J'ai tenté d'organiser mes idées sur la comparaison entre les scènes du combat contre le rancor (épisode VI) et celui contre le nexu, l’acklay et le reek (épisode II).
Attention, c'est un peu long...
1. L’originalité de la mise en abyme
Cette mise en abyme, comparable à celle des films de gladiateurs notamment, implique trois niveaux.
Les héros se situent au premier niveau, là où se concentrent tous les regards. Ce premier niveau est celui de la mort : il s’agit en effet avant tout d’un sacrifice ; c’est Padmé, dans l’épisode II, qui souligne cette idée avant l’entrée dans l’arène : « La vie, on est sur le point de la perdre, maintenant» ; Jabba le Hutt, quant à lui, affirme : « I shall enjoy watching you die »… Par ailleurs, les héros sont enchaînés dans l’épisode II ; Luke est emprisonné dans l’épisode VI : ils se trouvent réellement dans une position sacrificielle.
Le deuxième niveau est celui des spectateurs. Dans l’épisode II, les deux gros plans nous donnent à voir des créatures hostiles, à l’aspect menaçant ; cette hostilité est amplifiée par leur nombre important (les fameux cotons-tiges…). On les imagine prendre du plaisir à ce spectacle, ce qui nous les rend d’emblée particulièrement antipathiques. Dans l’épisode VI, la présence, parmi ces spectateurs, de personnages sympathiques (Leia…) est contre-balancé par la mise en avant de la cruauté des autres spectateurs, tout particulièrement dans la scène coupée, où les jawas prennent part activement au supplice de Luke.
Le deuxième niveau est également celui du « maître de cérémonie » et de ses sbires : Dooku dans l’épisode II, Jabba le Hutt dans l’épisode VI. Dans les combats de gladiateurs, le spectacle était lui aussi dominé par la présence d’un personnage important. Mais dans ce cas, son autorité était soumise à celle des spectateurs : le peuple pouvait contester ses choix, imposer les siens. Dans Star Wars, cet aspect est occulté : Dooku et Jabba ont les pleins pouvoirs sur le sort des héros. Les spectateurs ne sont que des reflets de l’indifférence de l’un, de la jouissance de l’autre face au spectacle de la mort.
Le troisième niveau est celui du téléspectateur. Il porte un regard omniscient sur ces scènes : s’il se positionne le plus souvent dans l’arène ou dans la caverne, il voit également la scène du côté des spectateurs. La concentration de son attention vers les héros est renforcée grâce à cet effet de mise en abyme : cette structure les place en effet au centre de la séquence ; par ailleurs, la cruauté des spectateurs a un effet repoussoir. La téléspectateur ne s’identifie pas au spectateur, dont il partage pourtant les caractéristiques principales – position assise, retrait, passivité…- ce qui est relativement original : dans les spectacles télévisés comme dans la majorité des films de gladiateurs, cette identification se fait naturellement. Ici, spectateurs et téléspectateurs s’opposent : les uns sont dans l’attente de la mort des personnages principaux, les autres dans l’attente de leur victoire.
2. Des bébêtes spéciales
L’originalité de la mise en abyme induit une différence de perception vis-à-vis de la créature combattue : pour les personnages, il s’agit d’animaux mais pour le spectateur réel, il s’agit de monstres. Cette divergence implique un double niveau de lecture.
2.1 Des animaux sauvages
Pour les combattants, les bébêtes sont des animaux. Ils se situent en-deçà du bien et du mal, attaquent aussi bien nos héros que les êtres situés dans le camp ennemi : un Gamorréen et deux Généosiens seront ainsi tués au cours du combat. L’animal représente donc la force pure… l’ « animosité » brute, sans autre fin que la volonté de donner la mort.
Face à l’animal, c’est-à-dire face à la force brute dépourvue de conscience et de raison, l’homme doit, justement, reconquérir son statut d’homme en faisant triompher l’intelligence sur la force : toute la symbolique de la corrida… Dépourvu de mâchoires puissantes et de cornes aiguisées, l’homme tente de compenser cette inégalité en recherchant des armes de fortune : lance généosienne, chaînes, os, pierre, herse ; l’utilisation de ces armes est, par ailleurs, calculé, réfléchi ; l’échec de l’utilisation de l’une d’elle implique immédiatement le recours à une autre ou à la fuite.
Le monstre lui-même peut être utilisé en tant qu’arme : les pinces de l’Acklay permettent à Obi-Wan de se délivrer de ses chaînes ; la force du Reek permet à Anakin de se délivrer des siennes et de tuer le Nexu.
Si ces animaux redoutables se positionnent en-deçà du bien et du mal, il reste qu’ils sont instrumentalisés par les ennemis, lesquels provoquent leur agressivité en les enfermant, voire, dans l’épisode II, en les excitant, comme le picador excite le taureau, à l’aide de lances électrifiées. Ils symbolisent, en la renforçant, la cruauté des ennemis ; l’animal n’est pas forcément celui que l’on croit…
2.2 Des monstres
Pour le spectateur réel, les bébêtes ne sont pas de simples animaux : ce sont des monstres. Dans le cas du combat de Luke contre le rancor, cette perception est induite par la taille impressionnante de la créature, mais avant tout par l’atmosphère fantastique dans laquelle elle évolue. En effet, le rancor n’est pas dévoilé d’emblée au spectateur : la scène du sacrifice de la danseuse ne fait qu’évoquer sa présence à travers le dévoilement de l’épouvante qu’il provoque ; cet effet est maintenu au tout début du combat avec Luke, combat au cours duquel la créature évoluera dans une semi-pénombre inquiétante. Dans l’épisode II, le caractère monstrueux des créatures combattues tient à leur ressemblance avec des animaux réels – mante religieuse, rhinocéros, félin-rat – qui seraient déformés, par le biais d’une accentuation des caractéristiques épouvantables de ces animaux : taille impressionnante, nombre important de dents, agilité et vitesse inhabituelles, taille des cornes…
Le fait que les créatures combattues soient assimilées à des monstres par le spectateur souligne, à ses yeux, l’habilité des personnages et permet de donner une autre lecture à la scène.
Tout d’abord, le combat contre le monstre est, dans la mythologie grecque et dans les récits médiévaux, une importante épreuve initiatique. Dans
SW, cela concerne à la fois Luke et Anakin, lesquels sont tous deux padawans à ce moment-là. La victoire contre le monstre est un moyen d’accès au statut de héros ; dans notre cas, cela est symbolisé par l’accession au statut de chevalier Jedi, les Jedis étant responsables du maintien de l’ordre au même titre que les héros médiévaux. L’importance de la victoire contre le monstre est, ainsi, particulièrement soulignée musicalement puisque c’est au moment où Luke tue le rancor que la musique baisse soudainement, au moment où Anakin parvient à maîtriser le reek que la musique reprend ; peu après, d’ailleurs, l’attitude chevaleresque d’Ani – il vient au secours de sa dame et l’invite à le rejoindre sur sa monture – permet un rapprochement net entre le chevalier médiéval et le chevalier Jedi qu’il tend à devenir. Mais cette victoire est également un moyen d’accéder à l’âge adulte. Ainsi, dans la trilogie, Luke, peu mature au début d’
ANH, devient réellement un homme à la fin de
ROTJ après s’être réconcilié avec son père (la lecture freudienne est ici évidente), ce qui représente, comme le lui annonce Yoda, sa dernière épreuve avant de devenir un Jedi. Dans la prélogie, au contraire l’accession d’Anakin à l’âge adulte, qui aurait pu se matérialiser dans la paternité, est brusquement empêchée au moment où il rejoint le CO.
Le monstre est également une représentation de l’inconscient, il matérialise notre réalité la plus profonde. C’est cette théorie que développe Jean Bugos : « Le monstre est au bout du jeu (…). Jeu (…) de l’homme qui retrouve en lui ce monstre familier qu’il nourrit en cachette de tous ses désirs et n’accepte enfin de montrer au grand jour qu’en le masquant d’abord » (« Le monstre, même et autre », p 13). Plus loin : « [La réalité] n’est à chercher ailleurs que dans l’Imaginaire, ce carrefour des continuels échanges entre les forces obscures jaillies du plus profond de l’être et les forces émanant du milieu naturel et social, lieu de rencontre entre les pulsions instinctives à se matérialiser et les sollicitations objectives qui ne cessent d’infléchir nos plus secrets désirs, et qui est aussi le lieu de la création. C’est là que naît le monstre » (Id., p 14). Le combat contre le monstre matérialise donc le combat contre l’inconscient, contre les pulsions instinctives qu’il convient de refouler afin de pouvoir vivre dans l’espace social. Or, autre chose, dans
SW, matérialise l’inconscient : le CO ; le basculement futur d’Anakin symbolise en effet sa soumission aux pulsions passionnelles qu’il ne parvient pas à contrôler. Qu’en est-il au moment des combats dont nous parlons ? Luke tue son monstre ; Obi-Wan tue le sien (le geste rappelle, d’ailleurs, celui d’un chevalier/ héros médiéval). Anakin, lui, ne tue pas son monstre, au contraire : il l’approche, le touche, le chevauche ; il va à la rencontre de sa propre monstruosité… et préfigure ainsi son basculement.
Indiquant à Luke et à Anakin le chemin qu’ils vont tous deux suivre, le monstre, du latin « monstrare » (« avertir »), remplit son rôle originel d’ « avertissement des dieux » (J. Goimard). Les monstres sont, en effet, des représentations de la fatalité : « Ils annonçaient l’avenir, et à ce titre impliquaient l’impuisance de l’homme à modifier son destin » (id., p 276).
Bibliographie :
- Les gladiateurs/ Anne Bernet. Paris : Perrin, 2002.
- La tauromachie : histoire et dictionnaire/ sous la dir. de Robert Bérard. Paris : Robert Laffont, 2003.
- Critique du fantastique et de l’insolite/ J. Goimar. Paris : Pocket, 2003.
- « Le monstre, même et autre » in Présence du monstre – mythe et réalité/ J. Burgos, L. Cellier, J.P. Collinet et al. Paris : Lettres Modernes, 1976.