« Un Empire fondé sur les armes a besoin de se soutenir par les armes. »Montesquieu.
Complexe Décisionnaire, Citadelle d’Anaxes, Anaxes, Jour 17, An 1, C.I. (Calendrier Impérial).
Leight n’était pas du genre à se fier aux présages, mais il devait admettre que le fait d’être convoqué par le doyen Harns au moment des résultats n’avait rien de négligeable. Le fait qu’il le fasse attendre devant la porte depuis plus d’une heure non plus.
En face de lui, la secrétaire personnelle du doyen n’avait pas cessé un seul instant de compiler des fichiers sur son terminal, ses doigts s’abattant sur le clavier virtuel si rapidement qu’il en était presque impossible de les distinguer. Barton avait bien essayé d’amorcer la conversation au début –
Il eût été idiot de ne pas le faire, songea-t-il en fixant le buste de la femme,
au cas où j’aurais eu mes chances avec elle… – mais c’était visiblement peine perdue, et il n’avait plus dit le moindre mot depuis plus de quarante-cinq minutes. Son attention passait de cette scène particulièrement stressante qui se déroulait sous ses yeux à l’antique horloge aldéranienne qui meublait un pan de mur entier sur sa droite. De temps à autre, il concentrait son attention sur le bureau derrière lui, tentant tant bien que mal de percevoir des bribes de la conversation qui s’y déroulait.
Alors qu’il se demandait une énième fois comment la secrétaire pouvait aller si vite, la porte du bureau s’ouvrit, laissant apparaître dans l’encadrement le doyen Harns, revêtu une fois encore de son traditionnel uniforme gris délavé.
- Ah, vous êtes toujours là, Barton, déclara-t-il en voyant Leight. Un bon point pour vous.
- Merci, doyen, répondit le jeune homme en se levant. Vous m’avez demandé ?
- Entrez, mon garçon, entrez, nous discuterons de tout cela à l’intérieur.
- Comme vous voulez.
Leight suivit Harns lorsque celui-ci se dirigea vers le fond de la pièce. Celui-ci était occupé par un petit promontoire qui permettait d’élever la zone de travail de l’espace de réception et de détente près de l’entrée. Un officier impérial d’une quarantaine d’années y était déjà installé, et leur tournait le dos. Ce ne fut qu’une fois qu’il fût à côté de lui que Leight parvint à le reconnaître.
- Colonel Tallon, salua-t-il. Je suis ravi de faire votre connaissance.
- Repos, lieutenant Barton, déclara Tallon. Vous êtes donc le fils de Theran Barton ? On m’a beaucoup parlé de lui.
- J’en suis honoré, colonel. J’espère que mes futurs états de service honoreront son nom.
- Bien entendu. C’est d’ailleurs du futur que nous allons parler. Asseyez-vous, je vous en prie.
Après l’heure d’attente qui venait de s’écouler, le jeune militaire n’avait pas la moindre envie de se rassoir, mais une parole – même formulée en tant que conseil – d’un officier de rang supérieur équivalait à un ordre, et il s’exécuta.
- Bien, commença Harns. Par où débuter ? Ah, je sais, vos résultats, Leight.
- Monsieur ?
- Ils sont bons, très bons. Votre vision de la loyauté, notamment, que j’ai particulièrement appréciée. L’Empire a besoin d’officiers comme vous.
- Je suis moi-même à la recherche d’un aide de camp, poursuivit Tallon, et lorsque que j’ai entendu parler de vos compétences, j’ai tout de suite pensé à vous proposer le poste. De plus, votre famille s’est faite un nom dans les différentes institutions d’Anaxes et du Système Axum au fil des siècles, vous n’aurez donc aucun mal à vous faire rapidement une réputation, et donc à gravir les échelons.
Le silence tomba sur les trois hommes, Leight pesant les bons et mauvais côtés de la proposition en silence. Puis, après quelques instants, il répondit :
- C’est intéressant, mais cela demande à réflexion.
La surprise du doyen Harns était si grande qu’elle s’afficha largement sur son visage.
- Réflexion ? Réflexion ? Quelle réflexion ? Barton, c’est un poste pour lequel bien des gens tueraient leurs amis…
- Je m’en rends bien compte, répondit Leight d’une voix apaisante.
La tension était palpable sur le visage de Harns. Quelque chose semblait le perturber.
- Voyez-vous, colonel, j’aimerais rester à proximité d’Anaxes, maintenant que la paix est revenue. Comprenez-vous ?
- La paix n’est pas revenue ! s’exclama Tallon. Au contraire, nous avons de nombreux dissidents qui sont décidés à se battre jusqu’au bout ! Même si les dirigeants séparatistes ont été éliminés, même si leur armée droïde est presque anéantie et ne répond guère plus aux ordres, les officiers et leurs sympathisants n’ont pas déposé les armes, et ils menacent toujours la sécurité des citoyens !
Leight haussa un sourcil.
- Les journaux d’HNE ne mentionnent pas ces agitations.
- Les journaux ne mentionnent jamais tout, déclara Tallon avec philosophie.
- Barton, intervint Harns, c’est une occasion en or qui s’offre à vous. Vous pourrez facilement monter en grade, vous aurez l’occasion de faire vos preuves…
Leight fixa intensément le visage du doyen, qui était visiblement mal à l’aise. Et c’est alors qu’il comprit.
Ce n’était pas pour lui que Harns faisait tous ces efforts. Enfin, pas directement. Il essayait simplement de se protéger tant bien que mal du chantage passif qu’exerçait Leight sur lui en le contentant par tous les moyens. En y pensant, il se rendit compte que si les combats avaient raison de lui, tous les cieux seraient dégagés pour le doyen.
Bien joué, reconnut-il intérieurement.
Mais je peux encore tourner les choses à mon avantage.- Vous avez raison, Doyen. Colonel Tallon, si vous le souhaitez toujours, j’accepte de passer sous votre commandement.
- Excellent, lieutenant Barton. Je n’ai guère le temps de poursuivre cette conversation, je vais donc laisser le doyen Harns vous expliquer en quoi votre nouveau rôle consiste. Quant à moi, je vous retrouverai en orbite de Kuat dans cinq jours ; vous trouverez les détails sur votre datapad. D’ici là, passez une bonne journée.
Leigth se leva et salua Tallon, qui sortit de la salle d’un pas rapide. Dès que la porte se referma, Leight pivota, de sorte à faire face au doyen, qui le fixait d’un air inquiet.
- Alors, voilà votre plan, dit-il à voix basse. M’envoyer au front pour vous débarrasser de moi.
- Vous vous méprenez totalement, Leight, répondit précipitamment Harns. Mais c’est parce que vous n’avez pas conscience des derniers développements. Terrinald Screed vient d’être nommé amiral par ordre de Son Altesse Impériale.
- Et ? demanda Leight d’un air dubitatif. Cela ne me concerne pas.
- Vous oubliez un peu vite que c’est grâce à vous que Terrinald a perdu une partie de son corps… rappela sèchement le Doyen. Et il semblerait que je me sois trompé. Il sait que l’Unrepentant n’est pas le seul responsable de ce qui lui est arrivé. Les analyses des senseurs montrent que l’explosion du Bulwark venait de la base du croiseur… Une base à laquelle les batteries de l’Airlionne n’avaient pas accès. Pour le moment, j’élude ses questions comme possible ; après tout, il y avait de nombreuses batteries de défense en service ce jour-là. Mais je préfèrerais – pour des raisons évidentes – qu’il ne découvre pas votre implication. C’est pour ça que j’ai parlé de vous à Adar lorsque j’ai appris qu’il recherchait un aide de camp.
- Où Tallon est-il affecté ?
- Je l’ignore, mais il y a de fortes chances que ce soit au sein de la force qui va tenter de pacifier l’Hégémonie de Ciutric. Le commandement de la Dixième Armée, la Force Sectorielle de la Dague Écarlate, sous les ordres du moff Tanniel.
- Qui est en charge de la Flotte ?
- L’amiral Screed.
Un silence pesant s’abattit sur le bureau.
- Mais à quoi jouez-vous ? s’exclama enfin Barton. Je croyais que vous vouliez m’éloigner de Screed, pas en faire mon supérieur !
- Calmez-vous, Leight, n’oubliez pas à qui vous parlez. Je sais parfaitement ce que je fais. J’ai eu Terrinald comme élève, je sais comment il réagirait : exactement comme toi. C’est pour cette raison que je t’envoie là-bas.
Un plan astucieux, songea le jeune lieutenant.
Avec un peu de chance, Screed sera de nouveau blessé lors de la campagne qui s’annonce… Et cette fois, il n’en réchappera peut-être pas.- Dans ce cas, je n’ai plus qu’à partir pour Kuat.
- En effet, lieutenant, conclut Harns. Battez-vous bien. Pour l’Empire.
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-
Mesdames et messieurs, gardez votre calme, dit le pilote.
Nous allons nous en sortir.Jaden eût un petit rire nerveux.
Exactement le genre de phrase qui panique un groupe en moins de deux. Mais s’il était inquiet, Nivrac l’était tout autant, et même bien plus.
- Mais pourquoi a-t-on prit ce transport… Pourquoi… Pourquoi…
- Tu peux te taire, s’il te plaît ? demanda l’ancien journaliste.
- Pour te laisser profiter du bruit des cris et des détonations ? répliqua son ex-informateur.
À ce moment précis, une décharge de plasma passa à quelques dizaines de mètres du
Rellican IX, lequel tentait tant bien que mal de garder le cap au milieu de la bataille spatiale qui faisait rage.
La fin officielle de la guerre avait rétabli les anciens trajets hyperspatiaux de la Bordure en usage avant le conflit. Mais dans les faits, l’insécurité était toujours présente, comme ils venaient de le découvrir à leurs dépens.
- Niv, tu vois les insignes sur ces vaisseaux ? demanda-t-il après qu’ils soient passés en marge d’un destroyer de classe Recusant.
- Bien sûr, je ne vois qu’eux…
- Ce sont celles du général Grievous.
- Il est mort. Toutes les sources concordent là-dessus. Battu sur Utapau par le 212ème, si mes souvenirs sont exacts.
- Je sais bien qu’il est mort, mais cela veut dire que les Séparatistes ne sont pas aussi amorphes que nous le pensions…
Nivrac lui lança un regard extrêmement froid et dur.
- Tu veux qu’on les rejoigne ? Ils n’ont aucune chance contre Palpatine.
- Peut-être, mais étant donné que l’Empire veut notre mort…
- Ça se tient. D’ailleurs, on n’aura peut-être pas besoin d’entrer en contact avec eux…
Il désigna les hublots, vers lesquels Jaden s’empressa de se tourner.
- Par les Neuf Enfers Corelliens ! jura l’ancien journaliste.
Un gigantesque destroyer de classe Venator, le fleuron de la toute nouvelle Flotte Impériale, se consumait sous leurs yeux, sa coque se fissurant davantage de secondes en secondes. Puis l’incendie s’éteignit après quelques instants, quand l’oxygène s’échappa totalement du vaisseau. Le champ de bataille devint alors extrêmement calme.
Puis un destroyer de classe Providence, un des plus puissants croiseurs de l’ancienne force séparatiste, apparut dans leur champ de vision, au-dessus d’eux. Ils virent alors que le vaisseau était immobile, mais qu’eux bougeaient.
- On dirait que nous allons servir d’otages.
En effet, quelques instants plus tard, les étoiles laissèrent place aux parois de métal froid du hangar du Providence, et une légère secousse se fit ressentir lorsque le train d’atterrissage du vaisseau se déploya et toucha le sol de duracier. Les réacteurs s’arrêtèrent, et firent place à un inquiétant silence.
Puis les sas s’ouvrirent, et les forces séparatistes pénétrèrent dans l’habitacle de la navette.
Celle-ci, de type CR-20 – c’était un ancien Croiseur de la République désarmé suite à des réparations, d’après ce qu’avait compris Jaden – n’était pas bien grande, et les soldats atteignirent l’espace réservé aux passagers en quelques pas. Hommes et femmes levèrent les mains en voyant les troupes armées jusqu’aux dents et sortirent en silence. Dehors, une autre escouade attendait ses « invités ». On leur ordonna de se mettre en ligne, ce qu’ils firent de leur plein gré. Puis un des hommes de l’escouade, qui portait des insignes de général, se détacha du lot et commença à les inspecter un à un. Jaden, méditatif, observait le sol.
- Eh bien, on dirait que la Force existe, après tout, déclara l’homme en arrivant à sa hauteur.
Le journaliste leva les yeux, surpris par le son de cette voix qu’il connaissait bien. Lorsque la vue confirma ce qu’il avait cru comprendre par l’ouïe, sa surprise fut telle qu’il se trouva incapable de répondre.
- Ou est-ce le hasard ? En tout cas, je n’aurais jamais cru retrouver Jaden Asdertov en plein milieu des Frontières Ouest.
Malgré son cœur qui battait la chamade, l’homme parvint à trouver les mots qui convenaient pour répondre au général zabrak.
- Et moi, je n’aurais jamais espéré tomber sur Horn Ambigene en fuyant les troupes de l’Empire. On dirait que tout peut arriver.