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Souvenirs
 
Du coin de l’œil, Onjo Garnac observa la mine morose de son Maître sans oser le déranger. Assis aux commandes de leur vaisseau plongé dans l’hyperespace, Adol Bruck Obi Melvar était plongé dans une profonde méditation par laquelle il s’efforçait de sonder la Force pour tenter d’y déceler la moindre parcelle d’intuition pouvant les mettre sur la piste des engins de mort qu’ils recherchaient depuis maintenant plusieurs jours.
D’Edora II, ils étaient revenus sur Tython après leur échec et avaient longuement disserté avec les Maîtres du Conseil Jedi. Ceux-ci avaient écouté gravement le récit de leur intervention. À n’en pas douter, il s’agissait là d’un complot de grande envergure destiné à relancer la guerre entre la République et l’Empire, un attentat terroriste sans précédent qui conduirait à un conflit sans retour possible au prix de l’anéantissement de milliards d’individus.
- Que pouvons-nous faire ? avait grommelé un membre du Conseil en tortillant entre ses doigts une canne biscornue. Nous ne pouvons tout de même pas accuser Ted Coronax de complot contre la République parce qu’une de ses innombrables usines a fabriqué un gaz interdit que vous avez détruit ? Peut-être cela s’est accompli à son insu ? L’empire industriel Coronax est tellement vaste…
Un autre Maître, un Twi’Lek, avait répliqué.
- Coronax est un grand ami du Conseiller Darillian. Il nous faut agir de façon prudente. L’Ordre est déjà suffisamment affaibli et discrédité pour ne pas avancer des pions à la légère sans preuves !
Maître Satele acquiesçait d’un léger signe de tête tandis qu’Obi Melvar s’impatientait.
- Mais nous ne pouvons rester sans rien faire ! avait-il coupé. Il faut essayer de retrouver ces containers coûte que coûte ! Laissez-moi aller interroger Coronax lui-même, s’il sait quelque chose je saurais bien le faire parler !
Les membres du Conseil avaient échangé quelques points de vue dans un brouhaha confus auquel Satele Shan mit fin en levant une main.
- Ted Coronax est intouchable dans sa tour d’ivoire. Nous aviserons s’il devient indispensable de lui parler. Dans ce cas, nous y enverrons un Consulaire diplomate. Mais avant, demandons à nos Maîtres voyants de sonder la Force tous ensemble pour potentialiser leur pouvoir. Peut-être parviendront-ils à localiser ce danger mortel quelque part ?
Maître Melvar avait réprimé une grimace mais était parvenu à rester silencieux tandis que les membres du Conseil approuvaient.
- Cependant, nous pouvons détacher quelques Padawan pour aller inspecter les différents entrepôts et usines liés à Coronax Industries. Maître Melvar, vous coordonnerez ces recherches.
- C’est un travail de fourmi plutôt hasardeux, avait protesté le Maître à la canne. Coronax a des entreprises sur un nombre impressionnant de planètes. Il va falloir des semaines pour toutes les visiter !
- Qui n’essaye rien, n’obtient aucun résultat, avait alors répondu calmement Maître Shan. Nous ne devons rien négliger… en espérant que nos voyants trouvent dans la Force une piste exploitable, un indice…
Finalement, Obi Melvar s’était incliné et avait pris congé du Conseil pour rassembler le maximum de troupes qu’il pouvait trouver rapidement. C’était comme chercher une aiguille dans une meule de foin. On ne pouvait même pas être certain que les engins de mort seraient assemblés dans une dépendance de l’empire industriel Coronax. Les containers pouvaient après tout se trouver n’importe où dans la Galaxie.
Onjo retint un soupir. Les jours passaient et aucune nouvelle des containers de gaz. La tâche semblait impossible et il s’attendait à apprendre à tout moment que telle ou telle planète avait commencé à être rayée de la carte galactique par suite de l’émanation dans son atmosphère du gaz PTK.
*
* *
Le Maître Jedi contemplait les cheveux blonds de sa Padawan plongée dans une intense méditation. Les longues mèches fines flottaient dans le souffle tiède de l’été. Une magnifique bannière toute d’or, pensa-t-il avec un frémissement tout paternel qu’il enfouit aussitôt au plus profond de lui. La fille qu’il avait recueillie sur Corellia était devenue une magnifique adolescente qui arborait des formes arrondies toutes voluptueuses auxquelles beaucoup de Padawan ne restaient pas insensibles malgré l’enseignement Jedi qui apprenait à ne pas faire cas des sentiments et particulièrement de ce genre de sensations toutes physiques.
Beno Mahr repensa à cette journée au cours de laquelle il avait trouvé Isil sous les débris fumants du domaine familial en feu. Arrivé trop tard à la tête d’un groupe de chevaliers Jedi pour sauver le général Valdarra et sa famille, il n’avait pu que mettre en déroute les derniers assaillants trouvés sur les lieux, quelques mercenaires qui avaient protégé au prix de leur vie la fuite de plusieurs Sith formant le commando. Le soutien politique que Valdarra représentait pour la République sur Corellia avait été proprement éliminé par des troupes de l’Empire et sans doute des traîtres républicains manœuvrant dans l’ombre pour défendre quelques intérêts obscurs.
Parmi les ruines brûlantes, Beno Mahr avait ressenti à travers la Force une présence vivante qui gémissait et appelait à l’aide. Il s’était alors avancé au milieu de l’incendie qui rugissait en achevant de dévorer la vaste demeure des Valdarra. Rassemblant toute la puissance de la Force, il avait déplacé une grande dalle de permabéton qui recouvrait une montagne d’enchevêtrement de poutres, de meubles et de murs brisés. Sous cette dalle, blottie à l’abri d’une table en bois massif à moitié brisée, recroquevillée sur elle-même, en boule comme un petit animal apeuré, il y avait une fillette protégée par une sphère de Force qu’elle avait inconsciemment formée autour d’elle. Le Maître Jedi avait été impressionné que l’enfant ait eu cette faculté alors qu’elle n’avait jamais reçu de véritable formation. Certes, il connaissait Isil depuis sa naissance et avait décelé depuis longtemps chez elle une disposition certaine dans la Force. Durant des visites qu’il avait faites à ses amis, il lui était arrivé de tester puis d’enseigner l’enfant mais, outre le fait que son père s’était toujours opposé à ce qu’elle entre au Temple Jedi, Maître Mahr n’avait jamais réellement eu l’occasion de mesurer combien cette disposition était grande chez elle.
Il avait alors pris la fille dans ses bras et l’avait emportée hors de la maison en feu pour l’emmener en zone sécurisée tandis que les chevaliers Jedi fouillaient les alentours à la recherche d’hypothétiques survivants. Penché sur l’enfant, il avait pensé d’abord qu’il était, pour elle aussi, arrivé trop tard. Les yeux clos, elle semblait morte, éteinte comme une petite bougie dont on avait soufflé la flamme. Ses mains à plat posées sur son cœur, il avait alors senti un faible frémissement d’énergie vitale. Un très léger battement de cœur. Un Jedi lui murmurait à l’oreille.
- Ils sont tous morts, Maître Mahr, c’est une véritable boucherie ! Les assaillants ont fait preuve d’une violence inouïe… il y a… des corps déchiquetés, démembrés un peu partout ! Ce ne peut être une simple exécution ! Cette… fureur !
Beno Mahr leva les yeux vers le Chevalier. Il était jeune, probablement fraîchement admis dans l’Ordre. Une certaine forme d’incertitude se lisait dans ses yeux.
- Avez-vous trouvé le général ? questionna le Jedi.
- Oui, Maître, sur le perron du manoir aux côtés de son épouse. Il a eu la tête tranchée d’un coup de sabre, sans doute l’œuvre d’un Sith. C’est curieux, on… on a déposé sa tête dans les bras de son épouse qui elle, est…
Il hésitait sur le mot comme par peur d’être indécent.
- … intacte, finit par dire le jeune Jedi, enfin, je veux dire qu’elle ne porte aucune trace de violence… c’est la seule.
Beno Mahr le regarda fixement un instant en silence. La situation lui avait complètement échappée et il n’avait su prévenir le drame qui s’était joué. Il avait échoué à sauver son ami et sa famille. Le Traité de Coruscant avait coûté la vie à l’un des héros de Bothawui. La politique emportait sur son passage son cortège de damnés mêlés à des innocents, victimes de ses machinations. Il serra les poings et baissa les yeux vers l’enfant de presque douze ans. Comme elle ressemblait à sa mère !
Il savait ce qui allait arriver si la jeune Isil était retrouvée vivante. Les partisans de Jann Valdarra s’en serviraient comme emblème de leur cause. Elle n’aurait pas de paix dans sa douleur et resterait exposée aux coups de ceux qui s’étaient acharnés sur sa famille. Sa décision fut vite prise. L’enfant serait déclarée morte dans l’incendie de la maison ! Il l’emmènerait avec lui au Temple et il la prendrait comme Padawan. Il le pouvait puisqu’il n’avait pas repris de disciple depuis que son dernier élève, le jeune Obi Melvar, avait passé ses épreuves de Chevalier. Il savait aussi que le Conseil désapprouverait sa décision. À presque douze ans, un enfant n’étant pas passé par le Temple ne pouvait pas aux yeux des Maîtres être formé avec succès. Trop vieux, trop risqué. Connaissant Isil depuis sa naissance, il savait que la Force était vive chez elle et à, défaut de pouvoir l’emmener avec lui au Temple, il lui avait prodigué ses conseils, son enseignement, chaque fois qu’il était venu voir la famille Valdarra. L’enfant s’était toujours montrée attentive et curieuse des choses de la Force. Il savait au fond de lui qu’il y avait du potentiel en elle et qu’elle pouvait devenir une véritable Jedi. Qui plus est, il pressentait chez elle un don de voyance qu’il n’avait jamais ressenti chez l’un de ses disciples.
Nanti de ses certitudes et prêt à imposer sa décision aux Maîtres du Conseil de l’Ordre, quitte à la former en franc-tireur, il prit l’enfant dans ses bras et l’emporta jusqu’à son vaisseau. Elle semblait toujours dans un état comateux proche d’une forme de catalepsie. Il lui fallait des soins. Consigne fut donné aux Chevaliers présents de considérer que l’enfant était morte dans les décombres de la maison et que le corps calciné n’avait pu être retrouvé. Puis il s’était rendu au Temple de Coruscant afin de la confier aux Maîtres guérisseurs.
C’était juste quelques temps avant l’attaque de la ville planète par l’Empire lors de la signature du Traité et la destruction du Temple.
La jeune Isil était sortie de son état mais ses souvenirs avaient été effacés. Peut-être par le traumatisme, peut-être pour avoir utilisé la Force sans préparation. En un sens, cela lui avait évité de souffrir et lui avait permis en quelque sorte de repartir à zéro aux côtés de son Maître.
Beno Mahr sortit de ses pensées en se disant qu’il n’était pas bien de se plonger ainsi dans les souvenirs du passé. Seul comptait l’avenir. Et l’avenir, était là, devant lui, chez cette belle jeune fille qui méditait cheveux au vent, lévitant assise, jambes croisées, à un demi-mètre au-dessus de l’herbe fraîche. Il sentait combien elle était dans la Force, unie à Elle, plongée en Elle. Toutes ces années durant lesquelles il avait formé sa Padawan comme sa propre fille, il avait pu mesurer combien était grande sa sensibilité à la Force et, malgré une apparente fragilité, il savait qu’elle pouvait faire preuve lorsqu’il le fallait d’une force de caractère et d’une grandeur d’âme considérables.
Tout doucement, le corps d’Isil redescendit jusqu’à ce qu’elle retrouve le contact avec l’herbe verte. Son visage était détendu et souriant, légèrement irradié d’une aura lumineuse.
- Maître Beno… dit-elle d’une voix douce, pourquoi se sent-on si bien dans la Force ? J’ai parfois l’impression qu’Elle me parle… j’entends presque le murmure de tas de gens, leurs pensées aussi… Comment cela se peut-il ? Je me demande encore ce qu’est la Force.
Le Jedi s’attendait à ce genre de questions auxquelles il n’avait pas de réponse. Il pouvait apprendre à ses Padawan comment se servir de la Force, comment s’y baigner, s’y ressourcer, s’y guérir, comment communiquer au travers, mais il ne pouvait leur expliquer ni le pourquoi ni la nature de la Force.
- Personne ne sait vraiment ce qu’est la Force, jeune Isil. Elle est en toute chose et toute chose est en Elle. C’est le lien entre tout ce qui compose l’univers, un lien vivant, et les êtres qui sont sensibles à la Force peuvent ainsi presque tout ressentir à travers Elle. C’est le berceau de notre existence et la réponse au pourquoi de celle-ci et même si nous ne savons pas mettre les mots qu’il faut pour l’expliquer, il nous est loisible de la ressentir. Tu es dans la Force comme le fœtus dans le sein maternel, baignant dans l’origine de tout.
- C’est ainsi qu’on peut sentir les choses à des distances infinies ?
- Et même celles qui t’entourent immédiatement. Mais ce don n’est pas à la portée de tout le monde. Il te faut avoir avec la Force une affinité et une sensibilité particulières et surtout apprendre à te plier à Elle pour la plier à toi.
Il contempla Isil un moment. Elle était radieuse.
*
* *
En ce moment un autre homme la contemplait avec une expression indéfinissable sur un visage ridé par le poids des ans. Un sourire ineffable se lisait sur ses lèvres. Il se tenait assis dans un fauteuil, silencieux comme la mort, et regardait avec une once d’admiration la jeune fille qui dormait sur le dos, dans des draps qu’elle avait repoussés sur ses jambes. Sous la fine étoffe de sa chemise de nuit, on discernait les mouvements de sa poitrine qui s’élevait et s’abaissait lentement accompagnant un léger souffle régulier qui s’échappait de ses poumons. De ses yeux il suivait les courbes gracieuses de son visage d’ange et de son corps en se disant que, décidément, sa mère avait mis au monde la plus parfaite des créatures qu’il lui avait été donné de rencontrer.
Une silhouette, un visage se formaient dans le ciel azur. Isil se trouvait au bord de l’océan et les vagues venaient mourir à ses pieds comme une douce promesse en mugissant doucement. La brise marine parfumée chatouillait ses narines et faisait voleter ses mèches blondes. Seule sur cette immense plage déserte, la jeune fille contemplait l’immensité bleue avec intensité. Le visage de la dame dans le ciel devenait plus net. Une belle femme aux cheveux d’un doré presque blanc, au visage empreint de douceur, les pommettes arrondies, les yeux en amande à peine bridés, d’un vert très tendre, qui la regardait en souriant. Sa bouche s’arrondissait en un murmure silencieux. Que disait-elle ? Elle prononçait un nom. Un souffle iodé lui apporta la réponse. Isil. C’était son nom qu’elle prononçait. La flamme qui brûlait dans ses yeux, c’était l’expression même d’un amour intense.
- Maman, souffla la jeune fille malgré elle.
Elle tendit une main vers l’infini pour tenter de saisir l’insaisissable. Une main vers cette main que la dame tendait à présent vers elle. Leurs doigts se frôlèrent. Isil sentit une douce chaleur irradier tout son être. Le visage de sa mère revenait du néant de sa mémoire.
Soudain l’air devint suffoquant et l’azur du ciel se teinta d’un rougeoiement ardent. Il faisait chaud. Très chaud. Le vent portait soudain un souffle brûlant insupportable. Des flammes apparurent tout autour de la dame. La main s’éloigna et le visage se mit à se tordre de douleur.
- Maman ! cria Isil dans son sommeil.
Tout s’obscurcit autour d’elle. La plage et l’océan avaient disparu remplacés par une obscurité transpercée par les flammes. Des flammes tout autour d’elle. Il y avait quelqu’un d’autre près de la dame. Une silhouette noire qui l’attirait vers lui et l’éloignait de son enfant. Un homme, grand et fort. Isil regardait vers lui. Elle voulait voir son visage. Elle était sous une table, à genoux, recroquevillée. Une présence menaçante était tout proche d’elle. Son sabre laser. Il lui fallait une arme et réagir. Elle cria pour sortir du cauchemar et se redressa vivement sur son séant.
- Du calme, mon enfant, fit une voix grave.
Une main se posa sur son épaule.
- Du calme, reprit la voix qui se voulait chaude et réconfortante, ce n’est qu’un cauchemar !
Isil regarda l’homme un instant, le temps de recouvrer ses esprits. Elle respira profondément avant de répondre.
- En tant que Jedi, je ne devrais pas faire de cauchemar. Mais… que faites-vous là ?
Le Conseiller s’était assis familièrement au bord du lit, tout près d’elle et d’un geste quasi paternel, il arrangea la chevelure qui tombait en désordre sur le visage de la Padawan.
- J’étais venu pour te réveiller… je sais qu’il est encore tôt, mais nous devons partir… Et puis, tu dormais si paisiblement, que je crois que j’ai retardé un peu le moment de te tirer du sommeil. À mon âge, admirer dormir une jeune fille aussi belle que toi est un moment privilégié qu’on a peu l’occasion d’avoir… j’espère que tu me pardonneras cette intrusion dans ton intimité. Ensuite, tu as eu, semble-t-il un mauvais rêve… tu as crié.
Isil observa Darillian qui lissait machinalement sa barbe blanche d’une main, avec un soupçon de méfiance et d’incompréhension.
- J’ai vu ma mère, dit-elle sobrement.
Un éclair passa dans les yeux sombres de l’homme.
- Jaina ? murmura-t-il pensivement. Tu as… – elle nota son hésita-tion – retrouvé la mémoire ?
- Je ne sais pas. J’ai vu une silhouette, un visage que je sais au fond de moi être celui de ma mère.
- Ah.
Darillian était songeur.
- Et… tu ne t’es souvenue de rien d’autre ?
- Du feu, des flammes, un incendie, un homme en noir… rien d’autre.
Le Conseiller se leva.
- C’est un début. Peut-être tes souvenirs commencent-ils à remonter à la surface. Le moment est peut-être venu pour moi de t’aider et de te prendre en main.
Il fit mine de repartir vers la porte de la chambre.
- Nous partons pour Corellia sur l’heure. Prépare-toi et rejoins-moi au spatioport lorsque tu seras prête.
- Mais je… protesta Isil, vous ne pouvez sortir sans moi.
- Ne t’inquiète pas, j’ai une escorte. Allons, dépêche-toi, nous décollons dans une heure.
Il sortit et un instant plus tard, elle entendait les portes d’entrée se refermer sur lui. Isil se défit de sa chemise de nuit pour prendre une douche presque froide avant de revêtir sa tenue de Jedi. Tunique, bottes, bure brune et sabre laser. Puis elle partit rejoindre le Conseiller qui l’attendait au spatioport.
Corellia, un des membres fondateurs de la République Galactique et l’un des centres commerciaux les plus actifs de la Galaxie. Une planète d’importance stratégique pour la République. La planète natale d’Isil et c’était vers elle que l’hyperespace les portait !
Jaster Darillian buvait lentement un thé de nialok parfumé en souriant.
- Ma chère enfant, ta mère était la plus douce des femmes et sans doute l’une des plus belles de Corellia. Je la revois, elle devait avoir une dizaine d’années, jouer dans les prairies du sud de Coronet City, courant cheveux au vent en riant aux éclats. Son rire s’envolait comme une grâce sur l’eau du lac où je lui apprenais à faire des ricochets avec des galets plats. C’était lors de mon premier poste à Corellia, après que j’eus quitté l’Ordre pour me lancer dans la politique… et après avoir perdu Naara, ajouta-t-il à voix basse.
Il s’arrêta un instant et exhala un léger soupir avant de reprendre.
- C’est lorsqu’elle est devenue une magnifique jeune fille que je compris que j’étais épris d’elle. Elle devait avoir presque ton âge et moi j’avais un peu dépassé la trentaine. J’étais alors conseiller diplomatique auprès de la reine et mes nombreux voyages entre Coruscant et Coronet City me permettait de lui faire une cour assidue.
Isil ne put s’empêcher de s’exclamer.
- Vous ? Vous avez été amoureux de ma mère ?
Darillian ne cessait de sourire à cette évocation.
- J’espérais que mon assiduité porterait ses fruits et qu’elle accepterait de m’épouser.
Il se tut et son sourire disparut de ses lèvres. Il vida sa tasse avant de se resservir avec des gestes lents et méticuleux. Ce fut Isil qui rompit le silence.
- Mais ma mère… vous aimait-elle ?
Darillian porta ses yeux sombres sur elle. Isil eut l’impression d’y lire l’espace d’un instant de noires pensées mais aussitôt, le sourire revint sur les lèvres du Conseiller, un sourire qui apparut forcé à la jeune fille.
- Hélas non, répondit-il avec détachement comme si le fait n’avait pas – ou plus – d’importance. Il y avait un autre homme, un peu plus jeune que moi, un bel officier de la République, un de ces pilotes fringants que forme l’Académie militaire. Il s’appelait Jann Valdarra. C’est de lui qu’elle tomba éperdument amoureuse.
- Que s’est-il passé ensuite ? demanda Isil tout en se demandant ou cette conversation les menait.
- Rien, ou pas grand-chose. Ils se marièrent au lendemain de la bataille de Bothawui où Jann se comporta en héros à la tête de son escadron. Sa témérité et son adresse avaient fait de lui l’un des plus jeunes généraux de la République. En temps de guerre il faut des héros pour donner en exemple au peuple. Il était de ceux-là, icône vivante du courage exhibée comme un modèle aux yeux de tous quand d’autres travaillaient dans l’ombre des coulisses diplomatiques.
Sa voix avait baissé et était devenue presque inaudible, comme s’il avait fini par se parler à lui-même. De nouveau un silence pesant s’installa. Puis de nouveau, il sembla sortir de sa rêverie et retrouva ce même sourire que des années de politique avaient forgé. Un sourire sur commande, ne put s’empêcher de penser la jeune fille.
- Et quatre ans plus tard, tu naissais ! lança-t-il presque joyeusement.
Isil parut hésiter un moment, comme si une question lui brûlait les lèvres sans qu’elle ne puisse ou ne veuille la poser. Enfin, elle s’y résolut.
- J’avais cru comprendre… enfin, vous m’avez dit que vous étiez un ami de mon père ?
Darillian se redressa sur son siège et reposa sa tasse sur la table.
- Et c’est ce qu’il était ! reprit-il peut-être trop vivement. Ne crois pas que j’ai été jaloux de lui, au contraire. J’ai reconnu à Jaina le droit d’en aimer un autre car moi-même je l’aimais assez pour cela. Je ne souhaitais que son bonheur. Nous sommes restés liés et j’ai eu ainsi le plaisir infini de te voir naître et grandir en grâce et en beauté. Tu as d’ailleurs dépassé ta mère en cela.
Isil baissa les yeux sous l’effet du compliment tout en cherchant une fois de plus le sens de tout cela. Darillian continuait de parler et d’évoquer son enfance avec une sincérité touchante. Il parla longuement de Jann Valdarra comme s’il voulait faire renaître les souvenirs perdus chez sa jeune auditrice. Des images confuses se bousculaient à présent dans la tête d’Isil. Des bribes de souvenirs qui remontaient à la surface. Elle revoyait une grande maison au bord de l’eau, de vertes pelouses ponctuées par des massifs de fleurs colorées et des arbres dont un chêne magnifique sous lequel elle se voyait faire de la balançoire.
- Il y avait un chien, dit-elle pensivement à un moment donné.
- Oui, s’exclama Darillian, oui, un berger de Corellia, avec de longs poils blancs ! C’est formidable, tu t’en es souvenue toute seule ! C’est signe que ta mémoire revient petit à petit.
Au fil de la discussion, la méfiance qu’Isil éprouvait encore pour l’homme politique, s’estompa. Il lui semblait que Darillian avait dû être plus proche d’elle qu’elle n’avait pu le soupçonner. Sans doute le vieil homme retrouvait-il à travers elle un peu de ses amours déçues ? Cela pouvait expliquer le comportement quasi paternel dont parfois il faisait montre à son égard.
Petit à petit, Isil se sentit bercée par la voix suave du Conseiller et elle ferma les yeux pour se laisser aller à des images vraies ou supposées qu’elle ne maîtrisait pas. L’afflux de ces souvenirs qui se mettaient tant bien que mal en place semblait constituer pour elle une seconde naissance. Une sorte de vie après la mort.
*
* *
- Maître Beno, est-ce que je resterai amnésique toute ma vie ? demanda la jeune fille en regardant les photos holographiques projetées par un petit appareil posé sur la commode de l’appartement d’un bothan qu’ils recherchaient. Il s’agissait visiblement de prises de vue de vacances sur un vaisseau croisière galactique.
- Qui peut savoir, avait répondu le Jedi en s’assurant que l’individu qui leur avait déjà glissé deux fois entre les doigts n’était pas chez lui. Ta mémoire n’est peut-être pas effacée. Peut-être est-ce simplement un blocage qui l’empêche de se manifester. Pourquoi cette question ?
- Je trouve qu’il est agréable de se souvenir des bonnes choses qu’on a vécues. Elles font partie de soi. Ne plus se souvenir de son passé c’est un peu comme être mort.
- Considère que tu es née à douze ans ou presque, c’est plus simple. Après tout, ne t’ai-je pas appris que seul compte ce qui est devant nous ? Un Chevalier Jedi doit se concentrer sur ses actes et leurs conséquences à venir pour guider ses choix. Le passé ne doit pas interférer sur ces derniers. Il est donc plus simple de ne pas avoir de souvenirs.
Isil ne paraissait pas convaincue.
- Tu ne penses pas comme moi, ma jeune Padawan ? demanda le Jedi qui lisait dans ses pensées.
- Mais, Maître, faire abstraction du passé et ne pas en avoir me parait deux choses bien différentes et pas équivalentes du tout. Dans le premier cas c’est un choix délibéré qu’on assume par discipline, dans le second c’est quelque chose qu’on subit malgré soi.
Beno Mahr soupira.
- Quel crédit penses-tu qu’on puisse accorder aux souvenirs ? Surtout à ceux de notre enfance ?
- Que voulez-vous dire, Maître ?
- Quelle fiabilité crois-tu que les images que nous avons du passé peuvent avoir ?
- Mais je…
- Je te donne en exemple cette vieille dame qui raconte au coin du feu son mariage à ses petits-enfants. Comment le ciel était tout bleu, comment le soleil brillait ce jour-là. La robe de mariée, le baiser… bref, un jour radieux.
- Où voulez-vous en venir, Maître Beno ?
- Simplement au fait que ce jour-là, il pleuvait mais la vieille dame ne s’en souvient pas. Son souvenir est fabriqué par les sentiments que lui inspire le jour béni où elle a épousé l’homme dont elle était amoureuse. Les souvenirs ne sont pas fiables… du moins en terme de reflet de la réalité.
- Mais le soleil, le ciel bleu, ne peut-on considérer qu’ils étaient dans son cœur et que c’est de cela dont elle parle ?
Le Jedi jeta un regard noir à sa Padawan en reposant un pistolet blaster qu’il venait de trouver dans un tiroir. Puis il sourit.
- Comme tu veux Isil. Tu as peut-être raison. Mais méfie-toi des souvenirs fabriqués qui ne reflètent pas la réalité du passé. Ainsi, bon nombre de souvenirs que nous avons de notre enfance ne tiennent que par ce que nos parents ou des adultes nous ont raconté en grandissant. Rien ne garantit au fond qu’ils soient vrais et non implantés de façon délibérée ou pas.
*
* *
Quel crédit pouvait-elle accorder aux souvenirs qui l’assaillaient sous l’impulsion des paroles de Jaster Darillian ?
- À toi de te réapproprier ton passé, mon enfant, conclut le Conseiller en se levant d’un air las.
Isil fit un geste de la main.
- Maître Beno m’a enseigné combien le passé avait peu d’importance…
- … et que le Chevalier Jedi ne devait pas s’y complaire ! Je sais. N’oublie pas que je connais les fadaises de l’enseignement Jedi, ma petite et je n’y souscris pas, même si je lui reconnais quelques vertus intéressantes. Encore une fois, les Jedi brident trop leurs membres dans l’usage de la Force. Ils n’en explorent pas les infinies possibilités de peur de ne pas la maîtriser ! Ils ne sont pas à la hauteur de leurs ambitions !
Son ton s’était légèrement durci. Il s’approcha d’Isil et la saisit par les épaules.
- Laisse-moi t’enseigner tout ce qu’on ne t’a pas appris, ma chère enfant. Tu peux faire mieux qu’être un simple Chevalier dévoué à son Ordre. Ton avenir est ailleurs. Laisse-moi être ton mentor et je t’ouvrirai les vraies portes du pouvoir en t’apprenant des choses que tu ne soupçonnes même pas sur la Force ! Laisse-moi répondre à tes légitimes questions !
Isil sentit battre son cœur plus vite. Il émanait de cet homme une puissance presque violente mais en même temps, une impression de savoir illimité.
- À quoi me servirait le pouvoir, Conseiller ? parvint à articuler la jeune fille troublée.
- Mais c’est évident, mon enfant, à apporter à cette Galaxie la paix, la justice, l’équilibre…
- Exactement ce que veulent les Jedi, observa-t-elle.
Elle sentit les mains de l’homme se crisper sur la chair de ses épaules.
- L’Ordre n’a pas les moyens de ses prétentions. Il est passé d’âge, discrédité, incapable d’agir efficacement car limité, non par ses capacités, mais par ses principes d’une autre époque. Il faut des hommes forts pour assurer l’équilibre des mondes et seule la Force, pleine et entière, peut nous aider à y arriver !
- Mais le Côté Obscur…
- Il n’y a pas de Côté Obscur, réagit Darillian vivement en la lâchant pour lever les bras vers le plafond de la cabine avant de les laisser lourdement retomber le long de son corps. C’est le croquemitaine de l’Ordre, un mythe, une invention destinée à limiter le pouvoir de chacun des élèves pour qu’il ne dépasse pas son Maître qui lui-même a reçu cet enseignement falsifié de son Maître, et ainsi de suite. C’est la peur du « trop » qui est à l’origine de cette mystification, la peur du trop de pouvoir, la peur de ne plus pouvoir contenir un disciple qui maîtriserait parfaitement et entièrement la Force. La Force n’est obscure que par ce qu’on en fait ! Le Côté Obscur n’est donc qu’une vision morale de l’utilisation de la Force. Les Jedi ont dressé une barrière entre l’utilisation des pouvoirs qu’ils pensent raisonnables et ceux qu’ils ont peur d’utiliser sous prétexte que cela peut déstabiliser l’esprit humain jusqu’à lui faire perdre la raison, jusqu’à modifier sa morphologie.
- Comme les Sith ? murmura Isil.
- Si tu veux… encore que les Sith actuels soient un savant mélange génétique entre leur race initiale et celle des humains. Je ne te dirais pas que l’utilisation de la Force est sans danger ni sans conséquence sur notre corps, mais tout dépend du degré de maîtrise qu’on a atteint en Elle et l’affinité que nous avons avec Elle. C’est presque…
Il s’interrompit un instant avant de reprendre.
- … une histoire d’amour entre celui qui l’utilise et Elle.
Campé devant Isil, la dominant d’une bonne tête, il posa une main sur le velours de sa joue qu’il effleura du bout des doigts.
- Je sais que ton immersion dans la Force est immense, Isil. À toi elle ne fera pas de mal même si tu apprends à t’en servir de toutes les façons possibles. Tu tiens cela…
Ils furent interrompus par le capitaine qui vint leur signaler que le vaisseau sortait de l’hyperespace et qu’ils se trouvaient à présent devant la planète Corellia.
- Vous ne m’avez toujours pas dit ce que nous venions faire sur Corellia, observa Isil alors qu’ils se rendaient vers le cockpit.
- Je dois m’entretenir avec le souverain sur la question des séparatistes. Le terroriste que tu as tué pose des questions auxquelles il me faut obtenir des réponses. J’ai obtenu du roi une audience. Mais j’ai aussi d’autres projets qui te concernent.
Parvenus devant la verrière du poste de pilotage, il s’enferma dans un mutisme observateur qui dura jusqu’à l’atterrissage où les attendait un véhicule protocolaire qui patientait devant un long tapis rouge déroulé sur le sol bétonné.