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Le cri inhumain qui jaillit simultanément de la gorge de Sali et de celle de Iella, déchira le silence étouffant qui suivit le geste fatal de Dark Zarek. Ils étaient tous à terre, et l’instant d’après sous la menace des armes des hommes serpents qui s’étaient précipités pour les empêcher de se relever. Mais leurs yeux exorbités étaient rivés vers le gouffre qui venait d’avaler deux d’entre eux. Le bras tendu de Iella était éloquent. Pétrifié, rigidifié en direction de l’endroit où venait de disparaître Calem, il projetait des doigts crispés inutilement vers le vide, réflexe ultime d’autant plus vain qu’elle se trouvait à bonne distance du bord.
Seul Gil avait pu bouger après sa chute, avant qu’un garde ne parvienne jusqu’à lui pour l’immobiliser, et il s’était projeté en glissant à plat ventre jusqu’à l’emplacement où Calem était tombé. Son torse suspendu dans le vide, il avait immédiatement aperçu le roi. Ce dernier était désespérément agrippé d’une main gantée à une petite saillie pierreuse, quelques dizaines de centimètres plus bas. Ses doigts s’étaient verrouillés sur elle, et ce geste instinctif lui avait momentanément sauvé la vie. Mais ce moment de rémission ne pouvait durer que quelques secondes car Calem n’était pas capable de se maintenir plus longtemps du bout de ses phalanges, à une aspérité d’à peine quelques millimètres de large.
Au moment où ses doigts lâchaient, les mains de Gil enserrèrent fermement son poignet, stoppant net la chute mortelle.
Jusqu’à ce moment, tout s’était joué en quelques secondes. Gil cria en grimaçant sous l’effort.
— Je vous tiens, Votre Majesté !
L’adolescent grimaça de douleur lorsqu’il voulut tracter vers lui la masse de Calem bien trop lourde pour lui. Avancé comme il l’était dans le vide jusqu’aux abdominaux, il lui était impossible de se redresser sans une aide extérieure ou sans lâcher le roi.
Du coin de l’œil, il aperçut le sergent Galiano qui avait imité son souverain en agrippant une sorte de racine qui dépassait du vieux mur de pierres à environ un mètre du sommet du puits.
— Je vous tiens, répéta Gil les dents serrées à s’en faire éclater la mâchoire. Aidez-moi ! essaya-t-il de crier sans parvenir à tourner suffisamment la tête pour pouvoir évaluer la situation derrière lui.
D’un mouvement de leur arme, chaque homme-serpent fit comprendre à son prisonnier qu’il était vain de vouloir bouger. Rendu à l’impuissance, chacun observait le cœur battant l’évolution de la situation.
— Le… le sergent… il faut l’aider aussi ! s’époumona vainement Gil en constatant les efforts inutiles que le commando effectuait pour tenter d’attraper une bordure trop éloignée de lui.
Dark Zarek s’avança lentement au milieu des corps étendus et de ses gardes jusqu’au bord du gouffre, à mi-distance entre l’endroit où l’adolescent tenait Calem suspendu dans le vide, et celui où Galiano gigotait au bout de sa racine. Là, il se retourna solennellement et écarta ses bras en regardant vers Gil.
— Nous voilà dans la plus cornélienne des situations. Je vois deux personnes à sauver. Malheureusement, le pauvre garçon à ma gauche, ne pourra pas hisser à lui tout seul notre bon roi pour le mettre en sécurité, et je gage que la situation ne pourra pas s’éterniser trop longtemps. Je sens…
Il s’interrompit et huma l’air frais de la prison comme s’il cherchait à déceler un infime parfum très particulier.
— … je sens glisser la main de Sa Majesté dans le gant qui l’emprisonne. Dans quelques secondes et malgré le dévouement du jeune homme qui vient de lui sauver provisoirement la vie, je crains fort que la chute mortelle ne reprenne ses droits un instant interrompus.
— Non, gémit Iella au bord des larmes.
Le Sith tourna lentement sa tête vers la droite et observa en plissant les yeux le commando qui s’était immobilisé.
— D’un autre côté, la racine miraculeuse qui a permis au vaillant soldat de s’octroyer un bienheureux sursis, est en train de craquer… je peux l’entendre d’ici. Il ne s’en faut là aussi que de quelques secondes avant qu’elle ne casse.
Le lieutenant Rigo lança un regard de haine à l’homme en noir qui n’en fit aucun cas, ses yeux s’étant à présent portés sur le visage de Sali.
— Ma belle princesse… pour vous, je vais en sauver un. Il vous suffit de me dire lequel.
Sali reçut la déclaration comme un coup de poing à l’estomac et en resta la bouche béante et le souffle coupé.
— Il s’agit là d’un acte royal, continua Dark Zarek. Une décision de vie ou de mort comme souvent seul un monarque ou un général peut avoir à prendre. Une vie dépend de vous princesse d’Austra. C’est votre bon vouloir que je sollicite humblement de Votre Altesse Royale.
Aucun son ne sortait de la bouche de la jeune fille qui se contentait de dodeliner de la tête, hébétée.
On entendit les gémissements de Gil qui transpirait malgré la fraicheur ambiante sous l’effort surhumain qu’il accomplissait. Ses yeux trahissaient un profond désarroi. Il sentait imperceptiblement mais inexorablement, la main de Calem glisser dans son gant de combat, comme l’avait si bien anticipé le démon noir qui se tenait tout droit au milieu d’eux comme un prêcheur parmi ses ouailles.
— No… non, finit par lâcher Sali en proie à une réelle terreur, je vous en prie… sauvez-les tous les deux !
— Pas question, répondit le Sith avec un mouvement négatif de la tête, vous devez choisir, faire acte de Reine. Soit vous sauvez votre gentil futur époux et par la même occasion les nombreux enfants qu’il ne manquera pas de vous donner pour vous remercier de lui avoir conservé la vie, soit vous accordez une longue existence au soldat si méritant qui est venu vous délivrer de votre prison, délaissant pour cela…
De nouveau, le Sith s’interrompit et parut chercher l’inspiration autour de lui avant de continuer d’une voix toujours aussi calme mais les yeux brillants.
— … ses deux enfants et sa jeune épouse enceinte du troisième.
— Salaud ! hurla le lieutenant Rigo hors de lui en tentant de se saisir de l’arme du garde qui le tenait en joue.
Aussitôt, Dark Zarek tendit ses bras vers lui, et le frappa durant plusieurs secondes d’une volée d’éclairs bleuâtres qui crépitèrent sèchement dans l’air. Une série de cris s’échappèrent du gosier de l’officier dont le corps de convulsa le temps que dura sa punition. Lorsque les décharges cessèrent, une légère fumée s’échappait de son corps accompagnée de quelques gémissements de douleur. Les bras du Sith retombèrent lourdement le long de son habit sombre.
— Ne sous-estimez pas mon pouvoir, et ne surestimez pas ma patience, aboya le Sith dont la voix tranchante claqua comme un coup de fouet avant de se radoucir aussitôt qu’il eut reposé ses yeux sur Sali.
— Le temps passe, jolie princesse et si vous ne vous décidez pas, les deux vont mourir… il ne vous reste que quelques maigres secondes pour vous décider.
À ce moment précis, on entendit deux exclamations presque simultanées. La première s’était échappée de la gorge de Calem qui avait crié :
— Galiano ! Sauve-le Sali !
Et la seconde avait été lancée par le sous-officier :
— Le roi ! Sauvez le roi !
Sali lançait des regards affolés autour d’elle mais Iella baissait les yeux, des larmes s’échappant le long de ses joues pour aller mourir sur les pavés froids et humides et Jarval ne disait rien. Réduit à l’impuissance, il paraissait comme hypnotisé par la situation.
La voix de Calem reprit, plus dure.
— Sali ! Je t’adjure de sauver le sergent Galiano ! C’est un ordre ! Zarek, écoutez-moi ! Laissez-moi tomber mais sauvez ce soldat, pensez à sa famille !
Allongée sur le sol, la princesse secouait la tête d’un air désespéré, complètement perdue et affolée.
— Je ne peux… pas… je ne peux pas choisir…
Gil sentit s’accélérer le glissement de la main dans le gant et son cœur bondit dans sa poitrine. Il cria.
— Ne lâchez pas, Sire, accrochez-vous par pitié !
Le Sith les toisait, imperturbable.
— Les secondes passent, Princesse Sali… tic, tac… tic, tac… tic, tac… votre choix vite ou vous les condamnez tous les deux.
Puis une voix se fit entendre. Forte et claire, comme apaisée. Elle provenait du sergent Galiano qui malgré la pénombre, braquait ses yeux brûlants sur ceux du monarque.
— Ça a été un honneur de vous servir, mon Roi !
— Que faites-vous ? cria Calem anticipant le geste du commando.
— J’élimine une branche de l’alternative, Sire ! Longue vie à Édéna !
Puis il lâcha délibérément la racine qui le maintenait encore en vie.
— Nooon ! hurla Calem entraînant à sa suite plusieurs cris de la part fr ses compagnons qui comprirent aussitôt.
Sali porta les deux mains à sa bouche pour étouffer l’horreur que son corps voulait vomir à l’adresse de l’ignoble créature en noir.
— Il va lâcher ! cria à son tour Gil qui ne sentait plus que le bout des doigts du roi à travers le gant.
— Calem ! Non !
C’était Iella qui semblait sortir de sa torpeur. Sali lança un regard de haine au Sith et lâcha dans un sanglot.
— Je vous en prie, sauvez-le !
Au même moment, la main de Calem quitta définitivement le gant que tenait Gil et l’adolescent hurla sa terreur en voyant disparaître dans l’obscurité le corps du jeune monarque. Dans un dernier effort, il se cambra et parvint à reculer son corps avant de rouler sur le dos, en pleurs.
Les deux jeunes filles avaient compris que le roi était tombé et hurlèrent de nouveaux à l’unisson. Jarval laissa choir lourdement sa face contre le pavé humide et le lieutenant se mit à secouer sa tête de désespoir entre ses mains.
Dans cet étonnant tableau vivant, d’une violence dramatique extrême, le Sith écarta théâtralement ses longs bras qu’il éleva lentement vers la voûte de la prison, et alors qu’ils dépassaient l’horizontale, le corps de Calem apparut progressivement au-dessus du vide. Lévitant dans l’air, membres ballants, le roi avait l’air hébété d’une personne qui ne parvenait pas à comprendre ce qui lui arrivait. Sali étouffa un cri et un frisson glacé parcourut son échine comme si elle contemplait un spectre.
— Mon dieu ! s’exclama de son côté Iella incrédule.
Le jeune monarque flottait maintenant deux bons mètres au-dessus du sol et se déplaçait insensiblement vers eux. Son corps effectua un arc de cercle qui le transporta jusque devant Dark Zarek devant lequel il descendit progressivement, jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol. À ce moment, le Sith interrompit la lévitation et, ses jambes se dérobant sous lui, Calem s’effondra comme une poupée de chiffon à ses pieds.
— Moi aussi, je suis ravi de vous revoir, Sire, articula le Sith, sarcastique. Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais laisser tomber un invité si précieux comme… comment dit-on déjà ? Ah oui… comme une vieille chaussette ?
Vaincu, Calem se souleva sur ses bras et leva la tête vers Zarek.
— Vous… cet homme avait une famille… vous n’êtes qu’un monstre…
Ce dernier ricana.
— Oui, c’est un effet que nous faisons souvent aux autres, nous autres, Seigneurs Sith ! Allons, relevez-vous, Votre Majesté, vous n’allez pas rester prostré à mes pieds tel un vulgaire manant ! Vous êtes le roi que diable, assumez-vous pleinement !
Calem reçut la remarque comme un soufflet et puisa en lui les ressources nécessaires pour faire front. Il se releva et se redressa de toute sa stature.
— Vous paierez pour le sergent Galiano, Zarek, j’en fais ici le serment !
Le Sith balaya l’air d’un revers de main.
— Oui, oui, Sire, nous verrons tout cela plus tard… l’ardoise, les arriérés, les intérêts si vous le souhaitez… d’ailleurs, à propos de souhaiter, laissez-moi vous glisser un protocolaire souhait de bienvenue dans ma modeste demeure… même si en ayant choisi de commencer votre visite par les bas-fond, vous vous privez d’en admirer les plus belles parties. Mais nous verrons tout cela demain… pardon, non, tout à l’heure, la nuit étant bien avancée. Toutefois, le programme risque d’être… comment dire… légèrement bouleversé par votre venue anticipée et je ne sais finalement, à quelle table je vous recevrai…
Sali frissonna en pensant aussitôt à une table de torture. Comme s’il avait intercepté sa pensée, Dark Zarek dévia son regard vers la jeune fille avec un sourire en coin et lui dit.
— Ce n’est pas bien de lire dans l’esprit des gens, princesse.
Puis revenant au roi.
— Ceci étant, la nuit n’est pas finie et je vous prie de disposer de mon aimable hospitalité. Sire, vous qui êtes au centre de la vie planétaire, je vous prie de regagner l’endroit d’où vous avez tiré votre fiancée à l’instant… et pour ne pas que vous vous sentiez seul, les deux jeunes femmes daigneront vous accompagner.
Il fit signe à ses hommes de relever et rassembler les prisonniers autour de lui.
— C’est extraordinaire, quelle ressemblance, s’exclama-t-il en dévisageant tour à tour Iella et Sali. Comment un visage aussi parfait peut-il exister en deux exemplaires ! Fascinant !
Il traversa le groupe et s’éloigna de trois pas avant de se retourner vers eux.
— Quand aux autres, je suis bon prince, je vous laisse de loisir de choisir votre cellule d’accueil.
Il désigna d’un large cercle du bras toutes les geôles barreaudées qui entouraient le gouffre, sauf dans la partie de l’entrée sur laquelle ils se trouvaient.
— Elles vous tendent les bras. Bien entendu, mes hommes vont vous délester de vos armes et de tous votre équipement… tous ces petits gadgets de commando qui ne vous serviront désormais à rien.
Les hommes-serpents s’exécutèrent aussitôt et confisquèrent aux prisonniers leurs armes, leur ceinture et tout ce qu’ils avaient dans les poches de leur tenue de combat, déposant le tout dans la première cellule sur leur gauche.
Puis dans le silence le plus complet, Calem et les deux jeunes filles furent poussés vers la passerelle qu’un garde rétracta dès qu’ils eurent atteint le pilier central du gouffre. Quant aux autres prisonniers, soumis, ils se dirigèrent chacun vers l’une des geôles. Gil tout d’abord, entra dans la première à droite, Jarval et Rigo choisissant les deux suivantes. Un garde s’avança vers le groupe de leviers qui se trouvait sur le mur, à droite de la porte en entrant dans la prison, et en releva trois, verrouillant aussitôt les cellules des prisonniers.
— Vous êtes tous bien installés ? Parfait. Alors je vous souhaite une bonne fin de nuit, lança le Sith d’une voix forte. À tout à l’heure !
Il quitta la prison suivi de ses hommes. La lourde porte blindée se referma en claquant de façon sinistre et un silence pesant retomba sur les lieux. La plupart des lumières s’éteignirent, ne laissant que quelques ampoules éclairer faiblement les lieux.
Quelques minutes plus tard, Zarek se déshabillait et se glissait dans la soie des draps en exhalant un léger soupir. Allongé sur le dos, il réfléchit un moment à la façon dont se présentaient les événements. Avec le roi à sa merci ainsi que les deux jeunes femmes auxquelles il semblait plus qu’attaché, il tenait tous les atouts entre ses mains. Le jeune monarque ne ferait pas le poids face à lui et devrait bien tôt ou tard le conduire au Temple d’Édin. Son esprit vagabonda un instant sur la nature de l’artéfact décrit sur les gravures du temple en ruine. Il ne doutait pas un instant qu’il y ait « quelque chose » que les prêtres d’Édin protégeaient, mais c’était plus sur l’essence de ce « quelque chose » qu’il hésitait. Ce dont il était persuadé était que cet artéfact avait un lien étroit avec la Force. Cette dernière était plus présente sur la petite planète que sur n’importe quelle autre où il avait pu mettre les pieds. Une puissance extraordinaire émanait d’Édéna dans la Force, il le sentait. Cette question de la nature même de l’artéfact était devenue au fil du temps une obsession dont il ne parvenait pas à se débarrasser. Il y pensait sans cesse, même la nuit, rêvant à un pouvoir insoupçonné, ici, sur cette planète perdue à la marge de la galaxie. Et si cela lui permettait un jour de prendre la place de l’Empereur et de mettre à genoux la République Galactique ?
Il laissa ses poumons se dégonfler lentement comme pour évacuer les idées de son cerveau et se tourna sur le flanc pour contempler la silhouette qui respirait lentement à son côté, endormie en chien de fusil et qui lui tournait le dos. Posant une main sur le flanc dénudé, il effleura la peau si douce et continua son chemin jusqu’à envelopper le dôme ferme et souple à la fois d’un sein dont il pinça le bout entre le pouce et l’index. La Theelin gémit sous la douleur.
— Aïe, vous me faites mal.
Elle roula sur elle pour se mettre sur le dos, offrande vivante à son Maître qui souffla.
— Je croyais que tu aimais ça, apprentie.
La jeune femme grimaça mais ses yeux se mirent à briller dans l’obscurité de la chambre.
— J’aime ça parce que vous aimez ça, Maître.
— Tu es une disciple exemplaire, Diva, la seule créature de cette planète qui mérite mes attentions. Tu es d’une race de dominateurs invincibles. Toi et moi allons asservir ce monde misérable pour servir notre dessein.
— Oui, Maître, murmura-t-elle cependant qu’il s’allongeait sur elle.
— J’ai capturé le roi et son équipe, poursuivit-il en s’activant, il n’a pas pu résister à l’idée de voler au secours de sa faible fiancée… comme tu l’avais prévu.
— C’était logique, Maître, laissa échapper Diva entre deux gémissements. Croyez-vous qu’il cèdera ?
— J’ai de quoi lui forcer la main avec les deux femelles, et pour faire bonne mesure, j’ai envoyé l’armée vers Édinu. L’absence de son roi va déstabiliser le gouvernement.
— Il y a le prince pour le remplacer, objecta la Theelin dans un soupir.
— Ce jeune homme faible à qui tu donnes tes faveurs ? Garce, grinça le Sith en donnant plusieurs coups de reins brutaux. Tu vas retourner là-bas et l’amener à tes vues le plus rapidement possible, compris ?
— Oui… Maître.
Diva poussa plusieurs cris tandis qu’au loin le tonnerre grondait toujours en perdant progressivement de l’intensité.
Quelques minutes plus tard, Dark Zarek s’allongeait en sueur au côté de son apprentie, vaincu par l’ambiance moite de l’orage et de ses efforts.
*
* *
Gil regarda autour de lui. La cage dans laquelle il se trouvait était nue, hormis un banc de pierre sans dossier, scellé au sol, qui servait visiblement de lit. Il croisa les bras autour de son corps pour se réchauffer.
— Brrr, fit-il plus pour lui que pour les autres, c’est pas le grand confort ici. J’ai connu mieux.
Au centre des lieux, Sali et Iella s’étaient instinctivement rapprochées de Calem contre lequel elles s’étaient blotties sans rien dire. Le roi ne disait rien. Devant ses yeux défilaient en boucle les images du sergent Galiano lâchant prise pour éviter à la princesse un choix impossible à faire et sauver ainsi la personne du monarque. Jarval s’était assis sur son banc et avait pris sa tête entre les mains pour réfléchir… si toutefois, il y avait encore quelque chose à considérer dans leur situation. Quant au lieutenant Rigo, il portait sur ses épaules voûtées tout le poids de l’échec de leur mission de sauvetage. Ils avaient sous-estimé leur adversaire qui visiblement les attendait, et avait joué avec eux comme un chat avec une souris. Et le piège avait fonctionné. La mort amère de son sous-officier laissait une veuve et trois orphelins qu’il connaissait bien. Mais le plus grave était sans doute que le mystérieux Seigneur en noir détenait à présent le roi d’Édéna qui était à sa merci. Qu’allait-il décider de faire de lui… et d’eux ? Il pensa fugitivement que dans le cas où le roi était empêché de gouverner, c’était son frère qui devait prendre les rênes du gouvernement. Le prince Taimi. Rigo soupira. Il n’avait jamais accordé aucune confiance au cadet du monarque qu’il jugeait trop jeune, trop impétueux et trop irresponsable, pour assumer la charge d’un royaume et a fortiori d’une planète entière. Le pire pouvait à présent se produire.
— Je suis désolée, murmura Sali au centre de la prison.
Calem caressa ses longs cheveux.
— Ce n’est pas ta faute, répondit-il d’une voix pleine d’indulgence, s’il y a un responsable pour ce fiasco, c’est moi. J’assume pleinement mes responsabilités dans tout ce qui nous arrive.
— Mais si je n’avais pas voulu me rendre aux ruines…
— Cet individu aurait trouvé autre chose pour m’attirer ici. Non, Sali, ne culpabilise pas. La partie n’est pas finie. Ce Zarek a besoin de moi. Je saurais bien trouver le moyen de le neutraliser d’une façon ou d’une autre.
Le cœur du roi battait la chamade pour une toute autre raison. Sentant contre lui le corps des deux jeunes femmes dont l’odeur parvenait jusqu’à ses narines, son esprit s’embrouillait à l’idée qu’il lui faudrait, si les choses se normalisaient, en choisir une. Or, si son enclin naturel le portait vers Iella, il ne pouvait se résigner à malmener celle qui devait officiellement devenir sa fiancée et à lui causer le moindre chagrin. Sali était l’incarnation de la bonté et de la compassion et ne méritait en aucun cas de souffrir. À cet instant, il sut qu’il ne pourrait jamais choisir entre l’une ou l’autre.
Ce fut Gil qui le tira de ses pensées complexes.
— Bon, fit le garçon, c’est bien beau tout ça… mais si nous pensions à nous tirer d’ici ?
Son effet étant réussi, il savoura avec un plaisir juvénile les regards qui convergeaient vers lui, tous empreints d’une lueur d’interrogation. Ce fut Jarval qui répondit.
— Bonne idée, Gil… mais si tu comptes sur moi pour le réaliser… je suis un peu à court d’idées, là.
— Ce n’est pas grave, capitaine Jarval, il suffit d’ouvrir ces portes et se barrer d’ici au plus vite… comme prévu en fait.
— Je ne doute pas que tu puisses crocheter une serrure avec peu de chose, mais je te rappelle que ces grilles n’en ont pas.
— Je sais, capitaine, elles sont électromagnétiques. Il suffit donc d’abaisser l’un de ces leviers là-bas pour les ouvrir.
Il montrait du doigt le groupe de leviers encastrés dans le mur à une bonne quinzaine de mètres de lui.
— Tout à fait, Gil, continua le chef de la Garde royale, mais ne me dis pas que tu es capable de passer entre ces barreaux… ni que ton bras peut s’étendre à l’infini comme un élastique.
Gil secoua la tête en découvrant ses dents éclatantes.
— Ça non, capitaine, ces barreaux sont trop serrés, mon crâne ne passe pas… c’est la seule chose que je ne peux pas réduire… et mon bras est bien trop court… quoique ce serait rudement pratique s’il pouvait s’allonger. Il va falloir trouver autre chose.
La bonne humeur de l’adolescent parut détendre les prisonniers et leur insuffler courage et espoir. Au centre du puits Calem se leva et s’approcha du bord pour examiner plus attentivement les lieux, suivi par les deux jeunes filles.
— Je suppose que ce précipice est trop large pour qu’on puisse sauter par-dessus… même pour une championne de varappe ?
— Totalement, soupira Iella qui s’était fait la même réflexion. Encore, si nous connaissions sa profondeur et la nature du sol en bas, j’aurais pu tenter une descente et une remontée… certaines saillies de ces pierres sont bien tentantes pour une givrée de l’escalade comme moi.
Elle laissa échapper un petit rire nerveux. Gil reprit de l’autre côté de la fosse.
— Vous aimez la pêche ?
— Moi, j’aime bien, répondit de façon surprenante le lieutenant Rigo. C’est un passe-temps qui demande de la patience, qui requiert du calme et de la maîtrise de soi.
— Et la pêche à la mouche, lieutenant ?
— J’adore… ça exige en plus de tout cela, une précision et un toucher impeccables.
— Ouais… moi aussi… tous les moyens sont bons pour exercer ma dextérité, continua Gil en enlevant sa tenue de commando.
Puis il se tourna vers le centre de la prison.
— Je vais demander aux demoiselles de regarder ailleurs, s’il vous plait… ce coup-ci, je vais devoir effectuer un vrai strip-tease !
Ce disant, il ouvrit la longue fermeture éclair latérale qui fermait le collant noir dans lequel il avait rampé à l’intérieur de la bouche d’aération de la tour.
Amusées, Iella et Sali pivotèrent à regret, essayant de résister à l’envie de tourner la tête pour savoir ce qui se passait dans leur dos.
Le garçon fit descendre son collant jusque sur ses hanches. De son emplacement, Calem ne comprenait pas où Gil souhaitait en venir. L’adolescent se rapprocha de la grille qui le séparait de Jarval.
— Je vais avoir besoin d’un coup de main, capitaine, annonça-t-il en s’activant des doigts sur son torse en apparence nu.
On entendit une exclamation provenant du lieutenant Rigo.
— Gil, tu es un garçon surprenant !
La curiosité fut la plus forte pour Iella et Sali qui tournèrent leur tête. Elles virent un étrange ballet se dérouler dans la cellule du garçon. Celui-ci, les bras levés, tournait sur lui-même telle une toupie pendant que Jarval effectuait des moulinets avec ses mains, comme s’il entortillait quelque chose sur lui-même. Il leur fallu un peu de temps avant de comprendre que le garçon déroulait une très fine corde qu’elles ne pouvaient distinguer, peut-être un gros fil de pêche, qu’il portait enroulée autour de son corps à même la peau, pendant que Jarval en faisait une bobine. Sa finesse lui avait permis d’échapper à la palpation en règle à laquelle les gardes s’étaient livrés sur eux après les avoir dépouillés de leur équipement. Tandis qu’il tournait, son collant avait glissé le long de ses jambes fines, le laissant pour ainsi dire nu, à l’exception d’un fin maillot sombre qui cachait juste la partie la plus impudique de son anatomie.
Iella et Sali étouffèrent un petit rire et tournèrent de nouveau le dos au spectacle.
— Tu nous diras quand il se sera rhabillé ? fit Sali à Calem qui ne cachait pas lui-aussi son amusement malgré la sévérité de leur situation.
Lorsqu’il eut terminé, Gil remonta son maillot dans lequel il se renferma avant de repasser sa tenue de combat.
— Je crois que c’est bon, laissa échapper le jeune monarque avec un grand sourire. Votre pudeur peut désormais souffrir de nouveau le spectacle.
L’adolescent ôta l’une de ses chaussures qu’il attacha solidement à une extrémité du fil.
— Excellente idée ! lâcha le lieutenant Rigo qui avait compris les intentions du garçon. J’espère que tu es adroit à la mouche !
— Je suis adroit pour plein de choses avec mes longs doigts, répondit Gil suffisamment fort pour que Iella et Sali puissent entendre.
Un gloussement étouffé provenant du centre du gouffre lui apprit que le message avait été entendu et décodé. Gil s’approcha de l’angle de la grille le plus proche des leviers et passa son bras au travers.
— Je viens de comprendre, avoua Calem.
— Moi aussi, répondit Sali, en espérant qu’il y parvienne.
— Il peut le faire, j’en suis certaine, ce garçon a une adresse prodigieuse, s’enthousiasma Iella.
Il faisait à présent des moulinets dans l’air avec sa chaussure comme un tireur à la fronde, puis lâcha. Le soulier décrivit un arc de cercle et rebondit sur le mur un mètre au-dessus des leviers avant de retomber sur le sol suintant d’humidité.
— Désolé, grinça Gil en ramenant son projectile vers lui. Il faut que j’ajuste mon lancer.
— Ce n’est pas grave, répondit Calem, prends ton temps et ne t’énerve pas.
— Moi m’énerver ? Peuh, c’est mal me connaître. Vous avez déjà essayé de voler un diamant tombé dans un trou rempli de serpents venimeux ? Le but du jeu c’est de ne pas faire de geste brusque…
— J’en déduis que ça t’es déjà arrivé ? demanda Rigo, la tête collée aux barreaux pour mieux voir.
— P’têt ben… mais je vous dirai pas où… histoire de pas énerver à son tour le capitaine Jarval.
L’adolescent laissa échapper un petit rire et reprit son exercice. Cette fois, la chaussure atterrit sur les leviers baissés et glissa sur eux pour retomber.
— Tu y es presque, l’encouragea le capitaine, juste un peu plus à droite et c’est bon.
Le moulinet reprit du service.
— À la mouche, tout est dans la précision, marmonnarr Gil entre ses dents tout en se concentrant un maximum. Il faut savoir délivrer la bonne longueur de fil et maîtriser son fouet pour poser son leurre au bon endroit.
Le godillot effectuait de larges cercles dans l’air de la prison. Subitement, il s’envola lorsque l’adolescent le libéra, décrivit un arc gracieux dans la pénombre et retomba au-dessus des leviers levés, entre le mur et eux.
— Bravo ! s’exclama Jarval, tu y es. Du doigté à présent, ne tire pas trop fort, hein ?
— Vous voulez le faire à ma place ?
— Non, non, tu te débrouilles très bien tout seul, continue.
La langue de l’adolescent s’immisça entre ses lèvres tandis qu’il se concentrait et abaissait son fil au maximum avant de le tendre délicatement. Il sentit aussitôt la résistance des leviers qui coinçaient maintenant la chaussure.
— Le fil va tenir ? s’angoissa le capitaine.
— Le fil de pêche peut tracter des dizaines de kilos voire plus, répondit le lieutenant Rigo qui ne perdait pas une once du spectacle.
Les leviers offraient plus de résistance que prévu et Gil commençait à redouter qu’ils n’aient un cran de sûreté qui les empêcha de bouger. Il tractionna avec plus d’insistance, la respiration bloquée. Puis insensiblement, il sentit la résistance diminuer. L’un des leviers bougeait.
— Ça vient, gémit-il en tirant plus fort tout en priant pour que sa ligne ne casse pas.
Lentement le levier s’abaissait.
— Le problème, se plaignit l’adolescent, c’est que si le déclencheur est plus bas que l’horizontale, il va libérer le soulier sans que rien ne se produise.
— Dans ce cas, tente un coup sec, proposa le lieutenant, en espérant que dans l’élan, le levier s’abaisse plus bas.
— Vous en pensez quoi, capitaine ?
— Comme Rigo, il faut tenter le tout pour le tout ! déclara fermement Jarval les yeux rivés sur le levier et la chaussure perdus dans la pénombre.
— On fait comme ça alors !
Et joignant le geste à la parole, il tira d’un coup sec sur son fil. L’instant d’après la grille de la cellule du lieutenant s’ouvrait.
— Bravo ! Tu as réussi, Gil ! s’écria-t-il en sortant aussitôt pour se précipiter sur les autres leviers.
Les deux autres cellules s’ouvrirent puis il déploya la passerelle ce qui permit à Calem de revenir vers eux, suivi de Iella et de Sali. Le roi frotta vigoureusement le sommet du crâne de l’adolescent.
— Bravo, Gil ! Après m’avoir sauvé la vie, tu viens sans doute de la sauver à nous tous !
Le garçon rougit sous le compliment pendant que le roi continuait.
— Ne perdons pas de temps ! Reprenons notre équipement et filons d’ici. Tirez sur tout ce qui bouge ! L’important est de sortir de cette tour par n’importe quel moyen !
En quelques minutes ils furent rééquipés et réarmés.
— Bien, fit Calem, à présent comment ouvre-t-on cette porte ?
— C’est la mauvaise nouvelle, Sire, répondit d’une voix désolée un lieutenant Rigo perplexe, j’ai comme l’impression que le seul levier qui puisse le faire se trouve à l’extérieur.
Jarval jura tout haut avant de se reprendre.
— Pardon ! Ce que je veux dire…
— On a bien compris ton point de vue, Jarval, laissa tomber le roi en donnant une claque sur l’épaule du capitaine. Reste à savoir ce que nous pouvons faire ?
— On peut faire du bruit pour attirer les gardes, proposa Rigo, et dès que la porte est ouverte, on tire dans le tas.
— Ça me paraît une bonne idée, répliqua Jarval en prenant son arme dans la main.
— À condition qu’ils ne sonnent pas l’alarme générale, remarqua Calem avec une moue. Nous avons bien vu que nous n’étions pas de taille à lutter contre ce… Sith.
— J’ai peut-être une idée, intervint Sali, vous allez me prendre pour une folle mais…
— Tout idée est bonne à prendre, soupira le jeune monarque.
Sali se tourna vers son sosie et lui posa une main sur l’épaule.
— Iella, tu te souviens de ce qui s’est passé aux ruines lorsque les deux hommes-serpents nous ont attaquées ?
— Euh, oui, je crois… tu veux dire lorsqu’ils se sont… comme… envolés ?
— Exactement. Ce Zarek m’a parlé de ce pouvoir. Il appelle ça la Force. C’est comme une chose… une énergie qui nous entoure et qui régie l’univers et certaines personnes ont le don de s’en servir.
— Tu crois que c’est ce qui est arrivé ?
— J’en suis persuadée… tu dois pouvoir contrôler cette Force.
— Mais je ne sais pas comment faire, protesta Iella.
— Je sais, mais ça vaut le coup d’essayer non ?
— Comment ?
La princesse passa dans le dos de son sosie et l’entoura de ses bras.
— Essaye de te concentrer sur le levier qui ouvre cette porte, murmura-t-elle à son oreille, de l’autre côté du mur… tu l’as vu en entrant ?
— Oui, je le vois encore dans ma tête…
— Bien… fais comme moi, ferme les yeux, et visualise-le…
— C’est ce que je fais…
Gil et les trois hommes retenaient leur souffle sans trop comprendre ce qui se passait, ni de quoi parlait Sali même s’ils avaient pu avoir un aperçu des pouvoirs de l’homme en noir.
— Concentre-toi avec moi, continuait Sali à voix basse, laisse ton esprit traverser le mur, canalise toute l’énergie que tu peux trouver autour de toi pour atteindre ce levier et le faire bouger…
— Je… je ne sais pas comment faire, gémit Iella.
— Fais confiance à ton instinct… si vraiment tu peux te servir de cette Force, alors tu y arriveras, continue à te concentrer… le mur… traverser… le levier…
Les deux jeunes filles fermaient les yeux, immobiles comme des statues. Une ou deux minutes s’écoulèrent ainsi. Le silence était à son comble lorsque après un déclic, la porte se mit à pivoter lentement sur ses gongs.
— Ça par exemple, s’exclama Calem au milieu des « oh » de surprise du reste du groupe.
— Tu as réussi ! s’écria Sali en embrassant son sosie sur la joue.
Iella, quant à elle, ne parvenait visiblement pas à croire qu’elle avait fait ce qu’elle venait de réaliser.
— C’est… c’est impossible, murmura-t-elle.
— Mais si, ça l’est ! s’emballa Sali toute joyeuse, j’en étais sûre, tu arrives à te servir de cette énergie !
— Je… j’ai du mal à l’imaginer…
— L’essentiel, c’est que tu aies pu le faire, fit Calem en prenant son arme, imité par les autres.
C’est pistolets et fusil d’assaut au poing qu’ils franchirent la lourde porte blindée qui celait la prison. Sans attendre de savoir si d’autres gardes occupaient la petite salle proche de l’escalier, ils s’engouffrèrent dans celui-ci le plus silencieusement possible et grimpèrent les marches deux à deux.
Ils ne furent pas longs à atteindre le rez-de-chaussée du donjon. Entrouvrant précautionneusement la porte, le lieutenant commenta.
— Deux nouvelles sentinelles ont été postées à l’entrée… vous êtes prêts ?
Chacun fit un signe de la tête.
— Ok, alors, allons-y !
La porte s’ouvrit et ils chargèrent sans laisser aux deux hommes-serpents la moindre chance. Quelques tirs bien placés eurent raison d’eux en quelques secondes. L’instant d’après, toute l’équipe était dehors et sautait à gauche sur les rochers en contrebas du pont-levis.
— J’espère que personne n’a trouvé notre corde, maugréa Rigo en rejoignant l’aplat rocheux sur lequel Iella avait achevé son escalade.
— Non, la voilà ! s’écria Jarval en se penchant dans le vide pour attraper le bout qu’ils avaient caché.
Comme il disait ces mots, une trompe sonna à l’intérieur de la tour.
— Par Edin, ils se sont aperçus de notre fuite. Nous n’aurons pas le temps de descendre les uns après les autres avec le treuil, avertit le lieutenant en réajustant la corde au piton que Iella avait enfoncé dans la falaise. Voilà comment on va procéder, écoutez-moi bien, le temps presse. Sire, vous allez vous attacher à la corde avec la princesse et Gil et vous allez descendre sur le frein du treuil. Dès que vous serez en bas, gardez la corde bien tendue et nous suivrons en rappel, Iella, Jarval et moi dans l’ordre, compris ?
L’heure n’était pas à la discussion et les priorités de l’officier étant claires, personne ne répondit. Aussitôt, il relia les boucles des ceintures du roi, de Sali et de Gil et les amena au bord du vide.
— Allez-y, invita-t-il en enclenchant le frein du treuil, vous allez descendre rapidement mais pas trop vite et sans accélération. Le jour se lève, vous n’aurez aucun mal à voir arriver le sol. Ne vous arrêtez pas sur la corniche de laquelle nous sommes partis. La corde est assez longue pour atteindre le fond du canyon, donc une fois atteint la corniche, vous continuez la descente jusqu’en bas. Ensuite nous suivrons.
— Compris, fit Calem avant d’entraîner Sali et Gil avec lui dans le vide.
Sitôt qu’ils eurent disparu, le lieutenant se cala à l’ombre d’un rocher, fusil en position en direction de la tour. Jarval et Iella en firent de même.
— Restez dans l’ombre de ces rochers et ne tirez pas tant que nous ne sommes pas découverts. N’oubliez pas que chaque minute gagnée joue en notre faveur.
De leur position, ils ne pouvaient pas voir la porte du donjon et ne distinguaient dans l’aube naissante que l’extrémité extérieure du pont-levis. Mais ils remarquèrent bientôt les silhouettes longilignes de plusieurs hommes-serpents qui s’avançaient sur la passerelle en observant dans toutes les directions. Ils auraient tôt fait de comprendre que les fugitifs n’avaient pu s’échapper en longeant les remparts vers l’arche de pierre qui surplombait le canyon au niveau des portes d’entrée de la forteresse. Le chemin entre la muraille et le précipice était à découvert et rien ne permettait de s’y cacher. C’était pareil pour le pont naturel. S’il y avait des sentinelles sur les remparts, elles sauraient que personne n’était passé par là. De fait, l’un des gardes qui se trouvaient sur le pont-levis revint sur ses pas, disparut un instant à leur vue derrière l’arrondi du donjon, puis réapparut en contrebas sur les rochers qui menaient vers eux. Rigo fit signe de rester à couvert. Le garde s’avançait toujours en furetant de droite et de gauche à la recherche d’un indice de passage. Quelques mètres de plus et il pourrait les apercevoir. Avec précaution, il s’approcha du vide et essaya de voir vers le fond à la faveur de la luminosité qui croissait à vue d’œil. De là où il se tenait, il ne pouvait apercevoir les trois fugitifs qui descendaient à cause d’une avancée de la falaise qui lui masquait la vue. L’homme-serpent demeura un instant immobile, debout dans une flaque d’eau que l’orage qui grondait toujours mais de façon plus lointaine, avait laissé sur la roche. La pluie ne s’était visiblement arrêtée que récemment.
—
Allez, va-t-en ! souffla intérieurement le lieutenant dont le doigt était crispé sur le bouton de son fusil.
Lentement, le garde pivota et fit deux pas en direction du donjon lorsque deux autres saurocéphales s’approchèrent à leur tour pour le rejoindre. S’ensuivit une discussion de raclements de gorges et de craquètement incompréhensibles, puis, se retournant vers l’endroit où les évadés se dissimulaient, ils se remirent en marche.
Ce ne fut pas long pour que celui qui ouvrait la marche ne parvienne à distinguer une partie de la silhouette agenouillée de Rigo planqué contre un rocher.
— Feu ! ordonna ce dernier en donnant l’exemple.
L’échange de tirs fut bref entre les gardes à découvert et les fugitifs à l’abri. Au même moment, une voix s’échappa du communicateur du commando. C’était le roi indiquant qu’ils étaient arrivés au bord du torrent.
— C’est bon, ils sont en bas, cria Rigo, Iella, à vous !
La jeune fille se leva et saisissant la corde la passa dans un mousqueton frein qu’elle accrocha à sa ceinture. L’instant d’après, elle s’élançait dans le vide comme plusieurs autres gardes surgissaient sur les rochers près de la tour en tirant vers elle. Jarval et Rigo ripostèrent et la virent disparaître dans le vide.
— On ne peut pas attendre qu’elle soit en bas, cria le lieutenant à son supérieur, il va falloir tous y aller. Après vous, je vais les retenir !
Dans l’action, une fois admis le principe de qui est qualifié pour commander, on ne perd pas de temps à discuter car chaque seconde de perdue est un risque supplémentaire qu’on fait courir à une équipe. Jarval acquiesça donc sobrement de la tête.
— Je vais vous couvrir, capitaine, à trois vous y allez ! Un, deux… trois !
Rigo se redressa légèrement pour passer la tête par-dessus les rochers et ouvrit le feu de son fusil d’assaut. Là-bas, deux saurocéphales tombèrent et les autres se jetèrent à plat ventre ou à l’abri des aspérités de la roche. Profitant de ce bref répit, Jarval imita Iella et après s’être assuré sur la corde, se jeta à son tour dans le vide. Lançant un coup d’œil sous lui, il constata que la jeune fille effectuait sa descente en vrai professionnelle à une vitesse bien supérieure à celle qu’il pourrait adopter sans risquer la chute.
Le lieutenant tira encore plusieurs rafales en direction des assaillants puis recula jusqu’au piton qui tenait la corde dans la falaise et l’enroba d’une pâte molle sur laquelle il plaça un petit appareil. De nouveaux tirs firent éclater des morceaux de roches tout près de lui et aussitôt, il riposta en lâchant de longues rafales qui clouèrent de nouveau les hommes-serpents au sol. Décidément, ces créatures n’étaient pas des plus téméraires et c’était tant mieux !
Cela lui laissa le temps d’ajuster à son tour le frein à la corde puis à sa ceinture avant de se jeter dans le vide.