Et hop 4ème partie.
Adolescence : le début d’un troubleBien que ne perdant jamais de vue ses objectifs de grandeur, la douzième année de Jace le changea profondément. Comme pour tous les êtres humains le passage de l’adolescence ne se fit pas sans heurts et la transition entre l’enfant et l’adulte souleva de nombreuses interrogations chez lui. Pour la première fois il ne fit plus que détester son père, mais se demanda aussi pourquoi il était parti. Il alla même jusqu’à faire des recherches mais ne trouva aucune trace de son père dans les archives de l’Espace Républicain. Peut-être était-il mort ? Peut-être que les archives n’étaient pas à jour à cause de la guerre ? Peut-être était-il parti vivre dans l’Espace Sith ? Cette recherche ne lui apporta aucune réponse et ne fit que soulever de nouvelles questions.
Pour la première fois il arrêta d'aimer sa mère d’un amour inconditionnel ; bien sûr il l’aimait, mais il la haïssait tout autant pour n’avoir pas su retenir Irce. Pourquoi son père les avait-il quittés ? D’après ce qu’il savait de lui, il avait été prêt à encourir le courroux d’un sénateur plutôt que de renoncer à l’amour qu’il portait à la fille de ce dernier. Il avait travaillé durant toute sa misérable vie pour monter un commerce minable qui commençait tout juste à fleurir et à générer beaucoup d’argent ; pourquoi l’avoir laissé tomber du jour au lendemain ?
Ces questions sans réponses le taraudaient et cette impression d’impuissance, d’incapacité à résoudre ce mystère, l’énervaient au plus haut point, mais pas autant toutefois que l’incapacité de sa mère à lui fournir des réponses. Soit elle était stupide soit elle lui cachait quelque chose, ce qui le rendait fou de rage dans les deux cas.
Cette colère combinée à l’adolescence fit que Jace s’éloigna progressivement de sa mère à cette époque sans savoir qu’il ne retrouverait jamais la complicité qu’il partageait avec elle étant enfant.
Ena vivait de l’héritage légué par Rimoce et du dividende généré par la boutique de son ex mari dont elle avait confié la gestion à un homme d’affaires de la ville. Cette oisiveté relative horripilait Jace au plus haut point pour la première fois. Alors qu’auparavant il était heureux que sa mère soit toujours là pour lui, il la considérait à présent comme un boulet incapable de faire quelque chose de ses dix doigts. N’avait-elle aucune fierté, aucun honneur à rester toute la journée à ne rien faire d’autre qu’attendre que son fils soit de retour de ses cours ?
Cependant, malgré leurs disputes et leurs avis divergents, chacun représentait la seule famille de l’autre, la seule véritable attache affective qu’ils avaient dans la galaxie, c’est pourquoi ils restèrent proches.
Il commença également à regarder les filles humaines de son âge d’un autre œil et à ressentir de l’attirance pour elles, ce qui lui causa quelques problèmes disciplinaires et des résultats en baisse. En effet, occupé à chercher à se faire remarquer des filles, il suivait les cours avec beaucoup moins d’attention et répondait parfois avec insolence à ses professeurs quand ils lui intimaient de se concentrer. Désireux de marquer son territoire, Jace ne se laissait pas facilement intimider et, complexé par ses deux ans de moins que la plupart de ses camarades, n’hésitait pas à se lancer dans des bagarres quand il était provoqué. Il tenait ainsi à prouver aux autres qu’il était à sa place même si ce n’était qu’une façade qui cachait la peur de la raclée qui l’attendait. Grâce au soutien de son ami Abess, les conflits s’envenimaient rarement ; ce dernier ayant un an de plus que lui, leur alliance faisait réfléchir à deux fois ceux qui voulaient en venir aux mains même s’il arrivait que certains téméraires s’y essaient tout de même. Dans ces cas là, Jace rentrait bien évidemment couvert de bleus et avait droit à un sermon de sa mère, ce qui blessait encore plus sa virilité naissante et contribuait à creuser le fossé qui les éloignait. Malgré ces déboires occasionnels, il n’hésitait jamais à retourner en cours le lendemain gagnant le respect et la complicité de garçons pourtant plus âgés.
Heureusement pour lui, dans la majorité des cas il s’agissait juste de joutes verbales et de provocations et non pas de véritables bagarres ce qui lui permettait de ne pas toujours avoir le dessous étant donné sa faible corpulence. Son corps était encore celui d’un enfant à côté de celui de ses camarades et sa force n’était pas aussi développée que sa bravache de façade. Ce qui devait arriver arriva et un jour, un gros caïd de quinze ans nommé Bata dont tous les jeunes de son âge se moquaient, décida de pavaner en prouvant sa virilité face au petit Jace âgé de seulement douze ans. Plus petit que les autres et ayant encore un visage de poupon, Jace était le chouchou des professeurs malgré ses quelques écarts de discipline et le petit protégé des filles ce qui suscitait beaucoup de jalousies. Désireux de montrer à tous qu’il était le plus fort et afin de hausser sa popularité, Bata choisit de s’en prendre au chouchou. C’est pourquoi lors d’une pause, profitant à dessein de l’absence d’Abess ce jour-là, il s’arrangea pour acculer Jace dans un recoin sombre, loin du regard des surveillants, lui enlevant ainsi toute échappatoire en lui rendant la fuite impossible. Il se mit alors à le couvrir d’insultes afin de le provoquer.
« Eh avorton ! Ouais c’est à toi que je parle bouffeur de limaces t’es encore aussi nabot qu’un Ugnaught! En plus t’as la même tête de porc ! »
Toutes les personnes présentes éclatèrent de rire et Jace se devait de répondre sous peine de perdre la face. En son fort intérieur, il était terrorisé à l’idée d’affronter ce garçon qui faisait deux têtes de plus que lui mais n’en laissa rien paraitre. Il espérait qu’il pourrait comme souvent s’en tenir à de l’esbroufe même si son instinct lui criait que ce ne serait pas le cas cette fois-ci. Sans son meilleur ami et protecteur pour l’aider à tenir tête, il se sentait comme un Singe Lézard Kowakien face à un Rancor. Malgré tout, il n’hésita pas et entra dans la joute verbale.
« Tu parles beaucoup grande perche, surtout pour quelqu’un d’aussi grand et poilu qu’un Wookiee ! Mais oui ça colle en plus t’as l’air abruti et tu grognes inintelligiblement au lieu de parler ! »
« Je vais te régler ton compte sleemo ! »
« Je t’attends Bata, sale fils de bantha ! »
N’étant pas si brave que ce qu’il voulait bien faire croire, Bata chercha à ce que Jace l’attaque en premier afin d’éviter d’éventuelles sanctions de la part de leurs professeurs.
« Tu n’es qu’un suppôt de Sith, un raté qui finira avec les aliens ; c’est pour ça que ton père vous a abandonnés ta mère et toi ! »
Oubliant sa peur, Jace se jeta sauvagement contre son adversaire, aveuglé par la fureur issue de l’ouverture béante devant tous ces camarades de cette blessure familiale intime qu’il gardait au plus profond de lui.
Surpris par la rapidité de l’attaque, Bata n’eut pas le temps d’esquiver un coup de poing en pleine mâchoire qui lui laissa un goût de sang dans la bouche. Essuyant les quolibets et les incitations au combat des jeunes désormais attroupés en cercle autour d’eux, il se rua sur Jace et commença à le rouer de coups. Jace ne pouvait rien face à ce Goliath et son corps ne fut plus qu’une alarme stridente envoyant continuellement des messages de douleurs à son cerveau. La lèvre éclatée, le nez en sang, trois dents en moins et le souffle coupé, il essaya tant bien que mal de représenter une opposition signifiante à son bourreau. Ce fut peine perdue et il s’écroula au sol sous le poids des coups. Trois amis de Bata vinrent alors prendre part à la fête pour le rouer de coups de pieds. Son visage, ses côtes, ses jambes, nulle partie du corps de Jace ne fut épargnée. Pris sous ce déluge, Jace pleurait à chaudes larmes. Il était tellement choqué qu’il fut incapable de pousser ne serait-ce qu’un cri de douleur et resta stoïque dans son atroce souffrance mentale et physique. Les rires qu’il entendait tout autour de lui étaient des piques qui lacéraient autant son cœur que les coups son corps. Il maudit ses agresseurs, la douleur lui brouillait la vue et tout n’était plus que sang et brouillard obscur. Son corps lui hurlait d’arrêter ce supplice et il maudit son impuissance. Il maudit sa mère de n’être qu’une femme incapable de lui apprendre à se battre. Il maudit son père de l’avoir abandonné, de l’avoir livré aux moqueries de ses camarades. Il maudit la douleur qu’il ressentait, et soudainement, il sortit du monde physique. Il n’était plus là à se faire frapper mais au coeur d'un océan noir de douleur au dans lequel il menaçait de se noyer. Il se sentait disparaître et maudit son incompréhension et sa faiblesse. Il avait tant voulu travailler pour avoir un poste de pouvoir, mais il était incapable de se défendre comme un homme.
Dans ce brouillard sombre et opaque, les seuls sons qui lui parvenaient étaient des rires distants, rauques, diaboliques, quasi hystériques, qui n’étaient pas ceux de ses camarades. Il chutait d’une hauteur infinie dans les bas fonds d’un océan d’épouvante et de désespoir. Il voulait appeler sa mère, le seul être dans la Galaxie à toujours avoir été là pour lui et à l’avoir toujours protégé. Puis il se morigéna d’avoir eu cette réaction d’enfant et le brouillard se transforma en tornade au sein de laquelle il n’était qu’un pantin désarticulé tourbillonnant dans tous les sens. Sa colère qui allait jusqu’à le faire pleurer renforçait la tornade mais c’était une colère de faible, de vaincu. C’était une colère provoquée par son impuissance, ses réactions infantiles, sa frayeur et son incapacité à prendre les choses en main. Elle renforçait la tornade mais il ne faisait rien pour la contrôler, rien pour contrôler sa chute. C’était la tornade qui le contrôlait comme un pauvre bébé perdu dans une infinité d’obscurité toute puissante.
Il se sentait englouti dans un puits sans fond, quand sa haine pour tout ce qu’il était et tout ce qui l’entourait atteignit un point si fort qu’elle prit le dessus sur sa peur, sa tristesse et son désespoir. Il vit soudain une source de lumière dans cette obscurité, une étincelle rougeoyante tout d’abord. Sentant l’espoir lui revenir, la détresse qui l’emplissait commença à se dissiper… De même que l’étincelle qui commença à faiblir menaçant de s’éteindre. Pris d’une colère folle contre son espoir futile et enfantin, il laissa ressortir toutes les frustrations qu’il avait subies depuis l’enfance. La douleur et la peur que lui avait causées ce sale alien de Jedi, sa faiblesse, ses colères, ses nuits de frustrations passées à attiser la haine qu’il ressentait envers l’injustice dont il était victime après le départ de son père, toutes ces colères enchevêtrées, cette haine, s’accumulèrent pour ne faire plus qu’un. L’étincelle rougeâtre devint un torrent de feu et de lave tourbillonnant autour de lui. L’obscurité avait presque disparu ; elle était toujours là en périphérie, mais totalement maitrisée par ce déchainement de passion flamboyant. Jace n’eut plus mal. Pas parce qu’il était à un stade où il ne ressentait même plus la douleur non, mais parce que la douleur attisait ce torrent de feu qui lui réchauffait le cœur jusqu’au plus profond de son âme. La sensation était enivrante. Là où le tréfonds de son être avait toujours été glacé par la peine d’avoir été rejeté par son père, il bouillonnait aujourd’hui de passion, engendrant une chaleur réparatrice.
La douleur était son alliée, elle nourrissait sa colère et sa haine envers ses oppresseurs ce qui rendait le torrent de lave qui tourbillonnait autour de lui encore plus déchainé. Il fut soudain envahi d’un sentiment de toute puissance comme il n’avait jamais connu auparavant et sa haine déferlante se mua soudain en colère froide parfaitement maîtrisée.
Alors, il rouvrit les yeux…
Premier goût de Côté Obscur et premières conquêtesLa suite se passa comme dans un de ses nombreux rêves de vengeance contre son père, ceux qu’il faisait lors des ses nuits les plus agitées.
Comme si les brutes ne le tabassaient plus, Jace se releva…
Surpris par ce soudain regain d’énergie, ses agresseurs reculèrent et purent observer l’état dans lequel ils l’avaient mis. Les larmes ne coulaient plus sur ses joues, elles s’étaient entremêlées avec le sang qui coulait le long de son visage. Le silence se fit.
Lorsqu’il releva la tête, ses agresseurs eurent un mouvement de recul. Il apprit plus tard qu’ils avaient eu une vision d’horreur. Jace était couvert de sang de la tête aux pieds, ses vêtements étaient déchirés à de multiples endroits et ses yeux… ses yeux étaient injectés de sang. Ses pupilles, d’un bleu si éclatant à l’accoutumé, étaient devenues jaunes, un jaune si sulfureux qu’on avait l’impression de voir une tempête dans son regard. Son visage était d’une pâleur cadavérique et, plus effrayant que tout, Jace souriait. Pas de son sourire enjoliveur habituel, qui le rendait tellement sympathique ; il souriait d’un air mauvais, à en glacer le sang. N’étant plus maître de ses mouvements, Jace agit uniquement par instinct.
Bata le dur ne paraissait plus aussi sûr de lui. Il était effrayé par l’apparence sanguinaire de sa victime et avait désormais l’impression de faire face à un adversaire d’âge mûr et aguerri. C’est lui qui avait eu le mouvement de recul le plus prononcé, ses trois acolytes se trouvant donc entre lui et Jace. Tant mieux, se dit ce dernier. Il écouta la douce voix suave qui lui susurrait de s’occuper de ces trois-là en premier, de laisser monter la peur chez Bata. Avant de disposer du caïd, Jace voulait qu’il expérimente le même désespoir qu’il lui avait fait subir.
Il laissa l’entité inconnue qui était née de sa froide colère prendre le contrôle et se rua sur le premier de ses assaillants. Comme si tout se déroulait au ralenti, il projeta son poing en avant vers la poitrine d’un des agresseurs et au dernier moment il ouvrit sa main. Avant même que sa paume ne le touche, l’ami de Bata fut soudain soulevé dans les airs, atterrit cinq mètres plus loin contre un mur et perdit connaissance suite au choc. Les quelques jeunes agglutinés qui regardaient ce combat improbable ne virent rien de tout cela. Tout ce qu’ils virent c’est Jace frapper si fort dans l’estomac du jeune, que la puissance du coup l'envoya valdinguer à cinq mètres. Jace répéta naturellement l’opération sur un autre pendant que le troisième s’enfuyait en appelant sa mère au secours et que Bata, littéralement tétanisé, sanglotait sans bouger d’un pouce. Jace lui fit face et savoura ce moment. Pendant un instant son cerveau reprit le contrôle sur l’instinct et il se demanda comment il allait se venger. Le petit chuchotement de femme, séduisant, sulfureux et susurrant à la fois lui souffla :
Il ne mérite pas mieux que ton père.
Il s’imagina alors lui sauter à la gorge et l’étrangler, l’étrangler si fort que ses yeux en sortaient de leurs orbites comme à chaque fois qu’il rêvait de la vengeance qu’il ferait subir à son père s’il venait à le retrouver.
Il se concentra si intensément sur cette image qu’il pouvait presque sentir sa main agripper fermement la gorge de Bata et la serrer d’une poignée de fer. Ce dernier semblait à l’agonie, il commença par se vider de ses excréments tout en pleurant comme un nouveau-né sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche. Puis soudain, il fit l’effet d’un poisson hors de l’eau cherchant frénétiquement à respirer et se recroquevilla, agrippant à deux mains sa poitrine. Il tomba à genoux comme s’il s’abaissait à reconnaitre son humiliante défaite puis, après un râle d’outre tombe, ses yeux exorbités se révulsèrent et il s’écroula face contre terre. Jace n’en crut pas ses yeux, il n’avait même pas eu à l’affronter, ce grand caïd de Bata s’était évanoui de terreur à l’idée de l’affronter ! En réalisant ce que cette victoire signifiait, un respect total de la part de tous les garçons plus âgés que lui et la fin de ses souffrances physiques, il fut transporté d’un sentiment d’allégresse et toute colère quitta son corps. Ce fut comme s’il se réveillait d’un long rêve de puissance et d’invincibilité ; ce fut brutal. Il sortit de l’état de flottement dans lequel il se trouvait pour entendre tous les membres de son corps hurler de douleur. Cette douleur qu’il ne ressentait plus quelques instants auparavant le submergea et il perdit connaissance.
Lorsqu’il se réveilla, Jace se trouvait à l’hôpital, sa mère à son chevet. Il sentait ses muscles tirés et fatigués ainsi qu’une douleur ténue mais lancinante dans l’ensemble de son corps. Malgré tout, il était envahi d’une fierté réparatrice. Ena avait de gros cernes après l’avoir veillé pendant des heures, les yeux rouges bouffis par les larmes qu’elle avait versées quand son fils était inconscient. S’apercevant que son fils s'éveillait enfin, elle s’écria :
« Jace, mon ange, comment vas-tu ? Je me suis fait un sang d’encre ! »
Enervé d’être appelé mon ange par sa mère et d’être encore rabaissé au rang d’enfant après l’authentique exploit qu’il venait de réaliser, Jace lui répondit froidement
« Ca peut aller mais ce n’est pas grâce à toi… »
Stoppée dans son élan Ena vit son sourire se figer
« Comment peux-tu être aussi froid avec moi ? J’étais morte d’inquiétude je suis venue dès que j’ai pu ! »
« Ce n’est pas comme si tu étais très prise par ton travail… »
Puis, décidant qu’il en avait assez fait et désireux d’en apprendre plus sur les retombées de la rixe, Jace ajouta :
« Mais je suis content que tu sois là, maman. Excuse-moi, j’ai passé un sale quart d’heure ! »
« Oh mon pauvre, ces brutes sans cervelles méritent bien ce qui leur arrive ! »
« Quoi ? Qu’est ce qui leur arrive ? »
« Et bien… hum… Les trois voyous qui t’ont roué de coups une fois que tu étais à terre, ils ont été expulsés de l’établissement pour violence aggravée ! D’ailleurs, l’un d’entre eux est dans un sale état, il s’est fracassé toutes les côtes contre un mur et a passé autant de temps que toi dans une cuve bacta ! Oh mon pauvre fils quand je pense à l’état dans lequel tu étais quand je suis arrivé ! »
« Et Bata ? Pourquoi ne m’en parles-tu pas ? C’est lui qui a lancé la bagarre et qui a incité ses amis à venir me tabasser ! Il est renvoyé lui aussi ? » la coupa Jace.
« C’est plus compliqué que cela Jace » dit-elle en lui parlant soudain comme à un adulte, une larme coulant le long de sa joue.
« Quoi ? Qu’y a-t-il ? Dis-moi !? »
« Il est… mort. »
« Quoi ? Comment cela se fait-il ? »
« Il a eu… une attaque… Apparemment, il était… cardiaque. Toute cette agitation et cette excitation ont eu raison de son cœur. »
« Bata !? Cardiaque !? Je l’ignorais… Mais tu veux dire… Il est vraiment mort ? »
« Oui… »
« Dans le feu de l’action je m’en serais plus que réjouit mais là… Je dois dire que cela me fait bizarre… C’est presque comme si j’avais tué quelqu’un… C’est horrible... Mais ça veut dire que... Je suis un meurtrier !? »
« Mais non ! Pas du tout ! Ce n’est pas du tout de ta faute mon chéri ! Il t’a agressé souviens-toi ! Il est le seul responsable de ce qui lui est arrivé ! »
« Peut-être… »
« Rassure-toi mon chéri tes professeurs pensent comme moi ! »
« Mes professeurs ? C'est-à-dire ? »
« Et bien je ne te cache pas que tu as toi aussi été au devant de graves ennuis en étant impliqué dans cet événement tragique qui risque de ternir l’image de l’Ecole. Cependant, étant donné que tu fais partie de leurs meilleurs éléments, que tu es bien plus jeune que ces voyous et que tous les témoignages concordent à dire que tu étais la victime et non l’agresseur, tu n’es pas renvoyé. Cependant, tu t’en tires avec un dossier disciplinaire afin de préserver une certaine équité… »
La victime et non l’agresseur ? Etrange se dit Jace ; dans ses souvenirs, il était pourtant sûr d’être celui qui avait porté le premier coup. Se pourrait-il que ? Non impossible… Et pourtant, Jace comprit plus tard qu’effectivement, ses camarades avaient décidé de prendre parti pour lui plutôt que pour les caïds de l’école surtout maintenant que Jace leur paraissait encore plus redoutable que ces pseudo durs. Et puis, d’un certain point de vue, bien qu’ayant frappé le premier, il était bel et bien la victime même si le résultat de cette rixe ne le révélait pas vraiment. Apaisé de s’en sortir sans autre sanction qu’un dossier disciplinaire et grisé par sa victoire, il occulta totalement la perturbation que la mort d’un camarade aurait pu lui causer et ne se demanda jamais pourquoi sa mère n’avait à aucun moment paru étonné qu’il ait réussi à prendre le dessus sur quatre adversaire normalement beaucoup plus forts que lui…
Quelques jours plus tard, lorsqu’il sortit enfin de l’hôpital avec sa mère, Jace apprit de la bouche de cette dernière qu’il ne devait plus jamais se retrouver pris dans une bagarre sous peine d’être exclu. A ce moment-là il passa devant la chambre de l’ami de Bata à qui il avait broyé les côtes en l’envoyant s’écraser contre un mur. Lorsque ce dernier le vit, Jace put lire tellement de terreur dans ses yeux qu’il répondit avec un sourire narquois à sa mère « Ne t’en fais pas maman, je ne pense pas que cela sera nécessaire. Je n’en ai plus besoin à présent ».
Et effectivement, cela ne fut pas nécessaire. Après cet accident plus personne n’osa être en désaccord avec Jace qui avait définitivement gagné un respect teinté de peur et régnait en maître parmi ses camarades masculins malgré ses deux années de moins.
Quant aux jeunes femmes de son école, cet événement changea leur regard et leur petit protégé devint un séduisant jeune homme susceptible de les attirer.
Bien qu’étant moins âgé que ses camarades, Jace eut la chance de grandir vite et de faire rapidement plus vieux qu’il ne l’était vraiment. Sa jeunesse relative en comparaison des filles qu’il fréquentait, ne fut donc pas un frein pour le jeune homme qui parvint grâce à sa feinte nonchalance, sa gouaille et ses airs de faux-rebelle, à se faire une place au chaud dans le cœur des filles qu’il rencontra et à profiter d’un succès certain auprès de la gente féminine. Bien entendu, son physique l’aidait. Jace n’était plus ce petit bambin au visage d’ange mis en valeur par des cheveux blonds comme les blés et des yeux d’un bleu intense. Très sportif, il devenait jour après jour un homme à la musculature bien sculptée ; adoptant une allure de baroudeur, il dissimulait les faiblesses et les douleurs qui l’habitaient derrière un air goguenard. Ses cheveux devenus châtains étaient désormais rasés ce qui faisait ressortir la profondeur de ses yeux qui étaient comme une mer où ses conquêtes aimaient se noyer.
Jace ne croyait pas en l’amour. Après avoir vu la façon dont son père s’était battu pour sa mère pour finalement la laisser tomber, il ne pouvait même pas imaginer un tel sentiment possible ; tout juste acceptait-il l’attachement et l’affection qu’il éprouvait pour sa mère.
Nul besoin cependant de se référer à ses parents pour se rendre compte que l’amour n’était qu’un leurre, il en avait la preuve au travers de ses expériences personnelles. Avant « l’affaire Bata », Jace n’était que le petit protégé des filles quand lui se sentait attiré par elles. Les rares fois où il avait osé leur en faire part, il s’était fait repousser sans ménagement, se faisant traiter de « gamin » par-dessus le marché. Depuis, les filles étaient attirées par lui, non pas par amour mais juste parce qu’il était plus fort que les autres. Elles n’étaient pas devenues amoureuses d’un seul coup mais cherchaient, inconsciemment ou non, à tirer parti de sa puissance et de sa protection. Pas de sentiments dans tout cela donc.
Qui a le pouvoir prends ce que bon lui semble, les faibles n’ayant que leurs yeux pour pleurer et croire au bonheur ou à l’amour. Lorsqu’il était faible, les filles se détournaient de lui, le traitant comme leur poupée. Désormais, c’étaient elles qui recherchaient sa compagnie, c’est pourquoi il préférait aller de conquête en conquête prenant du plaisir là où il en trouvait sans se soucier du reste. Il put compter sur Abess qui, désireux de se rattraper de son absence le jour où son ami s’était fait passer à tabac, lui présenta de nombreuses filles plus âgées qu’eux. L’une d’entre elles devint la première qu’il embrassa et, fort de ce succès, les deux compères entreprirent d’organiser de nombreuses soirées où ils partaient à la recherche de nouvelles conquêtes, se faisant un jeu de comparer puérilement leurs tableaux de chasse respectifs.
Il découvrit les plaisirs de la chair à quatorze ans, un jeune âge pour un male humain mais sa maturité forcée et sa fréquentation de filles âgées de deux à quatre années de plus que lui aidèrent beaucoup. Dans ces moments d’intimités avec les femmes, il se sentait envahi d’une chaleur torride et sauvage comparable à celle qu’il avait ressentie durant son différend avec Bata. Il se sentait tout puissant, il avait l’impression de contrôler une autre personne en la menant à coucher avec lui. Il voyait cela comme un jeu, comme un laboratoire de test, un champ d’entrainement politique ; pour s’entrainer à séduire les électeurs afin de gagner leur voix, il s’évertuait à charmer les jolies femmes afin de gagner leur lit. Tout n’était donc que séduction mais lors de l’acte, à cette satisfaction d’avoir réussi s’ajoutait un sentiment de puissance plus bestial. Le sexe réveillait ses bas instincts et, si elles ne pouvaient pas se targuer de sa douceur, ses conquêtes ne repartaient jamais déçues, rassasiées qu’elles étaient par la fougue infatigable quasi surhumaine et la chaleur brulante de leur amant d’un soir.
Lorsqu’il faisait l’amour, c’était comme s’il était habité. S’il ne lui apportait que partiellement le sentiment d’invincibilité enivrant qu’il avait eu face à Bata, le torrent de lave bouillonnante qui envahissait son âme en ces circonstances le remplissait de bien-être. Mais surtout, il lui rappelait la douce voix qu’il avait alors ressentie. Elle lui manquait. Il ne l’avait pas entendue depuis ce jour et il voulait retrouver l’ivresse sans précédent qu’elle lui avait apportée. Il allait donc de femme en femme espérant trouver cette voix qui avait pris le contrôle de sa personne le temps d’un moment d’abandon. Il ne la trouva jamais chez ses partenaires et, déçu, ne leur laissa jamais le contrôle de sa personne, encore moins de son âme. Il leur faisait payer cette déception en faisant l’amour sauvagement, presque bestialement à ces belles qui n’en demandaient pas tant. Il chérissait ces moments qui étaient les seuls où il se rapprochait du moment le plus excitant de sa vie, celui où il s’était retrouvé confronté à sa tempête intérieure et où il avait émergé des flammes, invincible. Raison pour laquelle il allait de conquêtes en conquêtes, pensant ne plus jamais réussir à vivre quelque chose d’aussi fort autrement que via ses nuits torrides ; bien entendu, il se trompait…
Désireux de se montrer, d’être accepté et aimé, il était toujours le premier lors des soirées organisées par la jeunesse dorée d’Anaxès dont aucun non-humain ne faisait partie. Il n’en faisait d’ailleurs pas vraiment partie non plus. Sa mère et lui avaient un train de vie somme toute modeste même s’il connaissait la plupart de ces « gosses de riche » étant dans la même école élitiste qu’eux. Cependant, le passé politique de feu son grand père lui ouvrait les portes de ces soirées grandioses à la simple mention du nom Pecivas, lui permettant de rentrer avec Abess et ses autres amis et une bouteille de liqueur de lomin en prime. Toujours le premier à vider son verre, il aimait plus que tout faire la fête et oublier pendant un temps l’état de crise dans lequel se trouvait la Galaxie, oublier son statut d’élève modèle qui s’effritait progressivement. Le départ de son père et le statut de son grand-père lui avaient finalement volé son enfance, il s’en rendait compte à présent. Il avait tout fait pour être à la hauteur du Sénateur Rimoce et s’était enfoui sous les livres d’écoles avec une maturité et un sérieux inattendus de la part d’un enfant ; puis, quand venait la nuit il était empli d’une haine qui ne seyait pas à la norme enfantine censée être plus paisible. Aujourd’hui il voulait de temps à autres oublier les cours et ses objectifs stressants. S’oublier le temps d’une soirée et rester jeune, tout simplement.
Ce comportement insouciant lui fit perdre la tête de classe mais pas ses ambitions. Même s’il se laissait modérément aller, il garda en vue ses objectifs et rentrait toujours chez lui quand les soirées dégénéraient. Il évita par exemple toujours les bâtons de la mort qui circulaient et l’état quasi catatonique qui résultait de leur consommation. Certes il ne travaillait plus autant, se reposant uniquement sur ses capacités au-dessus de la moyenne, mais il gardait bien en tête que ce relâchement n’était que temporaire et n’alla jamais trop loin quand il cherchait les limites de manière à ne pas compromettre son avenir. En somme, bien que vivant une crise d’adolescence certaine, il ne perdit jamais son esprit vif, son intérêt pour la Galaxie l’entourant et sa volonté d’y faire son trou.
Next Week : Chapitre 3ème : Voyages dans les mondes du Noyau