Allez, je sais que ça a été long. Alors voilà ce qui est sans doute ma dernière contribution de 2010.
Un anagrame facile à trouver et comme je l'avais promis, du guest !
J'espère que vous aimerez
Je dormis à poings fermés cette nuit-là. La fatigue des derniers mois s'était faite sentir, tant et si bien que je ne m'éveillais qu'à onze heures du matin, un comble pour un lève-tôt comme moi. Je me sortis des draps en satin blanc de mon lit en douceur, prenant garde à ne pas réveiller Boldni, mon spukama apprivoisé.
Le chat corellien s'était roulé en boule à mes pieds et dormait en ronronnant très légèrement. L'animal m'avait été offert par Ishin Il Raz à ma sortie de l'hôpital et depuis, le spukama et moi s'étions bien entendus. J'aimais bien ce chat, à la fourrure noire comme l'encre et aux yeux dorés. En fait, je crois que j'aimais bien les animaux en général.
Plus que la plupart des êtres sensibles en tout cas. Eux étaient dignes de confiance. Ils ne trahissaient pas, restaient fidèles. Ils ne plaçaient pas l'argent au dessus des idéaux.
Alors que j'enfilais une robe de chambre pourpre, Boldni ouvrit les yeux, s'étira et sauta au bas du lit avant d'aller se frotter contre mes jambes, quémandant une caresse.
Je lui accordais quelques gratouillements sous le menton avant de quitter la pièce. Je traversais le petit couloir de mon appartement, jetant un oeil ici et là, à la collection d'holotableaux qui agrémentaient les murs crème. Je grimaçais. Il faudrait vraiment que je pense à changer la décoration un de ces jours, dès que j'aurais une minutes. Le style des holotoiles me déplaisait fortement. A se demander ce que la sénatrice Zarander avait pu leur trouver.
L'appartement dans lequel je vivais appartenait théoriquement toujours à Eri Zarander, sénatrice de Varonat et membre de la Délégation des Deux Mille.
Mais les Deux Mille, ces politiciens qui s'étaient opposés aux pleins-pouvoirs de Paltpaine, pourtant accordés on ne peut plus démocratiquement par le Sénat, n'étaient plus vraiment en odeur de sainteté et ce, depuis la mort de leur chef, Padmé Naberrie, ancienne reine de Naboo sous le nom d'Amidala.
Si l'essentiel avait recouvré la raison ou du moins, un certain bon sens politique en votant favorablement à l'Empire, des gens comme Organa par exemple, un noyau dur s'était entêté, empêtré dans ses idéaux de République parfaite. Comprenons nous bien : j'aimais les idéalistes. Ceux prêts à se sacrifier pour leur cause, sans penser au prix à payer. Mais enfin, il y avait idéalisme et idéalisme. Ou plutôt, idéalisme et stupidité.
Iriez-vous lancer une campagne abolitionniste sur Trandosha ou militer pour l'égalité des droits sur Serreno ? Parce que c'était l'équivalent de ce que faisaient ces républicains fanatiques. Pire, ils luttaient pour une cause qui avait disparue. Ils représentaient un danger interne pour l'Ordre Nouveau et devaient être neutralisés. Et Zarander faisait partie de ceux-là.
Cela dit, elle avait eu de la chance : prévenue quelques heures avant que l'Intelligence Impériale, les rivaux du BSI ne mettent la main sur elle, elle avait pu fuir pour la Bordure Extérieure où on avait perdu sa trace.
Tout n'avait pas été perdu cela dit, puisque en vertu des lois sur les réquisitions nécessaires à la sureté de l'Etat, j'avais pu faire du luxueux appartement de la sénatrice, mon propre logement.
J'y habitais seul, Eleiza et moi ne vivions pas ensemble. Il était déja assez dur pour nous de se voir avec nos emplois du temps respectifs, alors emménager tous les deux était exclu.
J'entrais dans la cuisine, Boldni sur les talons. Je lui servis une secoupe de lait bleu alors que je m'accordais un café noir, agrémenté de biscottes beurrées, tout en feuilletant le journal du jour. J'aurais pu allumer l'Holonet mais j'avais ce besoin de toucher le filmplast comme pour être proche de l'information.
Il n'y avait rien de très important aujourd'hui, excepté un beau entrefilet sur notre victoire fejorienne. Je grimaçais et repliant le journal, je le jettai presque loin de moi. J'avais autre chose à faire qu'à penser à ça.
Je finis mon petit déjeuner en m'efforçant de garder les souvenirs de Fejor le plus loin possible. Et j'y parvins d'une manière inattendue quand la sonnette de la porte d'entrée retentit. J'allais ouvrir pour découvrir Dakcen, en civil, sur le pas de la porte. Notre dernière rencontre de visu devait dater d'au moins trois mois. Je lui serrais la main, notai au passage qu'il me semblait encore plus gros qu'auparavant et l'invitai à entrer, tout en m'excusant pour ma tenue. Il m'assura que ce n'était pas grave, étant lui aussi en jour de repos.
Nous nous installâmes à la table du salon, d'une belle pierre d'onyx noire. Mon ami fit quelques compliments sur l'appartement et nous échangeâmes quelques banalités.
_Tu sais, dit-il au détour d'une phrase, je tenais à te remercier pour la promotion que tu m'as obtenue.
Je fis un geste de la main comme pour chasser physiquement cette phrase :
_Oh je t'en prie, répondis-je. C'est toi qui m'a fait entrer dans le COMPORN, c'est normal que je te renvoie le turboélévateur.
Bon. Si je voulais être honnête, ce n'était pas que par souci d'équité que j'avais agi ainsi. J'avais besoin de mon réseau et il devait être le plus puissant possible. Un allié à un poste subalterne ne me servait à rien.
Au contraire, plus il serait placé haut dans la hiérarchie du Comité, plus il serait susceptible d'agir à grande échelle, ou d'entendre des choses intéressantes. La vie dans le COMPORN était comme dans n'importe quelle entreprise lambda : si on n'assurait pas ses arrières, on se faisait bouffer. Et personne, personne, ne pouvait se permettre de me battre.
_J'ai aussi appris que c'est grâce à toi que Redra est devenu capitaine dans la CompForce...et le petit Rekkon, il en est où ?
_Toujours dans Justice, comme assistant du nouvel avocat général. Je pense qu'il pourra lui-même briguer le poste dans quelques années.
_Il est doué à ce point là ? demanda mon ami.
_Pas tellement, avouais-je. Mais il est encore jeune, il a du potentiel.
En fait, même avec le temps, je doutais que Rekkon devienne un grand orateur.
Bien entendu, il ne se débrouillait pas si mal que ça mais il lui manquait ce petit quelque chose, ce talent unique pour galvaniser les foules que certaines personnes - comme moi - possédaient.
Mais encore une fois, ce n'était pas tant pour le bien de l'organisation que pour le bien de mon propre réseau que je désirais l'accès du SA à ce poste.
_Faut que je te dise un truc, dit Dakcen du bout des lèvres. Je devrais me la fermer mais bon...en fait, je devrais même pas le savoir, c'est top-secret.
_De quoi tu parles ? demandais-je intrigué.
_Il y a de ça trois jours, il y a eu un soulèvement, sur Kamino.
_Les kaminoiens se sont rebellés ?
_Pas tous, juste quelques maîtres-cloneurs. Et leurs créations.
Je cillais à plusieurs reprises, interdit :
_Attends, tu veux dire que les clones ont pris les armes contre nous ?
_Ouais, dit Dakcen en hochant tristement la tête. Un truc de fou, hein ? Mais par chance, l'Empereur a été réactif, on a écrasé cette révolte dans l'oeuf. Ils ont pas fait le poids face au Poing de Vador.
La 501°. Rien de plus que la meilleure armée impériale. Pas très étonnant que la victoire échoit à l'Ordre Nouveau dans ces conditions.
_Les stormtroopers ont réussi à retourner la situation et à tuer les chefs rebelles. Ainsi qu'à empêcher un nouveau soulèvement. Toujours est-il que les clones se sont révoltés et ça ferait une assez mauvaise publicité à Palpatine que le grand public sache ce qui s'est passé. Donc, il s'est rien passé.
_D'accord, dis-je une fois ma surprise passée. Mais pourquoi tu me racontes ça ?
_J'y viens, expliqua mon ami. On pense que le modèle Fett est obsolète. Trop solitaire, trop imprévisible. L'Empereur veut diversifier les souches pour éviter à nouveau ce genre de problèmes.
_Et en quoi ça nous concerne ? A la limite, c'est le boulot du département Science, ça.
_Palpatine s'apprête à envoyer dans quelques semaines toute une délégation sur Arkania, pour signer un accord avec une des grosses boites de génétique de la planète, pour bénéficier de leur soutien sur ce projet là. Il y aura des membres de la Coalition pour le Progrès...
Il leva la main.
_De la Coalition pour l'Amélioration...
Il pointa l'index vers moi.
_Et d'après les rumeurs, la Commission Sélective aimerait bien envoyer son Petit Avocat à la réunion, en tant que porte-parole. Histoire de garder un œil sur tout ce beau petit monde.
Boldni trotta jusque dans le salon et sauta sur mes genoux où il se pelotonna. Je lui accordais quelques caresses machinales alors que je réfléchissais à ce que venait de me dire mon ami.
_Et tu l'as su par qui cette info ? demandais-je.
_Rumeurs, lâcha t-il après un haussement d'épaules. Mais je pars du principe que quand les pontes du Comité parlent de ça des heures durant par visioconférence privée, ça doit-être vrai.
_On peut remercier Quorba si je comprends bien ? dis-je avec un sourire.
_T'as tout compris ! répondit Dakcen en me renvoyant mon sourire tout en glissant une cigarette dans sa bouche.
Quorba était le petit ami de Dakcen. On l'avait affecté à un poste obscur et sans grade, au réseau de communication du COMPORN...ce qui était terriblement efficace pour glaner quelques informations.
_En fait, me demanda mon ami après quelques bouffés, c'est un peu comme toi avec Eleiza : elle doit te fournir pas mal de renseignements, pas vrai ?
_Pour être honnête, avouais-je, on parle pas trop boulot quand on a du temps pour nous.
_Je comprends, m'assura Dakcen après une nouvelle bouffée.
Il jeta un oeil à son montre et se leva lentement de sa chaise. Je me levais à mon tour, au grand déplaisir de Boldni, qui s'en alla trouver un support moins remuant.
_Faut que je parte m'affirma Dakcen, je dois me préparer pour le match de ce soir. Tu seras là, j'espère ?
_Le match ? demandais-je innocemment.
Il me regarda d'un air ahuri.
_Tu me fais marcher là, non ? Tu te souviens quand même que ce soir, on joue la finale de wegsphere contre l'équipé de la Marine ?
Je me retins in-extremis de me claquer la paume sur le front avec violence. La finale de wegsphere, bien sûr ! Comment j'avais pu oublier ça ? Des mois qu'on voyait des holos publicitaires dans la rue, des annonces sur l'Holonet...
Dakcen s'était réellement pris au jeu de la wegsphere, tant et si bien que lui et ses camarades avaient conduit notre équipe jusqu'à la finale, dans le tournoi inter-impérial.
Au delà du simple esprit de compétition, tout le monde dans le Comité espérait voir échouer l'équipe de la Marine Impériale. Notre vieille rivalité contre l'armée régulière n'épargnait aucun aspect de la société, même en sport.
_Oui, bien sûr, l'assurais-je. C'est juste que j'ai pas de places et que...
Dakcen partit d'un grand rire et me donna une bourrade amicale.
_Tu sais que t'es doué pour tromper ton monde, toi ? s'exclaffa t-il. J'ai vraiment cru pendant un moment que t'avais oublié qu'en tant que cadre, t'avais automatiquement accès à la tribune présidentielle !
Je fis un sourire en coin, ne voulant pas le détromper. Il me fit un signe de la main, me dit à plus tard et quitta mon appartement.
Quelques minutes après son départ, je restais pensif, à regarder Coruscant par la grande fenêtre de mon loft. Le flot ininterrompu des speeders avait quelque chose d'ennivrant. J'entendis le pas feutré de Boldni quand il s'approcha de moi et m'adressant à lui, comme cela m'arrivait de temps à autres, je lui demandais ce qu'il pensait de tout ça.
Le spukama me fixa de ses yeux dorés avant de miauler pour toute réponse.
Apparemment, pour lui, l'important, c'était surtout l'heure du déjeuner et mon chat corellien n'aimait guère attendre.
J'eus un petit rire et retournai dans la cuisine pour servir son repas au spukama. Tandis que Boldni se jetait avec vigueur sur sa pâtée, je choisis de me préparer quelque chose de rapide. Je cassais quelques oeufs de yam'rii dans une poêle et me fit une rapide omelette. Je l'arrosais de quelques cuillerées de vinaigre d'Aldérande, tout en réfléchissant à ce que venait de m'apprendre Dakcen.
Ainsi, les clones n'étaient pas fiables ? Cela ne m'étonnait qu'à moitié. J'avais toujours pensé que partir d'une souche aussi particulière que celle de Fett poserait des problèmes. Oh certes, les stormtroopers étaient des guerriers efficaces, naturellement doués d'un certain sens pour maintenir l'ordre. Mais enfin, ils n'étaient pas invincibles. Ils pouvaient mourir, saigner, craquer psychologiquement.
L'idéal aurait été un super-soldat qui n'aurait pas ces défauts. Certaines voix, au sein de l'Empire, prônaient l'utilisation de droïdes pour remplacer les troopers, arguant que les séparatistes ne s'étaient pas privés de le faire pendant la guerre.
Sauf que la Confédération avait perdu et que dans l'inconscient collectif, un droïde de guerre restera à jamais attaché à l'image de l'ennemi. Or, il ne fallait pas nous faire haïr de la population.
Si nous nous conduisions en tyrans, le peuple finirait par prendre les armes, peut-être à grande échelle. Et il nous faudrait lutter, peut-être encore plus durement que pendant la Guerre des Clones pour survivre.
Mais peut-être que je me faisais des idées. Peut-être que ce soulèvement n'arriverait jamais.
Un nouveau miaulement de Boldni m'arracha à mes pensées. Il poussait sa gamelle vide vers moi par de petits coups de museau, réclamant un deuxième service.
Je pointais ma fourchette vers le chat, comme un index réprobateur :
_Tu devrais faire attention à ta ligne mon beau...je suis certain que tu n'as pas envie de devenir le spukama le plus gras de tout le COMPORN, si ?
Nouveau miaulement et nouveau coup de museau. Il fallait vraiment que j'apprenne à parler aux chats corelliens, moi.
Les locaux du Bureau de Sécurité Impérial étaient froids et austères. De l'extérieur, rien n'indiquait qu'une des plus puissantes organisations de l'Ordre Nouveau y avait établi ses quartiers. Tout n'était que parabéton gris et terne.
Je n'aimais pas ce dénuement quasi nihiliste. Eleiza m'avait un jour expliqué que c'était pour entretenir l'image d'un BSI froid et impénétrable, que rien ne pouvait ébranler. Personnellement, je trouvais surtout l'immeuble hideux.
Quelques heures s'étaient écoulées depuis la visite de Dakcen. J'étais décidé à aller assister au match, tant pour faire bonne figure auprès de mon ami et de mes supérieurs que pour me changer les idées. Je voulais savoir si Eleiza comptait m'accompagner. Ma maîtresse ayant la fâcheuse habitude de ne jamais répondre aux messages, je devais lui poser la question en personne. Même si elle était en service, elle aurait bien cinq minutes pour me dire si oui ou non, elle comptait aller à la finale de wegsphere avec moi.
Les vigiles examinèrent assez longtemps ma carte de membre avant de me laisser passer. La paranoïa du directeur Isard, chef du service, n'épargnait personne, même les cadres les plus en vue de l'organisation, comme moi.
J'expliquai la situation à l'accueil et on me conduisit jusqu'à ma maîtresse. Elle se trouvait en salle d'interrogatoire J-12, en train de questionner une ennemie de l'Etat, m'expliqua t-on.
J'étais venu une fois ou deux au siège du BSI, principalement pour des histoires de paperasse ou plus rarement, quand j'en avais l'occasion, j'attendais Eleiza à la sortie de son travail. Mais je n'étais jamais entré dans cette zone quasi-mystique des services secrets impériaux.
A ma grande surprise, nous empruntâmes un escalier qui descendait vers les profondeurs du bâtiment. Encore une fois, pas l'ombre d'une décoration, le parabéton était aussi nu que le dos d'une main. Une odeur assez écœurante de fluides corporels et de produits de nettoyage bon marché m'aggrésérent.
Les sous-sols se composaient d'une multitude de tunnels, chacun baptisé d'un nom de code allant d'Alpha à Zoulou. Les architectes du BSI manquaient décidément de tout goût artistique, fut-ce pour les noms des souterrains.
On me fit progresser dans le tunnel J et logiquement stopper devant la douzième porte.
En réalité, il y avait deux portes : la plus grosse était faire de duracier écaillé, comme si le métal avait pourri avec le temps. Le nombre douze avait été grossièrement peint sur le métal froid par une main malhabile. La seconde porte était plus petite et mieux entretenue. Plus discrète, elle se fondait presque dans les couleurs ternes du mur de parabéton. Ce fut cette porte-là qu'on m'invita à pousser.
Je me retrouvai dans une minuscule pièce, pas plus grande qu'un débarras. Tout le pan d'un mur était occupé par une grande vitre de transparacier, que je supposais sans tain. Apposée à cette glace, un bureau couvert d'échardes ainsi qu'une chaise branlante attendaient tout observateur éventuel.
Je me bornai à rester debout.
De l'autre côté de la glace, je pouvais voir ma maîtresse, penchée au dessus d'une forme féminine, attachée par des cordes à une chaise de plastacier. La pièce dans laquelle elles se trouvaient était plus spacieuse, plus sale aussi. On voyait des moisissures dévorer les murs de parabéton et une lumière blafarde venait compléter ce triste tableau.
Je ne voyais pas le visage de la détenue car elle me tournait le dos. Je notai toutefois qu'elle n'était pas humaine, comme l'attestait la fourrure caramel qui recouvrait son corps et une queue féline qui se balançait tristement à droite puis à gauche, dans un rythme bizarre, comme si elle était cassée.
Je devais apprendre plus tard que c'était bel et bien le cas.
Eleiza était impeccable dans son uniforme blanc, la tête baissée vers la féline comme si elle regardait une sorte d'animal pris au piège. Ce qui était totalement vrai d'un certain point de vue.
Soudain, la main gantée de ma maîtresse claqua avec violence contre la joue de la détenue. Elle poussa un petit cri, plus proche du feulement de douleur qu'autre chose et laissa sa tête reposer sur son épaule quelques secondes. Je vis un court instant les yeux brouillés de larmes de la féline au travers le miroir. Puis, elle releva lentement la tête et fixa simplement ma maîtresse du regard, sans ajouter un mot.
_A quoi vous jouez ? demanda Eleiza en posant doucement ses mains sur les épaules de la détenue. Vous voulez encore plus souffrir ? A quoi est-ce que ça servira ? Vous finirez pas parler. Tout le monde finit toujours par parler.
Les lèvres de la féline bougèrent mais trop faiblement pour que le son parvienne jusqu'à la salle d'observation. La réponse ne plut guère à Eleiza qui envoya brutalement son genou dans la tête de la malheureuse.
La chaise sur laquelle la féline était attachée tomba lourdement au sol, dans un bruit métallique. Bien qu'un peu horrifié par toute cette violence, je ne pouvais m'empécher de détacher mon regard de la scène. Et même, à ma grande honte d'en être un petit peu excité.
Eleiza dressa de toute sa hauteur pour toiser la détenue.
_Ca ne sert à rien de résister Unaa et vous le savez. Que vous parliez maintenant ou dans dix ans ne change rien pour moi. La seule chose qui changera sera le nombre de cicatrices sur votre corps.
Elle releva la chaise de la dénommée Unaa. Une petite flaque de sang se formait lentement au sol.
_C'est pas vous que mes chefs veulent, l'assura ma maîtresse. On sait que vous n'êtes qu'un maillon de la chaîne. Si vous avouez, on peut négocier un accord avec le juge. Vous pourriez être libérée sur l'heure.
_Etre libre ne m'intéresse pas, dit faiblement la féline, si c'est pour savoir le reste de la galaxie sous votre botte !
Eleiza grimaça.
_Vous nous prenez pour des monstres mademoiselle Airan ?
_Agent Airan, la corrigea la détenue.
_Quoi ?
_Agent spécial Airan, nom de code H-21, au service du SBI.
Elle répéta plusieurs fois cette phrase, comme une litanie. Eleiza la coupa d'une nouvelle gifle.
_Le SBI n'existe plus pauvre idiote ! Vous avez été déchue de votre rang quand vous avez stupidement choisi de vous dresser contre vos camarades.
Unaa prit son temps avant de répondre et répondit avec force.
_Je n'ai jamais trahi. C'est vous qui avez trahi la République.
Eleiza leva les yeux au ciel. Elle fouilla dans sa poche de poitrine et en tira une cigarette. Ce geste me stupéfia. Je n'avais jamais vu ma maîtresse fumer. Elle alluma la cigarette et en fixa le bout rougeoyant quelques instants.
_Vous fumez ? demanda l'agent du BSI à la féline.
Aira secoua négativement la tête.
_Prenez quand même une cigarette, dit ma maîtresse en plaquant brutalement le bout incandescent sur le bras de la détenue.
Le feulement de douleur de la farghul me retourna l'estomac.
Incapable d'en supporter plus, je quittai la salle d'observation en priant pour ne pas vomir. Je restai dans le couloir de parabéton, évitant de fixer les portes, de peur d'imaginer ce qui se tramait derrière, si d'autres "ennemis de l'Etat" subissaient le même sort. J'allais presque jusquà me rouler en boule contre le mur et à enfouir ma tête entre mes bras, me forçant à penser à autre chose.
C'était pour son travail qu'Eleiza agissait ainsi, me persuadais-je. Elle luttait contre les éléments subversifs qui pourraient nuire à l'Ordre Nouveau. Elle ne faisait que suivre les ordres.
Et puis après tout, que savais-je ce cette Unaa Airan, sinon qu'elle avait été agent du SBI ? Cela ne voulait rien dire. Agent des services secrets sénatoriaux ou non, elle pouvait très bien être une mauvaise personne. La fonction ne faisait pas l'être sensible.
Je me répétais plusieurs fois cette formule, jusqu'à ce qu'elle s'imprime clairement dans mon esprit.
Oui, oui. Je ne devais pas m'apitoyer sur ce qui se passait derrière les portes de ces murs.
Le BSI était tout de même composé de personnes intelligentes, ils n'arrêtaient pas les suspects au hasard. Et puis pour ce qui était de la torture et bien...si cette Airan savait des choses qui pouvait mettre des vies impériales en danger, elle devait avouer. Son silence pouvait peut-être condamner au néant des milliers d'existences.
Faire souffrir une personne pour en sauver plusieurs. C'était logiquement acceptable mais bien peu moralement.
Pourtant, sur les trilliards d'êtres qui composaient la galaxie, combien avaient-mal en ce moment-même ?
Sans doute un nombre incalculable. Est-ce que choisir de faire souffrir ou non un seul d'entre eux changeait quelque chose au résultat final ? J'en doutais. Ce serait comme retirer une goutte d'eau de l'océan de Manaan pendant une tempête, sauver un brin d'herbe des plaines de Dantooine alors qu'un feu dévorait les broussailles.
Ca ne changeait rien. Rien du tout.
Je sentis une main exercer une douce pression sur mon bras. Je relevais lentement la tête et découvrit Eleiza qui me fixait avec inquiétude.
_Alsh ? Qu'est-ce que tu fais-là ? Tu vas-bien ?
Je ne lui répondis pas. Je me bornai à me perdre dans le scintillement de ses yeux.
Encore une fois, le miracle se déroula parfaitement. Je sentis la saleté de l'univers s'en aller. Même mes sentiments envers ce qu'elle venait de faire quelques minutes plus tôt.
Tant que la lueur dans ses yeux serait là, je pourrais tout supporter.
Sans réfléchir, je me jetai dans ses bras, la plaquant contre moi, inspirant son parfum comme si j'étais assoiffé d'eau pure.
Elle me serra dans ses bras, caressant mes cheveux jusqu'à ce que mes tremblements s'achèvent.
_Ca va aller, me jura t-elle. On remonte.
D'autorité, elle prit ma main et me reconduisit en vitesse à l'extérieur. J'accueillis l'air libre comme une bénédiction.
Le décor pouvait être nu et sans végétation, il était mille fois préférable à cet horrible souterrain et ce qui s'y tramait.
Je n'avais toujours pas lâché la main de ma maîtresse.
_Qu'est-ce qu'il va lui arriver ? demandais-je d'une petite voix. A cette farghul que tu interrogeais ?
_On va la garder encore quelques jours en interrogatoire. Si elle parle, on trouvera un moyen d'alléger sa peine. Sinon et bien, ce sera les mines de Kessel. Ou peut-être même le peloton d'exécution.
_Et qu'est-ce qu'elle a fait pour mériter un tel traitement ?
Eleiza lâcha ma main et prit mon visage en coupe pour me forcer à la regarder.
Elle savait quel effet apaisant avaient ses yeux sur moi.
_Elle a communiqué des informations top-secrètes à des groupuscules subversifs. On pense aussi qu'elle pourrait être liée à l'attentat du BordExtpress, il y a dix ans. C'est une traîtresse et sans doute une terroriste. L'Empire doit prendre des mesures pour se protéger de tels personnages, tu comprends ?
_Oui, mentis-je, toujours happé par le scintillement de ses iris.
_Alors tout va bien, m'affirma t-elle en m'embrassant. Pourquoi est-ce que tu venais me voir, au fait ?
_Te demander si tu venais au match de ce soir avec moi, la questionnais-je, me forçant à passer à autre chose.
Elle eut quelques instants de réflexions puis hocha la tête :
_Oui, répliqua t-elle. Ca fait un bout de temps qu'on est pas sortis tous les deux. Même si t'es aussi wegsphere que moi, je présume que ça nous fera du bien.
_Sans doute, confirmais-je. Je passe te prendre à sept heures, à ton appartement ?
_On fait comme ça. Sept heures chez moi. Sois pas en retard, me prévint-elle en levant exagérément un sourcil.
_Pas de risque, la rassurais-je.
Elle m'offrit un dernier baiser avant de regagner ses bureaux. Je me forçai à ne pas penser qu'elle retournait sans doute torturer Airan.
Je tournai les talons et quittai les quartiers du Bureau de Sécurité Impérial. Je devais me préparer pour la soirée.
La balle de cuir synthétique n'avait pas encore franchi les lignes de but que les supporters du COMPORN s'étaient levés comme un seul homme, applaudissant à tout rompre. Moi y compris, qui n'aimais pas la wegsphere. Eleiza était à côté de moi, radieuse.
L'incident de cet après-midi était effacé de mon esprit. Notre équipe menait vingt-sept à vingt-deux. Et le coup de sifflet final n'allait pas tarder à tomber. Dakcen et ses camarades se débrouillaient vraiment bien. Cela dit, le niveau des joueurs de la Marine était très haut aussi. Ce qui n'empêchait pas le COMPORN de mener le jeu.
Nous étions dans la section réservée aux membres d'honneur.
Nos voisins étaient les directeurs de section, les membres de la Commission et quelques hauts cadres. Ishin Il Raz lui-même se tenait juste derrière moi. Avant le match, il m'avait confirmé, en me glissant à l'oreille, qu'il aurait besoin de moi dans quelques semaines, pour une mission spéciale sur Arkania. Ainsi, Dakcen avait eu raison.
L'équipe de la Marine Impériale tenta de remonter au score mais furent battus en pleine reconquête. Une explosion de joie parcourut le public du Comité. Au paroxysme de la joie de la victoire, Eleiza m'accorda un long baiser.
J'étais aux anges.
Nous nous embrassions toujours, une heure plus tard alors que nous franchissions les portes de mon appartement. Elles s'étaient à peine refermées qu'Eleiza commençait à m'arracher ma chemise.
_Attends une seconde, soufflais-je, les yeux clos alors qu'elle me mordillait le cou. Je dois vérifier que j'ai pas de message important.
_Tu t'en occuperas demain, me somma t-elle en retirant lentement ses vêtements.
_Non, sérieusement, dis-je en la repoussant gentiment. Vas m'attendre dans la chambre, je serais pas long.
_T'as intérêt, minauda t-elle en se détachant petit à petit de moi. Tu me connais, je suis du genre impatiente...
Je souris en la voyant s'éloigner et je m'approchais de la console d'holocom. Un signal lumineux signalait la présence d'un message.
Ce fut là que ma maîtresse me trouva cinq minutes plus tard, inquiète de ne pas me voir revenir.
J'étais assis sur un de mes sofa, complètement hagard. Elle s'approcha de moi et me demanda ce qui m'arrivait.
_Mon père est mort.
Ce fut tout ce que j'arrivais à formuler avant d'éclater en sanglots. Eleiza me serra contre elle et me laissa me noyer dans son regard.
Quelques minutes plus tard, je dormais dans ses bras.