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Chapitre 24
Une odeur musquée flottait dans l’air. Une odeur qu’on ne respirait guère plus dans la galaxie… Une odeur aussi agréable qu’apaisante. L’atmosphère de Caamas.
Il revoyait le générateur de bouclier. Leur cible… Enfin, les Caamasis allaient payer leur impudence. On ne donnait pas de leçon de politique aux Bothans si facilement.
Il savait que la plus grande partie de son peuple désapprouverait ce qu’ils allaient commettre. Pourtant, c’était nécessaire. Tous les volontaires en étaient conscients.
Leur mystérieux commanditaire n’avait pas d’importance. Il n’était qu’un moyen. Non, ce qui comptait vraiment, c’est qu’en ce jour Beny’lya et ses amis allaient éradiquer le chancre que représentait la culture du pardon caamasi dans la société bothane… Une société qui n’avait qu’un espoir de survie : la dureté, impitoyable, traditionnelle, sacrée des Clans, seule clé qui leur permettrait de résister face à l’oppression humaine qui se renforçait…
L’image changea. Il était à bord de leur vaisseau de transport, et tenait dans les mains la clé de leur succès et de leur salut. Une datacarte, qui, insérée au bon moment, permettrait à leur plan de fonctionner…
Le chronomètre arriva à son terme et il fit glisser le support de données dans la fente prévue à cet effet. Aussi tôt, le transpondeur de la navette bothane changea pour devenir celui d’un vieux vaisseau séparatiste. Mais ce n’était pas la seule évolution… Un code était parti en direction du générateur de bouclier, un code capable de le désactiver.
Quelques secondes plus tard, une multitude incroyable de vaisseaux de guerre séparatistes sortirent de l’hyperespace. Derth en fut le premier étonné. La Confédération avait perdu la guerre ! La République était devenu un Empire pro-humain sur lequel Palpatine régnait en maître. Si leur commanditaire avait le pouvoir de faire intervenir les vaisseaux droïdes pour dévaster Caamas, que ferait-il ensuite ? Attaquerait-il le Noyau, Coruscant et les autres planètes humaines ? Ou les Colonies et leurs populations hétéroclites ? À moins que Bothawui ne soit la prochaine cible…
Bothawui…
Des éclairs dévastèrent le ciel en direction de la planète. Les quelques rares vaisseaux de transport qui transitaient dans ce secteur n’eurent pas le temps de s’enfuir ; un par un, ils furent impitoyablement massacrés, livrés au feu qui s’abattait sur Caamas et réduisait en cendres un monde si prospère.
La guerre exigeait des sacrifices…
Un son le tira de son sommeil profond, dont il émergea toujours hébété. D’habitude, quand il faisait ce rêve, il revivait également la réaction… Les débats à Drev’starn, la condamnation quasi-unanime, l’horreur en découvrant que Palpatine s’était servi d’eux et les faisait chanter, le serment fait d’emporter le secret dans la tombe…
Mais cette fois-ci, le rêve s’était interrompu.
C’est alors qu’il distingua l’alarme incendie de l’hôtel et comprit que sa journée s’annonçait mal.
Il grommela en enfilant aussi vite que possible une combinaison de vol en piètre état. Décidément, le sort n’était pas clément avec lui ! Cet échec, sur Polcaphran, les dommages de l’Ar’kai, puis Ackbar qui avait demandé la réquisition du destroyer pour sa campagne dans les vestiges du territoire de Zsinj…
Il avait fallu trouver un lieu convenable pour accueillir les prisonniers ; il ne pouvait pas se permettre de répondre aux questions sur leur présence. Sa chère Base Thorn, celle qu’on surnommait « Taupinière », était malheureusement toujours compromise par ce chutta de Grodin Tierce et sa bande de révolutionnaires impériaux, qui à force d’escarmouches finiraient par attirer l’attention de Cracken et ses sbires. Il lui faudrait vraiment s’impliquer dans cette affaire…
En attendant, les deux cents détenus avaient été transférés dans ce vieux complexe hôtelier abandonné qui appartenait à son grand-oncle avant la Guerre des Clones. Situé au cœur un archipel isolé de Kothlis, le Sandy Beach Resort disposait d’une piste d’atterrissage convenable et d’un nombre de chambres qui l’était tout autant. Malheureusement, ce n’était pas assez pour accueillir toutes ses prises de guerre… Les programmes d’isolement avaient été stoppés, mais devaient reprendre lors du retour de l’Ar’kai au bercail, dans trois jours.
Et maintenant, cet incendie !
Blaster au poing, il émergea de sa suite pour découvrir le centre de contrôle provisoire rempli de bothans paniqués qui échangeaient des ordres dans leurs patois. La cacophonie était insupportable, surtout pour quelqu’un venant tout juste de se réveiller. Mais elle cessa soudainement lorsque les techniciens aperçurent le nouveau venu.
— Au rapport ! aboya Beny’lya, si fort qu’il couvrit l’alarme.
Ses hommes échangèrent des regards de détresse qui ne firent que l’agacer davantage. Bon sang, un tel remue-ménage pour un simple incendie !
Finalement, ce fut un jeune lieutenant qui s’avança en tremblant.
— C’est… C’est une évasion, Général… Les prisonniers sont sortis des cellules et se sont emparés d’armes.
Le sang de Beny’lya se glaça d’un coup, mais il reprit très vite contenance.
— Puisque vous vous êtes dévoué pour me l’annoncer, vous serez exempté de sentence, une fois cette affaire réglée… À moins que vous ne fassiez partie des imbéciles qui étaient en charge de garder le couloir d’où l’évasion est partie.
Il regarda rapidement en direction de deux autres bothans à peine plus âgés que lui, particulièrement échevelés et aux yeux rougis, comme s’ils n’étaient plus de la première fraîcheur.
— Lancez le verrouillage d’urgence ! Coupez les élévateurs ! ordonna-t-il aux techniciens encore à leur poste. Il ne faut pas qu’ils s’échappent ! Ne faites aucun prisonnier ! Nous règlerons nos comptes plus tard, ajouta-t-il à l’encontre des deux fautifs.
Bouillant d’une rage qu’il avait rarement connue, Beny’lya retourna dans sa suite pour y enfiler en catimini une veste de combat. Rien de très solide, mais cela pouvait faire la différence entre une blessure ou la mort… Et il n’avait nullement l’intention de mourir. Il fallait qu’il vive.
Revenant dans la salle de contrôle, il désigna du doigt tous ceux qui n’étaient pas pliés sur leur terminal – tous ceux qui ne seraient pas indispensables ici.
— Nous allons leur bloquer le passage, expliqua-t-il rapidement. Ils n’ont qu’une seule option pour s’en sortir : fuir ! Aux navettes !
Il prit soin de faire passer devant les deux gardes fautifs, puis se précipita à leur suite, en maudissant une fois de plus Ackbar et sa foutue réquisition.
Les couloirs de l’hôtel, aménagés à la va-vite, n’avaient rien de ceux d’un établissement de sécurité. Les meubles vétustes, en bois local, étaient installés à intervalles réguliers avec des bibelots couverts de poussière pour les égayer. L’ensemble s’inspirait du style coruscantien des dernières années de l’Ancienne République, avec un effet précieux que Beny’lya exécrait au plus haut point. Mais il était résolu à le supporter, tant que cela lui serait utile.
C’est-à-dire peu de temps encore.
Devant eux, à une distance indéterminée, quelques éclats de blasters retentirent, puis de véritables rafales, dont le vacarme perçait malgré l’alarme qui continuait de sonner.
— On dirait des échanges de tirs ! lança un de ses agents à sa droite.
— Ils ont dû mettre la main sur des armes de poing, approuva le général. Peu importe ! Cela ne les protègera pas. Sylar, Klihn, vous continuez, dit-il aux deux bothans devant lui. Les autres, suivez-moi.
Il leur montra une porte de service qu’il déverrouilla avec son badge. Le moteur du système, usé, ne parvint pas à ramener le panneau dans son logement et laissa l’accès entrouvert. Un par un, ils s’y faufilèrent.
Longtemps auparavant, avant même que la Guerre des Clones n’éclate, il était venu ici, dans ce bâtiment… Il avait aidé son grand-oncle à l’exploiter. C’était une excellente stratégie, comme il s’en rendait compte à présent. En faisant de l’endroit un lieu de vacances tranquilles pour les employés anonymes de Coruscant, son mentor avait créé une source de renseignements inépuisable. Discussions amicales, relevés bancaires, connexions à l’Holonet via l’antenne locale, confidences d’alcôves et même sur l’oreiller… Tout était bon pour extirper des données.
Le savoir est le pouvoir.
Mais un autre genre de pouvoir reposait entre ses mains, à présent. Il vérifia le niveau de charge de sa carabine, assura sa prise sur la détente et posa l’autre main sur la culasse avant de la rapporter sur le canon.
Grâce au réseau de couloirs de service, ils étaient parvenus à dépasser le groupe adverse, il en était convaincu. Restait à présent à transformer cet atout en concret. Il approcha de la sortie encore close et appuya l’oreille.
Quelques pas, assez rapides, de l’autre côté. Des tirs en masse, plus loin. Derrière eux. Le groupe progressait rapidement… Mais il s’attendait à rencontrer de la résistance… C’est en tout cas ainsi qu’il aurait considéré les choses.
Et il y aurait de la résistance. Une escouade au complet sur la piste des navettes. Escouade qui risquerait d’être en sous-effectif si l’ensemble du contingent de prisonniers parvenait à l’extérieur. Leur avant-garde était donc armée. Et l’arrière-garde, qui empêchait les autres troupes bothanes de les rattraper… Également armée.
Restait le cœur du groupe, celui qui se trouvait à présent de l’autre côté du panneau.
D’un coup de poing rageur, Beny’lya enfonça le contrôle d’ouverture. La porte coulissa, révélant des humains en pleine course qui n’eurent pas le temps de réagir.
— Abattez-les !
Il appuya lui-même sur la détente, et ne la relâcha pas. Les salves jaillissaient de son arme à un rythme effréné, fauchant les ennemis les uns après les autres.
Des cris s’élevaient à présent de la masse des prisonniers, qui commençaient à réaliser le piège dans lequel ils étaient tombés. Beny’lya repéra un humain aux cheveux blonds, plutôt grand, qui tenait une barre de fer comme s’il s’agissait d’un sabre-laser, et l’abattit d’un coup. Son torse noircit sous l’impact de la décharge, et l’homme s’affaissa aussitôt. Mais le général était déjà passé à d’autres victimes. C’était une exécution en règle ; les bothans étaient des gundarks au milieu d’un troupeau de nerfs en fuite.
Les humains s’enfuyaient à présent du couloir par les deux extrémités, sans se soucier de leur objectif initial. Beny’lya décida de poursuivre ceux qui s’éloignaient de la plateforme d’envol ; leur comportement imprévisible les rendait à ses yeux plus dangereux que leurs congénères. Marchant sans ménagement sur les cadavres encore fumants, il se lança à leur poursuite d’un pas de course qui ne ralentissait que lorsqu’il levait son arme pour neutraliser une cible.
Il ciblait le dos d’un humain à l’air rustaud – sans doute un stormtrooper capturé ou l’homme de main d’un contrebandier – lorsqu’un sifflement s’échappa de son arme ; le blaster, en surchauffe, refusait d’agir. Il jura bruyamment, ce qui incita le fuyard à se retourner.
Et il s’arrêta.
Jetant brièvement un coup d’œil de chaque côté, Derth s’aperçut que le reste de l’escouade avait pris une autre direction. Il était seul, et à présent désarmé.
L’autre décida de tenter sa chance.
Repérant le rideau qui encadrait la fenêtre à côté de lui, l’homme tira dessus pour l’arracher. D’un coup de main très habile, il se saisit de la tringle qui soutenait les parures et la débarrassa de toute entrave.
Beny’lya comprit qu’il n’avait plus le temps d’attendre que son arme veuille se remettre en marche. Il attrapa des deux mains le long canon encore brûlant, et chargea son adversaire.
Il devait s’agir d’un ancien duelliste, car il se mit en garde aussi bien que possible vu les circonstances. La tringle était bien plus grande qu’une vibrolame standard, mais il l’abattit en direction du général avec une dextérité impressionnante. Les deux épées improvisées s’entrechoquèrent avec un bruit de métal retentissant.
Aussitôt, Beny’lya retira sa carabine pour frapper dans l’autre sens, mais son adversaire bloqua une nouvelle fois.
Au troisième essai, la carabine, fragilisée, vola en morceaux.
Ç’aurait pu être la fin du général s’il n’y avait pas eu un des éclats pour toucher au visage le duelliste. Profitant de cet instant d’inattention, et malgré sa propre surprise, Beny’lya se rua sur son adversaire.
Depuis sa jeunesse, il maîtrisait le Teras Käsi, cette discipline martiale létale que l’on considérait jadis comme une version accessible à tous des arts Jedi. Dès qu’ils furent l’un contre l’autre, il sentit que son opposant n’avait ni son expérience ni sa souplesse, deux points qui lui seraient très vite fatal. Mais il résistait toujours…
Jusqu’à ce que Beny’lya parvienne à passer les deux bras dans son dos. Il posa une main sur chaque côté de la tête, et, d’un coup sec, brisa la nuque de son adversaire qui s’effondra avec des spasmes d’agonie.
— Général !
Trois bothans se précipitaient vers lui en courant, et, à la moue de leurs museaux, ils semblaient inquiets. Tremblant encore de rage suite à la poussée d’adrénaline du combat, Beny’lya se dit qu’ils avaient de quoi avoir peur.
— Où étiez-vous passés ? les sermonna-t-il.
— Nous avons capturé l’un des meneurs, désigna un sergent à la fourrure crème et blanche.
— Carson ?
— Hélas, non.
Il montra du doigt un humain qui arrivait, encadré par deux gardes bothans. Blessé à la jambe, il était presque traîné par ses geôliers. Derth le reconnut alors.
— Capitaine Dettin ! s’exclama-t-il en reconnaissant le contrebandier. Comme c’est gentil de vous joindre à nous !
Il ouvrit les bras en signe d’accueil, puis les rabaissa immédiatement pour attraper l’arme d’un des gardes. Il la fit glisser hors du holster, cibla Dettin puis appuya sur la détente. Touché au thorax, il laissa échapper un gémissement, puis toute vie disparut de ses yeux sous le regard choqué des bothans qui l’observaient.
— Je me souviens avoir ordonné « Pas de prisonniers », dit-il d’une voix tranchante à leur encontre. N’était-ce pas suffisamment clair ?
— Mais… Monsieur, le programme d’isolement…
— La valeur du capitaine Dettin reposait sur l’utilité qu’il pourrait avoir par la suite. L’évasion – et sa capture si facile – prouve qu’il n’en aurait eu aucune. Avez-vous repéré Carson, oui ou non ?
— Il se dirige toujours vers les navettes avec un petit groupe que nous harcelons.
— Alors, ne vous contentez plus de le harceler ! Abattez-les !
Il se faufila entre ses gardes puis partit en direction de la plateforme, l’arme empruntée toujours en main. Tout au long du chemin, le même spectacle se répétait ; des cadavres humains par dizaines, et quelques bothans dans le même état par endroits. Beny’lya foula du pied indifféremment les uns et les autres. Les vaincus n’avaient plus d’identité, les uns comme les autres.
Lorsqu’il arriva finalement à la plateforme, ce fut pour trouver d’autres mauvaises nouvelles, ainsi qu’il le comprit en voyant la tête du lieutenant qui l’attendait.
— Au rapport ! aboya-t-il en direction du bothan qui n’en menait pas large.
— Ils se sont emparés d’une navette de classe Sentinelle, Général. Un modèle désarmé mais intraçable. J’ai bien peur qu’ils n’aient quitté le système ou le fassent dans les minutes à venir.
Beny’lya accusa le coup. Il était donc trop tard pour empêcher les fuites. Restait à limiter leur impact.
— Combien étaient-ils ?
— Une vingtaine, au plus.
— Et le commando Daiven Carson ? Était-il parmi eux ?
— Il ouvrait la voie. Il a abattu les gardes postés ici, puis il a lancé la procédure de décollage. Quand il s’est rendu compte que seuls nos renforts arrivaient, il a conduit ses hommes au repli et ils se sont envolés.
— La base Thorn est donc compromise. Lieutenant, contactez le colonel Ser’takh sur Brentaal, et dites-lui précisément qu’il a vingt-quatre heures pour accomplir la mission que je lui ai confié. Passé ce délai, il devra répondre de son incompétence. Ordonnez-lui également de préparer l’abandon de nos positions sur Brentaal.
— À vos ordres.
— Lancez également la procédure de repli ici. Si nous avons encore des prisonniers, exécutez-les et passez les corps au disrupteur. Je veux que nous soyons prêts dès le retour de l’Ar’kai, est-ce clair ?
— Parfaitement clair, Monsieur.
Beny’lya acquiesça distraitement et se tourna vers l’hôtel. La vieille structure n’avait plus la beauté majestueuse de sa jeunesse…
— Rasez également les bâtiments et arrangez-vous pour vendre ce terrain à un promoteur. Étant donné que nos plans sont compromis, je veux pouvoir installer au plus vite une nouvelle base, et nous aurons besoin de tous les fonds possibles pour cela.
— Entendu.
Avec un grognement indiquant que la conversation était terminée, le général s’éloigna de son subalterne et marcha jusqu’au bord de la plateforme. Tout n’allait pas si mal, au final. Certes, les fouineurs de la Nouvelle République et de l’Empire contrecarraient leurs projets, certes, les prisonniers risquaient de révéler son implication, certes, il aurait préféré garder ses structures intactes…
Mais, d’ici soixante-seize heures, il retrouverait son destroyer et travaillerait à de nouveaux projets plus ambitieux encore, en tirant les leçons de ses échecs précédents. Mieux, il serait enfin débarrassé du grain de sable exaspérant qui s’était infiltré dans les rouages de la machine.
Un grain de sable du nom de Grodin Tierce, qui ne serait plus que poussière une fois sa vengeance accomplie.