Allez, on poursuit l'arc final ! Après ce chapitre, il n'y en aura plus que deux...
Chapitre 26 « Vous ne pouvez pas comprendre, pas plus que la sénatrice Amidala ! Comment imaginer ce que nous avons vécu sur Troiken, isolés du reste de la galaxie face à un ennemi plus nombreux, rusé, implacable ? C’est pour éviter que de tels drames se reproduisent que nous devons nous doter de cette armée qui tiendra les Séparatistes en respect. Jamais plus les forces de la République ne doivent être prises en otage. Jamais ! » Laslo Dorits, porte-parole de l’Assemblée des Vétérans de la Guerre Hyperspatiale de Stark, un an avant la bataille de Géonosis.
La fumée qui embrumait le pont retombait peu à peu, laissant voir le carnage du champ de bataille autour d’eux. La plupart des terminaux étaient hors d’usage ; des cadavres étaient étendus à plusieurs endroits, certains portant la tenue des FAR. Les médics de terrain des escouades s’affairaient sur les soldats en grand danger, mais l’un d’eux remarqua la blessure que Jagen portait au bras et s’approcha de lui.
— Occupez-vous des autres ! ordonna-t-il en leur faisant signe de s’en aller. Évacuez ceux qui peuvent l’être.
Les blessés, tels que le capitaine Salussa, touché à la jambe, n’étaient pas les seuls à quitter la passerelle; les quelques prisonniers menottés avec leur propre équipement de détention étaient escortés par les hommes encore valide. S’asseyant devant une console de contrôle des boucliers pour soulager sa lassitude, il suivit du regard Syal, sonnée, entravée mais indemne, qui se tourna une dernière fois vers lui avant d’être poussée hors de la passerelle. Ses yeux brûlaient d’une haine dont il s’étonna qu’elle ne puisse pas le foudroyer sur place.
— Elle est très sympathique, n’est-ce pas ? lança une voix pleine d’ironie dans son dos.
Il ne prit même pas la peine de se retourner.
— Ne me dites pas que vous aviez détecté son double-jeu…
— Si je n’avais pas mis au point un système de contact discret avec le capitaine Salussa, vous seriez prisonnier à l’heure qu’il est.
— D’accord, vous marquez un point, admit Jagen. Comment avez-vous contourné les brouillages ?
— En utilisant les fréquences ennemies avec du code
Dadita. C’est une ancienne méthode de communication mandalorienne… Rodan n’a pas transmis le moindre rapport depuis votre arrivée sur le croiseur. Quand Rihad m’a confirmé que vous n’aviez eu aucun ennui, j’ai compris qu’il y avait un gros problème en approche et j’ai préparé l’engin. Nous sommes arrivés à temps…
— Les pirates ne vous ont pas posé de problèmes ?
— Ils auraient bien voulu, mais vos escadrons ne les laissent pas suffisamment tranquilles pour ça. Nous parlions de Syal, je crois ?
— Écoutez, ne remuez pas le couteau dans la plaie… D’autant que si vous aviez eu le moindre soupçon sur elle, vous l’auriez dénoncée.
Vanya fit le tour de la console et vint s’asseoir à côté de lui.
— Peut-être que je n’avais rien, en effet. Mais dès le début, je savais déjà qu’elle ne vous apporterait que des ennuis. À moins, bien sûr, qu’elle ne vous ait donné suffisamment pour compenser ?
Il eut un rire sans joie.
— Tous vos sarcasmes ne suffiraient pas à me mettre en colère, lança-t-il, aigri.
— Vraiment ?
— Je crois bien que je ne suis plus capable d’éprouver quoi que ce soit, aujourd’hui…
— Vous voulez dire : depuis que votre supérieur et votre lieutenante vous ont trahi ?
— Quelque chose comme ça, en effet.
— Vous réagissez comme un enfant hyperémotif ! s’emporta-t-elle en se penchant sur le bras blessé du colonel pour lui appliquer un spray au bacta. Vous êtes colonel depuis deux ans, le deuxième homme des forces républicaines… Et, à présent, l’unique chef. Vous ne pouvez pas laisser vos sentiments pour cette garce vous briser comme ça.
La remarque piqua au vif Jagen, qui répliqua aussitôt.
— J’aurai réagi de la même façon pour n’importe quelle trahison venant de mes hommes de confiance, répondit-il d’une voix aigre. Et je ne vous permets pas de vous occuper de mes sentiments. Je ne vous ai pas questionné sur votre relation avec Salussa, que je sache ?
— Ma « relation avec Salussa » ? répéta Vanya, sourcils froncés.
— Oui ! s’emporta Jagen. J’ai tout vu ! Les regards complices, les rires échangés, les balades à deux… Et vous vous permettez de me juger ?
La jeune femme le regarda quelques instants avec un regard perplexe, puis eut une réaction à laquelle il ne s’attendait pas.
Elle éclata de rire.
Le son, incongru au milieu de ce capharnaüm encore empli de l’odeur acre des fumées du combat, attira les regards des quelques hommes valides qui s’affairaient encore. Jagen, lui, regardait son interlocutrice sans comprendre ce qui se passait.
— C’était donc ça ! laissa-t-elle échapper entre deux rires. C’est trop drôle !
Quand elle parvint à se calmer, ce fut pour afficher un visage illuminé de larmes mais tellement joyeux que Jagen sentit son cœur faire quelques bonds – bien différents de ceux qu’il avait éprouvés jusque lors.
— Alors, comme ça, ce qui vous inquiétait, c’était ce que Rihad… Enfin, ce que vous pensiez qu’il…
— Si vous me disiez où est la plaisanterie, je pourrais aussi en rire, suggéra Jagen d’un ton pincé.
— Eh bien… Si je m’en fie à ses…
exercices nocturnes en compagnie du docteur Ternesi, tu as plus de souci à te faire que moi à ce niveau-là, lança-t-elle avec un grand sourire.
— Oh.
Après quelques instants de silence gêné, il ajouta :
— Bon, j’ai vraiment merdé sur ce coup-là.
— Ce n’est qu’un symptôme du véritable problème ! poursuivit Vanya. Nous sommes ton équipage, et tu ne nous connais pas.
— Je…
Il avait l’impression que sa capacité de locution était réduite à néant ; le passage au tutoiement de la jeune femme le désarçonnait.
— Si tu avais discuté avec nous au lieu de rester enfermé dans ton rôle de supérieur hiérarchique, tu aurais su tout cela ! Tu aurais aussi compris que Rodan n’en avait rien à faire des autres et ne pensait qu’à sa petite personne méprisable…
— Un instant ! Tu m’as accusé d’hyperémotivité il y a deux minutes à peine, accusa-t-il en passant lui aussi au tutoiement.
— Les sentiments, la force de caractère… Cela n’a rien à voir avec la camaraderie. C’est elle qui différencie les bons chefs des planqués. Je pensais que Jango t’avait inculqué cette leçon…
— Mais je…
— Tu te contentais de regarder tes lieutenantes en te demandant laquelle tu pourrais mettre dans ton lit…
— Faux ! répliqua vivement Jagen. Je t’ai demandé de venir avec moi à ce bal, pour la nouvelle année…
— Et tu as prétexté avoir besoin d’un officier…
— Parce que j’avais peur de ta réaction ! s’emporta-t-il malgré la douleur.
— Mais ça ne s’est pas si mal passé, non ? Tu as fini la soirée avec cette…
— Il n’y a rien eu – Je répète : rien – entre Syal et moi. Même avant aujourd’hui, je sentais que cela n’aurait pas marché.
Vanya eut un sourire de contentement.
— Au moins, tous tes neurones ne sont pas grillés.
Il allait répliquer quand une secousse fit trembler le vaisseau de part en part. De sa main encore valide, il s’accrocha à son siège de fortune et parvint tant bien que mal à ne pas tomber.
— Je n’aime pas ça, lança-t-il quand la structure se stabilisa enfin.
— Moi non plus. Gallagher ? dit-elle d’un air inquiet dans son comlink à l’intention du chef de l’escouade qui devait rejoindre le pont auxiliaire. Gallagher ?
Il n’y eut que le crépitement d’une fréquence muette pour toute réponse.
— Vraiment pas, marmonna-t-elle en balayant la passerelle du regard à la recherche d’un terminal valide.
Elle finit par en repérer un, autour duquel étaient déjà affairés quelques techniciens. Jagen la suivit tandis qu’elle demandait des explications aux spécialistes, de plus en plus anxieux en voyant son visage se tendre à mesure qu’elle recevait des nouvelles décourageantes.
— Bon, voilà le topo, dit-elle en revenant vers lui. Un nouveau groupe de combat affilié à Stark est sorti de l’hyperespace sur l’autre versant de la planète, et il a l’air suffisamment conséquent pour que notre flotte n’ait aucune chance d’en réchapper. Par chance – si l’on peut dire – nous avons encore une bonne demi-heure avant son arrivée dans notre secteur, ce qui laisse le temps au vaisseau d’abordage de rejoindre le
Knight’s Blade. Autre problème, nos adversaires ont compris que l’
Opportuniste était passé sous leur contrôle, et ils se dirigent vers nous. Ils préfèrent nous massacrer que de se risquer avec Tinor, qui se défend plutôt bien, je dois l’admettre.
— Nous pouvons répliquer ?
— Nous pourrions programmer un tir automatique, en effet… Mais ça va prendre quelques minutes. Et il y a une autre solution… L’éperonnage.
— Excellente idée, approuva Jagen.
— Je plaisantais, répliqua Vanya, l’air choquée.
— Pas moi, répondit-il avec une voix où pointaient à nouveau les accents du commandement. Ce croiseur est perdu quoi qu’il arrive, alors autant qu’il emporte un maximum d’appareils de Stark avec lui. Ce sera toujours ça en moins… Faites décoller le vaisseau d’abordage. Je veux que nos chasseurs le couvrent jusqu’à ce qu’il soit à l’abri ; qu’il transmette ensuite l’ordre à Tinor de se retirer.
— Et nous ?
— Nous programmerons un cap d’interception, puis nous mettrons les voiles. Tentez de repérer où ont atterri les capsules des survivants de la flotte de Tarkin, nous tenterons de les rallier.
— Entendu, acquiesça-t-elle. Vous devriez monter à bord du transport… Vous êtes blessé, après tout.
Comprenant vite ce que l’air impassible de Jagen signifiait, elle soupira et transmit vite les ordres.
Le retrait du vaisseau d’abordage, qui avait percé les parois vitrées de la passerelle, les obligea à transférer les commandes principales dans les quartiers de l’amiral. Les seuls hommes restants, au nombre d’une vingtaine, se répartirent entre les programmeurs – occupés sur les terminaux – et les autres, qui préparaient les capsules de sauvetage. La moitié environ partit en direction des coursives arrières pour disposer de leurs propres engins d’évacuation, laissant l’usage de celle de Willspawn à Jagen, Vanya et aux techniciens.
— C’est prêt, annonça l’un d’eux après cinq minutes au cours desquelles le vaisseau avait été régulièrement secoué par les salves ennemies. L’
Opportuniste va aller percuter un gros cargo bourré de batteries… Ça va faire un joli raffut.
— Excellent, approuva le colonel en grimpant dans la capsule.
Ils envoyèrent l’ordre de confirmation à l’autre groupe, puis activèrent la séquence de lancement.
Jagen n’avait jamais employé de capsule de sauvetage en condition réelle avant ce jour, et son expérience se limitait à des simulations qui ne pouvaient reproduire les véritables sensations éprouvées dans de telles conditions. L’engin filait à toute vitesse vers l’atmosphère de Troiken sans leur laisser le temps d’apprécier la destruction de l’
Opportuniste.
C’est la troisième destruction de vaisseau que je subis¸ songea-t-il alors.
Il y a eu le Blood Angel
, puis le Freedom Messenger
… Il repensa alors à ce crash sur Korda et à ses conséquences, un sourire aux lèvres. Puis, pivotant légèrement la tête, il chuchota dans l’oreille de Vanya, assise à sa droite :
— Si nous nous sortons de ce guêpier… Pourra-t-on tout reprendre depuis le début ?
Elle eut un instant d’hésitation, puis, souriant à son tour, elle acquiesça.
Ragaillardi par cette perspective, il concentra à nouveau son attention sur la planète. Couverte aux trois-quarts de terres colorées dans des tons uniformes de brun-vert, Troiken n’était pas une planète belle à regarder comme pouvaient l’être d’autres mondes tels que Coruscant, Aldérande, Bespin ou Corellia. À l’instar de Ryloth, sa rotation très légère rendait la vie difficile à sa surface, sauf sur une zone médiane qu’ils essayaient à présent d’atteindre.
— On va tenter d’atteindre le mont Avos, annonça Vanya. D’après les signaux, c’est là que sont retranchés nos alliés.
— Alors programmez la zone d’atterrissage en léger décalage, ordonna Jagen. Derrière les lignes, qu’on ne tombe pas au beau milieu d’un groupe du Cartel.
— Ça ferait un peu de ménage, répliqua la jeune femme.
— Ouais, et une capture assurée. Ne t’en déplaise, tu as descendu le cher tonton de Stark. Je doute qu’il te le pardonne un jour…
— Tant qu’il ne le sait pas, je n’ai rien à craindre.
— Vrai, admit-il avec une moue embarrassée.
Et ce n’est pas de moi qu’il l’apprendra, tu peux en être sûre ! La capsule trembla légèrement, incitant Vanya à consulter ses écrans.
— C’est l’onde de choc, expliqua-t-elle quelques instants plus tard. L’
Opportuniste n’est plus qu’un tas de débris.
— Des dégâts pour nous ?
— Rien de visible… Accrochez-vous, nous allons entrer dans l’atmosphère.
Le passage dans les couches supérieures s’accompagna de la formation de quelques étincelles, qui devinrent très vite de véritables flammes de friction entourant le front circulaire du vaisseau. Plus inquiétant, la chaleur augmenta sensiblement.
— On a peut-être perdu quelques systèmes de survie, constata Vanya avec une grimace.
La verrière de proue ne montrait plus à présent que le sol aride de Troiken, dont ils percevaient de plus en plus de détails… Ils allaient vite, bien trop vite.
— Je vais redresser la trajectoire, annonça la jeune femme. Ça risque de secouer…
La manœuvre était salutaire et permit de rendre leur chute moins perpendiculaire, mais le choc fut tout de même violent. Malgré les ceintures attachées, ceux qui étaient assis furent projetés vers l’avant de l’appareil. Manque de chance pour Jagen, assis à tribord, ce mouvement projeta tout son poids sur le bras blessé, retenu par les sangles. La douleur, insoutenable, le fit plonger dans un néant salvateur.
* *
*
— Lieutenante, il reprend conscience…
— Laissez-moi passer. Jagen ? Jagen ?
Les yeux encore fermés, il entendit cette voix qu’il chérissait tant et voulut lui répondre.
— …Ai…ien…
Manifestement, non, il n’allait pas si bien que ça. Mais sa conscience s’éclaircissait un peu plus à chaque instant, et il ressentit bientôt assez de force pour ouvrir les yeux.
Ils étaient plusieurs penchés sur lui, et il pouvait clairement lire l’inquiétude qui hantait ces regards fixés sur son visage. Pour les rassurer, il tenta de se redresser, mais le sang lui monta à la tête, déroutant ses sens. Il interrompit son geste.
Parallèlement à cette expérience désagréable, il recouvra les sensations de son corps. La douleur qu’il éprouvait au bras droit était toujours virulente, mais il commençait semble-t-il à s’y accoutumer. Pendant son sommeil, on lui avait posé un nouveau bandage et le membre lui-même était attaché à son cou par une minerve. Il avait un autre point de douleur, très concis, au niveau du postérieur.
— Une piqûre d’adrénaline, lança Vanya comme pour répondre à sa question muette. Savoure-la bien, je n’ai pas beaucoup.
— Ça ira, merci. Combien de temps suis-je resté dans cet état ?
— Une vingtaine de minutes. Je me suis occupé de toi, puis je suis allé observer la bataille. Tinor est parvenu à se replier.
— Bonne nouvelle. Alors, on fait quoi ?
— Comme prévu, on va tenter de rejoindre le mont Avos. Ma petite manœuvre nous a amenés à une dizaine de kilomètres des pentes arrières du pic, ce qui nous laisse trois heures de marche environ devant nous.
— Nous sommes bien du bon côté ?
— Fort heureusement, au point le plus éloigné possible des forces de Stark.
— S’il n’a pas déjà encerclé toute la montagne… rappela alors un des soldats.
— J’ai déjà tranché le débat, répliqua vivement la jeune femme. Il n’ a pas les forces nécessaires pour une telle opération. Surtout quand des Jedi sont dans le lot.
— Sommes-nous sûrs qu’il y en a ? demanda Jagen. Ils n’étaient pas avec Tarkin. Ils ont peut-être réussi à s’échapper…
— Pour aller où ? Les naviordinateurs sont hors-service. Non, s’ils sont encore en vie, c’est au mont Avos que nous les trouverons.
Jagen grimaça légèrement à l’idée de la longue marche qui l’attendait, mais il tenta de ne rien laisser paraître et se leva doucement.
— Vous avez entendu la lieutenante, lança-t-il alors. En avant.
La première demi-heure ne posa aucune véritable difficulté. Le sol, balayé par les vents et les ruissellements depuis des temps immémoriaux, était plutôt lisse et praticable, ce qui facilitait leur progression. La pierre ocre était tiède au toucher, leur permettant de s’agripper sans problème pour gravir les obstacles.
Puis vint l’ascension de la montagne à proprement parler. Le terrain était devenu bien moins régulier ; cette partie de Troiken avait été exploitée par de nombreuses compagnies minières, et les gravats jonchaient encore les pentes de faible verticalité. Ils n’obstruaient pas le passage, mais leur grand nombre et leur petite taille en faisaient des supports instables, surtout lorsqu’un homme adulte se tenait dessus. Les chutes furent nombreuses, et Jagen n’était pas le dernier à tomber. Fort heureusement, il parvenait à chaque fois à se récupérer sur les genoux, les fesses ou la main gauche, ce qui le garda d’une trop grande douleur.
La progression du groupe était silencieuse. Même pour des hommes qui avaient connu au cours des deux dernières années un grand nombre de coups durs, les dernières heures étaient plus qu’éprouvantes. Le colonel faisait toutefois en sorte de ne plus y penser.
Son esprit était tourné vers d’autres considérations. Il était une fois de plus impressionné par l’incroyable diversité de la Galaxie. Depuis l’espace, Troiken ressemblait à des milliers d’autres objets célestes et ne semblait pas très attirante, mais au sol ce spectacle désolé revêtait une certaine magie sauvage qu’il ne pouvait s’empêcher d’admirer. S’il y avait bien un côté de son métier qui ne le décevrait jamais, c’était bien celui-là ; il adorait découvrir de nouveaux mondes, même si les conditions ne s’y prêtaient pas toujours, comme aujourd’hui.
Un seul autre sujet parvenait à le détourner de cet émerveillement. Vanya. Il repassa dans sa tête chaque mot de leur conversation sur le pont du vaisseau de Willspawn, et songeait à tout ce qu’impliquait ce dernier échange à bord de la capsule. Oui, il avait eu tort. Il n’avait pas eu le courage d’exprimer ses sentiments, et c’est ce qui avait détourné Vanya de lui… Cela dit, elle n’avait pas trahi non plus son éventuelle attirance, qu’elle avait confirmée à demi-mot un peu plus tôt. Mais la relation supérieur/subalterne, d’ordre professionnel, qui existait entre eux faussait cet échange. Ils étaient tous deux guindés dans un carcan, relégués à ne pas être égaux. Et cela juste parce qu’il sortait d’une école planquée au cœur du Noyau… Il voyait là une sorte d’injustice, eut égard au sort difficile de la jeune femme qui avait sans doute de meilleures compétences de commandement que lui sur le terrain. Une envie de révolte le prenait face à ce sort indésirable… Et pourtant, il gardait espoir, revenant à ce hochement de tête magique. Il avait encore une chance… Et il comptait bien la saisir.
Il ne lui restait plus qu’à survivre.
Le soleil se couchait quand ils passèrent dans l’ombre de la montagne. La lueur crépusculaire rendait les aspérités du terrain moins difficile à détecter, et Jagen n’était pas sûr de pouvoir repérer une éventuelle entrée arrière dans le réseau de mines creusé au cœur du mont. Une fois de plus, il chuta pour se recevoir sur les genoux.
Ce pantalon blanc était encore une idée formidable… Il se relevait avec précaution quand un hurlement glaçant déchira le silence du soir. Tous se raidirent en comprenant que la source du bruit n’était guère éloignée.
Vanya fut la première à en repérer l’origine.
— Là ! Sur ces rochers !
D’ordinaire, elle n’aurait pas pris le risque de révéler l’emplacement de sa cible à haute voix.
En l’occurrence, la « cible » se précipitait sur eux depuis la crête qui les surplombait, et le silence était donc leur dernière préoccupation.
C’était une bête de grande taille, sans doute plus de deux mètres au garrot avec une peau couverte d’écailles de la couleur de la roche environnante. Il ressemblait vaguement à un de ces petits lézards que Jagen observait avec plaisir sur les murs du domaine corellien de Tayrili pendant son enfance ; mais les yeux exorbités et les crocs saillants n’incitaient pas à la tendresse ou à l’amusement.
— À couvert ! Ouvrez le feu !
Les instructions de Vanya étaient excellentes, mais Jagen ne pouvait malheureusement pas les exécuter. Son holster était attaché à droite, hors d’atteinte de son bras gauche. La seule solution qui lui restait était la fuite.
De toute façon, les tirs ne semblaient avoir que peu d’impact sur la créature. Il comprit que, loin d’une fine peau de serpent, c’était une carapace presque minérale qui entourait cette bête de cauchemar. Et les armes de poing dérisoires des soldats ne pourraient rien face à cela.
Les autres semblaient l’avoir compris, car ils se mirent à détaler. Vanya s’obstina, mais Jagen la tira en arrière alors que le monstre venait de passer sous la barre des trente mètres de distance. Elle rechigna un court instant, puis commença à courir à son tour.
Jagen tenta de rester à son niveau, mais sa faiblesse physique se faisait sentir. Il avait mal, il était fatigué et il ne lui restait pour adrénaline que celle produite par la peur de la mort, qui n’était pas suffisante pour lui rendre toutes ses capacités.
Ils tentèrent de se disperser, ce qui désorienta la créature pendant quelques instants. Très vite, pourtant, elle choisit une nouvelle cible.
Évidemment, songea Jagen avec une pointe de résignation.
La proie la plus faible. Chien de Sith ! Il perdait du terrain à chaque instant, et l’acceptation de sa propre mort se fit de plus en plus présente dans son esprit. Quand elle ne fut plus qu’à quatre mètres, il se prépara à sentir les crocs se refermer sur son crâne ou son ventre. Dans une dernière résolution, il décida de ne pas tourner le dos à son destin, et fit volte-face pour tenir tête à la bête.
Laquelle fit alors un écart impressionnant sur le côté, manquant Jagen d’un bon mètre.
Deux bourdonnements s’élevèrent alors. Jagen n’eut pas le temps de voir les lueurs bleues et vertes qui vinrent éclairer la pénombre croissante, choqué qu’il était, visage tourné vers la créature qui reprenait ses esprits.
Deux silhouettes vêtues de toges et de capes bondirent alors par-dessus lui pour affronter le monstre, qui rugit en tentant d’atteindre à nouveau sa proie. Mais il était désorienté, et Jagen n’eut qu’à se jeter sur le côté pour lui échapper.
Malheureusement, c’était le côté droit.
Ce qu’il vit ensuite, une fois allongé sur le dos, lui sembla si irréel qu’il pensa sur l’instant être de nouveau inconscient. Les deux Jedi – car c’en étaient, bien sûr – virevoltaient autour de leur adversaire bien plus imposant. À présent qu’il l’observait depuis le côté, Jagen prenait pleinement conscience de la grande taille de cet animal carnassier, qu’il estimait à près de huit mètres de long. Les deux chevaliers ne semblaient pourtant pas impressionnés. Le plus petit, armé de sa lame bleue, lui sauta sur le dos pour tenter d’entamer la carapace au niveau du coup, tandis que l’autre se concentrait sur les pattes en passant de l’une à l’autre à grande vitesse. Les ruades successives ne parvinrent pas à les décourager ; quand le premier bascula finalement de son perchoir, ce fut pour se réceptionner en douceur et planter son sabre dans le crâne de l’animal, qui s’effondra avec un râle sourd.
Les Jedi éteignirent alors leur arme et vinrent vers de lui. Sur le côté, il aperçut Vanya et le reste des soldats qui avançaient prudemment ; l’inquiétude qui se peignait sur le visage de la jeune femme était touchante.
— Tout va bien ? demanda le plus âgé des chevaliers en lui tendant une main vigoureuse.
Avec ses cheveux longs bruns et sa barbe de même couleur, il dégageait une impression de sagesse et de tranquillité qui aidèrent Jagen à reprendre ses esprits.
— Eh bien, répondit-il en se relevant, si j’étais en couple, je m’inquiéterais !
Vanya, qui approchait pour l’aider, leva les yeux au ciel.
— Maître, il a peut-être une commotion cérébrale… hasarda le plus jeune des Jedi, dont la longue tresse indiquait la qualité.
L’autre eut un sourire franc.
— C’est de l’humour, Padawan, le meilleur signe de santé !
— Merci pour votre intervention, reprit Jagen sur un ton plus sérieux. Vous êtes arrivés juste à temps.
— Cela fait partie des habitudes de l’Ordre. Je suis Qui-Gon Jinn, et voici mon padawan, Obi-Wan Kenobi.
Le garçon, qui devait à peine avoir treize ans, s’inclina légèrement.
— Je suis le colonel Eripsa, répondit le corellien.
— Le fils du sénateur ?
— Lui-même. Vous avez rejoint les troupes de Tarkin ?
— Nous avons effectué la jonction. Les négociations ont tourné au fiasco et nous avons subi de lourdes pertes.
— Le sénateur Valorum ?
— Non, il va bien. Mais maître Tyvokka a péri, et de nombreux hommes de Tarkin sont déjà morts ou blessés.
— Toutes mes condoléances pour la perte de votre confrère. Je ne suis pas étonné que la situation soit si catastrophique… Nous sommes tous tombés dans un immense piège dont je commence à peine à percevoir l’ampleur. J’ai renvoyé tout ce que j’ai pu comme vaisseaux jusqu’à Coruscant….
— Et le sénateur, maître Gallia et le représentant Gunray sont également partis, à bord du yacht de Stark.
Il fronça les sourcils.
— Comment êtes-vous parvenu à déjouer le virus des ordinateurs de navigation ?
— Les vaisseaux que j’ai amenés ici sont équipés d’un nouveau modèle, qui n’est pas synchronisé aux serveurs du Bureau des Vaisseaux et Véhicules… Mais, comme je vous l’ai dit, ils n’étaient pas assez nombreux.
— Stark n’avait pas prévu cela.
— C’est bien pire que vous ne le croyez, maître Jinn. Stark sait tout de nos forces et de nos stratégies parce qu’il n’a pas élaboré ce plan seul. Le véritable chef du Cartel était l’amiral Willspawn.
— Le Commandeur Suprême, lâcha le jeune Kenobi. Allié à Stark ?
— C’est compliqué… En somme, oui, c’est ça. Mais il est mort, à présent.
— Et vous êtes donc le nouveau Commandeur Suprême, déduisit Jinn.
La phrase fut un électrochoc pour Jagen. Dans l’effervescence qui régnait depuis ce funeste combat sur l’
Opportuniste, il n’avait pas pris le temps d’y songer. Oui, il était désormais le plus haut gradé de l’armée de la République – lui, un colonel d’à peine vingt-six ans.
Il eut un petit rire nerveux.
— Nous sommes échoués sur ce caillou sans moyens de communication, avec des hordes d’ennemis à proximité. La flotte a été presque anéantie. Franchement, c’est le dernier de mes soucis !
— La situation ne va pas durer, assura Jinn. Une fois le sénateur parvenu sur Coruscant, il pourra faire évoluer la situation.
— Oui… C’est notre meilleur espoir, à présent. Allons-y.
La marche vers la montagne prit encore une bonne demi-heure jusqu’à ce qu’ils atteignent la galerie minière dissimulée qui servait d’entrée arrière. Elle était bien plus basse qu’il ne l’aurait cru, et il ne pouvait que se féliciter de l’intervention des Jedi qui les avaient opportunément repérés. Jagen ne parla pas pendant le trajet ; les effets de sa récente chute se faisaient encore sentir.
Après quelques minutes dans le dédale de galeries sombres qui menaient au cœur de la montagne, ils parvinrent enfin au centre de commandement improvisé.
La salle rocheuse ressemblait davantage à un hôpital de campagne qu’à un véritable quartier général. Des blessés étaient allongés sur des couches synthétiques étendues par terre, et les mieux portants se trouvaient installés à même le sol. Dans un coin s’entassaient quelques caisses de vivres et des citernes d’eau – c’était là tout le poste d’approvisionnement. À l’opposé, dans une large alcôve d’où partaient d’autres tunnels, quelques caisses vides étaient installées en cercle autour d’un holotransmetteur éteint.
Une seule silhouette était assise sur ces caisses ; quand elle se leva, ce fut pour approcher des nouveaux venus d’une démarche agressive.
Jagen reconnut alors avec effarement Ranulph Tarkin, qui semblait avoir pris dix ans en quelques jours.
— Sénateur, salua-t-il en inclinant la tête.
— Général ! répliqua l’autre avec fermeté.
— Non, vous vous trompez. Je ne suis que colonel.
L’autre ne prit pas sa remarque à la rigolade.
— Vous voulez jouer au plus malin, Eripsa ?
— Pourquoi pas. Je gagnerai sans aucun doute, Tarkin.
— Vous osez…
— Parfaitement, j’ose. Si ma blessure ne m’embarrassait pas, je peux vous assurer que je vous en collerais une pour le désastre que vous avez provoqué aujourd’hui.
— Le baiser de Keldabe, chuchota Vanya à son oreille.
— Excellente idée.
Il s’approcha du sénateur, ramena sa tête en arrière et la rabattit en avant d’un grand coup pour le frapper au front.
Elle s’immobilisa à moins d’un centimètre du crâne de Tarkin.
— La violence ne résoudra rien, dit alors une nouvelle voix, particulièrement rocailleuse.
Un Jedi kel dor venait d’entrer, et Jagen reconnut en lui le disciple de Tyvokka qu’il avait aperçu à la réunion du Conseil de Sécurité.
— Voici maître Plo Koon, présenta Jinn en désignant son confrère, qui s’inclina. Il connaît bien les questions militaires et la télépathie, ce qui en fait un stratège de choix.
— C’est ça, rajoutez-en une couche… marmonna Tarkin.
— Nous allions faire un briefing. Prenez place…
D’autres hommes arrivèrent, notamment deux Jedi qui se placèrent dans l’ombre derrière Plo Koon. Il y avait aussi dans le lot des soldats, et l’un parut familier à Jagen. Vanya réagit avant lui.
— Dallin ! s’exclama-t-elle. Que faites-vous ici ?
— Bonjour, Colonel, Lieutenante… salua le jeune homme en question, l’air un peu honteux.
— Je croyais que vous aviez démissionné…
— Le sénateur Tarkin m’a recruté pour être son assistant, avoua-t-il avec gêne. Je pensais qu’avec lui, la République serait protégée plus efficacement qu’en attendant les ordres du Sénat…
— Vous voilà servi, répliqua Jagen avec un sourire ironique.
Il se laissa tomber sur un baril vide qui datait probablement de l’époque minière. Les autres s’installèrent comme ils purent.
Jagen commença par relater les évènements survenus sur l’
Opportuniste¸ puis ce fut au Jedi inconnu d’expliquer sa mission sur Thyferra, la planète de fabrication du bacta. Maître Tholme avait découvert que la crise de production était l’effet d’une machination de la section néimoïdienne de la Fédération du Commerce.
— Mais Stark les a pris à leur propre piège, conclut-il finalement.
Puis vint le moment de faire le point sur leur situation présente.
— Nous avons achevé de sécuriser la montagne, commença Plo Koon de sa voix si particulière. Toutes les galeries menant au cœur des mines ont été condamnées pour éviter aux mangeurs challats de pouvoir nous atteindre.
— Des « mangeurs challats » ? répéta Jagen. L’espèce de gros lézard qui s’est jeté sur moi ?
— Non. Ce sont des insectes mangeurs de chair…
— Beaucoup plus sympathique, en effet, commenta le colonel en pâlissant.
— Nous avons à nos côtés un natif qui nous a conduits aux bureaux abandonnés. À l’heure actuelle, il aide une équipe à inventorier le matériel utilisable. Les mines sont abandonnées depuis longtemps, mais il reste encore quelques lampes et outils laissés là quand le problème des mangeurs challats a pris trop d’ampleur.
Doux euphémisme pour qualifier un festin sanglant. — Le problème vient des vivres. Nous avons trouvé des sources d’eau potable, mais la nourriture risque de manquer. Colonel, avez-vous apporté des provisions avec vous ?
— Je ne pense pas, répondit Jagen en se tournant vers Vanya.
— Nous n’avons pas grand-chose, confirma la jeune femme. Quelques barres de rations lyophilisées des capsules, des boissons concentrées… Nous avons quelques kits de soins, également, y compris des sprays au bacta.
— C’est déjà ça. Nous en manquons cruellement.
— Formidable, railla Tarkin. Non seulement nous mourrons de faim, mais nous mourrons plus vite parce que nous pouvons soigner les blessés. Et vous voulez des félicitations pour ça ?
— Pas de la part de celui qui a jeté le tiers de ses hommes dans un trou noir, répliqua le colonel.
— Et à cause de qui ? Votre cher amiral !
— Lequel de nous deux a été assez stupide pour se croire capable de mettre un terme à la guerre tout seul ?
— Sans cette trahison, c’est ce que j’aurais fait !
— Messieurs ! gronda Plo Koon. Ce n’est pas le moment de nous déchirer. Si nous parvenons à rester unis, nous sortirons de ce piège.
— Impossible ! s’emporta Tarkin. Nous sommes coincés sur ce caillou, encerclés par des troupes bien supérieures en nombre et sans ravitaillement ! Nous n’avons aucun moyen de faire parvenir des renforts ! Stark a gagné, c’est tout ! Il le sait déjà et il préfère nous laisser goûter au désespoir avant de nous asséner le coup de grâce !
— Vous vous trompez, Sénateur, répondit paisiblement le Kel Dor. Il hésite bien plus que vous ne le croyez.
— Vraiment ? Comment pouvez-vous l’affirmer ?
— Parce que je le lis dans son esprit à cet instant.
— Vous savez ce qu’il pense ? insista Jagen.
— Oui. Il doute… Il doute parce qu’il ignore ce qui s’est passé, sur l’
Opportuniste. C’est pour cette raison qu’il a donné l’ordre d’épargner les vaisseaux de sauvetage qui s’en sont échappés… Il garde l’espoir que Willspawn ait survécu.
— Alors c’est fichu. Il est mort… Et Stark ne tardera pas à le savoir. S’il a des espions sur Coruscant, il apprendra la nouvelle dès que le
Knight’s Blade arrivera.
— Il doute aussi parce que sans l’amiral, assurer l’unité de son cartel hétéroclite va devenir de plus en plus difficile. Ses alliés pensaient avoir de nombreux otages, et surtout contrôler les informations sortant de Troiken… Or ils n’ont aucun prisonnier et nous sommes parvenus à envoyer plusieurs vaisseaux vers Coruscant. La situation est plus compliquée qu’il l’espérait.
— Que faisons-nous, alors, maître Koon ? demanda Dallin.
— Nous allons attendre. Le meilleur espoir que nous ayons, c’est une contre-attaque républicaine. La patience est notre meilleure arme, à présent. Reposez-vous... Jusqu’au prochain combat.