[Sommaire]Charles d’assaut 9 – Les emmerdes continuent
Les infâmes pirates s’étant emparé du
Minimum Syndical, l’équipage avait dû se contenter de récupérer l’ancien vaisseau des pirates, le
Traque-Topelle, qui était encore plus vétuste et ridicule que celui qu’ils avaient avant (oui, c’est possible, ne me demandez pas comment). Lone Coyote, dans le déni, eut tôt fait de renommer ce vaisseau le
Minimum Syndical (on change pas une formule qui gagne), en espérant que tout le monde oublierait ce qui venait de se passer. De toute façon, rien de tout ça n’était Canon... Pas vrai ?
Bref, la traversée cosmico-infernalo-astrologicienne terminée, comme sorti d'un mauvais cauchemar (oui, le genre où tu te retrouves à l'école sans pantalon), le vaisseau spécial... je veux dire spatial, quoiqu'il était assez spécial dans son genre — bref, le navire clanquant-clinquant de nos irréductibles chercheurs d'emmerdes revint dans l’espace réaliste en plein système Algérande. Vous suivez jusque-là ? Chapeau, mais ça ne va pas aller en s'arrangeant.
— C’est bon l’auteur, t’as fini de faire ton intéressant ?
Alors déjà tu te calmes, Lone. C’est moi qui décide comment je raconte l’histoire, d’abord. Bon, hein ? Fais ton boulot, et je fais le mien. Si tu la ramènes encore, t’es viré, compris ?
— Ouais, ouais, c’est ça…
Pfff, faut être timbré pour s’appeler Death Star Bricks… Eh oh, hein ? Bon, reprenons, les enfants. Il y a longtemps, dans une galaxie lointaine… Ah attendez, je me suis trompé de page. Voilà ce que c'est quand on me déconcentre... Attendez, attendez... J'y viens… Euh, alors. "Acheter plus de bière".
Quoi, c'est pas ça ? Mais non, quel con, c'est ma liste de courses. Bon. Ne bougez pas, je reviens...
— N'importe quoi... soupira Lone. Non mais la honte, sérieux. Comme vous le voyez chers lecteurs, on a affaire à un professionnel...
— Tais-toi, il pourrait t'entendre ! chuchota Jean-Marc.
— Non mais, avoue-le : Il abuse, quand même. On est pas assez payés pour ces conneries...
— Parce que t'es payé, toi ?
— Bah ouais, qu'est-ce que tu crois ? On fait pas venir Harrison Ford pour des cacahuètes. Enfin bon, j'attends encore mon chèque... Je commence à me demander s'il va vraiment me le donner.
— Chuuut, il arrive !Ouf !
Ça y est, c'est bon, tout est revenu dans l'ordre. Maintenant que j'ai ma bière, on va pouvoir continuer... Donc, je disais, nos joyeux freluquets de l’espace venaient d’arriver dans le système Algérande. Quand soudain, Lone Coyote s’écria :
— Mais keske… Y’a pas de planète, là ! C'est quoi l'arnaque ?
En effet, en lieu et place de la planète Algérande, l'espace était inondé d'une marée d'objets divers à la dérive, entre autres des collections de timbres, des chaussures crocs, des magazines people, des stars de télé-réalité et des hommes politiques : Tout ce que le Mange-Planètes n'avait pas pu recycler en quelque chose de bon ou d'utile.
Là, parmi les déchets, un ver gigantesque se tortillait devant leurs yeux.
— RRRRR !
— Non, Chicot, ce n'est pas ce que tu penses. Je crois plutôt que c'est un lombric.
— T'es sûr ? demanda Jean-Marc. Alors les lombrics doivent être vachement grands, là d'où tu viens. Le pays des coyotes, c'est ça ?
— Oh putain, je crois que je vais le frapper...
— Non, ce n'est pas un lombric, fit le vieux Bin's... C'est un pic ! C'est un roc ! Que dis-je, c'est un roc. C'est une péninsule !
Lone secoua la tête, ses sourcils tellement froncés que ses yeux ne formaient plus qu'une ligne horizontale au-dessus de son nez.
— Complètement toqué, le vieux...
— RRRRR !
— T’as raison Chicot, ce truc ne m’dit rien qui vaille. Inverse les conbusteurs diesel des moteurs à explosion, bloque les auxiliaires de vie à mort, et bois un peu de Koakziom pour faire passer le tout. Il faut qu’on dégage d’ici en vitesse.
Mais le vaisseau ne s’arrêta pas d’avancer. En fait, il ne faisait qu’accélérer, happé et vampirisé par la pente glissante d'une spirale infernale dont il ne pouvait assurément et certainement rien résulter de bon.
— Chicot, bouffe la gomme, bride les triples auxiliaires secondaires de secours de tribord à l’bator, lance un dé vers Namek et fais trois tours sur toi-même !
—
RRRRRRR ! — Mais on s’rapproche toujours, mais pourquoi ? paniqua Jean-Marc, en sueur.
— On est attirés comme par un
N É M A N L A Z A I R E !
Le
Minimum Syndical s'approchait de plus en plus vers la gueule béante du Mange-Planètes, filant vers un destin funeste et inéluctable. Mais, une fois dans la gueule du monstrueux lombric, au lieu d'être aspiré dans la broyeuse titanesque qui marquait l'entrée du système digestif, le petit vaisseau fut redirigé vers un des parkings qui se trouvaient autour, parking dans lequel il se posa avec une délicatesse plus que trompeuse. Les parkings en question, qui faisaient chacun la taille d'un stade de foot, semblaient minuscules à côté de la gigantesque broyeuse circulaire, entre les dents de laquelle étaient encore coincés les morceaux de roche, de terre et de végétation des dernières planètes dévorées.
— On l'a échappée belle, dit Jean-Marc.
— On est dans la merde, ouais ! répondit Lone.
En effet, deux escouades de Killtroopers arrivèrent près du vaisseau pour l'inspecter. Le sergent de la deuxième escouade se disputait avec celui de la première :
— Allez-y, vous d'abord.
— Non, vous d'abord !
— Allons, vous avez peur de quelques misérables anarchistes ? Ben voyons...
— Nous, peur ? Jamais de la vie ! On ira en premier, que ça vous plaise ou non !
— Si vous insistez...
La première escouade entra donc en premier dans le vaisseau. Au bout de quelques instants, on put ouïr de gros bruits de giffles, de lasers et de démembrements, accompagnés de giclements de sang et de morceaux de Killtroopers roulant en bas de la passerelle d'entrée.
— Tout va bien, là-dedans ? lança le sergent de la deuxième escouade. Besoin d'aide, peut-être ?
— Euh... Vous... Est-ce que... Ehhhhhj... Enfin dites, vous pouvez-vous nous est-ce que nous donner un coup de main ? résonna la voix de Jean-Marc de manière hasardeuse.
— Sergent 88-88-88 ? Votre élocution est étrange. Vous êtes pas net, dites ? Vous avez encore bu, avouez-le...
Il n'y eut pas de réponse.
— Oh, je le sens mal, cette affaire... Les gars, préparez tous vos mains, dit le sergent 99-99-99 en retroussant ses manches. Ils veulent un coup de main ? Oh t’inquiète pas qu’on va leur en donner.
Ainsi, l'escouade numéro 2 entra à son tour dans le
Minimum Syndical. Leur sort, hélas, ne fut pas bien différent de celui de leurs congénères.
Une heure plus tard (faut pas les pousser non plus, hein), Jean-Marc et Lone Coyote sortirent du vaisseau, à l'étroit dans des armures étriquées de Killtroopers (dont ils avaient dû au préalable vider la chair et les os, puisque ces armures étaient conçues comme des carapaces d'insectes, directement soudées à la chair des soldats à la naissance et poussaient en même temps qu'eux).
— Mais keskeussekse... Je crois que... Euh... Gnnniiiieh... C'est beaucoup trop serré au niveau de l'entre-jambe ! fit remarquer Jean-Marc.
— Pas étonnant, répondit Lone. Ces trucs-là sont fabriqués en Chine. Beaucoup moins cher à produire.
Mais au moins, avec ce déguisement, ils devraient pouvoir passer inaperçu à bord du Mange-Planètes. Le vieux Bin's, lui, s'était refusé à enfiler ces carcasses dégoûtantes. Les autres le prenaient pour un fou, mais il comptait sur le Chaös pour passer en toute tranquillité. Et, sur ce dernier point, il avait certainement raison. Quant à Cheppakwa, au vu de son gabarit, ce n'était même pas la peine d'y penser. Mais il s'en était toujours sorti uniquement grâce à la force brute. Quant aux deux automates... Eh bien, ce n'étaient que des automates. Leur conception et leur programme n'étaient certes pas réglementaires (Radio-2D était issu d'un croisement entre une poubelle et une antenne de radio pirate, et C6T-matic possédait des caractéristiques communes aux matrices 0-0-0, 13-13-13 et 6-6-6), mais bon, entre nous, personne ne se donnerait la peine d'aller le vérifier.
— Bon, fit Lone Coyote à ses camarades. C’est pas pour casser l’ambiance, mais on est comme qui dirait coincés à l’intérieur d’une arme de destruction massive de l’espace en forme de lombric géant. Comment on s’sort de là ?
— Facile, dit Jean-Marc. On redécolle et on s’tire d’ici !
— T’es con ou quoi ? Si on redécolle, le némanlazaire va nous aspirer à nouveau. Et cette fois-ci, y’a des chances qu’on soit directement envoyés dans la broyeuse…
— Fiez-vous à moi, affirma le vieux Bin’s.
— Hahahaha, elle est bonne. Autant se fier à un Whooffieee...
En sortant du parking, ils furent interpellés par un garde armé.
— Halte-donc-là hop sur-le-camp, gaaaaaardavu ! Où allez-vous donc avec ces... choses ?
— Eh bien... On emmène ces prisonniers... pour les emprisonner... en prison !
— Oh, je vois. Dans ce cas, faites-les bien souffrir, dit-il avec un clin d'œil.
— Vous avez une dent personnelle contre eux ? demanda Lone.
— Un peu, oui. Regardez-les, ces anarchistes... Avec leur air sournois... Ils sont partout ! Ils sont dans les villes... Ils sont dans les campagnes ! Ils nous volent notre travail. Et en plus, ils nous ont volé notre recette !
—
PI–RATES ! dirent-ils tous en chœur.
Le garde rit de bon cœur.
— Vous êtes peut-être des anarchistes, mais vous avez le sens de la blague. Qu'est-ce que vous diriez que je glisse un mot à mes supérieurs pour vous intégrer à la troupe du cirque du Mange-Planètes ?
— Sans façon, merci, dit le vieux Bin's. C'est très sympathique à vous, mais nous avons vu assez de cirque pour aujourd'hui. Nous n'avons plus le temps pour ces bêtises.
— Ah, étrange. Dites, c'est bien vous, sergent 88-88-88 ? demanda-t-il à Lone Coyote.
— Yep yep, c'est bien moi.
— Mouais. Vous savez, on n'est jamais trop parano, par ici. Et vous ne m'avez pas l'air d'avoir bien la peau dans votre assiette. Allez hop, contrôle surprise. Montrez-moi votre carte Kiwi et récitez l'alphabet russe en faisant le tourniquet sur le troisième index.
— Hem... « Ah Baie Vais Gai Dé Yeah Yo J'ai... » Oh, laissez tomber.
— Laissez-moi faire, dit Bin's.
Le vieillard se plaça devant le garde et fit de grands gestes avec les bras pour semer la confusion, glissant la phrase suivante :
— Il est fallacieux de contrôler sa carte Kiwi.
— Il est falla... Quoi ?
— Chut-t-t-t-t. Écoutez le son de ma voix. Vos paupières sont looouuurdes... Vous détestez votre job et vous n'avez rien à faire ici.
— Hmm... Oui c'est vrai, j'avoue. Vous avez raison.
— Vous êtes un nazi de l'espace et vous ne méritez pas de vivre.
— Ouaip, c'est bien ce que je me disais... Tôt ou tardif, il faut affronter la vérité en face. Alors, si vous permettez...
Le garde mit le canon de son arme dans sa bouche et tira.
— En voilà un qui n'embêtera plus personne, fit Lone Coyote. Beau travail, le vieux. Vous êtes bon à interner, mais vous faites un bon psy.
— RRRRRR !
— Oui, je sais bien qu'un psy n'est pas sensé pousser au suicide... Mais la fin justifie les moyens, non ? On est les gentils, après tout. On est chez Disnais.
Non sans avant d’avoir oublié de se gratter la narine gauche, il prit son doigt moite d’un air un peu bourré, composa un numérogramme sur le terminal téléphonique intégré à son armure, puis porta le combiné devant sa bouche.
— Contrôle, ici Contrôle. Un de vos hommes vient de se donner la mort à son poste. Je suggère que vous revoyiez les conditions de travail de vos gars.
— Très bien, Contrôle, je transmets après la pause caffix. En attendant, jetez son corps dans la broyeuse. On est un peu court en matière première pour les rations de combat.
— Ordures... marmonna Lone Coyote en raccrochant. Y'a pas l'autre pour en rattraper un. Bon, quel est le plan ? Comment on s’sort de cette poubelle géante ?
Le vieux Bin’s leva un doigt. Mais pas n’importe quel doigt, non. Le doigt de la sagesse.
— Simple. Basique. On se faufile jusqu’au poste de pilotage, on prend le contrôle du Mange-Planètes, et
BANG !
— Comment ça, "BANG" ? s’inquiéta Lone.
— Ça me semble évident. On fait tout sauter.
— Avec nous dedans ? Mais vous êtes taré !
— Oh, juste un peu… Mais on peut s’en tirer quand même.
Faites-moi confiance… Lone se pinça l’arrête du nez en soupirant.
— Ce type est fou… Je ne sais pas pourquoi j’ai accepté de l’emmener. Et toi, gamin, t’en penses quoi ?
— Boh, ça m’a l’air jouable. Mais d’abord, on sauve la duchesse !
— Mais vous êtes fous à lier, ma parole… Et sauver not’ peau, ça vous intéresse ?
— Comment ça, on est faux alliés ?
— Bon, démerdez-vous, lança Bin’s d’une petite voix éraillée en filant vers un placard à balais qu’il croyait être un ascenseur. Moi, je pars régler son compte à Vak Margor. Si on se revoit pas, la bise !
— Et voilà qu’il nous abandonne, lui aussi…
Jean-Marc mit une main sur son épaule pour le consoler.
— Tu sais, mon oncle disait souvent : « Bois un coup, ça ira mieux ».
— Il était alcoolique, ton oncle ?
— Bah oui, pourquoi ?
— Mouais, j’comprends mieux…
— Du coup on va la sauver, cette duchesse ?
— Ouais, mais il y a un hic.
— Un quoi ? J’ai pas entendu, t’as le hoquet.
— Y’a un soucis, quoi.
— Un saucisse ?
— ...Ta gueule.
— Mais-
— Non sérieux, ta gueule. Encore une comme ça, et tu t’en prends une.
— Roh…
— Le hic, c’est que pour accéder à l’aile pénitentiaire, il faut passer par le système digestif du Mange-Planètes.
— Tu veux dire comme des égouts ?
— Nan, plutôt comme son ****.
— Erk.
— Bip-bip tût ?
— Non, expliqua C6T-matic. C'est là tout le génie maléfique de l'Emprise : Ils ont créé une machine qui combine des parties mécaniques et organiques. Autant dire que pour des automates cyber-méca-d'usine comme nous, c'est une sainte hérésie. La robotique au service d'une aberration biologique... Brrr. Ça me donne des courts-circuits rien que d'y penser.
Lone Coyote prit un pied de biche qui traînait par terre et arracha comme un bourrin une plaque en métal du mur, révélant un conduit gluant aux parois de chair névrosée. L’odeur du suc digestif monta aux narines de Jean-Marc, et ce dernier vira au vert fushia.
— Euh… T’es vraiment sûr de vouloir passer par là ?
— C’était ton idée.
— J’avoue.
— Allez, passez devant.
— RRRRR...
— Si si, on va passer par là, Chicot. Allez, un peu de courage ! On s'en fout si ça pue !
*
La porte de la cellule s'ouvrit, et un Killtrooper de vingt centimètres de haut vint apporter un plateau de nourriture à la duchesse. Cette dernière le jugea du regard.
— Ils recrutent des nains maintenant, dans les commandos ?
Le Killtrooper nain s’arrêta devant elle.
— Pourquoi, ça vous pose un problème ?
— J'avoue que oui. J'ai toujours détesté les nains.
Le Killtrooper la dévisagea quelques secondes du haut de ses vingt centimètres, puis fit demi-tour en emportant le plateau avec lui.
— Dans ce cas, venez pas vous plaindre que personne soit venu vous donner à manger.
Il claqua la porte, et la duchesse poussa un soupir de mépris hautain.
— Pfff. De toute façon, je n'avais pas faim.
Une plaque du mur se décrocha toute seule, et la tête de Lone Coyote sortit d'un amas de chair avec un bruit infect.
— Coucou, princesse. On vient vous sauver.
—
Hiiiiiiiiii ! Mais qui êtes-vous, d'où vous sortez ?? Et je ne suis pas une princesse, d'abord. Je suis la duchesse Ella Ganor d'Algérande, médaillée d'honneur de la médaille de la Chance, cheffesse d'orchestre de la chorale aquatique et ceinture rose de Karapaté ! Alors je vous suggère, en tout mépris de classe et en toute condescendance, de me parler sur un autre ton.
— Si vous voudrez, princesse. Mais entrez là-dedans si vous voulez sortir d'ici.
— Pardon ?? Je refuse, c'est dégoûtant.
La tête de Jean-Marc sortit à côté de celle de Coyote.
— Wah, comme elle est belle ! On a reçu votre message, duchesse. On a trouvé Robiniaque Binoki, il est ici avec nous sur le Mange-Planètes !
— Je ne vous crois pas. Vous ne m'inspirez pas confiance.
— Roh allez, princesse, insista Lone. Viens avec nous ! C'est vrai que c'est dégueulasse, mais une fois qu'on y est, c'est plutôt confortable et ça tient chaud. Comme un Bantha ! Yes ?
— Non, niet, nada. Allez donc vous faire voir ailleurs si j'y suis.
C'est alors que Cheppakwa défonça le mur, et entra dans la pièce en rugissant à plein poumons.
— D'accord, d'accord ! paniqua la duchesse. Il suffisait d'être plus clair...