Ysalamari84 a écrit:DRIII a écrit:Le "réel" s'est immiscé dans le conte de fée
Je me permets de te citer et qui reprend ce que je pense de TLJ.
C'est clairement l'intention de Johnson, mais ça n'a rien a faire dans un récit à portée mythique. A titre personnel, je me contre-fiche qu'un "scénariste" qui se soit baigné dans des films à la Woody Allen où sur fond de psychodrame le perso se voit confronté à une crise existentielle se croit obligé, dans la mode actuelle de relativiser tout ce qui a trait à la pop-culture, de transcrire ça dans un Star Wars.
Ca paraît extrémiste de dire ça, mais encore à l'époque où un livre relativisait le caractère d'un personnage parce qu'il était plus ou moins bien dépeint par l'auteur, on pouvait faire le choix d'ignorer cette oeuvre en se disant que c'était anecdotique. Là c'est un film, qui plus est un épisode numéroté, et je ne peux pas me retirer de l'esprit que dès à présent, toute la saga n'a plus aucun sens à cause de ce seul film. J'attends le IX pour voir comment (si c'est fait) le coup sera rattrapé, mais rien ne pourra enlever le message du film. Et ça c'est bien triste pour un conte de fée moderne.
Mais ce n'est pas le "pêché" de TLJ ou Johnson. C'est déjà la base du récit TFA qui prend pour point de départ un "désenchantement", qui nous explique dès les premières minutes que l'apothéose qui marque la fin de ROTJ n'était qu'un faux semblant. C'était une "fausse fin". Et je comprends tout à fait les réactions de Love It. Oui, il y a quelque chose de sacrilège dans cette suite, en ce qu'elle remet en cause Star Wars comme conte de fée, l'apothéose finale et les personnages en tant qu'archétypes. Cette postlo explore en quelque sorte l'envers du mythe, elle le réexplore sous un autre prisme, plus "réaliste" (avec des guillemets), je dirais même plus prosaïque.
Le tout désormais, c'est de considérer la pertinence du discours, de ce qui nous est raconté, et c'est là que j'entre en désaccord avec I Love It. Parce que finalement, qu'est-ce que Star Wars peut nous raconter d'intéressant aujourd'hui, qu'est-ce que ces films peuvent nous dire de plus si on reste sur les codes balisés et archétypaux du conte de fée ? Pour moi, rien. Tout a été dit dans les deux précédentes trilogies, l'histoire est bouclée, la morale posée. Poursuivre l'histoire de Star Wars sur les mêmes bases ne présente, à mes yeux, aucun intérêt. Parce que les archétypes sont indépassables. Si on reste dans ce cadre balisé et posé, la jeune génération ne peut que répéter la même histoire : soit elle reproduit ce qu'a fait Luke, soit elle reproduit ce qu'a fait Anakin. Donc on est dans une répétition du même cycle jusqu'à l'infini.
La place du personnage de Luke dans la postlogie est déterminante dans le sens qu'on veut lui donner à cette postlogie. Imaginons que TFA et TLJ n'aient pas pris l'option "disruptive" voire "transgressive" d'Abrams et Johnson. Qu'ils aient choisi de faire de Luke un vieux sage archétypal. Quel serait le message envoyé aux jeunes générations ? Contentez vous d'écouter Luke et vous vous accomplirez. Ne l'écoutez pas et vous vous perdrez. On est alors dans un schéma et un discours foncièrement conservateurs qui sacralise le passé et qui ne conçoit l'avenir que sous une reproduction en boucle de l'existant, de ce qui a déjà été fait. En celà, I Love It est raccord quand il s'emporte sur l'idéologie "progressiste" hollywoodienne qui sous-tendrait la postlogie. Parce que lui est dans un schéma conservateur. Un schéma qui - s'il avait été mis en place dans cette nouvelle trilo - aurait porté comme principal message aux jeunes générations : "contentez vous d'écouter vos aînés et les vaches seront bien gardées".
Mais est-ce que ce discours est pertinent aujourd'hui ? C'est discutable. Et c'est là qu'une autre grille de lecture me semble nécessaire. Celle qui consiste à analyser Star Wars non pas sous le prisme du conte de fée mais du mythe générationnel, voire du mythe d'une génération et d'une époque. L'OT, c'est à l'apothéose des « baby boomers » (incarnée au cinéma par la génération Lucas, Spielberg, Coppola) et le dernier grand mythe américain, celui des années Reagan, des années 80, où l'Oncle Sam, remis des affres de la guerre du Vietnam, impose définitivement son modèle politique, économique et culturel au reste du monde, face à « l'Empire » soviétique, incarnation du Mal. La chute de « l'Empire » prophétisée dans ROTJ se concrétise dans le monde réel par celle du Mur de Berlin et du rideau de fer. Un certain Francis Fukuyama théorise dans la foulée « la fin de l'histoire », postulant le caractère indépassable du modèle démocratique libéral occidental, le consacrant même comme essence absolue de l'Humanité.
Mais ça, c'était la fin des années 80. Trente ans après où en est le monde et l'Amérique ? Replis identitaires, terrorisme religieux, tentation isolationniste (Luke ?), résurgence des vieilles idéologies moisies racialistes ou suprémacistes (Kylo Ren?)... le positivisme « new age » de l'Amérique des années 70/80 a enfanté 30 ans plus tard la clownerie trumpienne (Hux?). L'héritage laissé par la génération dorée du « baby boom » - dont l'OT incarnait l'apothéose dans les années 80 – mérite donc réflexion, voire reconsidération. Est-ce que cette génération d'enfants prodigues (voire prodiges) a engendré des parents et des grands-parents idéaux ? Là aussi, la critique est permise, notamment de la part de la génération X, celle d'Abrams et Johnson, enfants de baby-boomers. Pourquoi le Han Solo fuyant et désabusé de TFA, le Luke aigri et replié sur lui-même trouvent-ils un écho dans notre monde ? Parce qu'ils ressemblent à nos parents ou – pour les plus jeunes – nos grands-parents. Il est d'ailleurs amusant et ironique que le « baby-boomer » George Lucas ait reconnu avoir vendu « ses enfants » à des « esclavagistes blancs ». Le papa de Star Wars reconnaîtrait-il avoir été un mauvais père ?
Donc oui, pour redonner du sens à « Star Wars » dans le monde des année 2010, il fallait peut-être sortir du simple conte de fées, déconstruire les archétypes. Pour ma part, je n'ai aucun problème dans le traitement « désidéalisé » de Luke et Han Solo dans cette postlo. Pour les raisons évoquées plus haut. Ce qui me questionne un peu plus, c'est le traitement de la nouvelle génération et le message envoyé. Sur Kylo Ren, pour l'instant, ça tient la route : l'échec et/ou l'absence des pères a engendré le chaos, la détresse, l'irrésolution, le relativisme moral. Pour Rey, en revanche, j'espère qu'on ira au-delà du message invitant simplement la jeunesse « lumineuse » (sous-entendue "progressiste") - antagoniste de Kylo Ren – à réenchanter le monde. Ca pourrait être un brin démago et facile. L'épisode IX sera le juge de paix.