Opah Settis, District Central, Restaurant
Les Diamants du Goût, 21 h.
- Veuillez m’excuser pour le retard, salua Jagen en s’asseyant. J’ai perdu beaucoup de temps avec mon rapport.
- Vous êtes tout excusé, répondit chaleureusement maître Pomvaliou.
Le Jedi calibop avait l’air soucieux, comme plus tôt dans la journée.
Pourtant, il y a de quoi être content. Il était en effet attablé en compagnie d’une charmante jeune femme au visage fin et dont les cheveux d’un noir cendré tombaient sur les épaules, à l’exception d’une fine tresse à l’arrière de la tête.
- Je ne crois pas avoir le plaisir de vous connaître, lança le jeune colonel en tendant la main vers elle avec un sourire enjôleur.
- Voici ma padawan, Melena Nash, déclara Pomvaliou. Melena, je te présente le colonel Eripsa.
- Je suis ravie de faire votre connaissance, Colonel, déclara-t-elle. J’ai beaucoup entendu parler de vous.
- En bien, j’espère.
- Vous n’avez pas à vous inquiéter pour cela.
Il y avait dans ses yeux – qui étaient d’un bleu clair rappelant à Jagen les plus belles nuances de l’aube sur la Cité des Nuages – une lueur d’intérêt, de convoitise même, que le jeune Eripsa ne put s’empêcher de remarquer. Q
UEL dommage que les Jedi aient choisi le célibat…- Vous venez donc d’arriver sur Opah Settis ?
- À vrai dire, non, répondit-elle en jetant un regard à son maître qui hocha la tête. Je suis arrivé en même temps que vous sur Opah Settis, mais je suis restée camouflée jusqu’à maintenant, ajouta-t-elle en faisant la moue.
Pomvaliou eut un petit rire.
- Ma chère padawan pense et parle avec la fougue d’un poussin, déclara-t-il avec un sourire – ou quelque chose qui s’y apparentait, les becs n’aidant pas au déchiffrage des expressions faciales. Elle n’a pas encore appris à se laisser porter par les vents de la Force.
- Je n’ai pas tout saisi, avoua Jagen.
- Maître Pomvaliou estime que mon existence ne doit pas parvenir aux oreilles des deux camps, résuma Nash.
Jagen se massa le menton avec la main.
- Ah. Je vois que vous avez la même confiance que moi envers nos hôtes.
- Difficile de faire autrement, avoua le Jedi. Ils ont dégagé une impression très bizarre, jusqu’à présent.
- Vraiment ?
Peut-être est-ce le malaise que je ressens… - On aurait dit deux vents l’un chaud, l’autre froid, se faisant face. Mais au lieu de déclencher une tempête, ils fusionnent jusqu’à ne plus former qu’un seul et unique vent.
Sur ces mots, un des serveurs du restaurant – un humain, fait suffisamment rare pour le signaler à cette époque où les droïdes monopolisaient ce genre de postes – s’approcha d’eux afin qu’ils puissent passer commande. Jagen laissa le Jedi choisir un menu adapté en premier, puis, après un rapide examen de la carte, se décida pour un filet de verosteram (les fameux poissons-fusées de Chandrila) sur lit de patates douces d’Anaxes. Il espérait retrouver ainsi quelques-unes de ces saveurs familières du Noyau.
- Ces négociations s’annoncent mal, lança le colonel une fois le serveur reparti avec ses menus. Je pense que nous n’arriverons pas à les mettre d’accord. Je n’ai même pas l’impression qu’ils souhaitent l’être.
- C’est exactement ce que Melena me disait avant votre arrivée, répondit Pomvaliou.
- La population est heureuse de ce cessez-le-feu temporaire, mais elle ne croit pas en une paix durable. Les habitants font des réserves, réparent leur refuges… Mais pour eux, l’avenir est aussi sombre que le passé.
- Il n’y a pas d’espoir, résuma Jagen.
- Il y a toujours de l’espoir ! corrigea Pomvaliou. Et c’est à nous de le concrétiser.
- Peut-être, admit le colonel. Mais ça ne veut pas dire que nous y arriverons.
- Cela va être difficile, déclara Melena. Ni les Proteras ni les Tyrenos ne veulent la paix.
- Classique, répondit Jagen en posant son verre d’eau sur la table. Chacun souhaite se débarrasser de son adversaire pour ramasser la totalité du magot.
- C’est là que vous vous trompez, Colonel, dit le calibop.
Le jeune homme prit quelques instants pour réfléchir à ce pavé dans la mare lancé par le Jedi.
- Vous étiez plutôt silencieux, cet après-midi, sortit-il enfin. Disons, plus que d’habitude.
- En effet.
- Vous avez senti quelque chose ?
- De l’hostilité. Des envies de victoire, de revanche.
- Mais pas l’un contre l’autre.
- Oui.
- Contre nous.
- Oui.
Jagen accorda une attention inhabituelle à sa fourchette en arganium travaillé.
- Vous pensez que c’est un piège ? demanda-t-il enfin.
- Comme dit mon peuple, « lorsque deux vents ne s’opposent pas, c’est qu’ils soufflent ensemble ».
- Cela n’a aucun sens ! Les pertes…
- Il n’y en a pas beaucoup dans chaque camp, intervint Melena. J’ai discuté avec des réfugiés venant des quatre coins de la ville. Ils disent tous la même chose : les combattants sont relativement épargnés, leurs pertes quasi-nulles depuis deux ans. C’est naturel ; il y a trois boucliers de zone, sur cette planète, dont celui du District Central. Les deux autres protègent les bunkers et les usines de chaque camp.
- Et les lasers retombent…
- Sur les civils.
- Combien de morts ?
- Beaucoup moins que de blessés.
- À ce point ?
- Il n’y a pas de chiffres officiels. Toutefois, on peut affirmer sans difficulté qu’une bonne partie d’entre eux disparaissent.
Ces derniers mots alertèrent Jagen, qui allait poser une question quand le serveur revint, chargé de ses plats. Il les servit tour à tour. Le colonel savoura sa première bouchée et s’intéressa alors pour la première fois au décor autour de lui.
Les Diamants du Goût était un restaurant huppé du District Central d’Opah Settis, mais il aurait aussi bien pu appartenir à n’importe quelle planète du Noyau, y compris Coruscant. Il offrait à ses clients un décor somptueux, aux couleurs rouges et or, avec une vue splendide sur les hautes montagnes – couvertes d’immeubles en ruines, c’est vrai – qui entouraient la vallée. Dehors, le soleil couchant descendait sur l’horizon. Tout en mangeant, Jagen le suivit des yeux un moment, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un îlot incandescent dans une mer céleste écarlate aux reflets de sang. Puis il disparut, et le ciel devint bleu nuit derrière lui. Le spectacle, d’une beauté à couper le souffle, avait permis pendant un moment au jeune colonel de chasser ses sombres pensées.
Pas pour longtemps, malheureusement.
- Avez-vous une idée de ce qui arrive aux blessés ? demanda soudainement Melena. J’ai senti de l’appréhension en vous qu’en je les ai évoqués…
- Oui, répondit Jagen d’un air sombre. Mais si cela ne vous dérange pas, je préférerais changer de sujet.
Avec la bénédiction de Pomvaliou, ils passèrent le reste du repas à évoquer des souvenirs d’autres missions ou de voyages exotiques. Jagen raconta à ses amis une plongée à haut risque qu’il avait faite avec son ami Kenth sur Manaan – le souvenir était d’ailleurs délicat, car il prenait place avant les évènements de Tatooine. Le maître calibop parla pour sa part de son maître iktotchi, qui avait autrefois été pourchassé par une dizaine de chasseurs de primes dans tout l’espace Hutt et avait réussi à finalement les capturer. Il y eut un moment délicat quand Melena raconta la façon dont sa mère, une Jedi elle aussi – les Nash semblaient être une dynastie de Jedi, à la façon des Sunrider/Da-Boda – trouva la mort dans une embuscade spatiale. Mais dans l’ensemble, ils passèrent un bon moment, bien loin des soucis de la journée.
Ce ne fut qu’au moment du dessert que le sujet du jour revint sur la table, en même temps qu’une délicieuse crème glacée aux shuuras.
- Fierruj et Hagas ont évoqué un tout à l’heure un troisième camp, se souvint Jagen. Vous avez une idée de ce dont il s’agit ?
- J’en ai entendu parler, déclara la jeune femme. Il s’agirait de partisans d’un retour à l’époque des UIvrades.
- Les anciens dirigeants d’Opah Settis ?
- C’est ce que j’ai cru comprendre.
- Ils pourraient faire une bonne alternative aux Tyrenos et aux Proteras, songea Pomvaliou.
- Pas s’ils sont réellement des terroristes, fit remarquer Jagen. La République a des principes.
- Bien entendu. Mais je doute qu’ils le soient.
- Il n’y a pas de trace de bombe, expliqua Melena. Pas d’hostilité des poseurs comme on peut en sentir habituellement. Si bombe il y a vraiment eu, alors le Chancelier devrait virer son S.I.R. et le remplacer par ces gars-là. Eux au moins sauraient faire le boulot !
Tous trois rirent de bon cœur, y compris Jagen qui n’avait aucune raison de le faire.
Pas maintenant, en tout cas. Pour l’heure, le SIR a malheureusement vu juste. - Les Loyalistes – c’est ainsi qu’ils se font appeler – ont un chef, surnommé « le Commandant », continua la jeune femme. Apparemment, ce type fout les jetons aux deux camps comme un toiletteur à une couvée de Hutts.
- Une vraie terreur.
- Y-a-t-il des rumeurs d’exactions ? demanda Pomvaliou.
- Pas la moindre… À part ces fameuses bombes.
Le calibop ne répondit rien.
Une fois le repas terminé, ils se levèrent de table et prirent le chemin de la sortie. Melena les salua et partit en direction des cuisines.
- J’ai pris mes précautions, expliqua Pomvaliou à Jagen alors qu’elle s’éloignait. Ni caméra ni micro ne fonctionnaient ce soir, et personne dans le restaurant ne se souviendra d’elle. C’est comme si elle n’existait pas.
- Vous avez bien fait, commenta Jagen.
Ils arrivèrent à l’extérieur du restaurant, dans le couloir de l’immeuble où il était accroché. Si le décor de la salle de repas était intact, le reste du bâtiment avait subi des dommages visibles. Partout, des lézardes avaient écaillé les couches de peinture ; il y avait des fissures que des droïdes ouvriers avaient rebouchées à la hâte. L’ascenseur en revanche était en excellent état.
- Un bon point pour le service, déclara le colonel. Je me serais mal vu redescendre les soixante-dix étages après un tel repas. Sauf en roulant, peut-être.
Pomvaliou ne répondit rien. Il était visiblement ailleurs. Les plumes surplombant ses yeux étaient froncées, lui donnant un air inquiet peu avenant.
Ils arrivèrent dans le hall de l’immeuble, qu’ils traversèrent pour parvenir sur le parvis. Le contact de l’air frais revigora légèrement Jagen, suffisamment pour qu’il puisse à nouveau envisager de marcher jusqu’à son hôtel.
La température rafraîchie sembla jouer également sur le moral de Pomvaliou. Il semblait tout à coup plus vif, comme s’il avait trouvé la réponse à ses questions.
- Je crois que… commença-t-il.
Il s’interrompit brusquement.
Tout devint alors flou pour Jagen.
Il vit le calibop se tourner pour regarder vers le sommet de l’immeuble, et, dans le même temps, entendit une détonation. Ce n’était pas un de ces bruits électroniques de blasters, mais bien une compression d’air, ce son si fort et si redoutable qu’émettait une carabine à projectiles. Un objet minuscule à la pointe perçante fila dans leur direction. Avant que Jagen ait pu réagir, il avait percé de part en part le crâne de maître Pomvaliou, et quelques fragments mêlés de plume et de sang en jaillirent pour retomber sur l’uniforme blanc du colonel.
Le Jedi s’effondra.
Le tireur était de toute façon trop loin pour que Jagen tente quoi que ce soit, et trop bien placé pour qu’il puisse se mettre à couvert. Il se fia alors à ce qui arrivait en troisième position dans ses réflexes de soldat, mais en première dans son cœur.
Il se pencha sur le corps du Jedi, pour voir s’il y avait un espoir de le sauver.
Il dut bien vite se rendre à l’évidence : bien que les calibops ne soient pas à proprement parler des proche-humains, ils avaient une constitution assez proche. Le cerveau, notamment, était placé sous la protection de l’os crânien.
Ce même os qui venait d’être transpercé.
Le Jedi était à l’agonie. N’importe qui d’autre aurait déjà succombé, mais lui s’accrochait : il semblait vouloir dire quelque chose.
Jagen s’approcha du visage de Pomvaliou, et entendit son murmure presque inaudible.
- La solution… dit-il simplement.
Puis il n’y eut plus rien.
Jagen sentit une vague de tristesse monter en lui, et se revit devant un autre corps, atrocement brûlé… Et la voix de Kenth lui lançait des mots qui étaient chacun comme un poignard…
- C’est ta faute s’il est mort ! Ta faute si nous avons été capturés ! C’est toi qui voulais ce voyage !L’horreur lui nouait la gorge, autrefois comme maintenant.
Cherchant à tout prix à ne plus voir le visage ensanglanté du calibop, Jagen chercha un autre centre d’intérêt. Son regard se posa sur la main-aile du Jedi.
L’index semblait délibérément tourné vers le sol.
La solution… repensa Jagen.
Les premières sirènes des speeders de police retentissaient au loin, s’accroissant à mesure que les secondes passaient et que Jagen réfléchissait. Il vit un mouvement dans une des ruelles sombres proches ; une fine ombre qui disparaissait à toute vitesse.
Bonne chance, Melena. Avertissez le Conseil, et vite. Mais ne vous faites pas prendre. Quant à lui, il se prépara à ce qui l’attendait.
Son vrai travail allait sans doute commencer.