Cadeau de Noël tardif ou bien de Nouvel An avant l'heure, c'est à vous de voir.
J'ai décidé de m'arracher un peu pour vous donner quelque chose à mettre sous la dent en cette période festive.
Peu de références dans ce chapitre. Un extrait de poème très connu et l'apparition d'un personnage mentionné dans une autre de mes fics.
Encore une fois, c'est à vous de jouer

Les huit heures d'hyperespace entre Coruscant et Chandrila m'avaient laissé dans un état épouvantable. Non que je pleurais vraiment la mort de mon père : j'avais été triste sur le coup, en apprenant la nouvelle mais mes larmes s'étaient vites taries. Moi et mon père n'avions jamais eu de très bons rapports. Après tout, j'étais le fils cadet de la famille, le plus jeune, celui qui ne devait héritier de rien au regard de la tradition car tout partirait à l'aîné.
Mais cela ne m'affectait pas le moins du monde. Je ne désirais rien qui vienne de ma famille.
Da'illeurs, qu'aurais-je voulu recevoir ? La vieille ferme familliale et ses misérables lopins de terre ? Notre minuscule et souffreteux cheptel d'equine ? Nos monçeaux de dettes ?
Il ne fallait pas être grand-clerc pour comprendre pourquoi j'avais quitté Chandrila dès que je l'avais pu. Cette planète passait peut-être pour être la plus pacifique de la galaxie mais à mes yeux, elle était morte.
Si vous passez la porte d'une agence de voyage chandrilienne, on vous vantera les mérites d'une culture ayant allié industrie et nature, les bienfaits curatifs de nos cristaux, une vie paisible, une atmosphère non polluée...
Jamais on ne vous parlera des terres non arables, situées près des pôles, si froides que seul un forage au laser permettrait de creuser efficacement le sol. On ne mentionnera pas la vie de misère de milliers de familles, trop pauvres pour s'acheter un matériel agricole décent, ne pouvant cultiver efficacement leurs champs, priant pour que le gel, les sauterelles ou un autre désastre ne vienne réduire à néant le fruit de mois de labeur. C'était aussi cela Chandrila. La misère y avait ses quartiers, comme sur n'importe quel monde. La quiétude de la planète n'y changeait rien.
Pour moi, mon monde natal était aussi plaisant que les trous noirs du Maw. Quand j'avais quitté l'astroport d'Hanna pour la planète capitale, voici huit ans, j'avais juré de ne jamais fouler à nouveau le sol chandrilien.
En fait, j'avais même fait plus que ça. Sur Coruscant, j'avais rejeté en bloc toutes mes racines. Je ne m'étais jamais mêlé à la communauté chandrilienne et à l'Université, j'avais soigneusement évité de fréquenter les autres étudiants originaires de ce monde-là.
Pas tellement parce que j'avais honte d'être natif de Chandrila. Pas de la honte, non.
Mais de la haine.
Parce à la moindre mention du nom de la planète, les souvenirs de mon enfance revenaient me frapper avec la virulence de vagues se brisant sur les rochers. Je maudissais ma jeunesse, passée à gratter la terre gelée ou à surveiller trois equines pouilleux. Je détestais encore plus les repas de famille, quand attablé avec mes frères et ma soeur, mon père, une bouteille d'eau de vie à la main, nous racontait encore et encore, comment du temps de ses grands-parents, nous étions une riche et puissante famille fermière.
Ce que mon père n'avait jamais compris et désormais, ne comprendrait jamais, c'est que nous n'avions jamais étés riches.
Certes, si on remontait à plusieurs générations avant ma naissance, nous avions des terres arables, de véritables cheptels.
Mais aussi loin que l'on remonte dans le temps, nous étions toujours restés des fermiers, travaillant de nos mains pour survivre, soumis au bon vouloir du climat.
Ce lien à la terre, ma famille l'avait toujours vu comme quelque chose de majestueux. Comme si nous étions Chandrila elle-même.
J'aurais plutôt utilisé le terme de chaîne pour qualifier notre relation à ce sol. De génération en génération, années après années, enfants après enfants, les Nexhrn étaient censés travailler la terre. Dès la naissance d'un nouveau membre de ma famille, on savait qu'il passerait sa vie à tenter de faire pousser quelque chose.
Il y avait des exceptions bien sûr. Quelques uns d'entre nous refusaient cette fatalité du destin. Un de mes oncles s'était installé à la ville, devenant un petit fonctionnaire. Une de mes tantes, elle, avait ouvert un petit magasin sur Hanna.
Mais dans l'ensemble, ils restaient malgré tout attachés à Chandrila. Qu'ils la travaillent ou non, ils aimaient cette terre.
Pas moi.
Dès mon plus jeune âge, j'avais vu mes parents se tuer à la tâche, à cultiver un sol ingrat et infécond. Je crois que cela avait été ma première vraie décision réfléchie. Celle de ne pas finir ainsi.
Même si je devais mourir dans un obscur bidonville de la galaxie, seul, pauvre et rongé par la maladie, je demandais juste au destin de m'épargner de devoir pousser mon ultime soupir sur Chandrila.
Je ne voulais pas non plus y reposer après ma mort. Qu'on brûle mon corps, qu'on l'immerge, qu'on l'enterre m'importait peu, du moment que cela soit à des milliers de parsecs de cette maudite planète.
Voilà pourquoi alors que la navette atterrissait lentement sur les plaines chandriliennes, offrant à ma vue le spectacle désolant du lieu où j'avais grandi, une bile âcre et noirâtre montait en moi, pointant à la commissures de mes lèvres, sans jamais vraiment quitter mon corps, comme si la planète me rendait malade.
Plusieurs fois, au cours du voyage, j'avais été saisi par l'envie de faire demi-tour, de rentrer immédiatement sur Coruscant. Mais il m'avait déjà fallu quelques jours pour trouver le courage de me rendre sur Chandrila, à l'enterrement de mon père. Au moins, à la fin de la journée, je rentrerais chez moi, sur Triple Zéro, ma véritable planète, celle que j'aimais autant qu'elle m'aimait.
La rampe d'accès s'abaissa lentement, comme pour ajouter à mon malaise la lente redécouverte de Chandrila.
Chandrila et son froid glacial. Chandrila et ses champs dévastés. Chandrila et sa perpétuelle odeur de pourriture.
Lorsque la rampe toucha le sol, je pris une grande inspiration. Je voulais bloquer un peur d'air dans mes poumons, de cet air qu'on aurait pu qualifier de vicié, à passer huit heures confiné dans l'étroitesse de la navette, filtré et refiltré par les appareils du vaisseau spatial. Mais à mes yeux, comparé à l'air naturellement empoisonné de Chandrila, cet air vicié était une bénédiction.
Ce fut donc en maugréant et en retenant le plus longtemps mon souffle que je descendis la rampe et posai le pied sur la terre chandrillienne gelée.
La navette repartit aussitôt comme si l'engin avait compris quelle erreur de la nature pouvait être cette zone de la planète, voire le monde dans son ensemble.
Et tandis que la navette de classe Lambda quittait au plus vite l'atmosphère chandrilien, m'abandonnant à mon sort sur cette planète maudite, j'embrassai du regard les plaines dévastées par les pluies acides, respirai une grande goulée d'air saturé de pesticides, écoutai les hennissements misérables d'un equine qui paissait non loin de moi, touchai du bout de mes bottes un petit monticule de terre figée par le froid et sentis la bile envahir ma bouche et mon palais.
Je crachais un jet acide de salive et de bile mêlées dans un champ tout proche, sans m'empêcher de penser que cela ne pourrait être que bénéfique pour les récoltes.
Vue souillée, odorat souillé, ouïe souillée, toucher souillé, goût souillé.
Une magnifique synesthésie chandrilienne.
Bienvenue à la maison.
L'église où se tenait la cérémonie était une bâtisse sobrement décorée, sans fioritures. L'ensemble de ma famille était là, des plus proches comme mes frères et sœurs, aux plus éloignés, comme mes lointains cousins. A bien y regarder, j'avais une assez grande famille, exclusivement chandrilienne, à mon grand désespoir.
J'étais assis au premier rang, juste devant le cercueil où le corps était exposé. A ma droite, ma soeur, pleurait à chaudes larmes, serrant ma main à en faire craquer ses os. A ma gauche, mes trois frères tentaient de rester stoïques, de se donner un air grave et digne. Je ne ressentais ni joie, ni tristesse devant le corps de mon père. En fait, je ne comprenais même pas pourquoi j'avais pleuré à l'annonce de sa mort, trois jours plus tôt. Il n'avait toujours été pour moi que mon géniteur, un être un peu à part dans le monde des adultes, qui ne m'avait que rarement pris dans ses bras, embrassé ou dit "je t'aime".
J'avais toujours considéré mon père comme un raté en réalité. Je n'avais jamais compris qu'il s'attache autant à ce monde, à cette terre comme si sa vie y était éternellement liée.
Mon père avait eu de l'instruction, il avait fait quelques études. Mais il avait tout abandonné pour reprendre en main la ferme familiale.
Enfin, la ferme...c'était un bien grand mot pour désigner l'ensemble de bâtiments qui tombaient en ruine, dans lequel j'avais grandi.
Je m'étais juré que par si la force des choses, je me retrouvais en possession de ces lopins de terre, je brûlerais tout.
J'effacerais jusqu'à la dernière pierre, jusqu'à la dernière poutre de la ferme. Exactement comme les hololivres qui déplaisaient au régime, tout s'en irait dans un gigantesque feu de joie. Et quand enfin libéré de cette malédiction, je froisserais l'acte de propriété et l'ajouterais au brasier, je danserais autour des flammes. Oh oui. Ce serait parfait.
Mais cela n'arriverait pas. Celen, l'aîné des Nexhrn, hériterait de la ferme. Puis, à sa mort, elle partirait à ses enfants.
Jamais je n'aurais la possibilité de raser définitivement la bâtisse. Comme une maladie sanguine héréditaire, chaque génération de Nexhrn en souffrirait.
Mais pas moi. Pas mes futurs enfants.
Ma soeur Ryna était la seule de la famille à partager mon point de vue. J'aurais aimé discuter plus avec elle aujourd'hui mais pour le moment je me devais de jouer mon rôle de grand frère et de la consoler.
Alors que Ryna continuait de me broyer la main, je regrettais que ma mère ne soit plus là. De véritables larmes commencèrent à perler au bord de mes paupières.
Quelle tristesse que maman soit morte avant mon père ! Si je n'avais toujours ressenti que de l'indifférence pour mon géniteur, ce n'était pas le cas des sentiments que je portais à ma mère. Au delà de l'attachement naturel de l'enfant à sa mère, je l'avais profondément aimée. Ce fut elle qui m'encouragea à postuler à la faculté de droit de Coruscant après l'obtention de ma bourse. Elle m'avait toujours soutenu et aimé.
Oh oui, comme j'aurais aimé qu'elle soit là, aujourd'hui dans l'église pour voir son mari porté en terre. Pour me voir moi, son plus jeune fils dans un resplendissant costume-cravate noir, portant au revers ma broche en aurodium et le brassard du COMPORN. J'aurais pu revêtir mon uniforme de cérémonie, voire celui de capitaine de la CompForce mais je voulais véritablement marquer les esprits.
La broche, le brassard, le costume, tout prouvait que j'avais réussi. Je n'étais plus un fils de fermier. J'étais un des hauts cadres dans une des plus importantes institutions impériales. Mon nom et mon visage étaient célèbres.
Je m'étais délecté du regard de fierté que m'avait jeté plus d'un convive. Alsh Nexhrn avait quitté Chandrila huit ans plus tôt, le Petit Avocat y revenait aujourd'hui.
Je n'écoutai pas le prêtre et son sermon sur la vie et la mort. Cela ne m'intéressait pas. Ni matérialiste, ni spiritualiste, je ne voyais tout simplement pas l'intérêt de se poser la question de l'immortalité de l'âme.
Je m'en moquais éperdument. Je vivais l'instant présent et étais destiné à un avenir radieux. La mort n'occupait pas mes pensées.
Après le sermon, vint le recueillement près du corps. Après mes frères, je fus donc le quatrième à m'approcher du corps.
Je contemplai le cadavre de l'homme que j'avais toujours dû appeler père mais qui pour moi, avait été plus étranger que le dernier habitant des bas-fonds de Nar Shaddaa.
Je voyais mon géniteur, embaumé dans son costume du dimanche, la moustache bien lissée et le reste du visage rasé de près. Le teint était à peine cireux, on aurait pu le croire endormi.
Je posai ma main sur sa poitrine et me penchai à son oreille. Tous dans l'église crurent que je lui adressais mes adieux. Ce qui était bel et bien le cas en définitive.
_Va rôtir en Enfer, murmurais-je à mon père. Emporte ta morgue et ta fierté de la terre avec toi. Pars et ne reviens plus. Regarde moi bien de là bas, devenir quelqu'un, réussir ma vie en m'éloignant toujours d'avantage de toi et de tes idées. Observe moi, moi, ton benjamin, refuser de toucher au sol chandrilien et triompher. Contemple mon œuvre et désespère, monsieur mon père. Désespère.
Satisfait, je déposai un baiser sur le front du mort, pour donner le change et vint rejoindre mes frères alors que ma soeur s'approchait du corps.
Puis, vint le temps interminable des condoléances. Tous, des membres de la famille aux voisins vinrent nous embrasser et nous serrer la main, nous assurant de leur soutien dans ces moments difficiles et ô combien mon père avait été un homme bon.
Je serrais les dents pour ne pas vomir des flots d'insanités. Un homme bon, mon père ? Sûrement pas. Mais toujours attaché à Chandrila. Attaché à l'eau de vie qui minait lentement son corps. Attaché à son fils aîné Celen. Mon père avait été un attaché. Un enchaîné.
Un esclave.
Je dus porter le cercueil, comme mes frères. J'eus du mal, en raison de ma faible constitution physique mais je m'efforçais de faire au mieux.
Après tout, ce n'était pas tous les jours qu'on portait son géniteur en terre !
Nous arrivâmes enfin au caveau familial, où reposait des générations et des générations de Nexhrn. Là où mon père irait dormir pour l'éternité. Là où mes frères et ma soeur iraient. Là où je n'irais pas.
Alors que le cercueil pénétrait dans sa dernière demeure, j'émis une prière silencieuse d'excuse envers ma mère. Après des années de tranquillité solitaire, elle retrouvait son mari.
Lorsque la porte du caveau se referma, nombreux furent ceux à se signer ou à ôter leur chapeau. Moi, je tendis le bras et fis le salut du Comité.
Vive Palpatine, murmurais-je in petto.
Salut à l'Empereur, à l'Empire et au Nouvel Ordre. Puisse sa droiture ne jamais vaciller.
Et que périsse enfin Orlo Nexhrn.
Amen._Un toast ! Un toast à Orlo, le meilleur des beaux-frères !
Dégoûté, je m'éloignais du salon où la famille faisait un grand repas, comme le voulait la tradition après la disparition d'un de ses membres. J'avais supporté les fables sur mon père pendant tout le déjeuner mais là, je n'en pouvais plus. Mon hypocrisie atteignait ses limites. Alors quand un de mes oncles avait proposé de déboucher la bouteille d'eau de vie du patriarche, j'avais tourné les talons. Comme lorsque j'étais enfant, j'étais allé me réfugier au bord de la grande falaise jouxtant notre ferme, au fond de laquelle on voyait courir un filet d'eau pompeusement désigné sous le nom de rivière. J'aimais cet endroit car la pierre noire m'entourait de toutes part, m'empêchant de voir le reste du paysage. Quand j'étais plus petit, je parvenais à me faire croire que cet endroit était la cabine d'un vaisseau partant en hyperespace, m'arrachant à ce monde maudit. Puis, en grandissant, je m'étais persuadé que ça n'arriverait jamais. Que je resterais cloué sur Chandrila jusqu'à ma mort.
Mais en voyant ma broche du COMPORN étinceler au soleil, je ne pouvais que rire de ma bêtise d'enfant. Et comment que j'étais parti ! Tellement et si bien que j'avais réussi là où aucun Nexhrn n'avait triomphé. J'avais du pouvoir, de l'argent, j'étais bien considéré et je n'avais pas encore trente ans. Jusqu'où pourrais-je continuer à grimper ? Une seule chose était sûre, mon ascension ne s'arrêterait pas là. J'allais continuer à grimper et à grimper encore, tant et si bien qu'une fois en haut, je me demanderais comment j'avais fait pour survivre sans la réussite. Le triomphe était ma drogue à moi. Lorsque on me confiait une tâche et que je l'accomplissais avec succès, le sentiment de satisfaction était peut-être encore plus délicieux que ma récompense.
Je baissais alors les yeux et fus surpris de voir que je tenais toujours à la main mon verre. Un peu de liquide aigre et rouge stagnait au fond du récipient. Le vin était une véritable piquette mais mille fois préférable à l'eau de vie de mon père. J'allais finir mon verre quand je sentis une main se poser doucement sur mon épaule.
_Tu me donnes un peu de vin, petit frère ?
Toujours en regardant droit devant moi, je tendis le verre à mon ainé. Je n'avais pas besoin de le voir pour savoir que c'était Ooann, le seul de mes frères avec lequel je m'entendais bien. Ooann était le puîné de la famille, né quelques minutes après Celen. Mais quelques minutes n'y changeait rien : ce fut Celen qui eut les droits d'aînesse et Celen le préféré de notre père, son amour pour ses enfants allant décroissant au fur et à mesure de leur arrivée dans le monde. Mon aîné immédiat, Moess, avait été le seul à accepter cet état de fait. En revanche, moi, Ooann et Ryna, avions toujours eu du mal à accepter cette injustice.
Ooann vit s'assoir à mes côtés, pieds au bord du vide et porta la verre à ses lèvres. Il grimaça de dégoût et me rendit le récipient.
_Par les canyons de cristal, Alsh ! Comment tu peux boire ça ?
_Ca vaux mieux que la prune du père, non ? demandais-je en buvant à mon tour.
_T'as pas tort, admit mon aîné en reprenant le verre de vin.
Quelques minutes passèrent, silencieuses.
_J'ai du mal à réaliser que papa est mort, dit pensivement Ooann.
_Pas moi, objectais-je en vidant le verre de vin et en le posant à même le sol, à côté de nous. Je crois que j'attendais ce jour depuis vingt-huit ans.
_Et moi depuis trente, pouffa mon grand frère. Alors comme ça, tu travailles pour l'Empire ?
Je hochais la tête, sans rien dire.
_Je croyais que tu voulais être avocat ?
_C'est pas si différent, expliquais-je. Je me rends à différents endroits, je parle, je suis payé pour ça. Plutôt bien en plus.
_Combien ?
_Dans les vingt-mille crédits par mois.
Ooann laissa échapper un sifflement admiratif.
_Et ben, petit frère ! Faut surtout pas dire ça à Celen. Il deviendrait fou !
_Celen peut aller se faire pendre dans le premier canyon de cristal venu. Lui et Moess. Ma vraie famille, c'était maman, toi et Ryna. Tu vis toujours sur Chandrila ? demandais-je.
_Toujours, avoua t-il après un haussement d'épaules fataliste. Je suis pas autant aigri envers notre monde natal que toi, frérot, pouffa t-il.
_Je suis pas aigri, objectais-je, je suis réaliste. J'ai un peu de mal à aimer un monde où rien ne pousse et où il gèle à pierre fendre les trois quarts du cycle.
_Tu noircis le tableau là, rétorqua mon frère. Chandrila est une planète où les cultures poussent bien. C'est juste que le vieux Kraturus aurait dû y réfléchir à deux fois avant de magouiller avec les terres.
L'histoire de Kraturus, mon arrière, arrière grand-père était quasiment une légende dans le cercle familial. A l'époque où les Nexhrn possédaient de véritables terres arables et un cheptel de plus de trois têtes, mon aïeul avait considéré que les champs de son voisin lui appartenaient de droit. Il s'était donc débrouillé pour exploiter un vide juridique et prétendre légitimement à la possession desdites terres. Bien entendu, le véritable propriétaire ne l'avait pas entendu de cette oreille et avait refusé tout net. La situation s'était envenimée et rapidement bloquée, jusqu'à ce qu'on décide de faire appel à l'Ordre Jedi. Les Jedi avaient sans doute mieux à faire que de s'occuper de problèmes de cadastre mais ils avaient décidé qu'après tout, envoyer un jeune padawan dans le cadre de sa formation pour tenter d'obtenir une issue diplomatique était une décision tout à fait acceptable. Le jeune apprenti après consultation des deux parties et étude approfondie des textes de lois chandriliens, avait donné raison au voisin de Kraturus. Mon aïeul était alors devenu fou de rage et avait tenté de s'en prendre physiquement au padawan. L'apprenti l'avait alors maîtrisé sans le moindre problème, se servant de la Force. L'Ordre Jedi se moquait bien des conflits entre fermiers de Chandrila mais l'affaire prenait un autre ton si on attaquait ses membres. Mon arrière, arrière grand-père avait été accusé de violence envers l'Ordre Jedi et la justice avait confisqué ses terres pour les offrir à l'AgriCorps, un des Corps de Services Jedi. Ruiné, mon aïeul avait tenté de reconstruire une exploitation plus près des pôles de la planète, là où étaient désormais les terres de ma famille.
Le hasard voulut que le padawan fut un non humain, un defel pour être précis. Déjà bourré de préjugés, il n'en fallut guère plus à Kraturus pour sombrer dans le spécisme et la jediophobie. Il passa alors le reste de son existence à maudire aliens et jedi et à s'assurer que sa haine se transmette de générations en générations.
Mon père n'avait pas fait exception à cette magnifique tradition familiale. Je le revoyais encore, empestant l'alcool alors que nous étions à table se mettre à mouliner des bras et à brailler comme un tauntaun, sur la nécessité de prendre des mesures contre les aliens et les Jedi. Je pouvais raisonnablement supposer que mon géniteur avait été enchanté lors de l'exécution de l'Ordre 66.
_Il aurait surtout du éviter d'attaquer un Jedi avec une binette, répondis-je à mon frère. Ou bien le padawan aurait dû le tuer. Quoiqu'il en soit, nous pouvons remercier l'arrière grand-père de papa pour ça, non ? ironisais-je en désignant de la main notre ferme miteuse.
_Et qu'est-ce qu'on peut y changer ? Ca c'est passé il y a tellement longtemps...murmura mon ainé.
_Prends le avec philosophie si tu veux. Mais ne compte pas sur moi pour aimer ce sol, dis-je en me levant et en m'éloignant de la falaise.
Ooann choisit de rester encore un peu au bord de la falaise. Moi, je marchais doucement en direction de la ferme, grelottant sous l'effet du froid. Vivement ce soir et la navette de retour. Chaque heure passée sur Chandrila était déjà une de trop pour moi.
Je me forçai à retourner à la réunion de famille, me bornant à faire holotapisserie. Je ne parlai que lorsque on s'adressait directement à moi. Pour le reste, je restais silencieux dans mon coin, espérant que les minutes s'égrènent rapidement.
Petit à petit, la ferme se vida. Un à un, les invités quittèrent la place. Dès que l'un deux s'éloignait dans le lointain, je ne pouvais m'empêcher de me sentir soulagé. On y était bientôt. La célébration touchait à sa fin.
Au terme d'heures qui me parurent trop longues, tous les invités furent partis. Ne restaient que moi, mes frères et ma soeur.
Les enfants du mort.
Nous nous attablâmes autour de la grande table en bois du salon. Celen prit la place réservée au patriarche Nexhrn, celle de mon père et de son père avant lui. Nous nous plaçâmes ensuite à ses côtés, aux places que nous occupions enfants.
A ma droite, se trouvaient Moess, Ooann et enfin, Celen. Ma soeur Ryna était à ma gauche, presque en bout de table.
Celen s'éclaircit la gorge et se leva.
_J'aimerais vous remercier tous d'avoir pu prendre du temps pour venir à l'enterrement de papa. Je suis très content que nous soyons à nouveau réunis, même s'il s'agit de circonstances particulièrement douloureuses.
Il regarda un à un ses cadets.
_Je sais que nous ne sommes pas d'accord sur tout mais ce que nous partageons est plus important que tout le reste. Nous sommes les Nexhrn, unis par le sang. Nous sommes une famille.
Ooann, moi et Ryna oui. Mais pas toi et Moess, manquais-je de lui cracher au visage.
_Nous avons nos différences mais notre sang nous rassemble. Nous sommes tous nés du même ventre.
J'étouffais un soupir. Mais par les étoiles noires, quand est-ce que je serais libre de partir enfin ?
_Je ne sais pas si nous aurons à nouveau l'occasion de nous revoir, tous ici dans la ferme. Alors au cas où ça n'arriverait pas, j'aimerais vous dire à tous que je vous aime. Je vous aime profondément.
Moess fut le premier à fondre en applaudissements et à courir embrasser son aîné. J'applaudis aussi mais du bout des doigts. Et je me bornai à une simple accolade avec ce grand frère qui ressemblait décidément trop à notre père.
Même taille gigantesque, même crinière de lion...à se demander si je n'étais pas une erreur dans cette famille, avec ma petite taille et mes cheveux en bataille.
Ensuite, nous discutâmes de l'héritage. Je fus net et catégorique : je ne voulais rien.
Je surpris ma famille qui supposa que je ne voulais pas raviver ma peine avec des objets personnels et les souvenirs qui y étaient attachés. Parfait. Ils pouvaient croire ce qu'ils voulaient, cela m'allait très bien.
Je décidai de me lever et de patienter dans l'arrière-cour.
Le soleil commençait doucement à se coucher, donnant une lueur orangée aux plaines et aux champs. Si je n'avais pas été sur mon monde natal, j'aurais pu trouver ce spectacle beau.
Je fus surpris de découvrir un petit garçon, qui ne devait pas avoir plus de six ou sept ans, qui regardait Kun, notre plus vieil equine d'un air intrigué. Je reconnus rapidement le jeune fils de ma soeur, Pakn. Je l'avais entraperçu à la cérémonie. Il m'avait semblé un peu perdu, dans son petit costume noir, noyé dans le monde des adultes. Ryna avait sûrement dû l'envoyer jouer dehors tandis qu'elle discutait avec ses frères.
Je m'approchais du petit garçon et m'agenouillais à son niveau. Je regardais avec lui l'equine un moment puis lâchais :
_C'est une jolie bête, tu ne trouves pas ?
Le garçonnet sursauta, comme s'il venait seulement de se rendre compte de ma présence. Il leva les yeux vers moi et me dévisagea d'un air curieux.
_T'es qui ? me questionna Pakn.
_Je m'appelle Alsh, lui répondis-je. Je suis un des frères de ta maman.
Le front de l'enfant se plissa, sous l'effet d'une intense réflexion.
_Alors t'es mon tonton ? supposa le garçonnet.
J'eus un sourire.
_C'est ça. Et toi, t'es mon neveu.
Le gamin hocha la tête d'un air approbateur avant de me tendre la main.
_Tu veux bien qu'on soit amis ?
Je manquais d'éclater de rire. C'était beau cette spontanéité qu'avait Pakn. Il avait véritablement en lui l'innocence de son âge. Pour moi, habitué aux discours et aux mensonges, aux non-dits, aux digressions, la franchise de mon neveu était incroyablement touchante.
Je lui tendis la main, qu'il serra.
_D'accord, dis-je en prenant un air sérieux. Soyons amis.
Alors qu'il me serrait la main, de sa main libre, il désigna ma broche d'aurodium, qui brillait sous le feu du soleil couchant.
_C'est quoi, ça ?
_C'est un bijou. Mais ça veut aussi dire pour qui je travaille.
_Et tu travailles pour qui ?
_T'es peut-être encore un peu petit pour bien comprendre, lui expliquais-je. Mais pour faire simple, disons que je travaille avec des gens très connus. Des gens comme l'Empereur Palpatine. Tu sais qui est Palpatine, hein ? demandais-je à mon neveu.
Il opina du chef :
_Oui. C'est un monsieur avec une grande cape noire, c'est le chef de la galaxie. Il est très gentil. Il a eu bobo au visage quand les méchants Jedi ont voulu prendre le pouvoir mais il s'est battu contre eux, pour la paix et la sécurité !
Je cachai mon trouble sous un masque impassible. Apparemment, le GSA Education faisait très bien son travail.
L'attention du petit Pakn se cristallisa à nouveau sur ma broche.
_Tu peux me la donner ? m'implora t-il.
_Je peux pas, lui expliquais-je. C'est un cadeau. Toi, tu ne donnerais pas un de tes cadeaux, même à un copain, pas vrai ? Ben c'est pareil, j'ai pas le droit de te la donner. Par contre, si tu veux...
Je dégrafais le brassard du COMPORN et le tendis à l'enfant.
_Tu peux avoir ça, si tu veux.
Les yeux de Pakn s'agrandirent sous l'effet de la surprise :
_Ca sert à quoi ?
_C'est comme le bijou sauf que c'est du tissu. Et que ça se porte au bras, dis-je en enroulant le brassard autour de l'avant-bras du garçonnet.
Je dus enrouler plusieurs fois le tissu autour de son bras, ce brassard étant à l'origine, prévu pour un adulte. Quand j'achevais ma besogne, la joie avait remplacé la surprise dans le regard de l'enfant.
_Merci tonton Alsh ! cria Pakn avant de me sauter au cou. Maman, maman, appela t-il sa mère qui avançait vers nous. Regarde ce que tonton Alsh m'a donné !
_C'est très joli mon chéri, l'assura Ryna. Tu veux bien retourner à l'intérieur avec tes autres oncles ? Je dois parler avec tonton Alsh.
Pakn opina du chef et courut à grandes enjambées jusque dans la ferme. Ma soeur m'aida à me relever.
_Tu crois pas que c'est un peu tôt pour le faire militer ? me demanda t-elle en guise d'accroche.
_C'est juste un brassard, objectais-je. Il ne sait pas ce que ça veut dire. Le dessin aurait pu être celui d'un petit bantha, je crois qu'il aurait tout de même content, non ?
_Je sais bien. Je blaguais, c'est tout.
Elle sortit un paquet de cigarette d'une de ses poches et m'en proposa. Je refusai.
Elle haussa les épaules et s'alluma une cigarette.
_Je suis contente que t'aies réussi. Faculté de droit, de très bonnes notes, devenu la coqueluche de l'Empire en seulement quelques années...je savais que mon grand frère irait loin, m'assura t-elle avec un grand sourire.
_Tu veux dire que tu te tiens au courant de toute l'actualité politique ?
_Non, pas de tout. Mais de ce qui te concerne oui. En fait, j'ai découvert que tu travaillais pour l'Empire, il y a trois ans quand cet abyssin t'a...quand il t'a...
_Quand il m'a tiré dessus ?
Elle hocha silencieusement la tête avant de reprendre.
_Quand j'ai vu la nouvelle sur l'Holonet, j'ai cru devenir folle. Je me disais que c'était pas possible, que c'était un homonyme. On pouvait quand même pas tuer mon Alsh à moi !
_Mais je suis pas mort Ryna. Regarde, je suis là.
_Tu vois ce que je veux dire, souffla t-elle entre deux bouffées. Ca m'a fait un choc de savoir que tu avais failli y passer. J'aurais du venir te voir mais je n'avais pas une minute à moi. Jake a eu une grosse maladie et j'ai dû m'occuper de lui, en plus de Pakn.
Jake Skyrott, mon beau-frère. Lui et ma soeur s'étaient connus sur les bancs de l'école. Ils s'étaient mariés juste à la fin de leur dernière année. Jake n'était pas le type le plus malin de la galaxie mais c'était un homme bon et aimant. Ryna avait eu de la chance de tomber sur lui.
_C'est pas grave, assurais-je à ma petite soeur. Je m'en suis sorti. Et puis j'ai bien eu ton petit mot.
Visiblement gênée, elle laissa filer un blanc.
_Alors tu ne restes pas ? Je veux dire, tu repars de Chandrila ?
_Ce soir, précisais-je. Je rentre sur Coruscant.
_Tu sais que ton neveu rêve d'y aller ? dit ma soeur avec un petit sourire. Il ne parle que de ça à longueur de journée.
_Vous deviez venir un de ces jours. Prenez Jake avec vous. Je me débrouillerais bien pour me libérer un peu.
_T'es certain que ça ne posera pas de problèmes ?
_Le Comité est assez procédurier mais reste compréhensif. On est humains, non ?
Malgré moi, je venais de faire un jeu de mots assez douteux. Mais Ryna ne releva pas.
_Oui, ça serait bien. Quand est-ce que tu penses que ça serait possible ?
_Pas avant un bon mois, je crois. Je vais devoir partir sur Arkania pour mon travail. Mais quand je reviendrais, j'essayerais de trouver du temps. De toute façon, tu as mon numéro.
Je fus interrompu par le bruit strident d'une navette de classe Lambda qui entrait dans l'atmosphère chandrilienne et se rapprochait de nous.
_Je crois que mon aéro-taxi est arrivé, dis-je en haussant la voix pour me faire entendre.
_Tu ne veux pas dire au revoir à tes frères ?
_Pas le temps !
En réalité, j'étais surtout pressé de quitter Chandrila au plus vite. Les embrassades fraternelles n'auraient fait que me ralentir.
Je me dirigeais rapidement vers la navette qui s'était posée au sol, accompagné par ma soeur. Avant que je ne monte à bord, elle m'étreignit.
_Je suis fière de toi grand frère. Et je sais que maman l'est aussi.
_Je sais, ajoutais-je simplement. Embrasse ton fils pour moi.
Après avoir déposé un baiser sur le front de ma cadette, j'empruntais la rampe d'accès et disparus dans le ventre de l'appareil. La navette s'ébranla alors et m'arracha de la terre de Chandrila.
Je fis le point sur les évènements de la journée : j'avais mis en terre mon géniteur, fraternisé à nouveau avec ceux que j'aimais, évité ceux que je n'aimais pas et fais la connaissance de mon jeune neveu.
J'avais déjà eu plus mauvais jour.
Alors que les terres décharnées de ma famille s'éloignaient de moi au fut et à mesure que la navette s'élançait dans les cieux, je ne fus pas surpris de constater que mon malaise s'en allait.
Peut-être que le plus efficace en fait, serait purement et simplement de demander un Base Delta Zéro sur Chandrila. On réglerait plus d'un problème à la fois.
Je souris à cette pensée folle. Qui irait jusqu'à annihiler la population d'une planète entière pour poursuivre ses propres intérêts ?
Nous serions des monstres, des héritiers de Dark Malak ou de Dark Nihilus. Oui, cette idée était insensée. Enfin, c'était du moins ce qu'il me semblait.
A l'époque.