre de leur part. Des petits baraquements étaient disposés autour d’un plus grand et plus massif, que l’assassin identifia vite comme étant les appartements du commandant de la base. D’un coup d’oeil, il s’assura que personne n’était dans les parages, puis quelques enjambées lui firent traverser la cour et rejoindre le bâtiment. Maran ne chercha pas à entrer directement par la porte (ignorant d’ailleurs si elle était verrouillée ou non), conscient que des gardes se trouvaient probablement derrière. Les impériaux étaient peut-être peu vigilants dans ce secteur, ils n’en étaient pas forcément idiots. Bref, il lui fallait trouver un moyen de rentrer sans faire trop de grabuge. Ou alors il fallait éloigner les gardes postés à l’intérieur, et éventuellement s’en débarrasser.

Les deux stormtroopers, endormis et abrutis par de trop nombreuses heures de vaine surveillance, sursautèrent en entendant le bruit, trop fortement semblable à celui d’un corps qui s’affale pour qu’ils puissent décemment l’ignorer. D’un pas lourdaud, l’un d’eux se dirigea vers la sortie, fit coulisser la porte et mit un pied dehors. Il avança et trébucha soudain, son pied retenu par une masse blanche immobile : un cadavre de stormtrooper. Maran avait en effet récupéré le corps qu’il avait caché derrière le canon et avait transportée sa victime depuis les remparts jusque dans la cour, puis l’avait volontairement lâchée pour attirer l’attention des gardes.
Le soldat impérial tomba à terre, ce qui eut l’avantage de le réveiller pour de bon, et il se redressa vivement, blaster au poing. Il ne vit pas la créature qui bondissait du toit du bâtiment et qui fondait sur lui, avant de l’empaler à la verticale par le haut du crâne. Son casque ne résista pas à la lame aiguisée, un filet de sang jaillit en sifflant, puis il mourut sans un bruit. Toujours à l’intérieur du bâtiment, son collègue l’avait entendu trébucher mais l’angle du couloir l’avait empêché de voir quoi que ce soit.
– Qu’est-ce que tu fabriques ? grogna-t-il d’une voix pâteuse.
Devant l’absence de réponse, il se dirigea à son tour vers l’extérieur, tomba alors sur les cadavres de ses deux collègues et ne put réprimer un juron. Il ne finit cependant jamais sa phrase ; il venait juste de sortir, et n’avait pas remarqué Justice, tapi dans l’ombre à droite de la porte. L’assassin se dressa soudain derrière lui, et un coup de sabre bien placé sépara la tête du corps du soldat.
Tout en essuyant sa lame, Maran Cahru avisa ses trois victimes. Cette mission devait être discrète, le chef étant la seule cible. Mais il avait dû abattre trois soldats, peut-être de jeunes gens qui venaient tout juste d’être recrutés. Il chassa ces pensées de son esprit tourmenté : si ces hommes avaient été suffisamment faibles pour se laisser embringuer par l’Empire, c’était leur problème après tout, et ils devaient en assumer les conséquences.
Maran avait fait le pronostic que deux soldats protégeaient le commandant, et espérait que ses prévisions avaient été bonnes, sinon quelqu’un risquait de donner l’alerte. Dans tous les cas, on ne tarderait pas à repérer les cadavres – trois corps, cela ne passait pas inaperçu – et il avait donc peu de temps pour achever ce pour quoi il était venu et pour mettre les voiles sans demander son reste.
Il se glissa par la porte désormais ouverte et parcourut en vitesse les couloirs du bâtiment pour repérer les quartiers de l’officier. Peu lui importait si sa future victime dormait ou non, il n’avait pas assez de temps pour faire dans la dentelle. Il trouva enfin une porte sur laquelle figurait le nom de sa cible, et pénétra sans hésiter dans la pièce. Une lente respiration régulière lui indiqua que l’impérial dormait à poings fermés. En réalité, il n’aimait pas ôter une vie sans défense, et ferait donc un peu de bruit pour réveiller un homme qui se rendormirait de toute façon immédiatement après, d’un sommeil qui, lui, ne serait jamais troublé.

Sa sombre besogne accomplie, Maran Cahru n’avait eu aucun mal à se faufiler hors de la base encore endormie, à récupérer son speeder et à mettre le cap vers son second objectif. Cette fois-ci, il le savait, les choses seraient un peu moins simples : les rebelles lui avaient fait comprendre avant son départ que plus il ferait de dégâts, mieux ce serait. Mais ce n’était absolument pas dans le genre de Justice de procéder à des massacres généralisés. Il estimait que les responsables, les vrais coupables, devaient être châtiés, et qu’il ne servait à rien d’abattre inutilement tous les exécutants.
Seulement voilà, au milieu de ces impériaux camouflés, les agents rebelles avaient été incapables d’identifier un ou des leaders. Justice procèderait donc à une frappe aveugle, afin de les affaiblir au maximum. Il restait perturbé par l’idée de ne pas savoir avec précision à qui il allait ôter la vie, et se voyait mal en pleine mêlée, à tuer tous ceux qui lui passeraient sous la main. A vrai dire, il détestait ça, et se demanda soudain pourquoi il remplissait une mission qui allait à l’envers de ses principes et idéaux, et ce alors qu’il s’était juré de ne jamais recevoir d’ordres de personne. C’était bien la dernière fois, mais pour cette fois il avait promis de protéger les rebelles et leur réunion, et il tiendrait parole.
Connaissant la localisation du campement cible, il arrêta le speeder suffisamment loin pour ne pas être entendu, puis se mit en marche à petites foulées. Il lui fallut peu de temps, la morphologie des takishas faisant des membres de l’espèce d’excellents coureurs, pour parvenir au sommet d’une petite colline qui surplombait le campement. Ce dernier avait été établi au milieu d’une forêt de petits arbustes d’un demi mètre de haut, typiques de Vortex. Un ensemble de petits édifices préfabriqués, de tentes, de vaisseaux et d’un grand feu central composaient le camp, et l’on voyait aisément qu’il avait été bâti à la hâte et pour une durée limitée. Il n’y avait aucun véritable système de défense, juste quelques gardes armés qui erraient aux abords du camp. Maran estima d’un coup d’oeil à à peine une dizaine les soldats impériaux « déguisés » présents.
Mais il ne put s’empêcher de s’interroger et de s’inquiéter de la stratégie étrange de ces impériaux : ils étaient censés se faire passer pour des contrebandiers, or tous étaient masqués ce qui, d’un point de vue discrétion et crédibilité, n’était pas franchement brillant. Les types assis autour du feu tout comme ceux qui montaient (vaguement) la garde portaient des tuniques aux couleurs sombres et des casques ou cagoules qui masquaient leurs visages, ce qui était plutôt étrange. Le seul aspect à peu près crédible de leur « déguisement » était leur équipement. Leurs blasters ainsi que leurs appareils n’étaient pas du tout utilisés par l’Empire, du moins pas à la connaissance de Justice.
Maran Cahru acheva sa reconnaissance des lieux et s’apprêta à intervenir. S’il n’y avait bel et bien qu’une dizaine d’hommes, il pourrait sans trop de difficultés s’occuper de tous. Un sabre contre dix blasters, cela pouvait paraître suicidaire, mais l’assassin misait sur un assaut surprise, rapide et efficace, pour éviter de se faire mitrailler. Il devait en finir avant que qui que ce soit ne puisse le mettre en joue, et il s’arrangerait pour que nul n’en ait l’occasion.

Il s’était encore approché d’une bonne distance en toute sécurité, tapi à présent derrière un arbuste, à une cinquantaine de mètres à peine du garde le plus proche. Son attaque serait d’une simplicité enfantine.
Bondissant hors de sa cachette, il sprinta vers le garde qui tarda à réagir, mettant un moment à réaliser qu’un grand type vêtu de noir fondait sur lui à toute allure. Il commençait à peine à esquisser un geste que Maran roulait à terre, surprenant sa cible. Le garde avait braqué son blaster à l’horizontale, mais Maran était passé sous sa ligne de mire et arriva accroupi, sa lame déjà plantée en plein coeur du soldat. Il dégagea son arme, écarta le cadavre de son chemin, puis fonça vers le centre du campement. Les autres soldats, abasourdis, ne surent pas comment réagir à la vue de cet intrus. Ils se levèrent tous, arme au poing, mais Justice était déjà parmi eux. Il embrocha un premier, asséna un coup de pied à un second pour l’expédier dans les flammes du feu central, puis il bondit en retrait pour trancher deux cordes qui soutenaient une tente. Il fit une roulade pour parvenir de l’autre côté de la tente et en trancha deux autres cordes, ce qui eut pour effet de la mettre à merci des vents violents de Vortex. Elle se souleva de terre de quelques centimètres à peine, mais cela suffit à la rapprocher dangereusement du brasier. En un instant, elle s’enflamma, ajoutant au chaos ambiant et perturbant les soldats, qui ignoraient dans quelle direction tirer.
Justice, vif et insaisissable, surgit derrière deux d’entre eux, ce qui réduisit leur espérance de vie à une poignée de secondes. Il avait en fait eu de la chance : le feu qui s’était emparé de la tente s’était propagé à deux autres, semant la confusion bien plus qu’il ne l’aurait espéré. Au milieu des flammes, ses adversaires n’osaient pas ouvrir le feu de peur d’atteindre un allié, et tous hésitaient entre maîtriser l’incendie naissant et traquer leur agresseur (que certains n’avaient même pas encore aperçu).
Maran élimina deux ennemis supplémentaires, quand soudain, en pleine tourmente, une voix forte retentit :
– Protégez leVigo ! Protégez le Vigo !
Vigo... Maran n’était guère dans de bonnes dispositions pour réfléchir, mais ce terme l’interpella, il avait la conviction de l’avoir déjà entendu par le passé. Mais l’heure n’était pas aux souvenirs, néanmoins cela lui révélait qu’il y avait un leader dans le coin...
A l’annonce de cet ordre, les adversaires de Justice semblèrent trouver un semblant d’organisation : certains se regroupèrent pour contourner le feu et s’approcher de l’assassin, couvrant cinq autres qui battaient en retraite et entouraient un petit être pour le mener vers la zone des vaisseaux, placés un peu plus loin. D’un coup d’oeil, Maran comprit que ces cinq types étaient différents : calmes, sans blasters, attentifs. Probablement des gardes du corps, et le gnome qui fuyait devait être le chef, bien que Maran ne parvînt pas à bien le discerner. Quoi qu’il en soit, il était la cible majeure et Justice ne le laisserait pas filer.
Il disposait donc de peu de temps pour se charger de ses assaillants directs (il en dénombra trois) qui approchaient rapidement, puis il devrait s’attaquer aux cinq gardes du corps pour pouvoir coincer le chef. Il se rappela également qu’il était attendu pour la réunion, il n’avait donc pas une seconde à perdre.
Les trois soldats restants, dès qu’ils eurent contourné le brasier, ouvrirent le feu sans parcimonie sur l’assassin. Maran l’avait anticipé, plongeant à couvert derrière un préfabriqué qui commençaient lui aussi à flamber dangereusement. Le premier type qui apparut au coin du bâtiment tomba nez à nez avec une lame en cylar, qui fut la dernière chose qu’il vit au cours de son existence. Le second déboula derrière, voulut tirer, mais s’aperçut qu’il aurait du mal, dans la mesure où son bras droit gisait à terre. Il gémit, puis fut achevé d’un mouvement ample de Maran qui lui laboura la poitrine. Le dernier fut le plus malin, et il parvint à surprendre l’assassin en parant un coup de sabre à l’aide de la crosse métallique de son blaster. Mais Maran réagit, feinta à droite puis ramena brusquement sa lame vers la gauche, en plein ventre ennemi.
Il était temps de passer à la suite, les gardes du corps étaient presque arrivés aux vaisseaux. Heureusement, leur chef les ralentissait grandement, et Maran Cahru avait une mince chance de les rattraper à temps. Lâchant sa dernière victime, il commenca à courir, passa près du feu et déboula sur le sentier de terre qui menait aux vaisseaux. Sa morphologie de takisha était un avantage non négligeable, et il gagnait du terrain à vive allure. Ses six cibles traversaient à présent la calme rivière boueuse qui les séparait d’une navette et de quelques chasseurs.
Justice les atteignit alors qu’ils peinaient dans cette boue épaisse. Un des gardes, à la tunique et au masque mauves, fit volte face pour l’arrêter, brandissant une pique de force. Maran, qui avait rengainé son sabre, le dégaina à toute vitesse pour porter la première attaque. Le garde leva son arme au-dessus de sa tête pour bloquer le coup vertical descendant, et répliqua en se fendant vers Maran. Le coup était rapide, l’assassin esquiva de justesse en glissant souplement sur la droite. Se retrouvant à côté de son adversaire, il ficha sa lame dans le flanc de ce dernier, la faisant ressortir sous l’aisselle à l’autre extrêmité du corps. Il fit un large geste pour ressortir son arme et se remettre en garde. Il avait réussi à abattre cet opposant en le surprenant avec ce coup latéral, mais ce simple échange lui avait révélé que ces types étaient plutôt bons. Et il lui en restait quatre à affronter...
L’un d’eux continua sa route avec le chef, tandis que les trois restants s’apprêtaient à affronter l’assassin. Deux s’avançèrent, le troisième resta en retrait, tous activèrent leurs piques de force. Ces longues lances s’achevaient par une pointe qui pouvait émettre une décharge capable d’assommer un ronto. Bref, mortel pour tout être de moindre carrure. Les deux gardes se plaçèrent de part et d’autre de Maran, parfaitement calmes, avançant lentement dans la boue pour encercler leur adversaire et le jauger. Concentré à l’extrême, Justice restait immobile, prêt à réagir à la moindre attaque adverse. Soudain, celui de gauche se fendit, Maran esquiva en tournant sur lui-même, para un second coup, puis devina que celui de droite s’y mettait aussi, effectuant un balayage horizontal. Maran lui tourna carrément le dos, et encaissa de plein fouet le flanc de la lance contre son dos. Mais l’arme rebondit avec un bruit métallique étouffé qui stupéfia le garde. En effet, Justice s’était placé de manière à ce que son fourreau le protège et absorbe le coup. Bien sûr, la précision de l’inclinaison de son dos face à la lance avait été vitale, afin que le fourreau prenne l’attaque et non son épaule ou son omoplate.
La surprise du garde face à cette parade peu orthodoxe laissa à Maran un instant pour s’occuper de son collègue. L’assassin attaqua et fut contré, le garde contre-attaqua avec une feinte vers le bas. Cahru se contenta de tourner légèrement son torse (l’économie de mouvements était une clé de sa technique de combat) pour éviter la lance, dont la pointe finit dans la boue. Maran entreprit de profiter de cet abaissement de sa garde pour éventrer son adversaire, mais le garde était vif et avait ramené son arme à lui pour se défendre. Le second garde s’était remis à l’attaque, et Justice eut à éviter les assauts de deux adversaires placés de chaque côté. Il fit un pas chassé, une parade, un petit bond, toutes sortes d’esquives qui donnèrent lieu à une sorte de danse où il se mouvait avec grâce pour éviter les piques mortelles qui sifflaient autour de lui.
Mais il ne pouvait éviter indéfiniment, et il tournoya soudain sur lui-même, sabre levé, pour forcer ses deux assaillants à reculer. Au même instant, le troisième garde resté en retrait chargea à son tour pour en finir. La situation n’était guère à son avantage : un ennemi de chaque côté, un troisième devant, et le plus inquiétant était qu’ils étaient tous bien entraînés et compétents. D’un mouvement sec, il lanca son sabre vers celui qui courait puis, sans prendre le temps de voir s’il avait fait mouche, il tendit ses bras de chaque côté. Les deux gardes avaient lancé ce qu’ils espéraient être une ultime attaque simultanée et Maran, avec une adresse redoutable, plaça ses mains le long de chacune des lances en mouvement, puis tira d’un coup vif. Il bondit en arrière au moment où les piques approchaient de son corps et les gardes, emportés par leur élan et par la force de leur attaque, ne purent s’arrêter. La première pique se ficha dans le torse du soldat d’en face, l’autre pique arracha la jambe du second.
Les deux vaincus restèrent quelques secondes debout, chacun appuyé contre le camarade qu’il avait lui-même abattu, puis glissèrent lentement dans la boue. Pendant ce temps, le troisième, que le sabre lancé par Maran avait seulement blessé à l’épaule, repassait à l’assaut avec un hurlement de rage et de défi. Justice ramassa promptement une des lances et s’en servit comme d’une perche pour se propulser, jambes en avant, vers son adversaire. Il le percuta en pleine poitrine et le renversa, le faisant chuter dans la boue et éclaboussant les alentours d’épais liquide marron. Maran se laissa retomber à califourchon sur le torse de son ennemi enfoui dans la boue, extirpa la dague placée à la ceinture du soldat, et la lui planta entre les deux yeux.
L’affrontement avait quelque peu mis ses forces à l’épreuve, et Maran Cahru se redressa péniblement, sa tunique noire souillée de boue et de sang, tandis qu’à ses pieds la rivière se teintait légèrement de rouge. Il fit quelques pas pour récupérer son sabre, la poignée dégoulinante émergeant de l’eau. Sans perdre de temps à l’essuyer, il s’élança à la poursuite du petit chef et de son dernier garde du corps. Ils étaient enfin parvenus à leur vaisseau, le chef commencait déjà à embarquer, tandis que le garde restait pour couvrir ses arrières, arme au poing, conscient que l’agresseur était encore à leurs trousses.
Maran Cahru arrivait à vive allure, sabre en avant, en position d’attaque haute. Le garde vint à sa rencontre, et leurs armes s’entrechoquèrent avec un résonnement métallique. Maran tenait son sabre à deux mains et enchaînait des attaques puissantes destinées à briser la garde adverse, son opposant lui tenait sa lance par le milieu et frappait des deux extrémités à toute vitesse. Justice bondit pour éviter un coup au niveau de ses jambes, répliqua par une suite de moulinets rapides qui fit reculer le garde vers le vaisseau, dont le chef avait déjà activé les machines. Ils échangèrent encore de nombreuses passes rapides, quand soudain le dos du garde percuta la carlingue du vaisseau, l’acculant et le prenant par surprise un instant. Justice avait attendu et prévu ce moment, et ne manqua pas d’en profiter. D’un geste vif, il plaça son sabre en diagonale sur le torse du soldat désemparé, appuya de sa main gauche sur le dos de la lame et poussa, entraînant un mouvement latéral avec ses épaules. Cela eut pour effet de faire glisser le garde le long de la carlingue de l’appareil, tandis que le sabre aiguisé lui tranchait le corps, aspergeant Maran de sang frais. Le corps fut projeté sur le côté et s’effondra au pied du vaisseau.
Maran comprit cependant qu’il avait malgré tout perdu la partie : alors que le dernier garde poussait son ultime râle d’agonie, le vaisseau s’élevait lentement sur ses répulseurs, agitant l’air aux alentours. Maran n’était pas dupe, il était désormais trop tard pour stopper sa cible. Il s’agissait de son premier véritable échec : il avait massacré des sous-fiffres mais le chef impérial, le véritable coupable, s’en tirait sans une égratignure. Abaissant son arme ruisselante du sang de ses victimes, il recula lentement et observa l’engin qui s’élevait au-dessus de sa tête et qui pivotait pour s’orienter. Quand le cockpit fit face à Maran Cahru, il eut soudain une vision qui le surprit, le troubla et le terrifia.
Il pouvait à présent distinguer les traits de l’homme qu’il était censé éliminer, et qui avait ôté sa capuche. Ce prétendu officier impérial qui avait été la cible de la justice n’avait en réalité pas grand chose d’impérial : c’était un rodien.

Maran Cahru accéléra encore, menant son speeder à l’extrême limite de ses capacités. Son esprit tourmenté tentait désespérément de mettre de l’ordre dans les idées confuses qui l’agitaient. C’était impossible. Quelque chose clochait, c’était la seule solution. Un rodien à la tête d’un groupe d’impériaux, même déguisés, ce n’était en aucun cas concevable. Ce devait être une erreur. Une lamentable erreur. Les rebelles s’étaient probablement trompés de cible, il ne s’agissait pas d’un campement impérial. Des pirates peut-être, ou de vrais contrebandiers, mais certainement pas des impériaux. Quoique la qualité de leur équipement et la compétence des gardes du corps ne correspondaient guère à un petit groupe clandestin. Que faisaient-ils donc sur Vortex, de qui dépendaient-ils, et pourquoi les avait-il affrontés ? Quant à ce terme, « Vigo », sa signification ne revenait toujours pas à l’esprit de Maran. Encore un mystère.
Mais pour lui, il y avait bien plus grave : ses victimes n’étaient pas impériales, elles n’appartenaient pas à cet Empire démoniaque qu’il haïssait et qu’il voulait voir s’écrouler. Les gens qu’il avait tués n’avaient rien à voir avec sa vengeance personnelle. Qui qu’ils fussent, ils étaient, du point de vue de Maran Cahru... innocents. Et il les avait massacrés sans vergogne. Il réprima une nausée.
Le doute avait été semé lorsqu’il avait aperçu le rodien, et le malaise s’était amplifié et confirmé lorsque Maran avait ôté les masques de quelques gardes. La majorité était certes humaine, mais il avait été glacé d’effroi en découvrant un twi’lek, un bothan et d’autres espèces. En plein affrontement, il n’avait pas relevé le fait que certains, sous leurs masques (se cacher ainsi le visage tendait à prouver qu’ils appartenaient à une organisation criminelle), avaient une carrure ou une démarche différentes de celles d’humains, l’espèce royale de l’Empire. Il avait commis un énorme erreur, et les avait tués jusqu’aux derniers...
Les rebelles qui l’avaient mis sur la piste de ce groupe et l’avaient induit en erreur auraient des comptes à rendre (son intuition lui avait pourtant dit de se méfier de cette improbable histoire d’impériaux masqués), et Maran fonçait à travers les vastes plaines de Vortex vers la zone d’extraction. Là, il serait récupéré par le petit quarren et ramené, les yeux bandés, vers la base souterraine.
Il freina brutalement au point de rendez-vous et descendit de son véhicule, nerveux et mal à l’aise. Il comptait remettre son introspection à plus tard, mais soutenir le poids de son échec lui était douloureux, les visages de ces non-humains assiégeant sa conscience. Personne n’était là. Il regarda plus attentivement autour de lui, vérifia la radar du speeder pour s’assurer qu’il était au bon endroit, mais il n’y avait pas la moindre trace du quarren. Il était coincé dehors sans son guide...
Soudain, une explosion ébranla le sol et Maran, sur le qui-vive, repéra au bruit qu’elle provenait d’une petite montagne à quelques kilomètres de sa position. Sans attendre une seconde, il enfourcha son speeder et démarra en trombe pour se diriger vers le site de l’explosion. Elle fut suivie d’autres déflagrations similaires, qui aidèrent Maran à trouver la bonne direction. Peu après, il put constater en visuel que des vaisseaux bombardaient le flanc de la montagne, vraisemblablement pour mettre à découvert l’entrée secrète de la base. Ils y parvinrent enfin, éventrant le roc, et plusieurs chasseurs du même type que ceux des hommes du rodien – assurément pas impériaux – s’engouffrèrent dans la brèche. Une attaque... Rendu encore plus perplexe par la tournure que prenaient les événements, Maran était bien décidé à tirer tout cela au clair, conduisant le plus vite possible pour tenter d’arriver pendant que l’assaut était encore en cours.

Lorsqu’il parvint enfin au pied de la montagne, l’entrée de la base n’avait plus rien d’un secret. Un trou béant dans la roche, de plusieurs mètres de haut, révélait un passage aménagé, suffisamment large pour laisser passer des vaisseaux de grande taille. Sans même ralentir, Maran engagea son speeder dans l’ouverture, et dévala le tunnel qui descendait en profondeur. Il atteignit une seconde porte métallique défoncée par des tirs de turbolasers, la dépassa en trombe, et déboucha dans le petit hangar où il était arrivé lors de sa première visite de la base. Les étranges vaisseaux noirs qu’il avait aperçus à l’extérieur s’étaient posés ici après avoir détruit les deux portes, et leurs passagers semblaient en être déjà descendus. Au milieu se trouvait un autre vaisseau, noir lui aussi mais bien plus grand et visiblement luxueux.
Maran Cahru laissa son speeder dans le hangar et parcourut le couloir rocheux qui menait au cœur de la base, plus que jamais sur ses gardes. De toute évidence, les rebelles avaient été violemment attaqués, mais par qui donc ? Pas par des impériaux en tout cas, il ne croyait plus à cette histoire de troupes déguisées. Il y avait en fait de fortes chances qu’ils s’agissent de pirates attaqués par erreur par les rebelles, et ces derniers subissaient les représailles, le chef rodien s’étant échappé. L’échec et l’erreur de Justice avaient déclenché un tragique malentendu qui avait entraîné un massacre entre deux factions qui n’avaient rien à voir l’une avec l’autre, et tout cela au seul profit de l’Empire. Cela dit, Maran ne comprenait toujours pas ce que des pirates pouvait bien venir faire sur une planète paisible comme Vortex.
Les conséquences du drame lui apparurent encore plus clairement lorsqu’il pénétra dans la salle de contrôle ravagée. Les coûteux appareils étaient tous renversés et éventrés, certains brûlants, et les corps sans vie des techniciens et des gardes jonchaient le sol. Une odeur âcre, mélange de matériel brûlé, de chair humaine calcinée et d’ozone dégagée par les blasters, assaillit ses narines. Les responsables de ce massacre n’étaient déjà plus là, ils s’étaient probablement dirigés vers la salle de réunion. Maran consulta son chrono ; en principe, la réunion n’avait pas encore officiellement commencé, mais il était probable que nombre des participants s’étaient déjà rassemblés dans la salle. Protéger le Cerveau était la tâche de Justice, et ce dernier ne perdit pas une seconde de plus.
Il se mit à courir dans les sombres couloirs, évitant de temps à autre un cadavre. Il passa auprès du dévaronien, abattu d’un tir en pleine poitrine, et remarqua que leurs assaillants avaient aussi subi quelques pertes. Il aperçut en effet le corps de soldats équipés de lourdes armures rouges, et une nouvelle fois une sensation de déjà-vu s’empara de lui. Il lui semblait commencer à comprendre, avec tous ces indices concluants, à qui il avait affaire, mais il préférait ne pas fonder trop précipitamment de certitudes. Et cela n’expliquait en aucun cas tous les récents événements.
Il atteignit enfin la porte de la salle de réunion, devant laquelle deux soldats aux armures rouges montaient la garde. Ils furent si surpris de le voir débouler que Maran les élimina sans effort, frappant avec précision par les interstices de leurs lourdes armures. Conservant son sabre à la main, il pénétra dans la pièce, ouvrant la porte d’un geste violent. Il s’était attendu à trouver de nombreux soldats rouges occupés à massacrer les rebelles, mais il n’en vit aucun. Néanmoins, la tuerie avait déjà eu lieu, de nombreux cadavres jonchaient le sol, et il reconnut entre autres le corps du petit quarren. Une forte odeur s’élevait dans les airs, témoin de récents échanges de tirs de blasters. Maran Cahru finit par discerner deux uniques personnes qui tenaient encore sur leurs pieds.
Le premier était le Cerveau, visiblement terrorisé, qui tomba soudain lourdement à genoux. A ses côtés gisaient les corps de ses deux acolytes ainsi que celui du togorien, son cher vibro-sabre toujours dans la patte. A quelques mètres se tenait une autre silhouette, pointant un petit blaster en direction de la tête de l’arkanien. Maran devina qu’il devait s’agir de l’unique assassin qui avait seul accompli le travail ; il était le premier à savoir combien un tueur entraîné pouvait être efficace... La fumée qui emplissait les lieux se dissipait peu à peu, et il eut une meilleure vue sur ce qui restait de la salle de réunion. Des tables et des chaises, la plupart renversées, d’autres détruites, réduites en poussière ou encore projettées au quatre coins de la pièce, témoignaient de la violence des combats qui s’étaient déroulés. Au fond de la pièce, des escaliers montaient vers un balcon donnant sur une petite porte de sortie. Enfin, Maran put distinguer les traits de l’assassin. Quoiqu’il se demandât si cette personne pouvait bien être ce qu’elle paraissait...
De longs cheveux blonds cascadaient sur ses épaules, entourant son fin visage. Ses formes absolument parfaites saillaient sous sa combinaison moulante bleue sombre, et il émanait d’elle une grâce indéniable. Maran Cahru resta quelques secondes stupéfait devant l’extraordinaire beauté de la jeune femme, avant de réaliser que quelque chose devait aller de travers. Le blaster qui menaçait le Cerveau, les cadavres alentour, tout cela ne collait guère avec sa splendeur. Et surtout, son regard... Lorsqu’elle se tourna vers Justice, il put voir ses yeux d’un bleu glacial, à l’expression dure et froide, presque... inhumaine. Ils se fixèrent l’un l’autre, elle probablement surprise par cette arrivée impromptue, et lui toujours aussi consterné par cette rencontre.
– Tu arrives un peu tard, Justice, fit soudain l’arkanien agenouillé.
– A temps pour exiger des explications, rétorqua Maran Cahru.
Le Cerveau ricana – malgré le canon sur sa tempe – et fit un geste en direction de tous ses hommes abattus.
– De toute façon tout est terminé, lâcha-t-il.
Maran s’approcha, tandis que la belle inconnue l’observait sans broncher.
– Le camp que j’ai attaqué... ce n’étaient pas des impériaux, n’est-ce pas ?
– Ce fut une erreur. C’est lui (il désigna le corps sans vie du togorien) qui aurait dû s’en charger. Ce crétin de quarren s’est trompé en vous remettant ces fichues enveloppes de filmplast.
Justice s’efforça de garder son calme et de faire le point. Ils avaient prévu d’envoyer l’autre assassin, probablement dans le coup, tuer les faux impériaux, tandis que lui aurait dû s’occuper d’une seconde véritable base impériale. Mais deux enveloppes noires contenant les directives avaient été mal distribuées, ils s’étaient fichus de lui et il le réalisait enfin. Une foule de questions se pressa à l’esprit de Maran, et une seule résuma le gros de ses interrogations.
– Qui êtes vous ? Réellement...
– Le Cerveau. Mais je ne suis pas plus rebelle que tu n’es impérial...
– Ces types que j’ai attaqués, ainsi que ceux qui viennent de répliquer (il désigna la blonde), qui sont-ils ?
– Les soi-disant impériaux camouflés, les soi-disant rebelles et eux (il montra à son tour la jeune femme), nous sommes tous du même camp.
Justice eut tout d’abord du mal à saisir le sens de cet aveu, avant que tout ne s’éclaircisse dans sa tête. Les gros moyens communs à tous ces groupes, leurs vaisseaux, leurs méthodes, oui tout cela apparaissait soudain comme évident. Pourquoi ne l’avait-il pas compris plus tôt ?
– Le Soleil Noir... murmura Maran dans un souffle.
– C’est exact, déclara une voix forte surgie de nulle part.
Une ombre émergea de l’obscurité du petit balcon et descendit lentement les marches, pour s’arrêter au-dessus des trois individus. Un falleen. Maran connaissait bien cette espèce, pour en avoir fréquenté un au cours de sa dure jeunesse. Celui-ci était vêtu d’une tunique violette de luxe taillée sur mesure, et le fixa de son regard perçant et vif. Maran le reconnut immédiatement. Le Prince Xizor, parrain du Soleil Noir, le syndicat criminel le plus puissant de toute la galaxie. Sa richesse était phénoménale, et les moyens de son organisation n’avaient d’égal que ceux de l’Empire.
Cette affaire apparaissait soudain bien plus importante, et de nombreuses pièces du puzzle finissaient par se mettre en place. Les types du camp étaient aussi membres du Soleil Noir, ce qui expliquait la présence d’un Vigo rodien. Le sens du terme revint à Maran : tiré d’une antique langue, il signifiait littéralement « neveux », plus précisément les lieutenants de Xizor. Quand Maran avait eu une sensation de déjà-vu en voyant les vaisseaux des assaillants des « rebelles » et cette impression avait été légitime : il s’agissait là de l’équipement habituel des troupes du Soleil Noir.
Mais le plus troublant était la révélation du Cerveau : lui aussi appartenait au syndicat. Pendant toutes ces années, Justice avait donc servi des criminels en pensant soutenir la Rébellion. Mais c’était impossible, pensait-il, ses victimes étaient pourtant bien impériales. Et s’il avait bel et bien travaillé pour le compte du Soleil Noir, pourquoi le Cerveau les avait-il envoyés – lui et le togorien – massacrer des alliés ?
Ecœuré par l’idée d’avoir pu servir des truands notoires, Justice serra les poings de colère et s’approcha davantage du Cerveau. La femme voulut s’interposer mais Xizor l’en empêcha d’un geste de la main. Maran s’accroupit et, nez à nez avec l’arkanien, le fixa de son regard le plus dur.
– Que m’avez-vous fait faire ? demanda-t-il d’une voix rauque.
– Ce qui nous arrangeait, répondit l’autre avec un petit sourire qui irrita Maran au plus haut point.
– Mais ces impériaux ? Ces esclavagistes ? Pourquoi ?
– Disons qu’ils nous gênaient dans nos « affaires »... Des enquêteurs trop perspicaces, des rivaux, des officiers impériaux qui en savaient un peu trop...
Xizor jugea soudain judicieux d’intervenir, parlant d’une voix calme et assurée.
– Le « Cerveau » ici présent a l’honneur d’être l’un de mes Vigos, un de mes neuf lieutenants. Mais je crois qu’il a eu un peu trop d’appétit...
Il s’arrêta un instant afin de s’assurer que Justice était attentif, avant de lui déballer toute la vérité.
– Pour résumer, je dirais que ma situation attire la convoitise. Certains – je dirais plutôt beaucoup – envient ma place, et les tentatives pour s’en emparer font mon quotidien depuis déjà bien longtemps. Mais lorsque même mes propres Vigos complotent contre moi, je dois avouer que je suis très... désappointé.
Sa voix se durcit sur ses mots et il regarda l’arkanien, qui baissa piteusement la tête.
– Ce cher Cerveau a alors osé fomenter un complot contre son chef. Contre moi, celui qui lui ai tout donné, tout appris ! Il a donc convoqué ici, dans sa base secrète, tous les autres Vigos pour leur proposer de me renverser tous ensemble. Mais chez lui, la trahison est une habitude. Ce misérable n’avait bien sûr pas la moindre intention de partager ce pouvoir qu’il convoitait tant avec ses « camarades ». C’est pourquoi, après les avoir laissés s’installer dans des camps précaires, il vous a envoyé, toi et l’autre, pour faire le ménage parmi certains de ses chers collègues mais aussi concurrents. Il comptait vraisemblablement s’occuper des autres au cours de cette réunion, et ensuite s’approprier toutes leurs ressources pour mieux me faire face dans sa pitoyable tentative.

Maran Cahru comprenait peu à peu la teneur du complot, mais l’arkanien décida de compléter.
– Tu étais censé attaquer Green, le Vigo humain, et le togorien devait se charger du rodien. Green est entouré d’humains et...
– Et je l’aurais alors sans problème pris pour un impérial, acheva Maran. Mais le quarren s’est trompé, je suis tombé sur le rodien et j’ai vite vu que quelque chose n’allait pas.
Le silence de l’arkanien confirma ces propos.
– Mais pourquoi moi ?... fit doucement Maran, sous le choc.
– Nous t’avions repérés pour tes... hum... talents. Et nous avions besoin de toi. J’ai vite compris ce qu’il fallait te faire entendre pour t’avoir à nos côtés. Ta chère et tendre justice... fit le Cerveau sur un ton railleur.
– Vous vous êtes servis de moi... Vous m’avez menti, manipulé de bout en bout... Vous avez osé...
Cette idée le frappa avec plus de violence que n’importe quel adversaire. Pendant toutes ces années, alors qu’il était persuadé de participer à la cause rebelle qui lui était si chère... il n’avait en fait été qu’un simple mercenaire inconscient, aveuglé par ses principes et incapable de choisir seul ses actes. Il s’était laissé abuser depuis le début, il avait abattu tant de gens sous un prétexte biaisé. Parmi eux se trouvaient certainement des impériaux, mais aussi d’autres personnes qui, quelles que soit leur honnêteté, n’avaient pas mérité de périr par sa lame. Peut-être même avait-il tué des rebelles ou des civils qui gênaient les activités du Soleil Noir... Par ailleurs, il avait servi de pion dans une lutte intestine entre malfrats, on l’avait utilisé comme arme sans même qu’il ne se pose la moindre question.
– Et cette fois où j’étais censé avoir couvert cet agent Katarn, demanda-t-il en voulant encore y croire.
– Hé hé, un sacré baratin sur ce coup là, une idée d’un de mes hommes. Un beau mensonge !
Là dessus, l’arkanien éclata d’un grand rire bruyant, à la fois amusé et désespéré, sachant pertinemment qu’il allait mourir. Son rire insolent dura quelques instants pendant lesquels Maran restait pétrifié devant cette vérité, mais il finit par exaspérer le Prince Xizor. Le falleen n’y tint soudain plus et cria :
– Il suffit !
Un vif déplacement latéral l’emmena derrière le Cerveau, et d’un rapide mouvement sec il brisa la nuque de son Vigo. Le corps de l’arkanien s’affala auprès de ceux de ses hommes, tandis que Xizor replaçait paisiblement ses mains dans son dos. Ayant parfaitement retrouvé son calme, il s’adressa à Maran.
– Ce prétendu agent impérial qui aurait eu vent d’une affaire rebelle était en fait l’un de mes espions les plus compétents. Il avait découvert le manège du Cerveau et voulait m’en avertir mais... ce traître a dû te servir je ne sais quel mensonge pour t’envoyer l’abattre. Cela ne m’a évidemment pas empêché d’apprendre ses manigances. J’ai préféré attendre cette fameuse « réunion » pour agir, afin de savoir lesquels de mes Vigos le suivraient dans sa pathétique et suicidaire trahison. Il les a donc convoqués ici et tu connais la suite.
Il fit une pause pour observer le fameux Justice, et ne vit qu’un takisha désespéré, le regard perdu dans le vide, son malaise et son conflit intérieur le rongeant comme une peste. A côté de Xizor, l’humaine ne bougeait pas, elle avait simplement rengainé son blaster à la mort du Cerveau et surveillait Maran Cahru du coin de l’oeil.
– Bien sûr, reprit Xizor, tous les Vigos qui me sont restés fidèles ont été mis à l’abri et ont participé à tisser la toile de mon piège à traîtres. Quant aux autres... ils ont eu ici le sort qu’ils méritaient. Un peu de ménage parmi mes chers neveux...
Maran s’abstint de dire que le rodien – vraisemblablement un vrai traître, puisque Xizor ne l’avait pas prévenu – était parvenu à s’en tirer.
– Quant à moi, poursuivit Xizor, le Cerveau avait bien entendu déjà attenté à ma vie. Il y avait en réalité trois assassins : le togorien, toi, et celui qui a été envoyé pour me tuer. Le plus fort de tous, je présume.
Estimant qu’il avait fini son récit et voyant que Justice, toujours perdu dans ses doutes, semblait avoir compris, il jugea venu le moment de conclure.
– Nous avons tous deux été trahis, Justice, et tu avais le droit de savoir la vérité – je suis un homme d’honneur, tu sais. Je n’ai rien contre toi. Mais tu as malgré tout, même si c’était inconsciemment, servi un homme qui œuvrait contre moi. Et puis mon garde du corps a déjà abattu les deux autres assassins, et s’il y a bien une chose qu’elle déteste c’est le travail inachevé. Ainsi...

A ces mots, la jeune humaine se mit soudain en mouvement ; un unique déplacement bref et agile, avec une impressionnante économie de gestes, l’amena aux côtés du corps sans vie de l’assassin togorien. Le Prince Xizor, quant à lui, tournait les talons pour se diriger vers la sortie, évitant de son noble pas les cadavres d’individus qui avaient jadis travaillé pour lui. Des soldats (encore loyaux ceux-là) l’attendaient devant la porte, arme au poing.
– Rejoins-moi dehors, Guri. Et fais vite.
L’humaine acquiesça d’un simple hochement de tête, puis se baissa souplement pour s’emparer du vibro-sabre du togorien. Brandissant l’arme, elle laissa distraitement errer son regard sur les contours de la lame électro-magnétique, puis ses yeux à l’expression froide se posèrent sur Maran Cahru.
– Je ne suis pas programmée pour manipuler ce genre de jouet... fit-elle pensivement.
Derrière lui, Justice perçut Xizor qui s’arrêtait et qui reportait son attention sur son « assistante ».
– Mais cela pourrait être amusant, ajouta Guri avec un sourire carnassier.
Un instant plus tard, Maran Cahru para le coup le plus rapide et le plus destructeur qu’il eût jamais à encaisser. Avec une vitesse fulgurante, Guri s’était jetée sur lui, vibro-sabre en avant. Les réflexes de Justice ne lui avaient pas fait défaut, sans quoi il serait déjà mort, et son sabre avait jailli de son fourreau in extremis, juste à temps pour stopper la course de l’arme ennemie. Les deux adversaires restèrent un moment dans cette position de parade, puis Xizor rompit enfin le silence qui avait suivi le vacarme du choc des armes.
– Ce combat risque d’être bien plus divertissant que prévu, en fin de compte, observa le falleen en revenant dans la pièce dévastée pour prendre une place de spectateur.
Guri ramena sa lame vibro-active vers elle, et attacha habilement ses cheveux d’or derrière sa nuque. Puis elle se mit en garde pour la passe suivante. Justice fit de même, les pieds parallèles, jambes fléchies, le torse tourné pour présenter son profil à l’adversaire. Ses deux mains se placèrent sur la garde du sabre et montèrent au niveau de ses épaules, la pointe dirigée vers la femme. Maran était prêt pour un affrontement qui s’annonçait éprouvant, mais il était en même temps très troublé. Le poids de ses erreurs et la trahison des « rebelles » tourmentaient encore son esprit, et la puissance inattendue (surtout chez une femme) de son adversaire ne manquaient pas de le déstabiliser. Mais surtout, le doute l’assaillait : chaque fois qu’il avait tué ces dernières années, il avait probablement commis une erreur, servant des criminels plutôt que la justice qui lui tenait tant à cœur. Et de ce fait, il commençait à se demander si ce combat était lui aussi justifié, d’autant plus qu’il s’était toujours juré de ne tuer ni femmes ni enfants.
Guri ne lui laissa pas le loisir d’y réfléchir davantage, repassant à l’assaut avec la même vélocité. Maran, toujours en position défensive, la laissa venir à lui. Elle frappa horizontalement au niveau de la ceinture, et Maran attendit le dernier moment pour rabattre violemment sa lame, entraînant celle de Guri vers le sol. Une parade aussi puissante aurait déséquilibré nombre d’adversaires, mais pas Guri et sa force surhumaine. Son coup fut certes stoppé net puis dévié vers le bas, mais elle soutint le choc sans mal, ce que Maran n’avait pas prévu. Les lames étaient abaissées vers le sol, et Guri en profita pour expédier un revers du poing gauche en plein visage de l’assassin takisha. Le force du coup envoya Justice rouler à terre et percuter une table renversée. Il n’eut même pas le temps de se relever, Guri était déjà sur lui, tentant de l’embrocher à même le sol. Maran fit un souple saut arrière pour esquiver et se redresser, et le vibro-sabre se planta là où il se tenait une seconde auparavant. Lassé d’encaisser les coups, Justice se lança dans la contre-attaque. Quels que fussent ses doutes, il avait finalement décidé de se battre pour survivre. Et puis après tout, cette femme était une tueuse dangereuse, et il était sûr que la stopper ne serait pas une erreur supplémentaire, bien au contraire. Laissant ses tourments de côté, il redevint l’assassin impitoyable et efficace qu’il était depuis tant d’années.
Il porta une attaque haute qui fut subtilement déviée, enchaîna avec trois autres coups variés qui avaient pour but de troubler l’adversaire. Chaque attaque faisait reculer Guri d’un pas, et elle paraissait plutôt surprise qu’un autre qu’elle puisse être aussi rapide et précis dans ses attaques. Les deux lames se croisèrent avec fracas, mais la force de Guri lui donna l’avantage : elle poussa avec son vibro-sabre et fit reculer Maran, qui finit par tituber sous la pression. Il se ressaisit juste à temps pour s’accroupir et éviter la lame qui fendit l’air juste au-dessus de sa tête. Il riposta en effectuant un balayage au ras du sol, mais Guri bondit pour ne pas voir ses jambes être tranchées. Elle retomba derrière Maran Cahru, et tous deux firent volte-face pour se retrouver face à face, puis échangèrent plusieurs coups à toute vitesse.
Dans un coin de « l’arène », Xizor observait le duel avec un intérêt évident. Il était rare de voir quelqu’un tenir tête à son garde du corps à neuf millions de crédit, et le spectacle valait le coup d’oeil. Guri devait probablement tout enregistrer, et le Prince se ferait un plaisir d’analyser, une fois rentré sur Coruscant, les talents de ce mystérieux takisha. Dommage qu’il n’ait aucune chance de survivre face à Guri...

Xizor était certes un tacticien de génie et un leader criminel avisé, il lui manquait toutefois certaines compétences ; et l’ignorer était son erreur. Il en était de même pour Guri, aussi mortelle soit elle. Justice, lui, avait certaines cartes en main, et il comptait bien les jouer. Tout expert en arts martiaux (que ce soit les Chevaliers Jedi de l’ancien temps avec leurs sabres laser, les gardes d’élite de l’Empereur avec leurs lances, les combattants à mains nues comme les guerrières Mystrils ou encore les experts en sabre comme Maran Cahru) possédait sa technique propre, la clé de sa puissance et de son efficacité, le secret qui lui permettait de dominer un adversaire même armé du meilleur blaster. Ce n’était pas le cas de Guri, formée pour tuer quelle que soit la manière. Mais Justice, lui, connaissait son affaire. Après des années passées à manier le sabre, il avait acquis des connaissances vitales. Comment manier sa lame avec grâce et dextérité. Comment réagissait son arme au combat. Comment parer pour prendre l’avantage. Autant de détails capitaux qui faisaient la différence entre la victoire et la défaite. L’opposition de la puissance meurtrière de Guri face à l’art du sabre de Justice ne faisait que commencer...
D’un mouvement large, il dévia le vibro-sabre ennemi et répliqua par une série de coups haut/bas. Il sauta pour retomber sur Guri, sabre en avant, et pour la première fois l’humaine dut esquiver au lieu de parer. Elle roula sur le côté, évitant de peu d’être empalée. Elle se releva et asséna un puissant coup remontant, qui brisa la garde de Justice : emporté par le choc de la parade, son sabre fut entraîné vers l’arrière au-dessus de son épaule droite et son bras suivit le mouvement. Mais Justice avait tout calculé et Guri était tombée dans son piège. Il accentua le mouvement vers l’arrière, mit son autre main dans son dos, et fit soudain passer le sabre de sa main droite dans sa main gauche. Guri ne remarqua pas les manœuvres, et son arme levée à la suite de son coup puissant la laissait vulnérable à une contre-attaque. Maran la surprit en brandissant son sabre de la main gauche, et il l’abattit violemment. La lame fendit l’air en sifflant, fondant vers Guri dans une course mortelle.
Un bref instant plus tard, alors que Justice s’était attendu à voir jaillir le sang de son ennemi, le coup fut brutalement stoppé, de façon inexplicable. Maran tenait pour impossible que Guri ait pu se remettre en garde aussi vite, et aucun son caractéristique d’une parade ne s’était fait entendre. Puis Maran distingua trois choses : tout d’abord l’arme toujours levée de Guri, avec laquelle elle ne s’était donc pas défendue. Puis il vit les yeux de la tueuse (incontestablement encore en vie,) qui l’observaient, accompagnés d’un petit sourire. Enfin, son regard se posa sur son propre sabre et sur ce qui l’avait bloqué : une main.
Certains grands experts étaient capables de stopper à main nue une arme blanche (en particulier les espèces à peau épaisse, et dans le cas d’une attaque relativement lente et faible), mais cette jeune femme qui improvisait apparemment sa maîtrise du sabre avait effectué ce geste délicat sans la moindre blessure visible. En effet, et ce à la grande consternation de Maran, la main humaine tenait fermement la lame sans que la moindre goutte de sang ne coule. Sous le coup de la surprise, le takisha oublia le vibro-sabre de Guri toujours brandi au-dessus de leurs têtes. Lorsqu’il prit conscience de la menace, il tira un coup sec sur son sabre pour l’extirper de la poigne surréaliste, et fit un bond en retrait. Il ne fut cependant pas assez rapide, Guri avait déjà abattu son arme et la pointe effleura le torse de Maran, y creusant un mince sillon.
Portant la main à sa blessure, Justice en évalua la gravité et vit de grosses gouttes de sang bleu s’écraser sur le sol, tandis que la douleur le faisait mettre un genou à terre. Il respirait bruyamment, et dut s’appuyer sur son sabre pour garder l’équilibre. La blessure était plus profonde que prévu et il se sentait affaibli, tout en sachant que l’une des causes était que son adversaire le troublait de plus en plus. Tous ses précédents opposants avaient perdus car, plus ou moins consciemment, Maran avait été capable d’anticiper la plupart de leurs attaques et d’y répondre de façon adéquate. Il n’avait jamais compris l’origine de cette étrange capacité, mais elle lui avait permis un nombre non négligeable de victoires. Malgré tout, contre cette maudite femme, il se sentait sans atout, sans la moindre ressource. Sa nature de femme, superbe qui plus est, était déjà fort déstabilisante, et son visage, hormis son perpétuel sourire assuré, n’exprimait aucune émotion, la rendant encore plus difficile à cerner.
En fait, il s’était déjà parfois demandé s’il ne possédait pas le fameux don de la Force, comme les Jedi du passé. Il se souvenait vaguement que les gens qui l’avaient élevé (pas ses parents, puisqu’il n’étaient pas takishas) étaient des Jedi et qu’ils avaient été massacrés par Darth Vader et ses sbires, tandis que lui s’en était tiré. Il s’était écrasé sur une planète déserte pour en fin de compte être l’un des deux seuls survivants de leur communauté. Mais il n’avait pas le moindre souvenir que lui ou ses jeunes compagnons d’infortune aient jamais reçu la moindre formation aux voies de la Force. Ce pouvoir et les talents qui en découlaient lui étaient parfaitement inconnus.
Une nouvelle fois, il ne put prévoir l’assaut de Guri, qui frappa puissamment au niveau de sa tête. Il ramena son sabre devant lui, trop faiblement pour parer convenablement. Il bloqua certes l’attaque mais lâcha son sabre sous l’impact, le laissant voler vers un coin de la pièce. Une erreur inadmissible et lamentable pour un combattant tel que lui, le grand Justice... Il parvint à se lever et évita de justesse un autre coup, puis il réagit enfin et s’élança pour agripper le bras de Guri et l’empêcher de le trancher en deux. Il la frappa du poing en plein visage, ce qui n’eut, à son grand désarroi, absolument aucun effet. Au contraire, parfaitement calme, l’humaine enfonça son propre poing dans le ventre de Maran. Elle continua avec un coup de pied circulaire et acheva son enchaînement par un second coup latéral qui cueillit Maran en plein torse et l’envoya valser loin d’elle. Justice gémit en percutant le mur, et s’effondra lourdement au sol, à portée de son sabre.
– Ça suffit ! tonna soudain Xizor. Tu as assez joué, Guri. Finissons-en.
– Bien, acquiesça-t-elle paisiblement.
Elle s’avança lentement, sabre au poing, terrible dans sa mortelle sérénité. Justice avait rarement été ainsi mis en échec, mais il lui restait une ultime carte à jouer, une carte qui ne lui avait jamais fait défaut. Fermant les yeux pour se concentrer et occulter la douleur, Maran Cahru ramassa son sabre et se leva péniblement, s’appuyant sur le mur. Laissant venir Guri, il leva son sabre et en introduisit calmement la lame dans le fourreau dans son dos. Un long coulissement se fit entendre, tandis que l’assassin se mettait en position. Sa jambe droite se fléchit au maximum, sa cuisse reposant sur sa cheville, tandis que la jambe gauche se tendait au maximum en direction de l’ennemi. Son torse se pencha parallèlement à sa jambe, et sa main droite resta sur la poignée du sabre, derrière sa nuque.
Face à cette pose inhabituelle, Guri arrêta sa marche et fixa le takisha avec curiosité. Dans un coin, les duellistes entendirent Xizor qui murmurait.
– Enfin... Voilà qui devrait être hautement intéressant...
Le silence régna quelques instants ; Justice dans sa curieuse garde et Guri parfaitement droite se jaugeaient du regard, leurs mains crispées sur leurs sabres respectifs. Chacun pistait chez l’autre le moindre geste, la moindre ouverture, la moindre erreur. Guri savait que cette position annonçait une attaque spécifique, Maran savait que ce coup serait le dernier.
– Guri, n’oublie pas de tout enregistrer, fit doucement Xizor. Je ne veux rien rater du fameux secret de Justice...
– Oui mon prince.
Ils veulent voir de quoi je suis capable ? Il en sera ainsi. Il voulut parler à Guri, puis trouva déplacé de faire une déclaration à une personne qu’il allait tuer dans une poignée de secondes, et il se ravisa. Ce combat serait bientôt terminé. L’attaque qu’il s’apprêtait à porter n’avait jamais échoué, exécutée à la perfection par le seul être à la connaître – son concepteur. Guri, de son côté, savait que si elle parait ce coup, Justice n’aurait plus aucune chance de l’emporter. Et elle avait déjà des informations sur cette fameuse attaque, elle savait comment la contrer.

Elle fut prise de court par la rapidité de l’assaut. La jambe fléchie de Maran se détendit soudain comme un ressort, sa position favorisant une formidable détente qui le propulsa dans les airs au-dessus de son adversaire. En plein vol, il pivota tête en bas, la main toujours placée sur son sabre rengainé. Guri le vit fondre sur elle, et se rappela comment on avait trouvé les précédentes victimes : coupées en deux, de haut en bas. Elle comprit alors le but de l’attaque : s’élever dans les airs, retomber sur l’adversaire et dégainer au dernier moment pour effectuer un parfait coup éclair et profiter de la force engendrée en sortant le sabre du fourreau, pour trancher l’ennemi en deux. Persuadée de détenir la clé d’une attaque somme toute banale, elle se contenta de lever son bras et son sabre pour prévenir toute attaque aérienne.
Elle avait commis exactement la même erreur que tous les morts qui avaient eu la prétention de penser avoir compris et piégé Justice. Le takisha ne frappa pas, mais poursuivit son vol, dépassa Guri et redescendit soudain à pic derrière elle. Sa rotation aérienne le mena bien droit dans le dos de son ennemi, toujours tête en bas, et soudain sa main s’activa. A une vitesse inimaginable, il fit jaillir son sabre avant même de toucher terre. Le sabre levé de Guri avait laissé ses arrières sans défense, et Maran asséna un coup terrible qui partit de l’entrejambe de l’humaine pour remonter jusqu’à ses omoplates, chose permise par la longueur du bras du takisha ainsi que de son sabre. Un quart de seconde plus tard, Justice touchait terre, amortissait sa chute de sa main gauche et effectuait une impeccable roulade pour se réceptionner.
Il arriva accroupi derrière sa victime, tous deux se tournant le dos. En général, le vaincu finissait en deux parties distinctes après quelques instants. Mais Justice, n’entendant aucun son, se retourna avec appréhension pour examiner Guri. Il eut la confirmation que son attaque avait parfaitement été exécutée : la combinaison de l’humaine était tranchée tout le long de son dos, laissant voir sa peau claire et son superbe corps. Sans la moindre goutte de sang encore une fois... Guri était immobile, et en y regardant de plus près, Maran vit qu’il l’avait tout de même atteinte : une longue entaille courait au milieu de son dos, là où l’impact avait dû être le plus fort. Là d’où aurait dû couler un flot de sang, Justice n’aperçut que...
Des composants électroniques mis à nu. Stupéfait, Maran Cahru resta bouche bée mais finit par comprendre. Un androïde... Cela expliquait en fait bon nombre de choses ; sa force, sa résistance, son inexpressivité relative. Sa conception devait être solide, sa « peau » avait résisté à une grande partie de son attaque, ne subissant qu’une entaille. Toujours sur le coup de la surprise, Maran continua de fixer cet incroyable répliquant qui avait dû coûter une fortune, et qui était à ce jour le plus coriace de tous ses adversaires. Soudain, le droïd chancela et s’effondra face contre terre. Maran s’approcha prudemment, se demandant s’il en était venu à bout, mais il constata que les « yeux » de Guri étaient ouverts et qu’elle paraissait parfaitement consciente. Un sifflement admiratif en provenance de Xizor se fit alors entendre.
– Impressionnant...
La botte secrète de Justice avait été exécutée sans faute et en un éclair, le secret étant de passer derrière l’adversaire sans qu’il ne s’y attende, et de dégainer au dernier moment, pour frapper avec toute la puissance possible, juste avant de toucher terre. Maran était le seul être à effectuer cette attaque, son corps de takisha le permettait et il doutait que beaucoup d’autres espèces soient capables du même exploit. Aucun des observateurs du Soleil Noir n’était parvenu à comprendre que le coup ne venait pas d’en haut, mais plutôt du bas et de derrière, ce qui faisait toute son originalité et son efficacité, outre le fait que laisser son sabre dans son fourreau était vital. Cela était une des raisons pour lesquelles Maran tenait à manier une arme aussi dépassée. La clé était là : un angle d’attaque et une arme inattendus et totalement imprévisibles, une combinaison quasiment imparable.
– Joli coup, admit franchement Xizor. Finissez, ajouta-t-il en désignant Guri.
Maran avisa la « jeune femme » étendue à ses pieds, et réalisa qu’il avait encore du mal à la voir comme une machine. Seuls les fils qu’il apercevait témoignaient de la vérité quant à sa nature, mais malgré tout...
– Cela suffit pour aujourd’hui, déclara enfin Maran.
Le poids de toutes ces erreurs l’avait écœuré de la mort, et il se rendit compte qu’il était soulagé de ne pas avoir « tué » cet... être.
– Ça m’est égal, fit Xizor en haussant les épaules. De toute façon elle ne vous laisserait pas faire.
Constatant la mine étonnée du takisha, le falleen s’expliqua.
– Vous avez dû atteindre un point sensible de son système, ce qui a provoqué un court-circuit passager, l’immobilisant un instant, c’est tout. Je ne l’ai pas payée neuf millions de crédits pour tomber au moindre coup de sabre antique ! Mes félicitations néanmoins, c’est la première fois que sa structure cède.
Maran trouvait le Prince bien calme : il avait vu la technique de Justice, et devait savoir que l’assassin ne le laisserait pas vivre après cela. Et son garde du corps gisait au sol, il était sans défense...
– Alors pourquoi reste-t-elle à terre ? demanda-t-il, sceptique.
– Parce que vous avez gagné, Justice, murmura soudain Guri.
A ces mots, elle se redressa vivement sous le regard atterré de Maran, nullement atteinte par sa blessure. Il l’avait touchée de plein fouet et elle se relevait comme si de rien n’était, et Maran dut se forcer à se rappeler qu’elle n’était pas humaine. A bout de forces, il brandit son sabre pour la prochaine manche.
– Ce ne sera pas nécessaire, dit-elle doucement.
Puis elle s’adresse à son maître.
– Evaluation des dégâts : nuls.
Maran Cahru comprit qu’elle n’avait subi aucun mal, mais pourquoi donc s’était-elle effondrée ?
– Je vous l’ai dit, Justice, reprit-elle. Vous avez gagné.
Elle le regardait avec un air vide, et il eut l’impression qu’elle était réellement sous le coup de la défaite. S’était-elle donc laissé choir pour montrer à Justice qu’il avait gagné avec un coup qui aurait tué un être humain ? Ce type de fair-play ne correspondait guère à l’assistante du plus grand criminel de la galaxie, mais Maran avait déjà entendu parler de la loyauté relative du falleen. Du coin de l’oeil, il vit un Xizor immobile qui les observait avec un intérêt non feint.
– Vous avez dû toucher son programme de fierté féminine ! ricana le Prince du Soleil Noir.
Maran ne lui prêta pas attention, son regard toujours rivé à celui de Guri.
– Félicitations. Adieu Justice, fit-elle soudain en tournant les talons pour rejoindre son maître.
Elle laissa derrière elle un Maran Cahru totalement désemparé, ignorant ce qu’il convenait de faire. Guri lui laissait la victoire, alors qu’il était à bout de souffle et elle en parfait état de fonctionnement, il n’en revenait pas. Mais qu’en était-il de Xizor ? Il avait ordonné à son droïd de tuer l’assassin, et ne la laisserait certainement pas abandonner la partie pour un stupide motif de fair-play. De son côté, Maran ne pouvait pas non plus laisser partir ces deux individus s’il tenait à son secret. Guri s’était avouée vaincue ; comment pouvait-il repasser à l’attaque sans trahir sa loyauté ? Xizor parut lire dans ses pensées, et il lui adressa la parole.
– Disparaissez Justice. Et ne vous inquiétez pas pour votre secret.
Maran Cahru avait en réalité déjà pris sa décision. Après tout, pourquoi devrait-il tuer Xizor ? Les types du Soleil Noir qui avaient abusé de son sabre étaient tous morts, et Xizor n’avait aucune responsabilité dans cette histoire. A l’inverse, il avait été trahi lui aussi, et dans un sens ils étaient en fin de compte... dans le même camp. Justice n’approuverait certes jamais les activités du falleen, mais ils n’étaient pas ennemis. Et en réalité, les meurtres (car c’était en fait ce qu’il avait commis) résultant de ses erreurs, de son propre aveuglement forcené, faisaient de lui un être guère plus respectable que Xizor, même s’il avait été manipulé.
– Disparaissez, répéta fermement Xizor. Vous êtes un combattant honorable, et je respecte la victoire que Guri vous accorde. Disparaissez de ma vue, et nous ne nous serons donc jamais rencontrés...
Justice l’observa un moment, fondant la conviction que Xizor était certes un criminel notoire mais aussi un homme de parole. Il ne dit rien et tourna tranquillement les talons en rengainant son sabre. Les traîtres avaient tous été punis, et son secret ne serait certainement jamais trahi. Quoiqu’il doutait de vouloir un jour réutiliser cette maudite technique de mort... Alors qu’il s’éloignait et passait devant les soldats du Soleil Noir (qui n’esquissèrent pas le moindre geste de menace, alors qu’il avait précédemment tué deux des leurs), il jeta un dernier regard en arrière. Guri le fixait calmement, et Xizor s’adressa une dernière fois à lui.
– Mais je ne veux plus jamais vous voir mêlé à mes affaires...

Il quitta la base dévastée, épuisé et blessé. Mais avant tout, son cœur et son esprit étaient brisés. Il repensa à toutes ces fautes, toutes ces personnes tuées pour une justice qu’il n’avait finalement jamais servie. Il fut pris de nausée en imaginant que le terme d’assassin prenait un sens désormais plus négatif, plus proche de la notion de meurtrier. Toutes ces années, il avait été trop aveuglé par ses idéaux. Incapable de faire justice seul, il s’était laissé guider par de prétendus rebelles, et leur avait obéi alors qu’il avait fait serment d’indépendance. Sa grande erreur avait en fait été de se joindre à un groupe de « rebelles » souterrain, qui s’était révélé peu recommandable.
Il ne sut quel chemin il devait prendre pour trouver la solution à ses crimes. Se retirer le pousserait en fin de compte à une sensation de n’avoir fait que le mal, mais comment pourrait-il décemment décider de continuer à tuer pour la justice ? Une justice qu’il n’était même pas capable de discerner correctement...
Il comprit qu’il lui faudrait des années pour trouver la voie de l’expiation, que son sabre serait peut-être à nouveau sorti de son fourreau entre temps, mais il se jura solennellement que le temps des erreurs était révolu. Il devait trouver des personnes de confiance pour l’aider, des gens qui servaient réellement la justice. Des rebelles, des vrais, et pas des imposteurs. Des gens qui sauraient utiliser ses talents sans le tromper, sans faire le mal.
Il prit la résolution de contacter le réseau central de l’Alliance Rebelle, de côtoyer des personnes de valeur et de confiance. Pour cela, il était décidé à abandonner son anonymat et à travailler véritablement pour la cause rebelle, sans se détourner de la seule route possible.
Il ignorait si cela lui apporterait un jour la réponse à ses questions, mais il était sûr d’une chose : si un jour l’Empire venait à tomber, si un jour la justice triomphait, alors son sabre n’aurait plus jamais à sortir de son fourreau.
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