Allez, on reprend ! Et les événements s'accélèrent...
<<Chapitre précédant<< Sommaire >>Chapitre suivant>>Chapitre 107 L’arrivée de Luke Skywalker avait complètement transformé l’ambiance du Haut Château de Jomark. Bien sûr, Celric ne s’y était jamais très bien senti, mais à présent il trouvait l’atmosphère vraiment pesante.
Le silence régnait. Les apprentis ne discutaient plus entre eux ; ils se contentaient d’exécuter les instructions distillées par le « Maître ». C’Baoth avait d’ailleurs lui aussi changé ; il était bien plus présent qu’auparavant dans les couloirs de l’antique bâtisse, parfois accompagné de Narghom Osvalt qui le suivait comme son ombre. L’instructeur impérial n’entrait plus en contact avec les étudiants et se contentait d’effectuer quelques tâches pour le clone, comme le ferait un simple valet de pied.
Mais cette évolution visible n’était pas ce qui tourmentait le plus Celric. Il craignait davantage celle, invisible, qu’il sentait à l’œuvre dans l’air tout autour de lui. Parfois, cela le réveillait en pleine nuit, à l’occasion de crises d’angoisse où il se sentait assailli par une nasse obscure… Des cauchemars récurrents qui lui valaient à présent d’être constamment fatigué. Il était exténué comme jamais.
Il n’avait eu que peu de contacts ces derniers temps avec Piotr et Mara, mais il savait qu’ils ressentaient la même chose. Ce qui rendait évident la source de leurs troubles.
Mais Skywalker, lui, semblait égal à lui-même. Un chouïa plus cerné qu’à son arrivée, peut-être ; mais il émanait toujours de lui une impression de sérénité et de bienveillance qui en faisait un phare brillant dans une mer d’ombres. Lors des exercices, à présent, Celric se servait de lui comme point d’ancrage.
Il me rappelle ma mère, comprit-il un matin lors d’une session de méditation particulièrement longue. Lysie Tavill possédait elle aussi cette force tranquille ; sans doute une réminiscence de son passé Jedi. Le jeune homme n’y avait pas prêté attention à l’époque – il ignorait alors tout de la Force – mais ses souvenirs l’aidaient à faire le lien avec ce qu’il ressentait alors.
Ma mère était une Jedi, songea-t-il avec admiration.
Elle a vécu cet entraînement… Sans doute un bien meilleur entraînement que celui-là, d’ailleurs.
Il entrouvrit une paupière et aperçut la silhouette de C’Baoth, qui médiait comme eux, assis en tailleur.
Oui, un bien meilleur entraînement. Mais elle a suivi cette voie, et je l’emprunte aussi à présent. Les Jedi étaient les héros légendaires de son enfance ; à présent, il en côtoyait un. Luke Skywalker était à moins de dix mètres de lui.
Et, surtout, il s’efforçait d’en devenir un.
— Il suffit, dit soudainement C’Baoth.
Les apprentis sortirent tous simultanément de leur état méditatif pendant que le Maître se levait et les observait de haut.
— Nous reprendrons tout à l’heure, dans la salle du trône. Allez !
Si on se fie à ses habitudes, ça signifie qu’on a deux heures devant nous, calcula Celric. Il chercha des yeux ses complices et vit qu’ils faisaient de même. Tous trois pensaient la même chose.
Le moment était venu d’avoir une petite conversation avec Skywalker.
Le Jedi s’éloignait déjà tranquillement du petit groupe d’élèves pour gagner la tour où il avait été logé. Ils devaient agir vite pour l’intercepter avant qu’il soit hors d’atteinte… Et trouver un endroit où tenir leur discussion sans attirer l’attention.
— On y va, chuchota une voix déterminée à son oreille.
Il tourna légèrement la tête ; Mara venait de le rejoindre, Piotr à ses côtés.
— C’est parti, répondit-il à voix basse.
Ils avancèrent d’un pas rapide dans le couloir austère qu’empruntait le jeune Jedi pour rejoindre ses quartiers. Quelques autres élèves les séparaient de Skywalker, mais ils partirent rapidement dans d’autres directions. Ils étaient seuls avant que leur cible ne franchisse le premier angle de mur.
Alors Celric décida d’agir.
Il se concentra et imagina qu’il tapotait l’épaule de Skywalker pour attirer son attention.
Malgré la distance qui les séparait, le Jedi réagit.
L’échange qui suivit fut uniquement visuel – accompagné, peut-être, de quelques pincées de Force. Pas un mot ne fut prononcé, mais ils parvinrent quand même à se mettre d’accord. Skywalker entra dans une pièce vide, et les trois conspirateurs l’y rejoignirent.
C’était une ancienne réserve, une de ces pièces non restaurées par l’intendance impériale lorsqu’elle avait aménagé le château pour les besoins de C’Baoth. Un de ses murs était partiellement effondré et laissait passer la lumière du jour à travers une large crevasse. Les gravats couvraient en partie le sol là où le vieux mobilier poussiéreux ne l’encombrait pas.
Skywalker s’assit sur une table face à eux.
— Vous vouliez me parler, lança le Jedi avant que Celric n’ait pu prendre la parole.
Le Polcaphréen déglutit avant de prendre la parole.
— En effet. Maître Skywalker…
— Appelez-moi Luke.
— Très bien, Luke. Je suis Celric, et voici Piotr, dit-il en désignant le jeune garçon à ses côtés. Et vous connaissez Mara, apparemment…
— On peut dire ça, répondit Skywalker avec un mince sourire. Comment va votre ami Karrde ?
Jade le fusilla du regard avant de répondre.
— Je l’ignore, répondit-elle finalement. Quand je suis partie, peu de temps après qu’il vous ait relâché, il envisageait de changer de base.
— Vous m’en direz tant…
— S’il m’avait écouté, il se serait épargné ces tracas.
Piotr et Celric échangèrent un regard perplexe.
— Je n’en comprends pas plus que toi, lui indiqua le jeune Galidréen.
— Mara appartient à un groupe de contrebandiers qui m’ont sauvé après un accrochage avec l’Empire, expliqua Skywalker sans quitter la jeune femme des yeux. Mais ils hésitaient sur la conduite à tenir ensuite ; me livrer contre une récompense ou me remettre à la Nouvelle République en gage d’amitié.
— Il y avait une troisième option, rappela-t-elle.
— Exact, acquiesça le Jedi en fermant les yeux. Vous y êtes toujours décidé ?
— Je
veux te tuer, fermier, lui lança Mara d’une voix glaçante.
Celric ressentit un frisson dans l’échine en entendant ces mots.
— Attendez, attendez, calmez-vous !
— Je suis très calme, signala Skywalker.
— Il s’adressait surtout à moi, intervint Jade.
Elle se tourna vers ses deux complices.
— Je préfère que les choses soient claires entre nous, dit-elle. Je n’abandonnerai pas mon objectif, mais je veux bien accepter de le mettre de côté tant que nous n’aurons pas réglé la situation actuelle. Mais je préfère être franche avec lui.
— Vous avez donc besoin de mon aide, comprit Luke.
— Effectivement, approuva Celric. On a un problème.
— Du genre, gros problème, renchérit Piotr.
— Oui, c’est ça.
— Cela concerne maître C’Baoth, dit Skywalker.
Ce n’était pas une question.
— Tu as déjà compris ce qui se passait ici, devina Mara.
— J’ai perçu une perturbation au sein de la Force dès que je suis entré dans ce système, confirma le Jedi.
— Et tu es quand même venu ?
— Tu sais comment je suis, s’amusa-t-il en passant à son tour au tutoiement. Dès que je vois des ennuis, je m’y précipite.
Son visage se durcit légèrement et il reprit, avec une voix plus grave :
— Ce que j’ai senti était trop inquiétant pour que je m’en détourne. Il fallait que j’en sache plus… Alors je n’ai pas hésité et je suis venu. Je pense avoir une bonne idée de la situation, à présent.
— Et donc ? demanda Celric.
— La seule chose qu’il me reste à découvrir, c’est à quel point l’Empire est impliqué ici.
Le jeune Polcaphréen soupira.
— C’est donc si évident ?
— Des étudiants presqu’exclusivement humains, qui ont tous ou presque une démarche militaire… Il n’y avait pas besoin de gratter beaucoup pour comprendre. Alors ?
— Pour autant que je sache, l’Empire est impliqué au plus haut niveau, indiqua Celric. Financement, détection des candidats, mise en place de l’entraînement.
— Donc vous êtes des Impériaux.
— Je suis pilote de TIE, Piotr agent des forces spéciales…
— Aspirant, en fait, précisa le jeune garçon. Mais déjà plutôt bon au tir.
— …et Mara… Mara…
Il lui jeta un coup d’œil hésitant ; elle soupira, ostensiblement agacée.
— J’étais la Main de l’Empereur, Skywalker, lui asséna-t-elle avec force. Son agente personnelle, chargée d’accomplir
Sa volonté dans la galaxie toute entière. J’avais un statut inégalé au sein de l’Empire, et rares étaient ceux capables de remettre en cause mon autorité. Mais tout ça, bien sûr, j’en ai été privée par
ta faute.
Le Jedi acquiesça doucement.
— Je comprends mieux, à présent.
— Tu m’en vois ravie. Mais pour le moment, je suis une… Disons, une consultante extérieure.
— Au service de
qui ?
— De celui qui a recruté C’Baoth. J’étais censé préserver l’opération de
son intervention à lui, dit-elle en désignant Celric.
— Et vous êtes… ? demanda aussitôt Skywalker.
— Euh, eh bien, l’agent du Moff Poldrei, dit-il avec un sourire gêné. Envoyé ici pour intervenir quand la situation se gâtera, à ce qu’il m’a dit.
— C’est aussi ma mission, indiqua Mara. Neutraliser C’Baoth quand ça se révèlera nécessaire – mais le plus tard possible.
Le regard du Jedi se posa sur Piotr.
— Moi, je ne suis personne. Et je ne travaille en secret pour personne, se défendit-il. J’suis réglo.
— Donc, si je résume, deux pontes impériaux en lutte pour le pouvoir ont chacun envoyé un intervenant doté de la même mission pour venir à bout d’un problème qu’ils ont eux-mêmes créé ?
— C’est plus ou moins ça, confirma Celric.
— De la politique impériale classique, en somme.
— Rigole toujours, Skywalker, maugréa Mara. Le problème est bien réel et il dépasse tout ce qu’ils pouvaient craindre. C’Baoth est incontrôlable. Et ça empire de jour en jour...
— J’ai remarqué ça.
Le Jedi bascula légèrement en arrière ; ses traits lui donnaient un air mélancolique bien prononcé.
— Je suis parti sur Dagobah pour trouver un grand guerrier… Et j’ai trouvé maître Yoda.
Yoda ? Le cœur de Celric s’accéléra brièvement.
Le Jedi des légendes ? Il a vraiment existé ? — Là, je viens sur Jomark pour trouver un maître Jedi… Et je tombe sur maître C’Baoth… Qui a malheureusement perdu la raison.
— S’il l’a jamais eue… marmonna Tavill.
— C’était un grand Jedi, autrefois, assura Skywalker. Les archives mentionnent plusieurs de ses actions… En fait, elles résument sa carrière jusqu’à son départ à bord du
Vol vers l’Infini. Je crois que c’est là que tout a dégénéré ; quand ses coreligionnaires sont morts, la douleur ressentie via la Force a dû le rendre fou.
— Ne te torture pas les méninges avec ça, lui lança Mara. Celric a raison. Ce C’Baoth-là n’a jamais été sain d’esprit. Il n’a même jamais mis un pied à bord du
Vol vers l’Infini. C’est un clone.
— Il n’en demeure pas moins un être vivant.
— Ça, c’est pas sûr, intervint Piotr. Vous l’imaginez manger, ou dormir ? Pire encore, vous le voyez avec une madame C’Baoth à la maison ? Moi ça me foutrait les jetons. Pire que les Hutts. Eux, au moins, ils se reproduisent tous seuls.
Face aux regards perplexes des trois autres, il ajouta, sur le ton de l’excuse :
— Il fallait bien détendre l’atmosphère. De rien !
— Nous avons besoin de votre aide, Luke, reprit Celric sur un ton plus grave. Sans vous, nous ne serons pas en mesure de contrer C’Baoth.
Comme le Jedi hésitait, il ajouta :
— Vous êtes notre seul espoir.
Skywalker baissa la tête, les yeux fermés.
— Entendu, dit-il finalement en se redressant. Mais nous ne le tuerons pas. Mara, sais-tu s’il serait possible de mettre la main sur des ysalamiris ?
— Des quoi ? demanda Piotr.
— Des ysalamiris, répéta Jade. Des créatures arboricoles sessiles originaires de la planète Myrkr, qui neutralisent la Force dans une bulle restreinte…
— Alors ?
— Eh bien, non, je n’en ai pas. Mais Thrawn en a emporté des centaines. Peut-être même quelques milliers. Il les a sans doute installés quelque part… J’ignore où.
— Il y a des paralyseurs dans le stock d’armes que j’ai amené ici avec Narghom, indiqua Piotr. On pourrait sans doute y trouver de quoi neutraliser C’Baoth.
— Surtout qu’on ne l’a jamais vu en possession d’un sabre laser… marmonna Celric.
— Sa maîtrise de la Force lui permet de ne pas y avoir recours, dit Skywalker. Mais peu importe…
De son regard grave, il sonda tour à tour Mara, Piotr et Celric.
— …de toute façon, nous devrons combattre.
* *
*
Comme il l’avait promis, après le repas, C’Baoth les retrouva dans la salle du trône.
C’était une pièce d’apparat, et pourtant elle faisait preuve d’une certaine austérité. Toute de pierre bâtie, elle laissait apercevoir les jointures entre les blocs et dans le dallage. Pourtant, ce qui aurait pu être considéré ailleurs comme rustique était ici une marque d’élégance solennelle. L’objet symbolisant le plus cette ambiance étrange était sans conteste le trône majestueux
Pendant tout l’après-midi, C’Baoth mena ce qu’il appelait « le véritable devoir des Jedi ». Il ne s’agissait de rien de plus qu’une succession de jugements rendus sur les querelles qui divisaient les habitants de la petite colonie voisine. Des disputes qui, de l’avis de Celric, étaient souvent d’une banalité affligeante. Sur Polcaphran, on aurait sans doute réglé ces conflits de voisinage à l’amiable, ou, dans le pire des cas, avec un passage par la véloce cour des affaires civiles, réputée pour son efficacité ; mais ici, sur Jomark, tout semblait devoir passer par le Maître du Haut Château, Joruus C’Baoth.
Celric mit un certain temps avant de s’intéresser aux jugements rendus par le clone. Il songeait à cet échange avec Skywalker, et à tout ce qu’il impliquait ; des responsabilités écrasantes, pour un jeune homme de son âge. Mais peu à peu il reporta son attention sur les affaires et se mit à les analyser. Son avis ne recoupait que rarement celui de C’Baoth, qui basculait inlassablement de la compassion marquée à une forme de cynisme malveillant.
Enfin, alors que l’astre solaire entamait sa plongée sous l’horizon, C’Baoth se leva et alla se placer à la gauche de son trône.
— Jedi Skywalker, lança-t-il alors, le dernier jugement de la soirée te revient.
Luke hésita un instant, puis se détacha du groupe pour grimper sur l’estrade où il prit place dans le majestueux fauteuil. D’un signe de la main, il fit signe aux deux justiciables d’avancer et de raconter leur histoire.
Il s’agissait, une fois encore, d’un bête différent agricole, une dispute futile à cause d’une bête de somme affamée qui avait fait quelques dégâts dans le champ voisin. Mais Skywalker écouta le plaignant et l’accusé, tour à tour, laissant à chacun le temps de développer ses arguments. Et lorsqu’il s’exprima finalement, ce fut avec calme et clarté.
— Mon jugement est le suivant, commença-t-il. Pour les arbres fruitiers endommagés, vous paierez leur remplacement, dont le montant sera évalué par le conseil du village. Concernant la barrière, j’examinerai moi-même sa solidité demain pour déterminer l’importance des dégâts et à qui la responsabilité en incombe.
Son jugement sembla satisfaire les deux hommes qui, après s’être inclinés, sortirent de la salle avec hâte. Mais quand C’Baoth, désormais seul avec ses élèves, reprit la parole, il se révéla d’un tout autre avis.
— Je me demande, Jedi Skywalker, si vous m’avez écouté ces derniers jours, dit-il d’un ton aigre.
Luke ne se laissa pas démonter.
— Avec beaucoup d’attention, répondit-il avec une légère pointe d’impertinence.
Que C’Baoth l’ait perçue ou non, il reprit, hargneux :
— Vous aviez tous les éléments sous la main pour régler immédiatement cette affaire. Il suffisait de plonger dans leurs esprits pour les en extirper. Vous auriez dû couper court à la discussion et prendre vous-même une décision. Telle est la voie des Jedi.
— Les Jedi n’ont pas à lire les pensées des gens, contra Skywalker.
— Vous vous méprenez. Comment auraient-ils pu contrôler, à son apogée, la galaxie toute entière sans faire appel à leurs pouvoirs ? Nous avons le droit d’y faire appel pour faciliter notre tâche.
— La voix des Jedi n’est pas la facilité, maître C’Baoth, mais la patience. Emprunter la voie la plus courte, la plus rapide pour échapper au juste effort, c’est se jeter dans les bras du Côté Obscur…
À ces mots, le regard de C’Baoth se transforma légèrement ; ses pupilles se dilatèrent, comme s’il voyait Skywalker sous un jour nouveau. Ses lèvres se tordirent et, un court instant, il sembla prêt à agonir d’injures l’insolent qui lui faisait la leçon. Mais, quand il s’exprima finalement, ses paroles étaient à peine plus audibles qu’un chuchotis.
— Vous avez encore beaucoup à apprendre sur la Force, Jedi Skywalker…
Et il se détourna d’un geste vif, avant de s’éloigner, sa cape flottant derrière lui. En le regardant disparaître, Celric eut le sentiment que la lutte contre le Jedi Fou venait tout juste de commencer.