Le sang se révélait bien tenace. Des traces demeuraient sous ses ongles, ou bien dans une partie de ses cheveux.
L’état de ma coiffure d’ailleurs… Heureusement que la cuirasse était noire… Les souvenirs de ce qu’elle venait d’infliger resurgissaient. Six individus. Tués. A main nues. Plus ces deux soldats. Mais ses mains constituaient de vraies armes à présent. Ce qu’elle aurait pu infliger à ces deux jeunes si jamais elle… N’avait fait quoi au juste ? En dehors de ce combat, sa manie d’analyser son environnement et les personnes qui l’entouraient ne venait pas d’elle. Est-ce que son blocage en apercevant cette jeune adolescente se révélait du même acabit ? Une programmation l’empêchant de s’en prendre à des cibles trop jeunes ? Elle avait bien attaqué le garçon pourtant… Mais l’urgence de trouver des réponses à leur fournir précipitait le reste.
M-824 était parvenue à fuir les prémices de cet interrogatoire, ce jeune plus débrouillard que prévu l’amenant dans un appartement abandonné. Leur squat, qu’il indiquait sûr. Il ne possédait aucun intérêt à lui mentir après tout. Le prétexte du besoin de cette toilette rapide se révélait bien assez légitime pour qu’il y croie. Et sa programmation, son logiciel, ou peu importe, avait bien fait de trouver un moyen de fuir ces questionnements provoquant ces migraines de nouveau.
Comment t’appelles-tu. Qu’est-ce que tu fais ici. Pourquoi nous avoir aidés. Pourquoi porter un uniforme de l’Empire. Tiens, l’Empire. Ces soldats appartenaient à un régime impérial. Mais un jeune de cet âge ne se contenterait pas d’esquive plus longtemps avant de la fuir. Et elle avait besoin de réponse. Ce miroir ne possédait pas de port comme le précédent. Cette contemplation-ci ne lui apporterait rien d-
Là, dans le coin ! Elle se précipita en direction du port identique au précédent. Mais comment faire…
Sa main gauche réduisit la distance, approchant avec une lenteur craintive du câble pour qu-
Aïe !La connexion se produisit de suite. Son poignet venait de libérer son propre port pour se joindre.
Que reste-t-il de ma vraie main en dessous de- Connexion en cours. Des bribes d’informations défilaient sous ses yeux, et non en se projetant sur une interface cette fois-ci.
Planète Primangat, bordure extérieure. Cité d’Hormagal. Le reste rejoignait les déductions qu’elle s’était fait en arpentant la ville.
Planète vivant de l’industrie, le secteur du commerce davantage limité. Emprise de l’Empire galactique. Pourquoi pareille organisation politique avait besoin de maintenir sa présence ici… Pour le complexe ? En existait-il d’autres ?
Accès refusé. La légion déployée sur Primangat a mis en place un blocus visant à suspendre le trafic holonet. Seul un dispositif intranet demeure actif, sans accès hors monde ou hors cité. Accès à l’unique réseau d’Hormagal. Informations sur les buts de l’Empire. Accès en cours. Empire, primauté de souveraineté sur les mondes indépendants. Collaboration interrompue avec Primangat car infructueuse. Loi martiale décrétée. Garnison d’un peloton complet sur Hormagal. Des tas d’informations plus spécifiques continuait de défiler, mais le constat se révélait pour le moins clair. L’Empire était l’ennemi. Tenter de se dissimuler en leur sein lui retomberait dessus. Ils voulaient s’en prendre à elle dans le complexe, et ne pourrait s’y infiltrer sur la longueur sans une fausse identité impossible à acquérir. Il fallait donc faire profil bas ici, en compagnie de ces jeunes, espérant quitter cette planète. Le tout consistait à apaiser la curiosité de ces deux hôtes dont la curiosité resurgirait bien vite…
*****
— Je comprends qu’avoir du sang partout, ça doit pas être fun, lui répondit le jeune.
Il démontrait davantage de contenance qu’il n’en possédait réellement, cherchant à afficher plus d’assurance que nécessaire. Ce besoin de l’impressionner ne servait aucun intérêt. Mais en révélait à son sujet pour elle. Au moins acceptait-il ses remerciements.
— J’ai eu de sacré ennuis avant d’arriver en ville, sans savoir ou bien me rendre, et… On connait tous la suite, conclut-elle en affichant son air le plus conciliant.
Un geste simple lui répondit. Le jeune l’invita à s’affaler sur l’un des fauteuils du salon. Le regard de M-824 ne se perdit qu’un instant sur cet endroit. Un désordre soigneux. Ils habitaient ici depuis un moment, sorte de destination privilégiée. La salle de bain lui avait révélé des affaires appartenant à deux jeunes adolescents, mais également à des individus plus âgés. Mais ils se comportaient comme s’ils se trouvaient seuls. Un endroit abandonné à première vue, mais en s’attardant, elle voyait bien que chaque chose semblait pile à sa place malgré tout. L’odeur de renfermé ne perçait pas, une preuve de plus s’il en fallait.
Elle laissa des pas mesurés accepter l’invitation polie, adressant un nouveau sourire à la jeune fille, tandis que le jeune ne la quittait pas du regard. Sa sœur l’imitait, sans toutefois prononcer le moindre mot. Elle ne l’avait pas fait depuis qu-
— Ma sœur est muette, lâcha-t-il avec une désinvolture révoltante.
Il ne se montrait pas grossier. Mais la femme ne pouvait s’empêcher de vouloir lui faire abandonner ce ton bagarreur et impertinent. Il ne cherchait que des ennuis à agir ainsi, et se serait ensuite comporté comme s’il était la victime… Si prévisible… Seule une contenance inconnue l’en empêcha. Reprendre l’initiative.
— J’imagine bien vous avoir pris de court tout à l’heure, déclara-t-elle. Je m’excuse pour vous avoir violenté. Vraiment, ça s’est passé si vite. Sous le coup de l’action, je… Je n’étais plus moi-même je crois… Je suis désolée.
Les yeux du jeune se dirigèrent vers sa sœur, avant de rouler jusqu’au plafond devant l’injonction silencieuse qu’elle lui adressait.
— Comment tu t’appelles ? relança-t-il.
Il est plus poli de dévoiler soi-même son nom avant de demander celui d’un inconnu ! Mais trouver une parade, autre que de déclarer Modèle 824…
Extrapolation.— Mhoxa, répondit-elle sans s’en rendre compte.
La jeune fille comblait le silence de son frère en claquant des doigts pour l’interpeller. Ajoutant cette fois des signes à son regard inquisiteur.
— Moi c’est Kassal, et ma sœur c’est Liin.
Liin, un si joli prénom pour une mignonne jeune fille. Le simple fait de poser ses yeux sur elle relevait d’une invitation sur un nuage.
— Vous ne vivez que tous les deux ? s’interrogea-t-elle.
— On se débrouille seuls depuis la mort de nos parents. C’est comme ça ici, et si vous n’le savez pas, ça veut dire que vous venez d’ailleurs.
Au moins est-il passé à un vouvoiement. Pas que j’ai l’âge d’être leur grand-mère, mais… Quel est mon âge d’ailleurs…— Je ne suis pas d’ici effectivement, parvint-elle à répondre, retenant son amusement devant la réprobation que Liin adressait à son grand frère.
Le silence suivant fut ponctué d’un échange de signes incompréhensibles. Ces deux là possédaient leur propre langage, manière informelle de communiquer. Ces signes courts, vifs et nerveux. Ou bien cela traduisait-il l’état d’esprit de celui les effectuant ? Le jeune Kassal sembla s’incliner devant sa petite sœur. Une nouvelle fois. Elle lui adressa une douceur précieuse à travers son sourire, avant qu’elle ne se presse sous sa couverture.
Elle doit être épuisée la pauvre… Un long silence se poursuivit, le jeune Kassal s’efforçant de dissimuler ses regards furtifs d’une bien piètre manière, Mhoxa prétendant elle aussi contempler la jeune Liin finalement trouver le sommeil
— Vous faites quoi ici alors ? reprit-il en parlant plus bas.
— Je… Pour être honnête, je l’ignore. Je ne connais pas grand-chose de cet endroit… Je venais d’une ville plus au sud, attaquée par l’Empire. Je me souviens de m’être défendue contre les stormtroopers, avant de prendre un vilain coup sur le crâne. A mon réveil, l’attaque se trouvait terminée, et j’étais la seule encore en vie…
Un mensonge contenant assez de vérité pour paraitre crédible. Mhoxa n’avait pas le cœur à se perdre dans un dédale de fils tortueux pour dissimuler le plus d’information possible. Le jeune devait dégager suffisamment de sincérité pour y croire.
— Et toi ? Que vous est-il arrivé po-
Un bruit de fond presque imperceptible la réduisit au silence. Des petits gémissements, courts. Cela venait… De la jeune fille… Sans chercher plus loin, Mhoxa se sentit bondir du fauteuil pour se rapprocher d’elle, l’observant en pleine lutte, prisonnière de songes oppressants. Sa main dégagea le haut de la couverture avec une délicatesse étudiée.
— Chut, ce n’est rien, c’est fini, murmura-t-elle dans un souffle doux.
Sentant que le jeune derrière elle n’appréciait que très peu la situation, des mots se formèrent dans son esprit.
Loin dans la prairie
Portée par la brise
On se l’était dit
Liberté promise
Toujours séparés
On s’est retrouvés
Ensemble pour la vie
C’est donc accompliMhoxa compléta ses paroles en laissant ses doigts se perdre dans la chevelure de jais de la petite fille. Que cette caresse délicate lui confère la chaleur lui faisant défaut.
— C’est beau…
L’intervention de Kassal la poussa à se retourner vers lui. Il ne se trouvait plus sur ses gardes.
Conquit lui aussi, alors que je n’ai pas l’âme d’une chanteuse. De cette berceuse que je…— C’est ce que je chantais à ma fille lorsqu’elle ne trouvait pas le sommeil.
Je… D’où… Ma fille ? La migraine la saisissant se voyait chassée par une douceur faisant trembler sa lèvre un court instant. Son cerveau consentait aux efforts demandés, mais rien ne venait. La certitude ne s’évacuait cependant pas. Il ne s’agissait pas de programmation.
L’effet ressentit. Ce que j’éprouve. C’est réel. Je ne sais pas encore ce que j- Le chemin de sa pensée prit fin devant l’attitude du jeune garçon. Sa propre perturbation le prenait au dépourvu. Ce qu’il voyait à travers tout cela, ce qui se dégageait du comportement désarmé de cette étrangère… Il jeta un simple coup d’œil vers sa sœur, désormais libérée de la meurtrissure la poursuivant jusqu’au sein du royaume sanctuarisé. Avant de le pousser à retrouver sa place, indécis. Mhoxa elle aussi retrouva son fauteuil.
— Je m’excuse pour ce que j’ai dit plus tôt, bredouilla Kassal dans une maladresse touchante. Et pour vous avoir mal parlé en arrivant ici, alors que vous nous avez tiré des ennuis.
Où se trouvait le jeune impertinent de tout à l’heure ? Il n’avait jamais existé. Du moins autrement que pour dissimuler ce jeune garçon abandonné et dépassé par la charge qu’il subissait. Cette occurrence maternelle venait de faire voler ses barrières en éclats plus aisément que n’importe quelle autre tentative.
— Tu ne peux t’en vouloir pour avoir ignoré certaines choses, lui dit-elle pour chasser ce trouble. Agir pour protéger ce qui nous est cher relève rarement d’une erreur, je t’assure.
Et d’où est-ce que cela provenait aussi ? Kassal peinait à soutenir son regard à présent, alors qu’elle le recherchait plus que jamais.
— Pourquoi l’uniforme alors ? parvint-il enfin à formuler.
Tout était bon pour se départir de ce que son comportement laissait présager…
— Il s’agissait de celui que portait ma dernière victime là-bas, révéla-t-elle. Je m’en suis emparé pour éviter les ennuis, le temps de trouver un endroit au calme. Pour le peu que cela m’a servi, conclut-elle pour amoindrir la portée violente de son geste.
Elle arracha un léger rire de ce jeune garçon. Une occurrence forte à propos pour en profiter. Non pas pour obtenir toujours plus d’information. Mais pour délester un adolescent esseulé, laissé pour compte avec ses meurtrissures qu’il se refusait à partager avec sa sœur. L’évidence même pour Mhoxa. L’emprise que Liin semblait exercer sur son frère constituait une manière de capituler, pour éviter d’évoquer certaines choses.
— Que vous est-il arrivé à tous les deux ?
La chaleur qu’elle venait de lui adresser fit fondre le mur de glace qu’il tentait d’ériger. Son hésitation ne pouvait s’éterniser devant le regard qu’elle lui témoignait.
— Je… On a toujours vécu à Hormagal avec nos parents. Mon père s’occupait du bazar de pièces détachées au coin de la rue. On n’a jamais causé de problème. Je travaillais avec lui, pour apprendre ce qu’il fallait. Pour reprendre la boutique, un jour. Une vie paisible, comme beaucoup de gens ici. Avant que l’Empire n’arrive.
La courte pause qu’il marqua poussa Mhoxa à se vêtir de son apaisement le plus sincère. Une piètre récompense pour qu’il se laisse aller…
— C’était vivable, au début… Mais pas pendant très longtemps. Un jour, les storms sont descendus au bazar, alors que ma mère venait de ramener Liin du lycée professionnel. Elle venait de remplir les formulaires pour l’école supérieure, en espérant la médecine plus tard. Mes parents ont toujours fait ce qu’il fallait pour lui garantir un avenir, fit-il avec un sourire se perdant dans ses paisibles perspectives. Liin le mérite, plus que n’importe qui. Enfin, c’était avant, lâcha-t-il en rebasculant dans une optique plus sombre. Vous l’avez remarqué, des groupes de racailles tentent de s’afficher. Des petits trafics entre différentes cités. Tous des salauds, mais rien de trop grave. Mais c’était comme si la venue de l’Empire les motivait encore plus à faire leurs affaires. Les storms ont dit que le bazar servait de couverture pour des opérations de gang, car ils avaient reçu un tuyau. Mon père disait qu’ils n’avaient pas le droit de retourner sa boutique sans preuve ni mandat, et qu’il n’avait rien à voir avec tout ça. C’était vrai. Mon père ne savait pas qu’il avait engagé le type lié au gang pour lui donner une chance. Cette ordure avait replongé dans ses trafics. Ma mère nous a poussés à partir quand le ton montait, m’ordonnant de veiller sur Liin et de rentrer à la maison. Mais je me suis arrêté en cours de route. Je ne pouvais pas partir, pas sans…
Il frotta sa main contre l’autre, avant de chercher à l’écraser de toutes ses forces. La vulnérabilité de Kassal faisait peine à voir. C’est au moment même où Mhoxa ne comptait plus résister à l’injonction de venir l’apaiser lui aussi qu’il reprit le fil.
— Pour envoyer un message, mes parents ont été pendus en même temps qu’ce sale type, lâcha-t-il, retenant les tremblements se précipitant dans sa voix. Pour l’exemple, qu’ils avaient dit. Pour rien surtout ! Pour qu-
Il s’interrompit de lui-même, les mouvements de sa sœur dans son sommeil relevant d’un signal suffisant pour le calmer.
— Depuis, on s’débrouille. On pique ce qu’on peut des impériaux pour survivre. Pour Liin. En attendant le jour pour agir contre eux…
Voilà bien des choses qu’elle n’avait pas soupçonnées. Qui avaient besoin de sortir, peu importe que ce jeune garçon contienne toujours une émotion qu’il conserverait, certainement à vie. Enfin, ce jeune homme presque. Mhoxa devait fournir un effort pour comprendre que ces deux jeunes étaient plus que des enfants. Kassal, aussi grand qu’elle, devait avoisiner les 17-18 ans, Liin n’ayant que deux ans de moins. Mais tout comme sa sœur plus tôt, Kassal n'était rien de plus qu’un enfant à ses yeux.
— Je pense que j’ai besoin de me coucher moi aussi, reprit-il. Mais vous pouvez rester ici. Aussi longtemps que vous voulez.
— Merci Kassal, lui répondit-elle dans l’instant, ne voulant pas laisser le silence ponctuer son geste bienveillant. Je pense qu’une nuit de sommeil nous fera du bien, à tous. Et peut-être que nous pourrons discuter un peu plus demain ? proposa-t-elle ensuite.
La chaleur avec laquelle elle compléta sa phrase étira tout juste les lèvres de ce jeune meurtri. Une image valant la peine. Mhoxa changea de position sur son fauteuil, sentant elle aussi que le besoin de repos se faisait sentir. La réalité la rattrapait en ce début de soirée étrange. Pas un rêve, ni un cauchemar.
J’avais une autre vie avant tout cela. Il ne s’agit pas de programmation ou de choses implantées. Cette férocité et cette capacité d’analyse sont nouvelles, certes. Mais ces émotions en voyant ces deux jeunes… Les réponses viendront peu à peu. Je dois partir d’ici. Mais pas sans se charger d’un autre problème. Cet Empire, ce qu’il a commit, et continue de faire peser sur ces gens. Sans compter ce qu’il lui avait infligé, la plaçant dans cet état par des expériences douteuses. Ce régime a levé la main sur de pauvres innocents, qui n’ont plus personnes sur qui compter. Mais plus maintenant. Demeurer en sécurité, ne pas prendre de risques inconsidérés ? L’injonction de cette étrange programmation se révélait bien faible face au refus de la passivité.
*****
— Que tu dormes propre ? Ah non, que tu dormes mieux ! se corrigea Mhoxa.
Liin lui répondit d’un hochement de tête amusé. La jeune adolescente aimait la taquiner à chaque fois qu’elle se trompait, innocence plaisante. Et de toute manière, Mhoxa progressait de jour en jour. Elle s’était surprise à dégager les rudiments de cette manière de communiquer, mais il fallait croire que sa programmation lui donnait toujours un coup de pouce compte tenu de sa rapidité d’assimilation.
— Je suis contente pour toi, lui répondit-elle, tentant de joindre les gestes à la parole.
Un simple entrainement, car Liin n'était pas sourde pour autant. Mais en plus de constituer une activité à même de tuer le temps, il s’agissait de cette sensation.
Me sentir… Heureuse ? Mhoxa s’interrogeait quant à sa présence ici. L’impression d’être elle-même lorsqu’elle se trouvait en compagnie de ces deux jeunes. Que cette programmation et son incertitude se révélait bien loin. Le besoin de réponse demeurait, mais il faisait bon de se réchauffer auprès de ces douces flammes délaissées.
— C’est parce que tu sais pour la chanson ? décrypta-t-elle de Liin. Quelle chans- Ah, je vois… Ce n’est rien, lui répondit-elle devant le remerciement bouleversant qu’elle lui adressait.
Mhoxa veillait sur Liin chaque nuit depuis quelle se trouvait ici. Kassal prétendait le contraire, mais la tête qu’il affichait à son réveil révélait des songes peu apaisants de son côté également. Mais lui se refusait à le dévoiler. Il persistait à conserver ces choses pour lui.
Il n’a pas encore l’âge d’affronter le monde adulte, mais la vie lui a déjà infligé de quoi annihiler sa part de joie propre à son âge. Pour que sa jeune sœur puisse en jouir… Une des premières choses que Mhoxa avait dégagé.
Dans son innocence lumineuse, Liin lui avait partagé sans peine l’accident qu’elle avait eu étant petite, elle et son frère aimant chahuter dans l’atelier du bazar de leur père, alors qu’ils travaillaient jusqu’à très tard. Se courant après autour d’une perceuse à énergie accidentellement mis en marche, le rayon avait sectionné sa jambe ainsi que percé un trou dans sa gorge. Elle s’en était sortie de justesse, Liin acceptant même de lui dévoiler la cicatrice dans son cou. Le rayon ayant cautérisé la plaie dans l’instant, cela lui avait à la fois permis de rester en vie, mais de perdre ses cordes vocales à jamais. Pourquoi ils n’avaient jamais tenté de mettre la main sur un vocodeur, ou bien même une prothèse en meilleur état, Mhoxa l’ignorait. Le manque de moyen ici ?
Elle préférait reléguer cette question à plus tard. Ces deux jeunes cherchaient peut-être à préserver leur manière de communiquer malgré tout le reste… Car la jeune fille ne s’en faisait pas. Elle ne laissait pas cela la miner, arguant qu’elle aurait pu perdre davantage. La perte de ses parents la minait, mais Mhoxa la comprenait davantage. Un idéalisme chaleureux, pour tenter de croire au meilleur possible. Son frère avait insisté pour créer ce langage à base de signes.
La culpabilité en plus du reste… Le jeune Kassal portait le poids de sa maladresse sur ses épaules, comme s’il se pensait coupable d’avoir nuit à sa sœur. Voilà pourquoi il se négligeait, pour qu’elle puisse se sentir le mieux possible. Le pauvre n’avait pourtant pas besoin de cela…
Une douceur heurta sa cuisse, la ramenant à la réalité. Liin tentait de communiquer avec elle, mais Mhoxa se trouvait bien loin d’ici…
— Excuse-moi, je pensais à autre chose, bredouilla-t-elle en étirant ses lèvres. Quoi, moi, gentille ? déchiffra-t-elle. Je crois que tu mélanges certaines choses Liin…
Elle l’empêcha de détourner son regard. La jeune fille insistait sur ce qu’elle voulait lui déclarer.
Elle me croit sincèrement aimante. Mais c’est parce qu’elle ne m’a pas vu commettre ces atrocités…— Sans compter ce dont je ne me souviens pas, je sais que j’ai fait du mal Liin. Tu ne dois p-
Ça ne compte pas. C’est pour protéger des innocents. Son souffle trembla devant ce que cette jeune fille encore inconnue il y a quelques jours lui affirmait, autant avec ses mains que ses doux yeux plissés. Le regard pétillant avec lequel elle la contemplait, comme une personne spéciale, alors que… Ce n’était tout bonnement pas le cas.
La porte de la salle de bain s’ouvrit pour laisser Kassal revenir dans le salon.
Et puis, il faut bien que quelqu’un agisse pour veiller sur mon idiot de frère, précisa Liin dans une déclaration les faisant glousser sans retenue.— J’ai quelque chose de bizarre ? s’interrogea le jeune adolescent.
— Non, ce n’est pas ça, balaya-t-elle. Je m’habitue de plus en plus à ta création de langage si raffinée…
— Ah… Eh bien… Content que tu apprécies, bredouilla-t-il sans bien savoir quoi répondre.
La main de Liin se posa de nouveau sur sa cuisse, pour la forcer à rejoindre son regard dans une manifestation l’attendrissant plus encore. Un simple signe accompagné d’un sourire, et elle se leva pour se diriger à son tour vers la salle de bain.
— Ce n’est pas souvent qu’on a de l’eau chaude en quantité, déclara Kassal après s’être laissé tomber dans le fauteuil en face d’elle, sa réparation terminée. Mais ma déviation tient bon cette fois.
Débrouillard, il l’était. Mhoxa l’avait vu à l’œuvre, tentant de faire fonctionner le moindre élément dans cet appartement à l’abandon, le rendant bien plus agréable que son état initial le laissait penser.
— Il va bientôt falloir s’occuper de faire les courses comme il faut, reprit-il. J’dis pas ça pour te pousser, se défendit-il devant son regard interrogateur. Mais une bouche en plus, nos réserves se vident plus vite.
Après l’habitude du tutoiement, il peinait de moins en moins à soutenir son regard, et lui adresser la parole sans que le rouge ne lui montre aux joues.
— Je ne le prends pas mal, c’est bien naturel. Mais quel est le plan au juste ?
— Eh bien j’avais pensé à attendre la nuit, pour all-
— Non je veux dire le plan pour sortir de cette situation, l’interrompit-elle en douceur. Agir contre l’Empire.
— Ça, c’est plus compliqué…
Kassal lui avait déjà expliqué ce qu’ils faisaient pour les perturber au possible. Liin l’assistant à sa mesure, car il ne parvenait pas à la tenir à l’écart, son frère s’essayait au sabotage de canalisation, du système électrique. Agir à leur échelle, mais cela demeurait trop peu. Kassal répétait que c’était le temps qu’il se montre assez fort et doué avec un blaster, pour les attaquer comme ils le méritaient. La simple annonce avait fait bondir son cœur hors de sa poitrine métallique, espérant qu’il ne soit pas sérieux.
— Pourquoi personne n’agit contre eux ?
Le drame subit par sa famille avait découragé le peu de volontaires, Mhoxa le savait. Mais ce refus complet…
— Les gens préfèrent vivre leur vie, lâcha Kassal dans une désillusion heurtante. Ils ont peur que ça leur arrive… Et que s’ils se contentent de respecter les règles avec eux, tout se passera bien. Alors que c’est faux ! J’agirais bien, mais si Liin se retrouve seule… Et puis il y a ces bandes, reprit-il après une pause. Ils font leur trafic sous le nez des storms qui ne les en empêchent même pas, tant qu’ils ne sont pas anti-empire. J’suis sûr que certains s’arrangent entre eux, ces ordures…
Les civils devaient à la fois gérer les stormtroopers et les racailles. Leur passivité ne provenait pas de nulle part.
— Il va falloir que cela change, annonça Mhoxa en attirant le regard peu motivé de Kassal. De ce que j’ai vu, la garnison postée en ville n’excède pas la centaine de stormtrooper. Les autres garnisons sont situées bien trop loin pour qu’elles puissent se soutenir avec efficacité. La ville compte des milliers d’habitants. En s’y prenant habilement, on peut agir contre eux. Pas besoin de mobiliser toute la population, quelques dizaines bien motivées suffiront à pousser d’autres à agir. L’Empire est plus faible et isolé qu’on ne le pense ici, je t’assure.
Elle trouva le regard du jeune adolescent. Mhoxa l’avait vu afficher une fierté, pour compenser sa vulnérabilité. Des regrets, concernant sa petite sœur. De l’émotion, lorsqu’il avait parlé du sort de ses parents. Mais jamais elle n’avait imaginé pouvoir lui apporter de quoi se sentir de nouveau animé comme il l’était. Comme s’il venait simplement de se réveiller après un long sommeil.
— Comment on fait alors ? lui demanda-t-il avec une impatience aussi appréciable qu’inquiétante.
— Trouver des gens prêts à faire ce qu’il faut. Cela prendra du temps. Mais il suffit de convaincre la bonne personne en premier, pour se mettre sur la bonne voie.
— Je crois que j’ai pile le type qu’il faut, annonça Kassal d’un air réjoui.