IV.
Nous marchons sur une masse d'êtres vivants. Ils sont tellement nombreux qu'ils recouvrent entièrement le sol et qu'ils supportent le poids de notre vaisseau. Tellement nombreux que s'ils se mettaient brusquement en mouvement, ils pourraient tous nous avaler et nous ne verrions plus jamais le soleil.Cette fois, plus de doute, Dyn nageait en plein cauchemar. Quand bien même toutes ces créatures resteraient immobiles pour le moment, le simple fait de les savoir si nombreuses, de savoir qu'elles étaient sous leurs pieds
en permanence, lui donnait un atroce sentiment de vulnérabilité ; il avait l'impression que ces créatures n'étaient finalement pas en-dessous de lui mais au-dessus, comme un immense nuage de pierres qui lui masquait le ciel en attendant de s'abattre sur lui pour l'ensevelir à jamais. La peur n'était pas ce qui décrivait le mieux son ressenti ; on avait peur lorsqu'on se retrouvait brusquement face à quelque chose de dangereux pour sa personne ou pour un être aimé. Ce qu'il ressentait, c'était l'oppression, un amoncèlement informe mais étouffant qui écrasait son cœur plutôt que de l'affoler.
Ils restent là, comme ça, tous ensemble sur une distance incalculable, et ils ne font rien. Ce sont des êtres vivants, des animaux même, mais ils passent leur journée agglutinés tous ensemble, immobiles comme des pierres.L'idée n'était somme toute pas tellement moins dérangeante que celle de leur nombre ; s'il n'y avait là-dedans aucune menace, il y avait en revanche quelque chose de... contre-nature, c'était la première chose qui venait à l'esprit de Dyn. Bien sûr, quand on voyageait dans la Galaxie comme le faisaient les Jedi, on se rendait rapidement compte que bien peu de choses étaient naturelles, mais là, c'était plus fort que Dyn, il ne parvenait pas à comprendre ce que ces êtres faisaient ainsi assemblés... On aurait dit qu'ils les attendaient. Qu'ils étaient là pour eux. Et c'était parfaitement impossible, leur vaisseau était tombé là par hasard !
On ne voit qu'eux, de l'horizon à l'horizon. Si ça se trouve, ils sont tellement nombreux qu'ils couvrent toute la planète.Cette fois, Dyn n'arrivait même plus à s'effrayer de l'idée tant elle paraissait absurde... Une planète couverte de galets, c'était apparemment inexplicable et très difficile à croire ; mais une planète couverte d'êtres vivants tous de la même espèce, cela n'avait tout simplement aucun sens... Qu'est-ce qu'ils feraient là ? Comment vivraient-ils ? Et ce n'étaient que les deux questions les plus évidentes... Non, il ne pouvait en être ainsi. Dyn ne pouvait même pas se représenter cette idée tant elle lui paraissait ridicule !
Mais, et si c'était vrai quand même, aussi ridicule que cela puisse paraître ? Que pourrait-il y faire, sinon se résoudre à abandonner tout ce qu'il croyait savoir ?
« Pourquoi ne nous avez-vous pas dit qu'il s'était pendu ? demanda âprement le Diamala lorsqu'ils revinrent dans le vaisseau.
-Désolé, s'excusa Ly, nous comptions le faire, mais nous voulions rapidement voir Maître Ekenhart... Nous avions senti quelque chose d'étrange sur cette planète.
-Il y avait tout de même plus urgent que vos vagues impressions, maintint le Diamala.
-
Pendu ? s'effraya Ekenhart. Qui donc ?
-Le Calamarien que nous étions partis chercher, indiqua sombrement Dyn. Avec les câbles de l'éclairage...
-Otan Tyers est vivant, lui, compléta Ly.
Sa voix se voulait rassurante, mais Dyn n'était pas sûr que tout le monde y voie une bonne chose.
-Magnifique... murmura sombrement le Maître Jedi. Comme si nous n'avions pas encore suffisamment de morts...
-Eh bien, en fait, oui, il se pourrait que nous n'en ayons pas suffisamment, justement, déclara prudemment Durkan. Et qu'il nous faille conserver ceux que nous avons...
-Comment cela ? interrogea prudemment la femme blonde.
-C'est bien simple... On ne trouve rien d'autres que ces galets à perte de vue, là-dehors. À première vue, il semblerait qu'il n'y ait rien à manger ni à boire ici.
-Et ? insista son interlocutrice, agressive.
-Ne faites pas semblant de ne pas comprendre, trancha Durkan. Que mangent les naufragés quand ils n'ont plus de provisions, d'après vous ?
-Pardon ? s'exclama Lorsa avant que la femme n'ait pu le faire, manifestement choqué.
-Ça me choque autant que vous, mais soyez réalistes, nous savons tous très bien que nous risquons de ne plus avoir le choix si nous voulons rester en vie !
-Eh, je préfère crever de faim que de manger le Capitaine et la pilote qui nous ont permis de survivre, moi, releva Dyn, dégoûté. Surtout si c'est
une pilote...
-Précisément, remarqua Durkan, vous pensez qu'ils voudraient vous avoir sauvés pour que vous mourriez de faim ensuite ? Que leur sacrifice ait été vain ?
-Je m'en fous, je n'y touche pas, c'est comme ça !
Plusieurs personnes intervenaient en même temps que Dyn, tout aussi scandalisées. Le Jedi avait beau savoir que Durkan avait raison dans les faits, il n'en restait pas moins choquant d'évoquer cette possibilité dès maintenant...
-S'il vous plait, calmez-vous un peu, nous n'en sommes pas là du tout ! intervint Maître Ekenhart afin de ramener le calme. Nous venons d'arriver sur cette planète, nous ne savons pas ce qui se trouve au-delà de cette étrange étendue, et surtout, nous avons toujours des vivres... Chaque chose en son temps.
-J'expliquais simplement pourquoi nous devions conserver les morts avec nous, et pourquoi leur décès n'est pas un handicap pour nous qui sommes vivants, se justifia Durkan d'un ton bourru. De toute façon, vous savez mieux que moi pourquoi nous ne pouvons pas les enterrer, apparemment !
-Ah ? Et pourquoi donc ? demanda peu aimablement le Diamala.
Maître Ekenhart soupira ; sans doute se demandait-il comment il allait expliquer une situation aussi absurde, Dyn le comprenait... Qui croirait une telle histoire ?
-Parce que ces galets n'en sont pas, dit dans un souffle le vieux Jedi. Ce sont des êtres vivants doués de volonté, je le sens dans la Force... Et si vous avez bien regardé ceux que vous avez expulsés du vaisseau, vous avez dû voir qu'ils ont des yeux et des pattes...
Un silence brutal tomba sur le vaisseau, tout le monde paraissant se demander si le Jedi était sérieux.
-Je vous assure que c'est vrai, le conforta Ly. Dyn et moi sentons ces créatures dans la Force !
-Arrêtez de vous foutre de nous, tous les trois, vous croyez que c'est le moment ? s'emporta la femme blonde.
-Nous sommes parfaitement sérieux ! plaida Dyn. Je suis désolé, je trouve ça aussi absurde que vous, mais c'est la vérité, nous le sentons dans la Force !
-Vous avez peut-être raison, mais comprenez que nous ayons un peu de mal à vous croire sur parole, avança Lorsa. Nous n'avons pas la Force, j'espère que vous vous rendez compte que nous ne pouvons pas vous vouer une confiance aveugle non plus...
-Mais il ne s'agit pas de ça, s'agaça Dyn, vous les avez vus, ces pattes et ces yeux, non ?
-J'ai vu quelque chose qui pourrait être interprété comme tel, oui ; je ne mets pas en doute votre parole, Jedi, je voulais simplement vous expliquer qu'il est difficile pour des gens qui ne voient pas ce que vous avez vu de vous croire... Et au fond, vous avez peut-être raison, parce que même si ce que vous dites est inexplicable... nous n'en sommes pas à notre premier événement inexplicable.
Dyn pouvait difficilement en vouloir à Lorsa alors que lui-même avait du mal à croire ce qu'il ressentait grâce à la Force...
-Expliquez-vous, le sollicita Ekenhart en affichant une expression de bombe à retardement.
-C'est simple : nous n'avons pas pu expliquer la défaillance des moteurs subluminiques, ni leur emballement, encore moins la difficulté que nous avons eu à les stopper ! Dès lors, que nous nous retrouvions sur une planète où existent des formes de vie si étranges... Cela me paraît tout à fait crédible, pour ne pas dire logique.
Dyn vit que plusieurs membres de l'équipage paraissaient approuver les paroles de Lorsa... Dès lors, la réaction du Maître Jedi était prévisible.
-Donc vous êtes en train de me dire qu'il y a une cohérence d'ensemble dans tout cela ? Et quelle serait-elle, d'après vous ? Qu'est-ce qui peut bien causer une panne des moteurs et nous faire atterrir au milieu de ces bestioles, à votre avis ? C'est bien simple, il n'y a rien ! Vous inventez une logique qui n'existe pas !
Un membre de l'équipage humain prit la parole.
-Maître, reconnaissez qu'il est arrivé des choses très étranges à ce vaisseau ! Rationaliste comme vous l'êtes, vous devez bien reconnaître qu'il y a forcément une explication, quelle qu'elle soit !
-Bien sûr : le hasard ! explosa Ekenhart. Par hasard, nous n'avons pas trouvé la panne, et par hasard, elle nous a conduits sur cette planète ! Même ce qui est très improbable peut arriver !
-Je ne dis pas le contraire, Maître, assura Lorsa qui, par contraste, paraissait très calme, allant même jusqu'à afficher un léger sourire. Mais quand l'explication devient moins crédible que ce que l'on essaye d'expliquer... mieux vaut arrêter d'essayer d'expliquer.
-Qu'est-ce que vous voul...
-Je vais faire un petit résumé, voulez-vous ? s'amusa Lorsa, apparemment peu soucieux de couper la parole à un Maître Jedi. Il est très rare qu'un héros de la guerre comme le Capitaine Hessart trahisse ; ça nous est arrivé, apparemment. Il est très rare qu'un homme qui a toute sa tête prétende lancer une malédiction avant de mourir, cela renvoie à des âges que l'on considère comme primitifs ; ça nous est arrivé. Il est très rare qu'une défaillance si importante des moteurs ne soit pas décelée, surtout sur un vaisseau qui paraissait jusque-là en parfait état de marche ; ça nous est arrivé. Il est parfaitement inédit et considéré comme impossible de trouver une planète contenant de telles formes de vie ; et vous nous dites vous-mêmes que ça nous est arrivé ! Dès lors, est-il plus crédible que l'enchaînement de tous ces évènements étranges s'expliquent par un même facteur ou que tout cela soit le fruit du hasard ? D'après vous ?
Dyn était très surpris, pour ne pas dire choqué ; jusque-là, Cade Lorsa s'était avéré être quelqu'un de discret, voire timide, jamais il ne l'aurait imaginé prendre position avec une telle éloquence contre un Maître Jedi... Du reste, son cerveau paraissait étrangement anesthésié lorsqu'il cherchait quelque chose à lui répondre, même s'il avait l'impression qu'au fond de lui, il n'était pas du tout d'accord...
-Mais à quoi jouez-vous, Lorsa ? s'indigna Ekenhart. Oui, ce qui nous arrive est ridiculement improbable, et alors ? Vous avez une autre explication ? Il n'existe
rien qui puisse déclencher tout cela et vous le savez très bien, alors peu importe qu'il paraisse incroyable que nous ne soyons victimes que du hasard, c'est ce qui nous arrive quand même ! Quand on a éliminé l'impossible, ce qui reste, même improbable, est forcément la vérité !
-Qu'est-ce que vous en savez, qu'il n'y a rien d'autre ? le contra la femme eux cheveux blonds. Vous croyez peut-être que vous savez tout, vous, les Jedi ?
-Arrêtez, intervint Dyn, n'aimant pas le tour que prenait la conversation. Ce n'est pas une question de Jedi,
tout le monde sait que ces histoires de malédiction n'ont jamais existé nulle part, toutes les civilisations, partout dans la Galaxie !
-Ah, merci ! rebondit Lorsa. Donc, vous pensez tout seul à une malédiction, je ne suis pas fou ? Je n'ai jamais parlé de malédiction, pourtant vous y pensez tout seul ! Manifestement, je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas, même les Jedi, aussi dérangeant que ce soit pour vous, Maître Ekenhart !
-Peut-être, eh bien ce n'est pas parce que tout le monde le pense que c'est vrai, grinça l'intéressé. Surtout si c'est tout bas...
-S'il vous plait, calmez-vous... intervint plus délicatement Ly. Vous essayez de vous rassurer en donnant un sens à ce qui n'en a aucun, c'est tout...
Lorsa lui décocha un large sourire.
-Et si c'était vous qui essayez de vous rassurer, Mademoiselle ? En vous disant que nous ne sommes qu'une bande de primitifs privés de la Force qui ont besoin de se rassurer avec n'importe quoi ?
-Elle n'a jamais dit cela, vous lui faites un procès d'intention ! s'insurgea Dyn
-C'est pourtant ce qui découle de ses paroles. Nous avons besoin de nous rassurer avec n'importe quoi, vous non, si on vous écoute. Mais... vous verrez bien. Il viendra un moment où vous ne pourrez plus fuir la réalité...
-Bizarre, j'allais dire la même chose, ironisa Ekenhart. Écoutez, nous avons tous eu une très longue journée, nous venons d'arriver ici, et ces discussions n'apportent rien ! Que vous ayez raison ou non ne va pas nous aider en quoi que ce soit. Je propose que nous prenions tous une bonne nuit de sommeil avant de raconter plus de bêtises, d'autant plus que manifestement, le soir commence à tomber sur cette planète. Naturellement, il va falloir que nous prenions des tours de garde...
-Pourquoi ? s'étonna le Diamala. Il n'y a strictement rien aux alentours en-dehors des galets -ou des bestioles, si vous y tenez, mais elles sont inactives.
-Des bestioles, je ne vous le fais pas dire : la plupart des animaux sont soit diurnes, soit nocturnes... Imaginez que ces créatures se réveillent cette nuit et s'en prennent à notre vaisseau ?
L'idée était suffisamment atroce pour faire taire tout le monde...
-Et je propose que cette garde soit assurée par nous, les Jedi, poursuivit Ekenhart, pour une raison simple : si ces créatures passent à l'attaque toutes ensemble, il faudra au moins être un Jedi pour y résister. »
Tout le monde en convint sans la moindre hésitation.
Une nuit sans lune était clairement tombée sur la mystérieuse planète, à présent ; Dyn n'employait rien pour éclairer le poste de commandement où il montait la garde, il savait qu'il ne s'endormirait pas pour autant. C'était tout le problème... Maître Ekenhart avait pris le premier tour de garde, Ly avait choisi le dernier ; Dyn, lui, devait couper sa nuit en deux, il avait déjà eu un mal fou à s'endormir, et il doutait de retrouver le sommeil lorsque son tour de garde serait fini...
Ceci dit, il n'était pas si mal, ici. Il n'y avait aucun danger, il le sentait dans la Force, et il y avait dans cette épave plongé dans le noir quelque chose... d'apaisant. Ce n'était plus une épave, justement, ce n'était plus le lieu où plusieurs personnes étaient mortes et où ils étaient condamnés à rester ; à la place, il n'y avait plus que la nuit, vaguement éclairée par les étoiles... Dyn n'avait aucune intention de rallumer la lumière.
Il n'en avait aucune intention, jusqu'à ce qu'il entende la respiration. Il se mit à trembler comme une feuille d'un seul coup en l'entendant ; puis il s'efforça de retrouver son calme et de prendre le temps de s'assurer qu'il avait bien entendu...
Il avait très bien entendu. Une aspiration de l'air profonde, une expiration un brin sifflante ; une respiration de Quarren ! Une respiration de Quarren qui se rapprochait à toute vitesse !
Dyn voulait allumer la lumière, mais il ne l'osait plus ; il restait pétrifié sur sa chaise, il ne fallait surtout pas que l'intrus l'entende, à aucun prix, même sa respiration était bien trop bruyante... bien trop bruyante... ne pas bouger, il ne voulait surtout pas affronter ça, ne pas le voir, que ça disparaisse tout seul...
« Ce n'est pas en faisant semblant de ne pas voir quelque chose qu'on le fait disparaître, Jedi, grommela une voix grave.
Cette fois, le cœur de Dyn lâcha purement et simplement... Ce n'était pas possible.
Ce n'était pas possible. Il était mort.
Mort. Il n'avait rien à faire ici ! Dyn ne pouvait pas le voir, il allait devenir fou si cela se produisait... pour peu qu'il ne le soit pas déjà...
Qu'il disparaisse... qu'il disparaisse à jamais...
-Allez, retournez-vous, insista la voix. Vous m'avez tué, vous pouvez bien me regarder !
Il
posa la main sur son épaule. Horreur suprême ! Dyn sentit le temps s'arrêter et son cerveau étudier des myriades de possibilités de fins atroces en une fraction de seconde lorsqu'il sentit ce contact
physique, indéniable, sur lequel il ne pouvait fermer les yeux... Il crut un instant que sa conscience allait basculer, ça n'en était déjà pas loin, mais il comprit qu'il n'y avait qu'une seule façon de s'en sortir... Il fit pivoter son siège.
Le Capitaine Hessart ressuscité l'observait froidement.
Paradoxalement, Dyn se sentit libéré par cette vision. C'était fait, qu'il le veuille ou non, les choses venaient d'échapper totalement à sa raison, il n'avait plus à essayer de les comprendre, encore moins d'agir sur elle, il était impuissant ; par conséquent, il n'avait plus rien à faire. Ce qui était impossible était devenu possible, ce qui était mort n'était plus mort, c'était ainsi.
-Qui êtes-vous ? murmura-t-il malgré tout. Qui êtes-vous donc ?
Le Quarren eut une sorte de rire qui terrorisa encore plus Dyn... Ses tentacules s'agitant brièvement, il répondit :
-Moi ? Mais je suis toi, Dyn.
Le Jedi n'était pas en état de déterminer à quoi il s'attendait, mais pas à cela ! Il s'efforçait de comprendre pour ne pas se noyer, de se raccrocher à quelque chose de rationnel, de logique, mais il ne trouvait rien...
-Qui voulais-tu que je sois ? demanda gentiment l'apparition avec un nouvel éclat de rire aquatique. Ce bon Capitaine Hessart ? C'est impossible, tu sais bien qu'il est mort, Dyn !
Dyn avait la très nette impression de perdre le contrôle de son propre corps : il était agité d'épouvantables tremblements tout en étant incapable de faire le moindre geste volontairement... ne serait-ce qu'avaler sa salive ou respirer... Si l'apparition ne partait pas, il allait mourir d'asphyxie !
-Dyn, Dyn, Dyn, reprenait encore la chose qui n'aurait pas dû être là. Je viens de le dire, il ne suffit pas de s'efforcer de ne plus voir quelque chose pour le faire disparaître... La plupart des enfants le découvrent aux alentours de cinq ans. Toi, tu es juste un enfant un peu lent. Tu pensais que tu allais réussir à oublier comme ça que ce pauvre Capitaine Hessart est mort à cause de toi ?
-Pas à cause de moi, s'empressa de gémir la pauvre créature engoncée dans son siège. Il s'est suicidé ! Et je n'étais pas seul !
-Bien sûr que tu n'as rien à voir là-dedans, et c'est normal, ce n'est jamais la faute d'un Jedi, quand quelqu'un meurt. Mais alors pourquoi suis-je ici, Dyn ?
Dyn sentait son estomac se révulser chaque fois que l'apparition prononçait son prénom, comme si cela le rendait aussi mort qu'elle... Que faisait cette apparition ici ? Il n'en avait pas la moindre idée... Il devait trouver... trouver, ou cette chose le tuerait. Le Jedi cherchait, mais ses tremblements s'intensifiaient alors que l'être surnaturel le contemplait avec un amusement très vivant, il ne parvenait pas à se concentrer... Un effort...
Pire encore pour la concentration de Dyn, il y eut soudain un cri qui perça la nuit. Un cri de terrifié, un cri de femme, le cri de... le cri de Ly !
Brusquement, Dyn se rappela où il était et ce qu'il se passait, alors même qu'il n'avait pas eu conscience de l'avoir oublié ; il montait la garde sur ce vaisseau ! La sécurité de Ly et des autres passagers dépendait de lui !
Le temps qu'il fasse cette inquiétante constatation, l'effroyable apparition avait disparu sans que Dyn soit en mesure de déterminer comment... Où était-elle passée ? Et qu'arrivait-il à Ly ?
Allume la lumière, idiot.Ça tombait sous le sens, c'était ce qu'il aurait dû faire depuis le début. Mais que se passait-il, cette fois... Dyn avait peur de le découvrir... Néanmoins, il rassembla son courage et appuya sur l'interrupteur.
Cette fois, ce fut lui qui hurla de terreur un bon moment, le cœur martelant soudain un rythme insoutenable ; Il s'arrêta un instant, à bout de souffle, puis reprit, ayant besoin d'évacuer l'horreur qui saisissait son cerveau de ses doigts griffus. En-dessous de lui, entrant par les déchirures de la coque, une masse grouillante de galets vivants s'avançaient lentement à l'assaut de l'épave, recouvrant le sol, gagnant déjà le couloir ! Gagnant en conséquence la cabine où se trouvait Ly !
Dyn n'était pas sûr de savoir ce qu'il pouvait faire contre cela, mais une chose était sûre, il devait faire quelque chose ; cette armée grouillante était intolérable à ses yeux comme à son cœur ! Le Chevalier Jedi fit jaillir la lame bleutée de son sabre-laser et l'abattit sur les monstres ; contrairement à ce qu'il craignait, la lame ne rencontra que peu de résistance, il trancha et brûla à la fois la chair minérale de plusieurs des créatures ! Puis il se leva, décidé à bouter ces horreurs loin du vaisseau et de Ly.
Il crut entendre un concert de crissements véhéments émerger des créatures en réponse à son offensive, mais rien n'y fit, il tailla à nouveau de sa lame, une fois, deux fois, trois fois, faisait place nette ; déjà, il voyait les portes des cabines s'ouvrir et leurs lumières illuminer le hall, les naufragés sortaient, manifestement terrifiés par la vision de cette armée surnaturelle qui envahissait déjà tout le corridor du vaisseau... Ly fut la première à faire jaillir son sabre-laser, s'attaquant à son tour aux galets qui n'en étaient pas, plusieurs membres de l'équipage saisissaient à présent des blasters, tirant sur les créatures malgré leur terreur...
Dyn vit avec soulagement que les monstres semblaient peiner à réagir, s'ils le pouvaient ; le concert de crissements redoublait, les déplacements des choses se faisaient de plus en plus précipités, mais le Jedi ne percevait aucune forme de contre-attaque... Ils devaient profiter de leur avantage.
La Force, utilise la Force, idiot !Cela tombait sous le sens, pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? Mais c'était qu'il avait l'esprit encore sous le choc de... il ne savait plus très bien de quoi... Peu importait, il tendit les mains pour s'aider à visualiser ce qu'il réclamait à la Force et s'ouvrit à l'énergie invisible mais vivante... Il y sentit plus ardemment encore le malaise que lui inspiraient les monstres, mais il n'en tint pas compte et envoya une vague d'énergie télékinétique dévaster les rangs ennemis... Cela fonctionna redoutablement, une multitude des monstres volèrent d'un bout à l'autre de la pièce, rejetés directement par les déchirures qui leur avaient servi de portes d'entrée !
Dyn n'était pas le seul à jouer à ce jeu ; Maître Ekenhart entrait en scène à son tour, et cette fois, Dyn dut s'écarter précipitamment pour laisser passer l'ouragan de créatures déracinées que le Maître Jedi projetait hors du vaisseau ! Le Jedi souriait, mais son sourire se changea rapidement en grimace ; il sentait un affreux pincement sur sa jambe gauche, rapidement suivi d'un deuxième, il sentait des dents s'enfoncer dans son mollet ! Une troisième morsure s'y ajoutait !
Il se baissa... Trois des créatures étaient en train de s'attaquer à sa jambe, il commençait à saigner ! Il voulut les frapper de son sabre-laser, mais cela se révéla inutile : quelques tirs blasters bien placés vinrent griller les monstres entourant la jambe du Jedi, frôlant sa chair. Ce fut la seule tentative d'agression des créatures cette nuit-là.
L'armée grouillante battait franchement en retraite, à présent : des torrents s'engouffraient à toute vitesse à travers les déchirures du vaisseau pour fuir la riposte des êtres sur deux pattes, et les membres de l'équipage continuaient à leur tirer dessus, Dyn lui-même s'apprêtait à trancher de son sabre dans le courant...
« Cessez le feu ! ordonna Maître Ekenhart au milieu du vacarme. Cessez le feu, j'ai dit ! Nous les avons tenus en échec, le danger est écarté, laissez-les repartir ! Inutile de nous attirer leurs foudres plus que nécessaire !
Ly et Dyn obéirent en éteignant leurs sabres-lasers, et les autres naufragés cessèrent à leur tour de tirer, comme à regret, nombre d'entre eux conservant leurs blasters à leurs mains. Les créatures minérales continuaient à se replier néanmoins, elles avaient déjà entièrement disparu du corridor depuis longtemps, et il ne fallut que fort peu de temps avant que la dernière n'abandonne prestement les vestiges du poste de commandement.
-Quelle horreur, ces choses ! s'indigna le Diamala. Vous aviez raison d'être vigilant, Maître !
-Merci, répondit modestement Ekenhart, mais elles ne nous ont pas fait de mal, c'est le principal...
Et elles sont parties.
Pourquoi étaient-elles parties alors qu'elles étaient probablement en nombre suffisant pour avaler le vaisseau tout entier ? Dyn l'ignorait, mais il éprouvait un immense soulagement à l'idée qu'elles ne soient plus là, et qu'ils avaient pu les repousser...
-Comment les choses se sont-elles passées, exactement ? s'enquit Durkan, la respiration plus suffocante qu'aucun d'entre eux. Comment ont-elles pu gagner à ce point le couloir sans que vous ne vous en rendiez compte, Dyn ?
Le rythme cardiaque du jeune homme s'emballa à nouveau comme s'il faisait face à une nouvelle attaque des monstres... Il se rappelait de ce qu'il croyait s'être produit avant l'attaque, maintenant, mais comment allait-il pouvoir expliquer cela... l'expliquer aux autres comme à lui-même...
-Je... j'ai eu une hallucination, coassa-t-il.
-Une hallucination ? s'ébahit Lorsa en ouvrant des yeux ronds.
-Quelle genre d'hallucination, Dyn ? demanda Ekenhart qui paraissait prendre l'affaire avec une extrême gravité.
-J'ai revu le Capitaine Hessart... Il m'a parlé... pour me reprocher de l'avoir laissé mourir... il m'a dit qu'à présent, il était une partie de moi... J'étais comme dans une bulle avec lui, je ne faisais attention à rien d'autre...
-Qu'est-ce qui t'en a sorti, alors ? J'ai la certitude de t'avoir entendu crier...
-Ly... j'ai entendu crier Ly, cela m'a ramené à la réalité.
Tout le monde se retourna aussitôt vers la Padawan.
-Oui, confia-t-elle, je m'étais réveillée en sursaut, et je sentais... une présence maléfique. Celle des créatures, mais en beaucoup plus intense, et comme si elles mettaient soudain en œuvre une épouvantable volonté de nuire...
-Elles n'ont pourtant pas fait grand chose, alors même qu'elles auraient pu dévorer Dyn, observa Lorsa, qui paraissait plongé dans une intense réflexion.
-Vous avez rêvé, c'est tout, diagnostiqua Durkan à Dyn. Mais débrouillez-vous pour ne pas vous endormir la prochaine fois, nous avons besoin de vous !
-Je sais que je n'ai pas rêvé, parce que je ne me suis jamais réveillé, affirma avec conviction Dyn.
-Je ne crois pas qu'il ait rêvé non plus... le soutint Ekenhart, dont l'esprit semblait se perdre dans des calculs apocalyptiques. Mais je ne crois pas davantage que Hessart soit revenu à la vie...
-Dites, s'immisça Lorsa, je ne sais pas ce qui est arrivé à Dyn et on va avoir du mal à le déterminer ; par contre, ce qui est clair et qui me semble autrement plus préoccupant, c'est que ces créatures n'ont touché à rien, elles ne se sont intéressées ni à Dyn ni aux cabines où nous dormions, comme si elles voulaient simplement aller au fond du corridor de notre vaisseau !
-Elles devaient vouloir explorer, reconnaître le terrain, supposa Durkan. Et alors ?
-Et alors, qu'y-a-t-il au fond du couloir ? feignit de demander Lorsa.
-Le cellule d'Otan Tyers, réalisa Maître Ekenhart.
-Tout à fait. Vous voulez que je vous dise ce que je pense ? Je pense que ces créatures sont venues pour lui, affirma solennellement Lorsa.
Un silence pesant s'abattit sur eux.
-Eh, Lorsa a raison sur au moins un point, prévint la femme blonde. Il y a énormément de traces de griffes sur la porte de sa cellule...
-Elles ont voulu entrer, martela Lorsa. Entrer pour aller le chercher.
Maître Ekenhart ne répondit pas immédiatement ; pendant ce temps, le membre de l'équipage humain ouvrait la cellule du criminel de guerre.
-Tyers ? appela-t-il.
-Non, répondit d'une voix qui paraissait surgir d'outre-tombe. Il n'y a plus d'Otan Tyers !
Néanmoins, Dyn reconnaissait bien son timbre.
-Sortez d'ici, lui suggéra-t-il.
-Non.
Le ton du prisonnier était si ferme que tous se dirigèrent aussitôt vers sa cellule ; il était bien là, mais incroyablement pâle, les yeux perdus dans le néant, le visage inexpressif... Dyn sentit la circulation de son sang se muer en pierre l'espace d'une seconde ; quoi qu'ait vu ou ressenti Tyers, cela l'avait assurément terrifié, bouleversé...
vidé, plutôt, cela paraissait être le terme adéquat tant l'homme donnait l'impression de n'être plus que peur et douleur...
-Que vous est-il arrivé, Tyers ? se renseigna humblement Ekenhart, comme s'il s'adressait à un enfant traumatisé. Dites-le, et nous pourrons vous aider.
Tyers eut un éclat de rire effrayé, absurde, dérangeant.
-Je les ai revu ! Je les ai
tous revu ! Mes victimes... celles de mes hommes... Je n'aurais pas cru qu'elles puissent être si nombreuses... et si diversifiées... Je le savais, bien sûr, mais c'est une toute autre chose de le
voir... inimaginable... Alors, maintenant, je ne suis plus Otan Tyers. Je ne les ai plus tuées.
Toute l'assistance se mit d'un seul coup à retenir sa respiration ; il y avait de quoi... D'abord, parce que jamais,
jamais Otan Tyers n'avait émis le plus petit signe de remord pour ses crimes, il fallait qu'il soit véritablement détruit pour en arriver là... Ensuite, et cela, Dyn le savait mieux que personne, parce que si Tyers avait revu ses victimes, cela impliquait que Dyn avait bien revu le Capitaine Hessart, et qu'ils étaient
tous considérés comme
coupables de sa mort. Le plus terrifiant restait la question de savoir qui pouvait les considérer ainsi...
-Vous voyez ? parla enfin Lorsa. Il est plus coupable qu'aucun d'entre nous. Ils le veulent. Aucun de nous n'est en sécurité tant que cet homme se trouve à bord !
Dyn ne trouva pas la force de s'opposer à cette affirmation pourtant péremptoire. D'abord, parce que ce que disait Lorsa paraissait parfaitement logique au vu de la situation, et tant pis si cela échappait à tout ce que Dyn croyait possible dans cette Galaxie ; ensuite, parce que Lorsa
savait ce qu'il disait, cela
s'entendait dans sa voix. Ce n'était pas une proposition, c'était la parole d'un homme qui comprenait tous les aspects de la situation. Et Dyn s'en sentait rassuré.
Étonnamment, même Maître Ekenhart ne le contredit que modérément.
-Attendez... je ne comprends pas ce qui se passe ici, mais nous n'en savons
rien. Ne tirons pas de conclusion hâtive, s'il vous plait, aucun de nous ne maîtrise ce qu'il se passe, même moi qui sens ces choses-là en tant que Maître Jedi !
-Ils ont attaqué la cabine de Tyers, c'est un fait, insista la femme aux cheveux blonds, corrosive comme à son habitude.
Tyers, lui, ne disait rien. Dyn regarda autour de lui, Ly, Durkan, les membres de l'équipage, mais en-dehors de Ekenhart et Lorsa, et peut-être la femme aux cheveux blonds, tout le monde semblait complètement perdu, incapable de déterminer lequel des deux avait raison.
-Oui, c'est un fait, admit Maître Ekenhart, pédagogue. Voici d'autres faits : ils pourraient nous attaquer bien plus massivement au point d'ensevelir tout notre vaisseau, nous ne reposons que sur eux, nous ignorons ce qui les en empêche ; ces créatures ne ressemblent à rien de connu, nous ignorons tout à fait comment elles raisonnent ; nous ne savons pas ce qu'elles veulent à Monsieur Tyers exactement, ça peut aller de la dévoration à prendre l'apéritif avec lui, aussi étranges que nous paraissent leurs manières ; et surtout, tout ce qui se passe
depuis le début échappe entièrement à notre compréhension, alors je ne vois pourquoi il en irait autrement des intentions de ces créatures !
Ils furent plusieurs à opiner, retrouvant quelques certitudes grâce à l'argumentaire patiemment développé par Maître Ekenhart ; Cade Lorsa lui-même hocha précautionneusement la tête, bien qu'il persista à darder un regard suspicieux sur Maître Ekenhart.
-En ce cas, que suggérez-vous, Maître ? se reprit-il. Je suis désolé, mais il y a urgence, ces créatures peuvent repasser à l'attaque à tout moment, et comme vous l'avez dit vous-mêmes, elles sont suffisamment nombreuses pour ensevelir tout le vaisseau... Cela commande des mesures fortes !
-Non, Monsieur Lorsa... La situation n'est pas urgente, parce que nous venons de les repousser, elles nous ont montré en battant en retraite qu'elles avaient peur de nous, on peut penser qu'elles ne reviendront pas immédiatement ; je ne sais pas ce qui les empêche d'ensevelir le vaisseau, mais le fait est qu'elles s'en abstiennent... Nous avons la possibilité de
réfléchir, alors exploitons-la au lieu d'agir de manière inconsidérée, ce qui précipiterait notre fin.
-Et que suggérez-vous, alors ? se renseigna le Diamala.
-Je suggère tout simplement que Ly prenne son tour de garde, elle nous préviendra en cas de nouveau problème, et que nous allions tous dormir... Demain, les créatures seront sûrement revenues à l'immobilité, nous pourrons décider de ce que nous ferons.
-Cela me convient tout à fait, plébiscita Dyn. Si nous voulons résister à ces créatures, il faudra que nous soyons en état de combattre et de réfléchir... Il faut nous reposer impérativement.
-C'est vrai, acquiesça prudemment Lorsa. Allons-y, alors.
-Je vote pour aussi, maugréa le membre de l'équipage humain, sans que personne ne vienne le contredire.
-Parfait, conclut Ekenhart, la fatigue perceptible dans sa voix. Alors bonne chance Ly, et bonne nuit tous les autres. »
Dyn se demanda vaguement qui allait réussir à s'endormir après ce qui s'était passé...