Quand je me suis inscrit sur ce forum il y a 3 ans maintenant, j'avais commencé à écrire une Fan Fiction Infinites intitulée Le Jedi Errant( et pompeusement sous-titrée Volume 1) consultable ici (même si je ne vous encourage pas à le faire mais alors pas du tout, du tout). Elle n'a jamais été finie (elle n'a même pas dépassé les deux chapitres + prologue ) et a terminé sa vie dans les limbes de la Bibliothèque des textes inachevés.
L'abandon de cette FF est une marque au fer rouge dans ma conscience alors que l'histoire que j'y contais est toujours dans ma tête (bien qu'ayant évoluée).
J'ai donc décidé - n’hésitons pas à faire dans l'hyperbole exagérée - de laver l’affront.
Voici donc le texte dans une version remasterisée finalement assez éloignée du projet de base, née de cette frustration et d'une certaine maturation de l'idée initiale. Le roman est devenu une nouvelle/novella d'environ 20 000 mots, j'ai revu la structure de l' ensemble (forcément) et rajouté quelques modifications (pas très flagrantes si vous avez lu la précédente).
Si un modo passe par là, (jagen jagen jagen! Hein quoi? On me souffle dans l'oreille que ce n'est pas comme Candyman? Ah au temps pour moi alors. ) merci de définitivement verrouiller le sujet du Errant voire de le supprimer car je ne le reprendrais pas tel quel - et tant qu'à faire une édition spéciale autant ouvrir donc un nouveau topic, non?
Je profite du redux de ce texte pour présenter toutes mes excuses aux lecteurs qui m'ont suivi à l'époque: Hiivsha, Jagen, Mitth', Shess'caro'csapla, Den et d’autres que j'ai surement oublié (pardon ).
J’espère que cette version vous plaira.
Ah et que je vous rassure, cette fois il y a une fin! (et cela ne m'empêchera pas non plus, bien au contraire, de poursuivre la publication de Dans les Ombres)
Bonne lecture! (ah oui, j'ai oublié de préciser que cette première partie était assez longue mais je l'ai conçu pour qu'elle soit lue d'un seule tenant donc si inconfort de lecture sur le , je m'en excuse et dites moi si c'est vraiment trop long, je verrais pour éditer et le proposer en plusieurs parties)
Edit: Changement de titre. Titre désormais en français.
— Tout commence et finit dans l’obscurité. Mais, parfois, une lumière se met à briller. D’abord chancelante, elle prend forceet vigueur, repoussant les ténèbres avoisinantes chaque fois un peu plus. Il suffirait d’un rien pour la souffler. Seulement elle résiste ; la lumière sait que la nuit n’est pas éternelle. Croyez en la lumière car elle croit en vous.
— Est-ce cela la Force, Maître Vader ? questionna une jeune Togruta.
Il sourit intérieurement. Elle lui rappelait une vieille connaissance. Depuis longtemps disparue. Il observa intensément chacun des pupilles qui l’entouraient.
— Non. C’est bien plus, jeune padawan. répondit-il avec douceur. Il s’agit de l’amour.
Le silence se fit autour de Vader. La porte de la salle de classe s’ouvrit dans un sifflement à peine audible pour laisser apparaître un Zabrak, vêtu d’un uniforme blanc.
— Désolé de vous interrompre, Imperator. s’excusa le nouveau venu en s’inclinant respectueusement.
— Pas de problèmes, Amiral. Le cours est fini, les enfants. Méditez sur ce que nous venons d’apprendre et nous reparlerons de tout ça la prochaine fois.
Si certains parmi les élèves affichaient leur déception de voir le cours ainsi raccourci, nul n’osa l’exprimer. Les uns après les autres, ils sortirent de la classe. Lorsque le dernier des pupilles quitta la pièce, Vader reporta son attention sur l’amiral qui attendait patiemment, un demi-sourire aux lèvres.
— Quelles sont les nouvelles Amiral ?
— Les Renseignements ont localisé les derniers Renégats.
— Dix ans de guerre et enfin la Paix…
Dix ans plus tôt. Deux ans se sont écoulés depuis l’armistice - forcée - mettant fin à la Guerre des Clones et à l'avènement de l' Empire Galactique…
Dans une indolence matinée de fatigue, Ranar rejoignit son poste de travail. Les semelles en caoutchouc de ses bottes traînaient sur la dalle lisse de béton sans un bruit. Las, il s’assit ; le ressort de la chaise de bureau gémit, une manière de hurlement plaintif, craintif. Face à lui, posé sur une pile de caisses grises de poussière, un félinx, oisif, leva la tête. L’animal le dévisagea de ses yeux d’agate un court instant avant de retourner à sa sieste. Ranar le fixa de longues minutes, observant les poils et la peau se soulever sous la respiration lourde. Son esprit vide dériva jusqu’à porter son attention ennuyée vers la colonne d'insectes, lente, écrasée de chaleur, qui plongeait vers l’obscurité d’une fissure.
À travers la baie vitrée, opaque de saletés, Ranar contempla le soleil pale, gonflé telle une baudruche, se levant sur la morne cité tandis qu’au loin, de longs et rachitiques immeubles peinaient à dessiner, sur l’horizon, leurs maigres silhouettes. Ses yeux cillèrent. L’inactivité se fit pesante sur ses paupières et il s’endormit, épuisé de ne rien faire. Épuisé de ne rien faire depuis deux ans, quatre mois, trois jours et six heures. Ranar rêva. Il rêva, sans joie, sans déplaisir, à cette époque où, jeune, plein de projets et d’illusions d’aventures, il était arrivé dans la capitale, prenant ses fonctions avec enthousiasme et volontarisme qui, tout deux, moururent, il y avait de ça, désormais, deux ans, quatre mois, quatre jours et dix heures.
Son ordinateur le fit sortir de sa torpeur par l’intermédiaire d'une sonnerie stridente, brisant la routine accablante. Le félinx, irrité par ce son si déplacé dans le silence écrasant du complexe, se leva et d’un bond, disparut dans l’ombre. Ranar s’étonna, sans vigueur, que quelque chose dans ce temple désolé, qui semblait avoir été oublié de la Création elle-même, puisse encore avoir une once de vitalité. Le tintement synthétique redoubla d’intensité. Le Zabrak, à regret, tendit un bras amorphe en direction du clavier. L’écran s’alluma sur le visage tout en rondeur et en blondeur d’une jeune femme humaine à l’air sévère. Ranar dut faire un effort de concentration pour percer la brume persistante du sommeil et déchiffrer les lettres d’or qui courraient le long de la vidéo, précisant qu’il s’agissait d’un message enregistré. Dépité, il fit jouer la vidéo. Le visage s’anima :
— Lieutenant de deuxième classe Ranar Ardgana. Je suis le Lieutenant de première classe Willa Tréchi…
Ranar n’écouta la suite que d’une oreille discrète, l’esprit vagabondant dans la désolation de son monde alentour. Dehors, le soleil était haut, sa silhouette ronde se découpant sur un ciel couleur acier. Le temps avait poursuivi sa course inexorable, érodant, délavant tout sur son passage. Le visage de la femme perdit son air sérieux ; des parasites statiques déformèrent son visage mais la voix, elle, continuait son babillage épuisant. Avec une ferveur bien trop intense pour le Zabrak, ce qui devait être sa supérieure hiérarchique annonçait que les détecteurs passifs n'avaient détectés aucune activité anormale. Ranar souffla d'exaspération. Cela ne méritait pas de le tirer de sa sieste. Rien n'était arrivé. Rien ne se passait jamais de toute façon. Il bailla à s'en décrocher la mâchoire. D'un doigt flasque, il éteignit la console. Son regard vagabonda d'un écran à l'autre. Autant de fenêtres ouvertes sur un mausolée impie, silencieux, désespérément vide. Depuis longtemps déjà, il s'était résigné à ne pas vivre la moindre excitation. Au début, il bondissait de sa chaise, blaster au poing, hurlant des ordres à la troupe fantôme qu'il imaginait commander, prêt à en découdre avec les intrus. Et puis peu à peu, le quotidien lui fit comprendre que, dans ce lieu vide, seuls vivaient des spectres. Il en était le premier. Des spectres et des appareils non entretenus qui prenaient un malin plaisir à dysfonctionner.
Il continua sa garde, endormi par la routine, satisfait de sa bien confortable lassitude; de sempiternelles rondes en sempiternelles rondes. Ranar, pris d'un sursaut d'énergie bien surprenant, se leva et se traîna jusqu'à un distributeur de boissons; une petite fantaisie qu'il avait ramené du réfectoire. Après tout pourquoi s'embêter à traverser la moitié du temple pour une simple gorgée de jus de jawa. De grandes baies vitrées filtraient la lumière du jour orageux. La pièce baignait dans cette lueur funéraire. Le gardien frissonna. Il aperçut, du coin de l'œil, son reflet déformé. Il s'arrêta, un instant interdit, s'observant dans cet étrange miroir – la surface polie et pourtant si terne de la machine. Une boule se forma dans son estomac. Il renifla nerveusement. Il se regarda: bouffi et débraillé dans son uniforme brun, taché de gras et de sueur.
Il était bien loin le temps où, plus jeune de deux ans, il avait débarqué sur Coruscant quittant son Iridonia natale. Pendant un bref moment, il se revit, à l'époque, devant son poste holo, exalté par le discours du Chancelier Palpatine annonçant l'Ordre Nouveau, ne comprenant pas la détresse de ses parents pleurant sur la mort d'une République qui ne leur avait apporté que la guerre et la corruption. Honteux, il souvenait qu'il avait détourné le compte parental pour se payer un aller simple dans un cargo miteux vers la resplendissante capitale. La cité planète l'avait ébloui. A l'époque, des bureaux de recrutement poussaient un peu partout à la surface. Il n'avait pas hésité une seconde à en franchir la porte. Trop heureux de faire partie de l'Histoire en marche. Cette même Histoire - ou était ce simplement l'administration - qui le conduisit à faire le veilleur du Temple, funeste tombeau en vérité.
Au début bien sur, il y avait les soldats clones, des droïdes espions aux multiples antennes, des équipes de nettoyage, des archéologues et d'autres plus bizarres en cape noire et armure écarlate que tous évitaient. De longues semaines passèrent, les fouilles se firent plus rares et espacées. Peu à peu, la vie quitta ces lieux. Une petite garnison resta quelques jours. Elle aussi finit par s'étioler. Il y eut un peu de pillards, des contrebandiers, ou de simples curieux morbides ou nostalgiques. Seulement la machine impériale avait fait son office; tout ce qui avait un peu de valeur ou d'intérêts s’amoncelaient dans des entrepôts sous étroite surveillance. Ou croupissaient dans une quelconque décharge. Tant est si bien qu'à leur tour, ils finirent par déserter les lieux. Ranar, lui, resta.
Une nouvelle image s'imposa à lui. Le jour du départ des derniers clonetroopers. Le soldat en faction lui avait alors demandé quelle folie pouvait bien habiter le Zabrak pour qu’il se porta volontaire à rester garder ce mausolée. Ranar répondit, fier, arrogant, jeune, récitant son matricule, que toutes les missions assignées par l'Empire étaient de nature glorieuses. Le soldat renifla bruyamment. Il ôta son casque laissant apparaître un visage usé, prématurément âgé par le processus de vieillissement accéléré des clones. L'homme sourit et gifla Ranar.
— Rien n'est glorieux ici. murmura-t-il simplement en guise d’explication à son geste.
Une étrange lueur passa dans le regard du soldat en armure blanche et bleue. Le clone déglutit avec peine et s'en alla sans un mot de plus. Ranar, choqué, interloqué vit alors que le clonetrooper serrait dans ses poings une tresse de cheveux châtains dont l'une des extrémités avait brulé. Le Zabrak interpella le militaire alors qu'il montait dans le transport où discutaient joyeusement d'autres improbables enfants de Jango Fett. La réponse du vieux soldat les fit taire.
— C'est la tresse du dernier padawan que j'ai tué ici. Un joli tir, pleine tête. Je pensais que le plasma avait tout cramé de son crane mais non, je viens de la retrouver. Je sais que c'est elle. Je le sais... Le clonetrooper soupira doucement puis se tourna vers Ranar. Ta garde commence.
La canonnière d'assaut s'envola dans un grondement de tonnerre le laissant seul, compagnon du silence d'un tombeau.
Ranar secoua la tête à ces souvenirs. Il n'était pas si mal. Il s'ennuyait, certes. Mais il travaillait, dormait dans un logement martial peut-être, sortait le soir s'encanaillant juste ce qu'il fallait. Transpirant à grosses gouttes, le temps étant lourd, il avala goulûment son jus de jawa, espérant que l'orage finisse par éclater. Il regarda sa montre. Encore quelques heures et il pourrait rentrer chez lui, laissant les droïdes souris s'occuper de patrouiller le soir venu.
L’espace compta une nouvelle étoile. Cela dura l’instant d’un clignement de paupières. Dans un évanescent éclat d’un blanc étincelant, le petit appareil monoplace surgit de l’hyperespace. Le chasseur stellaire, d’un modèle désormais rare dans la galaxie, se composait d’un cockpit ovale prolongé de deux fines ailes. Il piqua du nez. Et l’astre qui ne connaissait jamais la nuit, où le ballet interminable de Béhémoths d’acier en orbite remplaçait les étoiles, emplit le champ de vision du pilote.
Perle gris anthracite veinée de longues avenues de lumières, le Joyau des Mondes du Noyau : Coruscant, la Cité-planète, capitale de l’Empire. L’endroit que le pilote avait appris à appeler maison. Le copilote, une unité astromech R-4, fit pivoter son dôme argenté vers son partenaire organique. L’homme, ou ce qui paraissait être un humain, ne prêta pas attention au défilement de 1 et de 0 s’affichant sur l’un de ses pupitres tandis qu’une respiration rauque, sifflante, étrangement mécanique troublait le silence régnant dans le cockpit. Son esprit tout entier était absorbé par la contemplation de ce monde. Un monde qu’il n’aurait jamais cru revoir un jour. Mais bien des choses avaient changé depuis. La République, qu’il avait si ardemment défendue, était devenue un Empire. Lui-même ne ressemblait plus au jeune homme fringant et impétueux qu’il était deux années en arrière. Son reflet dans la bulle en transparacier lui renvoya l’image d’une silhouette sombre, une ombre vêtue de cuir, dont on ne percevait les contours qu’au travers des lueurs rouges des diodes du cockpit. Une caricature d’être humain, voilà ce qu’il était devenu. Car il était tellement moins qu’auparavant. Tant de souvenirs l’assaillirent. Le temps n’était pas à l’introspection. Il avait une mission à accomplir. Une dernière mission.
Faisant jouer ses doigts sur le tableau de commandes, il modifia sa trajectoire. Le vaisseau plongea en direction de la surface. Celle-ci semblait couverte d’une carapace de métal morte. L’impression venait de sa nature même: entièrement urbanisée, des bâtiments flamboyant de mille feux à perte de vue, à l’architecture baroque et arrogante, lancés à l’assaut des cieux. Au loin, à la courbure de l’horizon, les dents blanches et acérées des Monts Manaraï, derniers vestiges naturels de Coruscant, perçaient les nuages. Tout autour de la planète, le trafic orbital, dense, frénétique, faisait office d’une seconde couche artificielle. Une coquille en perpétuel mouvement où se croisaient, se frôlaient des centaines de vaisseaux de tout tonnage: cargos, navires de guerre, transports, navettes orbitales et toutes sortes de vaisseaux étranges volant vers et pour un but inconnu. Choisissant un angle d’entrée éloigné des principaux axes de circulation, le pilote passa sous la coque ténébreuse d’un croiseur de classe Venator. Il finit par ne plus voir que la superstructure du vaisseau. Le droïde lui signala une communication entrante. Une voix atone que le pilote attribua à un stormtrooper s’éleva dans le cockpit.
— Chasseur non identifié, veuillez transmettre votre code d’immatriculation. Déportez-vous sur le point zéro-un-quatre pour être arraisonné.
Le pilote garda le silence. Il passait en revue ses options. Il avait souhaité passer inaperçu mais c’était visiblement raté. Qu’espérait-il donc en venant dans le système le plus important de la galaxie aux commandes d’un modèle recherché par toutes les forces de l’Empire? Coupant court à ses réflexions, la voix du contrôleur spatial retentit de nouveau.
— Chasseur non identifié, veuillez vous conformer aux ordres.
Il se concentra, visualisant l’esprit du clonetrooper, assis derrière son tableau de contrôle; il ouvrit une brèche et poussa au moment même où le soldat cria, hurla presque : «Ou vous serez détruit!» L’unité R-4 vif-argent joua un trille hystérique qui se noya sous les aboiements autoritaires du soldat impérial. Il n’y fit pas attention. Là! La brèche était désormais béante. Il poussa encore plus loin.
— Chasseur non identifié, ceci est notre dernier avertissement ! Rendez-vous ou vous serez désintégré !
D’une voix grave, caverneuse aux accents électronique, le pilote répondit enfin.
— Il n’y a pas de chasseur non identifié. Vous ne voyez que des parasites.
La voix du stormtrooper se voila. Il y eut comme un flottement dans l’air. Le soldat était déconcerté, il essaya tant bien que mal de rassembler ses esprits mais il n’entendait que ses mots: Il n’y a pas de chasseur non identifié, je ne vois que des parasites. Profitant de la confusion du contrôleur, le pilote accéléra. Cela allait marcher; il allait s’en sortir sans dommages. Le petit appareil prit encore de la vitesse. Bientôt, le croiseur se dégagea du champ de vision. Pour révéler ce qu’il cachait. Sa main cybernétique se crispa sur son manche et le robot copilote se lança dans un nouveau trille frénétique. Face au chasseur, une vedette de combat et ses deux ailiers arrivaient à pleine vitesse sur un vecteur d’interception. Entièrement absorbé par sa manipulation psychique, il avait négligé les autres facteurs. Et le voilà pris à défaut. Une erreur de débutant. Mais il importait peu de se lamenter ; il lui fallait agir vite d’autant plus que son radar indiqua l’approche par l’arrière de quatre autres V-wings à la carlingue profilée. Il ne devait pas mourir ainsi; pas dans ces conditions. Il avait un devoir à accomplir.
Soudain, le cockpit s’illumina. Une alarme sourde résonna dans l’habitacle. La situation se dégradait encore un peu plus. Le croiseur n’avait pas dit son dernier mot. Une batterie de turbolasers venait de l’acquérir. Son chasseur ne possédant pas de boucliers déflecteurs, un seul tir au but le désintégrerait pour de bon. Il agit d’instinct. D’un coup sec, il enfonça la pédale de droite; simultanément, il enclencha une série de boutons sur sa gauche avant de prendre son manche à deux mains et de le tirer vers lui. Le chasseur partit en chandelle. La manœuvre le cloua sur son siège, et cloua le bec à son astromech qui se tut pour la première fois depuis de longues minutes. Les voyants lumineux s’éteignirent. Il avait réussi; l’artilleur fut pris par surprise, cela lui prendrait quelques secondes pour réajuster ses canons. Quelques secondes que le pilote comptait mettre à profit.
Mais cela n’eut pas le même succès vis-à-vis des V-wings. Les pilotes, aux réflexes plus affinés, ne s'étaient pas laissés surprendre, et usant de la mobilité et de la vélocité de leurs appareils se lançaient à sa poursuite. La vedette, plus lente, réagit tardivement; cependant elle n’allait par tarder à rejoindre ses camarades. Tout autour du chasseur Jedi, l’enfer se déchaîna. L’espace se zébra de rayons rouges. Le pilote multiplia les manœuvres d’évitement avec fluidité. Il s’abandonna totalement au pilotage. Le manche devint une extension de son bras, le vaisseau une extension de son corps. Tout à coup, le chasseur se cabra, pivota sur lui même. Le pilote enclencha ses rétrofusées ; le petit vaisseau sembla alors s’immobiliser sur place. Les V-wings le dépassèrent à grande vitesse et entrèrent dans sa ligne de mire ignorant qu’ils étaient devenus les proies. Le chasseur Jedi fit feu. Les canons crachèrent leurs traits de lumières mortels. Le premier appareil ennemi explosa dans une boule de feu rougeoyante ; la verrière du second fut vaporisée. Le troisième eut plus de chances, un seul de ses moteurs fut touché. Il dériva un temps puis utilisa ce qu’il restait de ses propulseurs pour s’éloigner de la zone de combat. Les autres échappèrent au déluge de rayons lasers et entamaient un virage serré visant à faire de nouveau basculer la balance en leur faveur. Ils répliquèrent. Un dissipateur thermique fut arraché. Le chasseur partit en vrille, manquant d'éperonner un vaisseau de plaisance. Il redressa juste à temps puis enchaîna les acrobaties, hurlant à son droïde d’augmenter la puissance du générateur d’inertie. Il effectua un looping qui lui donna l’impression que ses tripes se trouvaient au niveau de ses talons. Sans réfléchir, il appuya sur la gâchette. Un nouvel ennemi s’embrasa dans un déluge de gaz surchauffé et de métal en fusion.
Il avait réduit le nombre de ses opposants mais le répit relatif fut de courte durée. Son radar signala que le croiseur manœuvrait pour se remettre en position de tir. Son écran radar lui indiqua qu'un escadron au complet d’intercepteurs décollait depuis une plateforme de lancement tandis qu’au loin, il aperçut une frégate de combat accélérer pour se joindre à la poursuite. Un bip hystérique de son robot l’avertit de l’approche d’un missile. Qu’il évita de justesse. La situation se corsait de minutes en minutes. La vedette entra en jeu, usant de sa puissance de feu pour arroser le chasseur Jedi d’un feu nourri où se mêlaient lasers et tirs ioniques. Un nouveau coup au but secoua le vaisseau. Il eut du mal à garder le contrôle.
Le petit appareil dévia de sa course pour se précipiter vers une zone où le trafic orbital se faisait plus dense. Sa planche de salut résidait peut-être là. Avec un peu de chance, les clones hésiteraient à faire feu dans une zone avec autant de civils. Il plongea sans hésitation dans le trafic. Il devenait certes délicat de piloter parmi tous ces vaisseaux mais il pouvait, en comptant sur ses habiletés, distancer ses poursuivants. Un flash de lumière aveuglante lui confirma ses pensées. Un V-wing venait de percuter la parabole proéminente d’une corvette. Mais la vedette continuait de tirer. L’espace pour esquiver les lasers se rétrécissait à mesure que le trafic s’intensifiait. Il vira à gauche survolant en rase-mottes un gigantesque porte-conteneurs dont la surface se cribla d’impacts. Il sentit la frustration gagner le stormtrooper artilleur. Si ce jeu du chat et de la souris ne durait pas trop longtemps, cela pouvait jouer en sa faveur.
Du coin de l’œil, il avisa la porte béante d’un dock orbital. Poussant à fond sa manette des gaz, il vira de bord à pleine vitesse, distançant un peu plus la vedette trop lourde pour maintenir la cadence. Mais les chasseurs arrivaient vite, très vite. Entre lui et les docks, une multitude de navires divers et variés allaient et venaient sans se soucier de la course-poursuite. Le pilote savait qu’il n’était qu’une question de temps avant que le contrôle aérien ne déclara la zone interdite et de fait, il n’y aurait plus le moindre obstacle empêchant les chasseurs de faire feu à volonté. Il devait se dépêcher car déjà ses craintes se réalisaient: quelques cargos se déroutaient de leurs vecteurs.
Il accéléra de plus belle, coupant les haut-parleurs afin de ne plus entendre les jérémiades de son astromech. Finalement, la porte des quais spatiaux emplit son champ de vision telle la bouche infecte d’un impossible monstre de métal. Il voyait clairement l’intérieur affairé où une cohorte hétéroclite de droïdes manœuvre et de dockers multiethniques déchargeaient les soutes de véhicules hors d’âge. La voix apeurée d’un contrôleur des docks retentit dans son cockpit. Il l’ignora, préférant se focaliser sur ses perceptions. Son système de communications crachota et les menaces des stormtroopers clonés invoquant l’ordre 66 et des décrets impériaux péremptoires ne cessèrent d’affluer à ses oreilles. Quelqu’un comprit ce qu’il tentait de faire, ordonna la fermeture des portes. Trop tard. Dans une dernière accélération, il projeta son petit appareil dans la gueule de la station spatiale. Collé à son siège, il se lança dans un slalom qui lui rappela ses premiers faits d’armes. Il traversa de part en part les docks, évitant souvent à la dernière seconde, échafaudages, rampes et autres structures. Soudain, il s’aperçut que son idée se retournait contre lui. L’officier commandant la poursuite avait fait verrouiller la sortie. Dans un effort désespéré, le pilote essaya de freiner. Puis il y eut une explosion, corolle de feu et débris rougeoyants.
Il fallut quatre longues heures à l’équipe de secours pour éteindre l’incendie, sécuriser un tant soit peu la zone. Puis il fallut deux heures de plus pour que les enquêteurs accompagnés de robots en formes de boules volantes finissent d’inspecter les débris encore fumants de l’intercepteur Jedi Actis Eta-2. Sous la surveillance d’un escadron de soldats à l’impeccable armure blanche assurant un inquiétant anonymat, l’unité de déblayage, commandée par un Rodien à la trompe flasque, commença son travail.
Dissimulé derrière une pile de caisses, une ombre asthmatique observait. Le temps passa et les ouvriers terminèrent enfin leurs tâches, laissant la finition ingrate à une colonne de droïdes à la robuste charpente. Les soldats s’en allèrent à leur tour et l’ombre émergea de sa cachette, épuisée. Le pilote se glissa furtivement jusqu’à un turbo-élévateur dans un coin déserté. Avec un ultime coup d’œil en arrière, le rescapé s’engouffra dans l’ascenseur. Il avait eu de la chance. Comptant autant sur sa foi en la Force - cette mystérieuse et mystique énergie vitale universelle - et en ses capacités, il s’était éjecté de son chasseur peu avant le crash dévastateur. D’un bond prodigieux, il avait atteint un enchevêtrement de poutres. Malgré son entraînement et sa maîtrise de la force, il n'avait pu atténuer la violence de l’impact. Il fit alors appel aux dernières énergies pour descendre et se cacher avant de s’évanouir.
Lorsqu’il reprit ses esprits le bourdonnement dans sa tête ne cessa d’empirer. Il avait présumé de ses forces, encore une fois. Il tomba à genoux, le souffle court. Il fit appel à la Force chassant la douleur pour peu à peu recouvrir ses forces. De l’autre coté des caisses, l’agitation était à son comble. La prudence, qui n’était pas son fort, lui dicta de continuer à se cacher jusqu’à ce que cessèrent toutes formes d’activités. Il n’était pas dans son intérêt d’être découvert maintenant. Bien sûr, il pouvait se défaire facilement, en dépit de sa fatigue, de ses opposants mais cela ne le mènerait nulle part. La discrétion se trouvait être la clé de la réussite de sa mission sacrificielle. Et il l’avait d’ores et déjà légèrement compromis avec ce dogfight imprévu. Inutile d’alerter toute la planète. Alors patiemment, il attendit l’esprit en alerte.
Rejoindre la surface fut moins compliqué que de s’introduire dans l’ancien Temple Jedi. Il avait, tout d’abord, dissimulé son intimidante combinaison de cuir noir sous d’épaisses tuniques trouvées en fouillant une caisse. Puis il s’était mêlé aux travailleurs épuisés attendant la navette de liaison qui les ramènerait dans leurs quartiers miteux où le gouvernement parquait ses ouvriers. Usant de ses pouvoirs, le pilote se déroba aux regards inquisiteurs des soldats surveillant l’embarquement tandis qu’un officier, engoncé dans son uniforme vert olive, aboyait des remarques insultantes, fier de son incontestée autorité. Dans le wagon passager, il se trouva un coin où reprendre des forces, espérant ne pas attirer la curiosité de ses compagnons de voyage. Le transfert sur Coruscant se passa sans heurts, chaque passager plongé dans un profond mutisme.
Arrivé au spatioport, il héla un taxair qui le déposa à moins d’un kilomètre du Temple. L’antique bâtiment projetait une ombre monumentale alentour enveloppant les environs d’une aura spectrale qui, en d’autres temps, s'était révélée apaisante. Il emprunta un étroit corridor débouchant sur une longue passerelle suspendue au-dessus des canyons de fers et de bétons qui constituaient les profondeurs de la planète. A l’autre bout du pont, il aperçut l’esplanade menant aux escaliers majestueux, aux proportions cyclopéennes, du Temple. Des escaliers qu’il avait gravis la dernière fois dans un but funeste. Il s’engagea sur le pont et vit la place envahie par les forces de l’ordre. Des stormtroopers en armures éclatantes patrouillaient en groupe de trois sous la supervision des nouveaux TR-TT dont la démarche les rapprochait d’inquiétants poulets de métal. Au pied des marches trônait un RT-TT, monstrueux scarabée d’acier, tel un gardien imperturbable. Un officier impérial fit des gestes en direction de la foule éparse de hardis badauds et une colonne de soldats clones s’avança brandissant de lourds bâtons anti-émeute. Pénétrer dans le temple allait nécessiter une approche plus subtile mais cela ne l’étonna guère.
Le crépuscule tomba rapidement. Il se débarrassa de son déguisement. Il glissa furtivement d’ombres en ombres jusqu’à se trouver à un jet de pierre d’une des nombreuses entrées secrètes de l’ordre, espérant que celle-ci n’eut pas été découverte par les stormtroopers. Sous son casque aux arêtes anguleuses et proéminentes, le monde possédait des teintes écarlates mais il voyait distinctement le pupitre de commande sous une couche de débris. Fouillant dans sa mémoire, il retrouva la séquence codée permettant l’ouverture du sas. Il s’apprêtait à s’élancer mais se figea lorsqu’il perçut la présence de deux soldats devisant joyeusement.
— Alors ce rendez-vous ?
— Ne m’en parle pas.
— A ce point ?
— Tu vois un Hutt? Bin, pareil mais avec des cheveux.
— Ah ouais quand même.
Le duo s’éloigna, leurs voix si semblables s’évanouissant dans le vacarme de la rue. D’un bond silencieux, il rejoignit le sas qu’il activa sans difficulté, frissonna quand la porte s’ouvrit dans un chuintement sinistre. A l’intérieur du temple, un silence mortuaire régnait, à peine troublé par le bruit de ses bottes sur le marbre ébréché et de sa respiration métallique, caverneuse, hésitante. Sa cape claqua dans l’air tandis qu’il marchait d’un pas décidé entouré d’une sphère de confusion destinée à divertir les rares patrouilles. Mais le bâtiment était vide. Désespérément vide. Tristement vide. Les souvenirs affluaient. L’époque de la joie de vivre imprégnant les murs avait cédé la place à une ère de souffrances. Les larges colonnes magnifiquement ouvragées portaient les stigmates de ce changement abrupt ; là de la suie courait sur les murs, traces d’incendies, ici des impacts de lasers et là encore, des éclaboussures de sang innocent que l’on avait lavé sans conviction. La culpabilité le prit à la gorge mais il continua, s’apercevant que l’Empire avait saccagé le temple laissant juste ça et là des marques de son passage destructeur comme un témoignage d’un passé, et donc d’un futur, portant désormais son immonde empreinte. Son poing artificiel se serra. Il avait causé cet avènement contre-nature et il était là pour expier ses fautes. A la fin, il goûterait peut-être au repos dans les bras de la mort, là où dans sa colère aveugle il avait précipité son amour et la galaxie. Prenant un couloir, étrangement intact, il pénétra dans un petit local baignant dans la lumière crépusculaire filtrant à travers un vitrail fêlé. Un droïde escrimeur si semblable aux terribles magna-gardes séparatistes, servant pour l’entraînement des padawans, gisait éventré, ses circuits carbonisés s’étalant sur le sol poussiéreux. Il s’en approcha, caressa doucement l’ovale terne figurant la tête du robot. Puis il se dirigea vers un pan de mur où étaient accrochés des râteliers. Ses doigts frôlèrent une petite anfractuosité et un compartiment secret apparut. Il siffla de contentement. Cela avait échappé aux clones du 501iéme régiment. Fièrement rangés, des sabres lasers attendaient que quelqu’un vienne s’en servir. Il en choisit un à la garde simple et l’alluma. Une odeur d’ozone s’éleva.
La lame jaune crépitait, palpitait. La vengeance était à portée. Il perçut alors une autre présence dans le Temple.
La porte du turbolift s'ouvrit gracieusement. Ranar remercia ses dieux que l'ouverture des portes ne fit pas plus de bruit. Hier soir, ses voisins – une Twi’lek aguichante sous ses rondeurs et un vieil humain – l'invitèrent à partager une bouteille de brandy corellien. Ce matin, il regrettait de s'être autant laissé aller. Il ponctua ses pensées par un haussement d'épaule mental et rejoignit son poste de travail.
Les semelles en caoutchouc de ses bottes traînaient sur la dalle lisse de béton sans un bruit. Las, il s’assit ; le ressort de la chaise de bureau gémit ; une manière de hurlement plaintif, craintif. Le félinx l'accueillit d'un feulement gras auquel il n'accorda aucune attention. Les grandes baies vitrées filtraient la lumière du jour orageux. Un éclair puis la pluie. L'averse rude, grise rendit le panorama plus flou. Au loin le contour des immeubles perdit de sa précision. Ranar s'affala plus en profondeur dans son fauteuil, l'esprit englué dans une brume éthylique, ses yeux hésitants voyageaient d'un écran de contrôle à l'autre. La pièce baignait maintenant dans une lueur funéraire. La journée continua ainsi à peine égayée par l'évocation, sur la radio, d'une course poursuite orbitale. Ce fut sa distraction principale. Paresseusement, il écouta les journalistes de la Tribune Impériale se perdre en conjecture. Il haussa les épaules lorsqu'on annonça, à grands renforts d'hyperboles vantant les mérites de la Flotte, que le vaisseau s'était crashé. Une déception de plus. Le félinx miaula du coin où il se terrait. Le temps s’écoula ainsi. Et la nuit tomba finalement.
Un sifflement rauque le tira de sa torpeur. Il pivota. Une ombre, géante, se dressait devant lui. Il tomba de sa chaise, se releva aussitôt, se précipita chancelant vers un réduit qu'il eut du mal à ouvrir complètement. Il en retira un blaster si propre qu'il jurait avec le reste de la décoration décrépie de l'endroit. Il désengagea la sécurité, plus si sûr des gestes. Il leva la main, braquant son arme sur la silhouette ténébreuse. Cette dernière parla d'une voix sépulcrale aux intonations étrangement mécaniques. Ranar respirait maintenant bruyamment, des gouttes de sueurs perlaient le long de l'arête de son nez. Le cœur tambourinant dans son torse, douloureusement, il essaya de se calmer. Sans résultat. L'ombre parla de nouveau de sa voix grave et sifflante, comme si l'air n'arrivait pas à sortir convenablement des poumons. Ranar n'entendit pas, son monde ne se résumait plus qu'aux battements sourds de son cœur. Les poings serrés sur la crosse de son pistolet, bras tendus droit devant lui, les muscles tétanisés par l'effort, transi de peur, stimulé par elle, Ranar observa l'ombre: en réalité un homme vêtu d'une armure par dessus une combinaison d'un cuir épais, toute deux d'un ébène intense, enveloppées dans une longue cape noire. Mais le Zabrak fut surtout effrayé par le casque d'où s'échappait une respiration sonore, lourde, grave, comme hésitante. L'ombre posa une question d'une voix caverneuse et puissante malgré les filtres électroniques.
Ranar ne répondit pas. Il choisit l'option de faire feu. Trois fois. En fermant les yeux à chaque fois qu'il appuyait sur la gâchette. Les déflagrations s'étouffèrent dans le tonnerre sévissant au-dehors. Un bourdonnement entêtant emplit l'air. Ranar rouvrit les yeux. À temps pour voir une lame d'énergie vif d'or fondre sur lui.
Il était assis. Silencieux. La planète-cité, s'étendait devant son regard froid. Elle était pareil à lui, dissimulant peine sourde et rampante, rage lourde et bouillonnante sous une couche de métal inerte et froide.
La chambre du Conseil Jedi où il avait trouvé un pathétique refuge résonnait de sa respiration caverneuse aux échos de métal sifflant à travers un imposant masque noir, son nouveau visage. Un visage inquiétant, agressif, inhumain. Car en dessous, il n'y avait plus que peine et rage. A travers ce visage, il voyait le monde alentour se teinter d'un rouge sang.
Était-ce un simple effet des lentilles ou ne voyait-il plus là que les traces de son passage en ces lieux ? Traces de sa violence, de sa colère, de sa perdition? Ici, dans cette salle, il avait abattu l'innocence. Abandonné ses croyances. Oublié ce qu'il était. Au nom de l'amour. De cet amour égoïste, poison dans les veines, dont il avait compris, bien trop tard, la nature vénéneuse et corruptrice. Ce sentiment dont l'ami à la figure paternelle s'était servi pour le retourner, le trahir. La tromperie pouvait revêtir de nombreux masques. Retors, on s'était dissimulé sous celui de la vertu. Il y avait succombé. Il l'avait choisi. Conscient du gouffre. Il a regardé l'abime. Pour mieux s'y abandonner. Parce que la douleur aurait été trop forte. Parce qu’il serait devenu fou devant le chagrin. Parce qu’il ne pouvait y faire face. À son tour, il revêtait un masque. Mais nulle hypocrisie. Ce nouveau visage insensible, dur devenait sa vérité. L'unique réalité. Il n'était plus que ça. Il ne devait être plus que cela : une machine qui s'était rêvé homme.
Il resta assis. Silencieux. L'univers n'avait plus d'autres sons que son souffle étouffé et grave. Un univers désormais difforme, étrange, inaccessible derrière l'armure dont il était devenu le prisonnier consentant.
« NON ! » rugit en son for intérieur une voix éraillée, faible, comme issue d'une époque révolue. La sienne. Elle sonnait étrangement fausse à ses oreilles. Tout ce qu'il percevait de son corps sonnait faux.
Une dernière fois avant de se retirer du monde, une dernière fois avant de rejoindre pleinement les froids abysses de son armure, il voulait goûter cette réalité chaude, enivrante dont il avait fait le choix de se couper. D'un geste sur, il entreprit de lever le voile de sa propre honte, d'enlever le masque.
Face à lui, trop apeuré pour entreprendre le moindre mouvement, un Zabrak le regardait fixement.
Ranar observait ce qu'il avait compris être un cyborg. L'homme machine était immobile. Terrifiant. Fascinant. L'odeur acre de son urine empestait l'air que Ranar respirait péniblement, doucement, par crainte de déranger l'ombre mécanique. En des gestes précautionneux, prudents, il se redressa contre le mur. Devant lui, la créature cybernétique, était assise dans un fauteuil aux velours anciens et usés, perdu au milieu d'autres tout autant défraîchis, sentant le moisi, le renfermé et la mort. Le Zabrak se rendit compte alors où il se trouvait. La compréhension vint avec des relents d'angoisse. Depuis sa prise de fonction, il avait mis les pieds dans la chambre du conseil qu'une seule fois, se jurant de jamais y revenir. Il y régnait plus qu'ailleurs dans le Temple Jedi une atmosphère délétère, épaisse et poisseuse. Ici de jeunes enfants avaient trouvé la mort. Leurs cris de détresse, leurs terreurs éternelles suintaient littéralement des murs. Ranar tressaillit. L'estomac au bord des lèvres, se retenant pour ne pas vomir, le jeune Zabrak souhaitait se lever pour fuir, en courant et hurlant si possible, loin de ces lieux maudits, loin du cyborg. Qu'il ne quittait pas des yeux, comme paralysé en un mélange d'horreur et d'admiration.
Depuis combien de temps était-il là ? Toute notion de temps s'était envolée depuis sa rencontre avec le monstre. Les évènements dansaient, brouillés, dans sa tête. Les souvenirs diffus peinaient à se rassembler pour lui donner une peinture correcte des heures - des jours ?- passées.
Il se souvenait de la lame d'énergie filant à vive allure vers son cou. Il se rappelait le cri strident, plaintif qui naquit au creux de sa gorge pour mourir sur ses lèvres tandis qu'il s'effondrait ou s'évanouissait. Le bourdonnement tranchant de l'épée passant au dessus de sa tête, arrachant au passage une de ses cornes. L'odeur de l'os brûlé était vive dans sa mémoire. Plus claire encore que la douleur. Il se souvenait de l'ombre qui se penchait vers lui. Il se voyait être soulevé par des bras puissants, féroces et invisibles. Il se rappelait, sans honte, avoir imploré et d'avoir senti ses sphincters lâcher prise lorsque la pointe grésillante du sabre-laser se dressa devant son visage. Il tomba sur le sol, lourdement tandis que l'homme engoncé dans son armure cybernétique relâcha son étreinte. De sa voix profonde et rauque, il lui intima de le suivre. Ranar le fit docilement, perdu dans une brume de terreur et d'incompréhension, bien peu soulagé, en vérité, d'être encore en vie tant la suite promettait d'être plus horrible encore. Mais, comme pour le reste de son existence passée, Ranar ne fit preuve d'aucune volonté. Avec plus de précision que tout le reste, Ranar se souvenait du cyborg, géant de ténèbres marchant loin devant lui, sous les lueurs éthérées de l'orage finissant, et de l'étrange procession silencieuse de droïde-souris qui lui emboîtèrent le pas, soumises. Bientôt, Ranar déambula dans un océan de tout ce que le Temple comptait de ces petites machines d'ordinaire grouillantes, agaçantes et maintenant muettes, patientes.
Le cyborg esquissa un mouvement à la périphérie du champ de vision de Ranar et ramena ce dernier à la réalité du présent. Le Zabrak se tourna vivement, plus vivement qu'il aurait dû car une douleur intense lui vrilla les tempes. Mais il ne s'attarda pas sur cette souffrance car quelque chose de plus important se produisait.
Le cyborg enlevait son masque. Dans un chuintement sinistre, il se révélait à lui.
L'herbe humide sous ses pas lourds crisse. Maître d'un corps qui ne lui appartient plus, il court. L'air, chargé de fragrances sucrées, peine à se frayer un chemin jusqu'à ses poumons. Il a mal. Il aura toujours mal. La souffrance de ses membres qui ne sont pas les siens l'engourdit. Mais il continue sa course pénible. Des branches fouettent son visage désormais de métal. Au loin, il perçoit des bruits d'explosion, des cris qui lui parviennent étouffés, assourdis. Il n'en a cure. Une seule pensée motive ses gestes malhabiles: la retrouver. La revoir. La toucher. Parce qu'il ne croit pas aux paroles affolées qu'il vient de soutirer, brutal.
Il débouche sur une esplanade. Encore resplendissante quelques heures auparavant. Ruines désormais. Une foule paniquée se débat en tout sens. En sa mémoire troublée, il a un vague souvenir d'échos d'une reine assassinée. Il n'en a cure. Il voit le pont. Au bout, un dôme lugubre. Elle est là-bas.
Les pierres humides claquent sous ses pas maladroits. Derrière lui, il le sait, les troupes impériales - les séides de cet Empire qu'il a contribué à faire naitre des cendres d'une République honnie - réprime le peuple de sa bien-aimée. Il n'en a plus si cure. Tout ceci est de sa faute. Mais depuis son arrivée furtive sur la planète, aux souvenirs si doux de badinages dans les prés, c'est un homme – une manière d'homme – obsédé. Obsédé par ce qu'il sait, qu'il n'accepte pas.
Il est là debout dans l'entrée sombre. Devant lui, ce qu'il ne croyait pas. Il s'approche lentement, pris de vertiges, de la sépulture. Des larmes qui ne pourront plus couler montent à ses yeux arides. Il la voit au-delà de la sculpture qui ne rend pas honneur à sa beauté. D'une main gantée d'un cuir noir et épais, il touche tendrement la joue de pierre. Il ne sent rien sous ses doigts mécaniques. Elle est froide.
Puis vient la tristesse amère suivie de la haine acide. Il hurle. Son désespoir. Sa perte. Sa faute.
Il est pris d'une soudaine quinte de toux. Sèche. Violente. Il retourna à une autre réalité, tout aussi concrète, tout aussi triste. L'air, brulant dans ses poumons, lui échappait en un sifflement. Respirer devint plus douloureux encore. Il suffoquait.
Celui qui n'était plus vraiment un homme s’ouvrit alors au chant du cosmos qui l’accompagnait chaque jour, à chacun de ses gestes. Il s’en imprégna, goûtant chaque subtile variation dans sa musique, mêlant ses propres notes à la partition céleste. Le bruit de fond de l’univers se déversa en lui. Il balaya le spectre de ses couleurs, ne cessant d’en découvrir de nouvelles. Ses sens s’aiguisèrent, sa perception s’affina et bientôt, il vit les contours lumineux de toutes choses sur Coruscant : du plus petit ver creusant un mince sillon dans la fange boueuse des bas-fonds jusqu’aux lignes électromagnétiques des vaisseaux naviguant loin au-dessus de la planète. Il en perçut aussi les abîmes. Au cœur de ses profondeurs, il apercevait une lueur noire, vibrante, grondante. Il plongea dans ses abysses visqueux. La lueur l'enivra de son venin. Il l'agrippa, fit corps avec elle. L'homme prisonnier dans son armure cybernétique s'accrocha à ce terrible sentiment. Un phare le guidant sur une mer sombre et agitée. Il savait que ce phare était trompeur, sa lumière factice. Il avait pleinement conscience où cela le mènerait. Là au pied du phare, des récifs acérés, impatients. Dans sa tête, résonna un rire hystérique. Il la vit alors. La cible. L'objet de ses tourments. «Vengeance, vengeance !» Ces mots roulèrent et roulèrent encore dans son esprit. Il n'y eut bientôt plus que ça. Une mélodie funèbre, entêtante. Qui enflait comme des nuages ombrageux avant la tempête.
Il en tira une énergie renouvelée qui inonda chaque particule de son être. Les brûlures sur sa peau devinrent moins intenses. Les muscles endoloris retrouvèrent de leur tonicité. L'air se fit moins pénible à avaler.
Pour le cyborg qu'il était devenu, caresser la trace boursouflée de la brûlure qui courait le long de son crâne avec des doigts artificiels était une bien étrange chose.
Était-il sûr de ce qu'il ressentait ? D'où lui venait cette sensation ? De la main mécanique ? Ou de la cicatrice ? Peut-être était-ce simplement ni l'un ni l'autre? Un fugitif souvenir de ce qu'était le sens du toucher. La mémoire de la chair abîmée, pourrissant vaisseau de sa déchéance. Un fragment de mémoire qui resurgissait tel les sensations de membres fantômes qu'expérimentaient les amputés. N'en était-il pas un après tout ? Son existence même, là en cet instant, était-elle une sensation de membre fantôme? Pouvait-il se résumer à ce corps meurtri, faible, maintenu en vie par de lourdes et bruyantes prothèses synthétiques ? Une coquille vide, flétrie et abimée, devenu refuge de réminiscences de sa vie? Ce qu'il éprouvait était réel. Une telle douleur ne pouvait être rien d'autre. La souffrance qui rayonnait dans tout son être meurtri, aux racines profondes descendant jusqu'au fond de son cœur, voilà où résidait sa réalité. Nulle part ailleurs. Il devait s'en servir. S'y renforcer. Aucunes autres options pour lui. Car le choix, il l'avait fait depuis bien longtemps, dans ce bureau pourpre.
Maintenant, il ne serait plus l'instrument, la marionnette consciente de sa manipulation et qui s'y complait. Il était maitre de son destin. Maître du châtiment. Demain, il tuerait Palpatine. La mission accomplie, il pourrait mourir à son tour. Et la rejoindre, elle, dans le silence éternel. Il toussa une nouvelle fois. La quinte, plus grasse, le secoua. Son casque roula, dans un cliquetis morbide jusqu'aux pieds du Zabrak dont il avait fini par oublier l'existence.
Pétrifié, Ranar regarda le casque, si noir qu'il paraissait sculpté dans l'obsidienne la plus pure, rouler jusqu'à ses pieds. Il croisa le regard du cyborg au visage ravagé de brûlures. Il frissonna en s'apercevant qu'il n'y décelait qu'une mélancolie teintée de fureur. Bizarrement, cela le toucha. Le monstre assoiffé de sang qu'il s'était figuré n'avait pas les yeux emplis d'éclairs rageurs. Sous le masque ténébreux se cachait une pathétique créature, plus morte que vivante. Un fugace instant, où il s'étonna de sa propre vigueur, il envisagea la fuite comme une option désormais possible. Son geôlier n'était qu'un humain à l'aspect pitoyable, abjectement mutilé. Avec de pouvoirs de Jedi rajouta-t-il mentalement et de se raviser. Toute tentative paraissait forcément vouées à l'échec. Encore une fois à l'image de sa vie. Pitoyable. Au final, peut-être pas si dissemblable du cyborg abîmé.
Tout autour de lui, les droïdes-souris s'égaillèrent, toujours plongées dans leur mutisme révérant. L'homme-machine l'observa un instant, comme curieux, surpris de sa présence. Puis se redressa de toute sa taille, majestueux dans sa fragilité. D'un pas lent et mal-assuré, il s'avança, la respiration hésitante, presque chevrotante. Pour Ranar, cette respiration difficile, si funeste quelques secondes auparavant, n'évoquait plus qu'une forme de lassitude qui éveilla en lui de la pitié. Quelque chose enfla dans le cœur de Ranar.
Le cyborg toussa. Encore et encore. Il chancela. Mit un genou à terre. Puis l'autre. Tendant les bras vers le casque. L'appelant. L'implorant. Ce dernier frémit, ne bougea pas.
Ranar se leva, ramassant le casque. Le masque, le salut du monstre, blafard sous le ciel gris. Ranar comprit que son calvaire pouvait prendre fin, ici et maintenant. Le Zabrak, fatigué, harassé de peur, portait entre ces mains moites la clef de sa survie, la clef qui mettrait fin à ses vexations. Entre ses doigts bouffis de fainéantise, il tenait la solution aux humiliations passées et lui redonnerait la place qu'il méritait pour tous les efforts consentis à la gloire de l'Empire. Enivré, il goûta, savoura cette puissance soudaine, peut-être éphémère. Il huma l'air de la victoire, de la vie et de la mort. Ce qui enflait en son for intérieur se révéla. Le Zabrak, petit fonctionnaire insignifiant, satisfait de l’ignominie dans laquelle il s'était vautré, venait de faire un choix. Il venait de mûrir. Il tendit le casque au cyborg.
Une nouvelle fois, la Force l'avait abandonné. Furieuse de son arrogance. Suffoquant comme un poisson hors de l'eau, au bord de l'asphyxie, il avait présumé de son habileté à survivre sans l'appareillage qui handicapait chacun de ses mouvements mais pourtant si vital. Il chancela, toussant à s'en arracher les poumons. Sentit son corps le trahir. Vidé de l'énergie obscure qui lui avait donné l'illusion de puissance retrouvée, il plia un genou au sol, se maudissant de sa faiblesse. Rageant d'échouer si prés de son but.
Incapable de faire le moindre geste, sans provoquer des douleurs à lui faire pousser des cris d'agonie, il regarda le Zabrak s’appropriait le casque salvateur. La colère monta en lui, renouvelée, ultime sursaut. Une voix féminine qu'il ne reconnut pas susurra des paroles apaisées à ses oreilles. A peine un murmure porté par le vent. « Il y a du bon en ce monde, Anakin. » Il finit par reconnaitre la voix, elle provoqua chagrin en son cœur. La blessure sanglante qui y béait s'ouvra encore plus.
Stupéfait, il regarda le Zabrak lui tendre le casque. À regret, il le porta à son visage, effaçant l'image évanescente de Padmé, acceptant sa pénitence. Car son nom était...
Ranar attendit. Le cyborg remit en place son casque. Mû par une subite impulsion, le Zabrak lui demanda son nom. L'ombre lui répondit de sa voix grave, puissante, inflexible:
— Darth Vader. Et toi, tu vas m’aider à tuer l’Empereur.
La suite dans 15 jours!