— Encore une attaque contre les xénomorphes ? demanda l’un des secouristes à son coéquipier en repoussant du pied une fine plaque de permacier.
— Sans doute. Il y a des tas de boutiques pour eux ici et regarde, pas un seul humain dans les premières victimes, observa le second en balayant la rue d’un geste de la main.
Rapidement, la zone fut quadrillée par les forces de l’ordre et interdite au public car les badauds et la presse commençaient à se masser aux entrées de l’ancien centre commercial. Les moyens mis en œuvre étaient à la mesure de la gravité de l’attaque et tout fut fait pour que les lieux soient rendus à la circulation le plus rapidement possible. Ainsi, après une demi-douzaine d’heures, le Secteur 716 fut intégralement restitué à ses orientations mercantiles et touristiques. Les nouveaux passants ne pouvaient se douter du terrible drame qui y avait eu lieu, des plaques publicitaires masquant les vitrines détruites. La vie quotidienne reprenait son cours anonyme et amnésique dans l’une des milliards de voies de la planète-ville.
Juché sur le toit d’un des plus hauts immeubles du Secteur 712, Hexan Kendil humait l’air frais des sommets avec un rictus de triomphe. Il savait que son attentat avait été une réussite à en juger par le nombre impressionnant de véhicules de secours dépêchés sur place et peinait à dissimuler sa satisfaction. Là, à plusieurs centaines de mètres au-dessus de la première strate de Coruscant, il contemplait sa dernière « œuvre » comme il se plaisait à nommer ses attaques dévastatrices, puis il pianota sur le clavier de son bracelet afin de faire venir jusqu’à lui un speeder léger de couleur sombre. Dans l’indifférence qui caractérise les plus hauts niveaux d’habitation de la capitale, il s’installa aux commandes de son véhicule et lui fit décrire une courbe descendante pour rejoindre les couloirs de circulation conventionnels.
Confondu dans la masse grouillante et informe du quotidien Coruscantii, Kendil consulta les comptes-rendus d’actualités des plus grands media pour s’apercevoir que l’attentat ne faisait pas la Une des journaux et qu’il apparaissait difficilement dans les gros titres. Depuis le début de la vague d’attaques dont il était l’auteur, Hexan Kendil s’était rendu compte que le pouvoir en place s’efforçait de minimiser la portée du problème et étouffait du mieux possible les circonstances des actes. Le mandat de Palpatine était ainsi placé sous le signe de la paix à tout prix. Y compris du mensonge le plus troublant. Mais Kendil n’était pas un opposant politique, pas plus qu’un justicier anonyme. Il se plaisait à se considérer comme un artiste du meurtre, un professionnel de l’assassinat, que celui-ci implique une cible unique ou des centaines de vies. Il louait ses services et était sans doute l’un des plus chers dans son secteur d’activité mais aucun de ses commanditaires n’avait eu à se plaindre de lui. Exception faite d’un obscur général d’armée planétaire dont le subalterne avait jugé opportun de se débarrasser, en augmentant le montant du contrat initial sur sa tête. Consciencieux, il mettait un point d’honneur à ne jamais rencontrer physiquement les personnes qui l’employaient afin de ne jamais ressentir aucune émotion vis-à-vis d’elles et d’assurer la discrétion la plus complète possible lors des transactions. Il se doutait que, dans la plupart des cas, il avait affaire à des individus puissants, riches, bien placés dans les administrations locales, sectorielles ou galactiques même s’il lui était arrivé d’effectuer de « petits contrats » pour le compte, sans doute, de personnes déterminées mais n’ayant pas les moyens matériels ou émotionnels d’effectuer ce genre d’activités.
Occupé à lire les différents articles des journaux, installé dans son speeder sombre, Kendil se rendit à peine compte qu’il approchait de sa destination, le Secteur 11-38 et ses sièges d’organes de presse dont l’activité ne s’interrompt jamais, à quelques blocs du cœur administratif de la Cité Impériale. C’est ici que son commanditaire actuel lui avait donné rendez-vous afin de lui transmettre de nouvelles consignes. Lorsqu’il posa son appareil dans le parc de stationnement à l’arrière d’un établissement de restauration, Hexan s’assura qu’il n’avait pas été suivi par un autre véhicule et qu’aucun dispositif de traque n’avait été posé sur son speeder. Ces vérifications effectuées, il rajusta le col de son manteau et se mit en route pour le lieu de rendez-vous.
L’endroit était un bar visiblement fréquenté par une majorité de journalistes, d’administratifs et autres travailleurs de la société-qui-décide et s’appelait, à en croire l’immense panneau lumineux qui couvrait une bonne partie de la façade L’evonil, du nom de la spécialité qui y était servi depuis des générations. L’ambiance, à l’intérieur, était étonnamment calme malgré l’affluence massive due à l’heure du repas de la mi-journée. On entendait à peine les murmures de conversations portant sur les grandes orientations politiques actuelles ou encore les affaires judiciaires qui tenaient en haleine les chroniqueurs spécialisés et les magistrats. Alors qu’il s’asseyait à la table indiquée par son mystérieux interlocuteur, Kendil put entendre la discussion des deux hommes qui se trouvaient assis à la table immédiatement derrière la sienne.
— Je ne comprends pas que le Chancelier ne fasse rien pour limiter le pouvoir de ces groupes d’influence. C’est tout de même un danger pour la Galaxie, avança le premier homme, dont la voix grave peinait à se faire discrète.
— Il se murmure dans les travées du Sénat qu’un texte de loi serait en préparation pour limiter l’accès des non-humains aux administrations, répondit une voix plus jeune mais tout aussi sûre d’elle.
— Et dans combien de temps ? Le Sénat est presque aussi lent qu’avant la nomination de Palpatine.
— Mais lui ne se laisse pas marcher sur les pieds par les non-humains et leurs gémissements permanents, répliqua le jeune homme d’un ton sentencieux.
— Si l’on excepte Bo’on Liy et sa clique, asséna l’homme mûr dont le rictus narquois s’imaginait aisément.
— Liy peut avoir l’appui des siens, les Jedi, et tous les Céréens le suivront. À l’exception du maître Mundi qui a toujours pris soin de ne pas s’associer à lui.
— Mundi évolue dans une autre réalité. Il fait partie du Conseil Jedi, il dirige les armées de la République sur le terrain, pas étonnant qu’il ne se range pas au côté d’un « contestataire ».
— Un jour ou l’autre, Liy tombera sur un os, et toute sa cause deviendra obsolète, lança le jeune.
— Mais quand ? interrogea le plus âgé.
À cet instant, une des hôtesses de l’établissement se posta juste à côté de Kendil et lui proposa de prendre sa commande, l’empêchant d’écouter la suite de la conversation qui se déroulait derrière lui. Sans prendre le temps de consulter la carte, il commanda un plat du jour, exigeant un service rapide. Il fut servi quelques minutes plus tard et ce fut au moment où il termina qu’il se rendit compte de la présence d’un morceau de papier épais collé sous le plat à l’aide d’une gomme adhésive. Observant la salle de son œil expert, il ne décela rien qui ne troubla ses sens et entreprit de détacher ce mystérieux message. Lorsqu’il eut totalement décollé le papier, il lut le message suivant : VOUS CONNAISSEZ LA PROCHAINE CIBLE. Surpris, dans un premier temps, par le contenu du message, Kendil rassembla immédiatement ses pensées pour tenter de comprendre le sens de celui-ci. Il exclut d’emblée la serveuse, qui ne lui paraissait pas être une cible potentielle pour qui que ce soit, a fortiori au vu des méthodes du commanditaire. Vinrent ensuite à son esprit les deux hommes qui discutaient à la table de derrière et, bien qu’ils furent dans la catégorie des victimes éventuelles – Kendil était persuadé qu’ils devaient être journalistes ou avocats, ou bien les deux – il n’aurait jamais reçu la mission de les éliminer ici, dans un restaurant. Il ne restait donc qu’une seule hypothèse, Bo’on Liy.
Convaincu de tenir sa prochaine cible, Kendil laissa de quoi payer le repas sur la table et se dirigea vers la sortie de L’evonil en prenant soin d’arborer un air dégagé de toute pression anormale. Parvenu devant le restaurant, il croisa plusieurs officiers des forces de sécurité de Coruscant en tenue qui patrouillaient dans la rue, guettant le moindre individu suspect et détaillant les fenêtres des bâtiments adjacents. Il sembla alors à Hexan qu’une légère préoccupation était en train de gangréner les autorités de la planète-ville et il en fut satisfait, conscient que son travail portait ses fruits. Afin d’être sûr des raisons de la présence d’un tel nombre d’agents de police à ce moment de la journée, il s’arrangea pour croiser leur route pour entendre ce qu’ils pouvaient se dire.
— …quoi on nous envoie ici, c’est rempli d’avocats, de gratte-papiers et autres bureaucrates, grogna un homme d’une quarantaine d’années au visage émacié et à la barbe fournie.
— C’est ce qui en fait une zone particulièrement sensible, répondit une jeune femme charmante au regard d’un bleu pénétrant et dont la chevelure brune était couverte par un casque léger.
— Je ne crois pas que qui que ce soit serait assez dingue pour faire exploser une bombe ici, avança un agent à l’aspect juvénile et dont le port trahissait une sortie d’académie récente.
— Et on ne peut que le souhaiter, trancha la femme qui était visiblement l’officier supérieur du détachement.
Comme les policiers entrèrent ensuite dans le restaurant que Kendil venait de quitter, ce dernier se dirigea vers son véhicule stationné à quelques dizaines de mètres de là et se mit en route vers l’appartement qu’il louait depuis quelques jours dans le Secteur 44. Sur le trajet qui durerait une vingtaine de minutes en prenant en compte le trafic, il commença à effectuer quelques recherches sur le dénommé Bo’on Liy. Il s’agissait d’un Céréen entré au sein de l’Ordre Jedi il y a un peu plus de quarante ans, et qui se distinguait régulièrement par ses prises de positions marginales par rapport à la ligne de conduite de l’Ordre. S’il n’avait jamais fait l’objet de procédures disciplinaires marquantes, il se retrouvait toutefois affecté à des missions de second plan ou bien était détaché au Service Culturel des Jedi, ce qui équivalait à passer des heures dans les archives du Temple. Certaines voix expliquaient son maintien au sein de l’Ordre par une sorte de protection de la part de Ki-Adi-Mundi, maître Jedi réputé, mais il était toutefois peu probable que ce dernier se compromette dans une relation qui pourrait nuire à son engagement dans la voie des Jedi. Bo’on Liy avait ainsi au cours des dernières années pris ouvertement position pour les droits de représentation des non-humains dans les administrations et les entreprises, pour l’intervention des Jedi dans l’armée de la République et contre plusieurs décisions du Chancelier Palpatine, provoquant de multiples tensions entre le dirigeant galactique et l’Ordre. À y regarder de près, Bo’on Liy était donc activement impliqué dans les affaires politiques et avait rassemblé autour de lui la délégation sénatoriale de Céréa ainsi qu’une bonne partie de l’opinion publique de sa planète. Hexan Kendil comprenait de plus en plus comment un tel personnage pouvait se faire des ennemis, dont certains très bien placés sur l’échiquier galactique mais ne voyait pas, pour l’heure, comment se débarrasser d’un Jedi avec une telle influence.
Arrivé à une centaine de mètres de son appartement, il stationna son speeder dans un hangar situé sur le toit d’un immeuble avoisinant et continua son chemin à pied. Pour la première fois depuis des années, Hexan Kendil n’avait pas de plan pour accomplir sa mission. Il était tendu et cette sensation ne lui était pas confortable. Dévisageant inhabituellement les passants, il décida qu’il changerait d’appartement dès le lendemain pour ne pas éveiller les soupçons et maintenir sa couverture du mieux possible.
Son logement était quasiment vide et l’obscurité due aux volets fermés lui donnait l’air d’une grotte. Il n’y avait pour seul mobilier qu’un lit, un bureau sur lequel étaient posés des dizaines de datacartes ainsi qu’un terminal informatique connecté à l’holonet et de quoi faire à manger. Kendil posa son lourd manteau sur le lit et se lança dans des recherches plus poussées sur Bo’on Liy ainsi que ses plus proches collaborateurs et soutiens. C’est ainsi qu’il découvrit le nom d’une demi-douzaine de politiciens, plutôt bien placés dans des commissions sénatoriales et d’autres personnages qui gravitaient autour de l’ambassade Céréenne à Coruscant. Comme il s’y attendait, aucune information sur son entourage Jedi n’était accessible et les protocoles de sécurité du Temple Jedi prendraient trop de temps à être contournés avec le matériel dont il disposait. Par conséquent, Hexan se focalisa sur les contacts de Liy au sein du Sénat Galactique et après plusieurs filtrages, il ressortit un nom : Jun-Palsi, second secrétaire du bureau du sénateur de Céréa. Les vérifications d’usage effectuées, il décida de se rendre directement au logement de ce dernier, situé à quelques blocs à peine du Sénat. Pour ce faire, il loua un speeder rapide sous un nom d’emprunt, acheta des vêtements haut de gamme pour être en adéquation avec le quartier et se munit de son mini-blaster fétiche.
L’immeuble de résidence s’appelait Le 201 Plaza et dominait les trois blocs alentour. Élancé et pourvu de jardins sur les dix derniers niveaux, il avait l’avantage de posséder une plateforme d’atterrissage directement au cœur du bâtiment, véritable bouche gigantesque défigurant quelque peu la façade. Comme s’il était un résident, Kendil laissa son speeder à la disposition d’un membre du personnel d’étage tout en conservant bien évidemment un double de la puce commandant l’ouverture du véhicule. Notant mentalement le nombre de caméras, de portes et de turbolifts qu’il emprunta pour accéder à l’étage où vivait Jun-Palsi, il s’assura également de bien repérer toutes les issues de secours ainsi que les grilles des conduits d’aération. Hexan Kendil ne savait que trop bien, grâce à ses nombreuses années dans le milieu du crime et de l’espionnage, que toutes les sorties devaient être envisagées, de la plus évidente à la plus inattendue.
Au fil des couloirs, il croisa peu de monde, quelques employés de la résidence, de rares habitants et une poignée de visiteurs qui semblaient parfois perdus dans le labyrinthe du 201 Plaza. Observant qu’un des membres du service d’étage entrait dans une buanderie, Kendil le suivit et, étouffant le jeune garçon d’une prise qui lui comprima la gorge contre son avant-bras, referma la porte d’un coup de pied sec. Il échangea ses vêtements contre ceux du groom et ressortit de la pièce en ayant pris soin de dissimuler le corps derrière des piles de linges. Poussant un chariot débordant de draps, il sonna à la porte et se présenta comme employé du service d’étage lorsqu’une voix rauque le lui demanda à travers la porte. Quelques bruits de cadran digital plus tard, la porte s’ouvrit en un chuintement discret.
— Vous êtes nouveau ? questionna d’emblée le céréen d’un air agressif.
— C’est mon troisième jour dans cette résidence, monsieur, répondit calmement Kendil.
— Posez donc ça sur le lit, la bonne s’occupera du reste quand elle viendra, ordonna Jun-Palsi.
— Très bien, monsieur, acquiesça Kendil tout en refermant délicatement la porte.
— Vous avez vu les infos ? Encore un attentat contre des non-humains. Je me demande quand Palpatine va prendre des mesures radicales contre ces assassins, dit le céréen tout en se dirigeant vers la baie vitrée de son appartement situé à l’avant dernier niveau de l’immeuble. Non, remarquez, quelqu’un comme vous ne doit pas avoir le temps de se tenir au courant de l’actualité, conclut-il d’un ton méprisant.
— Détrompez-vous, je suis l’actualité de très près, répliqua Kendil en accentuant son verbe pour attirer l’attention de Jun-Palsi, avec succès.
Pointant son arme sur la tempe du Céréen, son visage avait pris un air grave et profond. Sa victime quant à elle, se mettait à genoux, tremblant de tout son corps.
— Que voulez-vous ? Le coffre se trouve derrière cet holotableau, là, hésita-t-il en pointant du menton une représentation de sa planète orbitant autour de son étoile.
— Je veux Bo’on Liy. Comment arriver jusqu’à lui ? interrogea Kendil en accentuant la pression du canon sur la peau du Céréen.
— Que lui voulez-vous ? C’est encore à cause de ses stupides réunions contre Palpatine ? Je lui avais dit que ça lui causerait du tort un jour où l’autre, balbutia Jun-Palsi.
— Où se déroulera la prochaine réunion ? dit l’assassin qui venait de se voir offrir une occasion en or d’approcher sa proie.
— Dans les salons du casino L’As de Bâton, secteur 112-5, dans deux jours en milieu de soirée. Je ne connais pas encore l’heure exacte, affirma le Céréen qui tremblait moins, rassuré que son agresseur n’ait finalement rien contre lui.
— Bien, conclut Kendil avant de presser la queue de détente de son arme.
Le corps de Jun-Palsi s’affaissa dans un bruit sourd sur la moquette de l’appartement 200 du 201 Plaza, les yeux tournés vers les milliers de lumières produites par les véhicules dans le ballet incessant de la circulation de la capitale galactique. Pendant ce temps, sur l’holo-écran immense plaqué contre le mur de la chambre, Zeidan Kahn-Hagen était honoré de la plus haute distinction du monde scientifique pour ses travaux sur la biologie comportementale des espèces sauvages de la Bordure Extérieure de la main du Chancelier Suprême Palpatine.