Pour le staff SWU, vous fournir tous les jours des contenus de qualité est une priorité. Mais nous restons aussi des observateurs, des spectateurs, des fans... Avec des avis bien tranchés ! Dans la rubrique "Point de Vue" nos staffeurs et nos invités prendront position sur les grands débats concernant Star Wars.
Dans ce deuxième article, Jagen Eripsa revient sur le rachat de Lucasfilm par Disney et nous explique pourquoi il considère cette solution comme le meilleur choix que George Lucas pouvait faire.
Pour un rappel des faits dans le détail, relisez notre dossier Le rachat de Lucasfilm par Disney en cliquant sur la bannière ci-dessous.
Les opinions exprimées ici sont le reflet celles de l'auteur de l'article et n'engagent en aucun cas le reste du Staff SWU.
* *
*
À quelques semaines de la sortie du Réveil de la Force, j’aimerais vous faire partager mes souvenirs, mes convictions et mes opinions sur le rachat de Lucasfilm par Disney survenu il y a trois ans jour pour jour, et vous expliquer ainsi pourquoi je reste aujourd’hui convaincu qu’il s’agissait de la meilleure option pour la saga Star Wars.
Isisgny-sur-Mer, dans le Calvados. Cette petite bourgade de Normandie, d’à peine trois mille habitants, est surtout connue pour ses produits du terroir : crème et beurre AOC, caramels, huîtres et moules.
Ce petit point Wikipédia n’est pas fait pour imiter les actualités d’un de mes collègues normands ou rendre hommage à sa belle région, mais bien parce qu’il est en rapport avec la saga
Star Wars.
Quoi ! me direz-vous,
quel rapport entre Star Wars et la Normandie ? Il en existe pourtant un, ténu et omniprésent à la fois, depuis le 30 octobre 2012.
D’Isigny. D’Isgny. Disney.
À la façon de Vito Corleone dans
Le Parrain II,
Walt Disney doit son nom au village de ses lointains ancêtres normands. Un nom devenu incontournable dans le cinéma. Longtemps référence unique dans le domaine de l’animation, le petit studio familial est devenu The Walt Disney Company une gigantesque corporation du divertissement de masse qui produit aujourd’hui plus de films en prise de vues réelles que de long-métrages dessinés. Depuis 2005, le groupe est dirigé par Robert Iger, qui a donc commandé à la fois la prise de contrôle de Marvel en 2009… Et celle de Lucasfilm, le 30 octobre 2012.
Trois ans après cette drôle de journée, je reste convaincu que le choix qu’a fait George Lucas de revendre sa société – et la licence
Star Wars – à Disney est le plus judicieux, commercialement parlant bien sûr, mais aussi pour assurer l’avenir de la saga.
Disney, Star Wars & moi
Pour lever quelques ambiguités, je tiens à préciser quelques éléments.
J’ai été élevé dans le « sérail » Disney, ce qui peut expliquer mon indulgence vis-à-vis de la firme. J’ai collectionné pendant ma petite enfance (dans la seconde moitié des années 1990) tous les longs-métrages sur lesquels je pouvais mettre la main ; il faut dire qu’à cette époque, les studios enchaînaient les succès artistiques et publics après la période trouble des années 1980.
A contrario, ma découverte de la saga
Star Wars s'est faite sur le tard, par un premier visionnage des films puis les jeux vidéos. Mes premières lectures de bandes dessinées, hormis les classiques franco-belges, furent les publications hebdomadaires et mensuelles présentant les héros intemporels que sont Mickey, Donald, Picsou… Des histoires que j’aime encore relire aujourd’hui.
Je n’accorde pourtant pas une confiance totale aux productions Disney. Hormis la série des « Coccinelle » pour laquelle je garde un peu d’affection (surtout pour les trois premiers opus), j’ai surtout le souvenir de films niais à l’humour très… Américain. Idem pour les séries télés, qui ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable.
Voilà qui explique mes premières pensées sur le rachat de Lucasfilm par Disney.
Le choc.
Quand la nouvelle est apparue sur le forum SWU pour la première fois, dans la soirée du 30 octobre 2012, j’ai eu ces mots historiques : « WTF ? ». Bon, ça n’a l’air de rien comme ça, mais de la part d’un type qui déteste les acronymes et les expressions anglaises, c’est tout un symbole !
En tant que jeune staffeur, en poste depuis moins d’un an, je m’étais fait à l’idée que les films Star Wars, c’était fini. Depuis 2005, les Épisodes VII, VIII et IX étaient relégués à ce topic qui
a posteriori semble si mal nommé, «
Il n’y aura jamais d’épisodes 7, 8 et 9 ». Ce n’était rien de plus qu’une blague entre connaisseurs… J’étais, comme beaucoup d’autres, intimement convaincu que l’avenir de la saga (et plus encore du site) passait par les romans, les comics, la télévision
(The Clone Wars en premier lieu), les jeux-vidéos (
The Old Republic n’avait pas un an !) et les créations de fans. Pas par les films. D’ailleurs, je n’étais même pas allé voir la ressortie en 3D de l’Épisode I l’année d’avant. Je pense pouvoir affirmer que pour l’équipe du site, les films étaient davantage des monuments sacrés que de réels sujets de travail (Nous n’avions même pas de staffeur dédié à cette époque !), souvenirs du passé au moment où notre regard portait vers l’avenir… Et la V6 en gestation.
L’annonce a donc été un véritable choc, et je me souviens comme si c’était hier de l’effervescence qu’elle a provoquée. Dans la soirée, il y eut de longues discussions enflammées via messagerie instantanée, avec une ambiance de réunion de crise. Notre serveur déjà fatigué ayant opportunément lâché, l’énervement et une certaine forme de désespoir dominaient… Et, pourtant, je ressentais déjà une touche d’optimisme. Je ne connaissais pas SWU en 2005, seule fois à ce jour où j’ai pu voir un Star Wars au cinéma. Et, lorsque le site a finalement repris vie, aucun staffeur n’était en mesure de nous apporter son expérience de la gestion d’un tel phénomène par l’équipe du site. Mais j’enviais déjà cette ambiance, entraînante, ce compte à rebours toujours plus excitant jusqu’au jour de la sortie !
Disney & LucasFilm, deux sociétés déjà très liées
Mais revenons à ce rachat. Quand l'annonce est tombée, ce fut un véritable coup de tonnerre et pour cause : George Lucas, chantre de l'opposition aux
majors - les grands studios de Hollywood, avec lesquels il n'a toujours traité que par nécessité - revend sa société principale, le travail de toute une vie, au plus tentaculaire des groupes cinématographiques. Il y a de quoi en perdre son latin... Pourtant, avec le recul, je pense que ce rachat peut passer pour la meilleure des options.
En tournant le premier opus de
Star Wars au milieu des Seventies (période difficile pour les Américains, marqués par le scandale du Watergate et la fin difficile de la guerre du Vietnam), George Lucas voulait créer une saga faisant rêver les enfants, petits et grands, et en cela il se rapproche beaucoup de Walt Disney, dont la société avait connu lors de la Grande Dépression quarante ans plus tôt les premiers succès pour ses courts et longs-métrages. George Lucas a-t-il été inspiré par ces films d'anthologie pour tourner Star Wars ? Difficile à affirmer. L'influence de Disney - et surtout des comics de Carl Barks - est bien plus présente dans son autre saga phare, coécrite avec Steven Spielberg,
Indiana Jones.
À gauche, un tableau de Barks illustrant Le Fantôme de la Grotte, histoire ayant pu inspirer l'apparence et l'histoire du Gardien du Graal dans Indiana Jones et la Dernière Croisade. À droite, planche issue des Sept Cités de Cibola ; on y retrouve l'introduction des Aventuriers de l'Arche Perdue, et l'histoire comporte de nombreuses autres cases ayant inspiré les péripéties du célèbre aventurier. Spielberg et Lucas ont reconnu cette influence, le second ayant même préfacé une intégrale de Barks.
Ce lien est à double-sens, puisque la firme s'est inspirée des méthodes du jeune réalisateur pour transformer sa stratégie. Lors de la négociation du contrat d'
Un Nouvel Espoir avec la Twentieth Century Fox, Lucas obtient les droits sur les produits dérivés, qui sont à cette époque quantité négligeable. La suite est connue ; grâce à ces "
goodies", il devient milliardaire et invente du même coup le concept de
merchandising ; aujourd'hui, rares sont les blockbusters qui n'ont pas le droit à leurs produits sous licence. Et quel est le champion toutes catégories ? Dingo, c'est Bisney. Euh, non, bingo, c'est Disney.
Et quels sont les films les plus acclamés de Disney ces vingt dernières années ? Ceux produits par la filiale Pixar, du novateur
Toy Story au plus récent
Vice-Versa. Cette ancienne division de Lucasfilm, vendue lors des ennuis financiers de George Lucas dans les années 1980 (encore une histoire de canards...), est passée entre les mains de Steve Jobs avant de finalement intégrer la Walt Disney Company au début de l'année 2006. Son ancien réalisateur vedette, John Lasseter, est aujourd'hui le directeur artistique des Studios d'Animation Disney.
Enfin, le lien le plus connu est sans nul doute Star Tours, l'attraction qui a fait rêver d'innombrables fans de la saga... Présente depuis l'ouverture de Disneyland Paris, et que j'ai adorée lors de ma première visite alors que je ne connaissais même pas
Star Wars !
Disney a quelque chose d'autre, peut-être plus important encore : les fonds et la structure nécessaire pour faire vivre une saga comme
Star Wars. Ce ne sont pas que des films : séries, romans, comics, jeux... Lucasfilm est jusqu'en 2012 un ovni, un studio multi-cartes qui ne vit que pour un seul univers mais en gère tous les aspects, quitte à nouer des partenariats si besoin. Quel studio serait capable d'en dire autant ? Les
majors comme la Twentieth Century Fox, Universal Studios ou la MGM ne produisent que rarement des séries, et n'ont pas pour habitude de s'intéresser aux livres, aux comics ou aux jeux vidéos. Parmi les rares licences comparables, DC Comics et surtout Marvel, qui vient alors de passer sous le contrôle de Disney. Le succès d'
Avengers et de cette série de films connectés les uns aux autres a-t-il pu influencer le choix de George Lucas pour la vente de sa société ? C'est difficile à affirmer, mais cela aura au moins fourni à Disney les fonds nécessaires pour ce rachat dispendieux.
Le groupe peut désormais servir d'assise aux velléités d'expansion de l'univers
Star Wars. Une série à diffuser ? Le groupe possède ABC, l'une des grandes chaînes américaines, et Disney Channel / DIsney XD peuvent retransmettre les dessins animés sur les cinq continents... Des comics à produire ? Disney possède un des joyaux du domaine avec Marvel et peut y piocher des dessinateurs aguerris. Et tout cela sans perte d'identité, puisque Pixar ou Marvel continuent à fonctionner comme des entités autonomes au sein du groupe. Production, édition, parcs d'attractions... Qui d'autre que Disney possède une telle force de frappe commerciale ?
Qui d'autre ?
Churchill considérait que "
La démocratie est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres" ; ici, bien que l'enjeu soit loin d'être aussi important, je trouve que cette phrase s'applique plutôt bien au rachat... Quelle autre option aurait-elle pu être envisageable ?
George Lucas a des héritiers : trois enfants adoptés au cours des années 1980-1990 et une fille biologique née en 2013. Il aurait donc pu leur léguer sa société, le travail de toute une vie. Mais pour quel résultat ? Lucasfilm est un studio brillant, mais trop centré sur un unique produit. Pendant les années 2000, le studio n'a produit que trois films, les Épisodes II et III de
Star Wars et
Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, dernier film en 2008, à chaque fois en association avec d'autres producteurs ; depuis lors, la société n'a sorti que deux films personnels de George Lucas,
Red Tails et
Strange Magic, à la diffusion confidentielle. Comment la société s'en serait-elle sortie sans son fondateur-réalisateur fétiche ? L'héritage de la saga aurait-il été préservé, où y aurait-il eu un manque total de vision, d'objectifs, quitte à gaspiller le potentiel en or que représentent ces droits ? Tous les héritiers ne sont pas aussi impliqués dans la préservation de l'oeuvre qu'ils détiennent que Christopher Tolkien... En vendant sa société, Lucas s'est débarassé d'une question de succession qui aurait pu devenir épineuse et qui aurait pu signer la perte de son studio.
Cliquez sur la bannière pour accéder au dossier.
George Lucas a produit plusieurs films n'appartenant pas à ses licences phares, mais cette activité s'est considérablement réduite depuis la fin des années 1980.
Restaient les autres studios, et en premier lieu la Twentieth Century Fox, partenaire historique de Lucasfilm dans la production de la saga. Le studio a connu de brillants succès en produisant les blockbusters de
James Cameron, et notamment le fameux
Avatar, ou avec la saga X-Men. Sa société-mère, Fox Entertainment Group, est en 2014 le deuxième studio américain en terme de bénéfices (derrière Disney) et en terme de revenus (derrière Warner Bros mais devant Disney, ce qui donne une idée du ratio exceptionnel revenus/bénéfices de ce dernier). Et elle dispose de chaînes privatisées aux États-Unis. Pour autant, la Fox n'a pas d'éditeur, de parc d'attractions... Elle n'a pas l'expérience qu'a la Walt Disney Company pour gérer une telle licence et l'exploiter au meilleur de son potentiel. Warner ou Universal en possèdent un, mais ils n'ont aucun lien avec le studio historique et font partie des m
ajors, les poids lourds du cinéma contre lesquels Lucas a toujours luté. Reste la
Paramount, vénérable studio avec qui Lucasfilm a collaboré pour la saga
Indiana Jones mais qui fait office de poids-plume face à ses concurrents...
Je finirai par un bref bilan sur ces trois années : loin des "Mickey Jedi" qui existaient déjà avant le rachat, la saga
Star Wars se prépare à sa période la plus prolifique : six films d'ici 2021 (Dont des prises de risque avec les fameux Spin-Offs), livres, séries, jeux vidéos... Et une omniprésence médiatique qui place une saga que certains jugeaient puérile ou démodée dans toutes les discussions. C'est peut-être là le véritable succès de ce rachat : rendre à
Star Wars son statut unique dans le cinéma contemporain.
Jagen Eripsa.