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Je continue à travailler...
Pénombres (titre provisoire)
Alderaan – Monde du Noyau.
La navette orbitale plongea vers un décor fascinant de montagnes aux flancs puissants, dans l’ombre géante desquelles se lovait une cité à l’architecture délicate. Tassé dans mon siége, je détaillais au travers de la baie de transpacier les lignes pures de ce tableau, à la perfection chantée dans les mondes du Noyau. Un droïd-serviteur modèle SE4 me tendit un bloc de données commerciales et touristiques, le genre d’informations délivrées gracieusement à tous les voyageurs transitant vers une planète nouvelle et désireux d’en apprendre plus long sur elle. Je jetais un œil rapide sur le laïus - une simple retranscription utilitaire d'un article de l'Holonet qu'il me semblait avoir déjà compulsé il y a quelques années - avant de m’intéresser à la structure déroutante de l’astroport, explosion généreuse de marbre dont l’équilibre semblait tenir du miracle gravitationnel. Décidément, l’endroit méritait bien sa flatteuse réputation.
C’est en descendant la rampe d’accès de la navette que je fus frappé pour la première fois par l'ardeur incroyable de la Force en ces lieux. La vie était ici si foisonnante, si opulente, qu’elle générait des vagues puissantes dans la trame de la Force. Je sentis une ivresse me gagner en même temps qu’une quiétude que je n’avais plus connu depuis des années.
Les autorités portuaires me firent bon accueil. La visite d'un maître Jedi suscitait toujours une attente particulière, l'Ordre exerçant une influence morale considérable dans bien des systèmes. L’escorte qui m’accompagnait m’étonna quelque peu ; Alderaan était réputée pour sa tranquillité, monde paisible et pacifique, et je crus bon d’observer les réactions et l’attitude du capitaine de la garde. Manifestement, il était sur le qui-vive et je sentais une tension grandissante dans tout son être. Ses soldats, crispés sur leurs fusils-blasters, n’étaient pas moins nerveux que leur officier. La guerre des Clones avait réussi à troubler la quiétude de la planète la plus tranquille de cette région de la galaxie.
Malgré cette gêne, je ne me privais pas d’admirer la cité que je traversais, ému par sa beauté calme dont les poètes prisaient tant la force inspiratrice. Le landspeeder ronronnait, traînant son blindage de deux pouces à une allure badine, me laissant tout loisir d’observer l'existence que semblait mener les gens de ce monde. Un peuple de philosophes et d’artistes, un peuple attiré par la création et la réflexion et qui voyait dans la guerre comme la manifestation la plus vile du génie humain. Non pas que tout un chacun fut là, de l’enfant au vieil homme, à faire assaut de sophismes et d’arguments artistement élaborés. Non. Quoique je vis au détour de certaines rues, sur de petites places ombragées, près des fontaines de pierre blanche, quelques groupes occupés à débattre avec passion.
Cette inclination pour les choses de l’esprit se manifestait avant tout dans leur allure, leurs gestes mesurés et précis. Ces visages doux et ouverts vous accueillaient avec bienveillance. Et cela s’étendait aux aliens de toute race. Je compris alors qu’être Alderaanien était avant tout un état d’esprit, une culture et je me pris aussitôt d’amour pour ce peuple et leur monde de chimère.
J’étais encore sous l’emprise de la fascination qu’avait éveillé en moi la découverte des opulents jardins palatiaux, quand le sénateur Organa vint m’accueillir dans le hall, la mine sombre et, je le sentis, le cœur lourd d’inquiétudes.
- Maître Vega ! lança le fier potentat en s’inclinant légèrement. Soyez le bienvenue sur Alderaan. Que votre cœur s’allège à l’instant de ses fardeaux et connaisse l’allégresse en ces lieux. Soyez en paix !
C’était là une bénédiction rituelle et j’y répondis avec toute l’affabilité possible. Je m’inclinais devant le sénateur, non tant par respect du protocole que par admiration pour l’homme.
- Mon âme est déjà guéris de bien des maux lorsqu’elle s’ouvre à la beauté de votre terre, répondit-je en toute sincérité tout en adoptant volontairement une rhétorique protocolaire aux relents aristocratiques afin de satisfaire les tristes mines qui formaient la suite du sénateur, toutes obstinément attachés au respect des traditions.
Je lui donnais l'accolade, comme à un vieil ami, un frère d'arme, sans me préoccuper cette fois le moins du monde des convenances, ignorant l'air pincé des officiels qui nous serraient de près.
- Mais même en ces lieux de bonheur et de concorde, douleur et peine toujours se frayent un passage, ajoutais-je alors que nous entamions la longue marche vers l'autre extrémité du hall, sous le regard intimidant des statues de rois qui bordaient cette avenue couverte.
Le sénateur finit par congédier la garde ainsi que ses trop nombreux solliciteurs et il me conduisit d'un pas plus alerte jusqu'à son bureau. Enfin isolé dans ce modeste refuge, Bail Organa se laissa aller à un soupir, planté devant une baie par laquelle se déversait une lueur pourpre de crépuscule. Ainsi campé sur ses jambes, le regard fixé sur un horizon que lui seul voyait, il évoquait la noblesse des héros du peuple dont les statues m'avaient tant impressionnées dans ce hall divin. Assurément, il était de leur sang, fils d’Alderaan, diplomate, philosophe. Un chef admirable sous bien de aspects.
- Inutile d'atténuer votre inquiétude sénateur, dis-je afin de briser le silence. Malgré sa maîtrise naturelle des émotions, l'agitation du sénateur Organa perçait peu à peu sous le masque rigide.
Il se retourna lentement, un sourire faible sur les lèvres, aveu d'un désespoir naissant. J’eus l’impression soudaine qu’il s’était affaissé, comme si le poids entier de la République moribonde, malade pourtant légère tant le cancer technocratique l'avait vidé de sa substance, pesait tout à coup sur ses larges épaules. Alors seulement je mesurais à quel point la lutte inégale dans laquelle il s’était lancé il y a déjà des années avait épuisée cet homme malgré son extraordinaire force de caractère. Géant d’or et d’airain, à l’image de sa République aimée, il vacillait au bord d’un gouffre sans fond. J’en fus triste.
- La République souffrira de cette guerre, inévitablement, répondit-je à sa place. Plus que de tout autres dans son histoire car elle part au front l'esprit malade et le corps fatigué. Si elle survit à ces sombres heures, il se peut qu'elle meure de ses blessures. Ce système politique est voué au changement après vingt-cinq siècles d'usage; il a besoin d'ajustements. La démocratie a la fièvre et sa rémission ne sera possible que lorsque l'organisme tout entier aura éliminé ce qu'il y a de corrompu en lui.
Bail rumina longuement mes paroles sans quitter des yeux le soleil qui s'effondrait lentement dans un flamboiement rougeâtre d'apocalypse. Tout en parlant je m’étais approché de la baie et je me tenais à présent à ses côtés, embrassant d’un seul regard l’immensité de la cité, essayant de l’imaginer en flammes, les rues disparaissant sous des amoncellements de cadavres, les jardins calcinés, une odeur de mort planant dans l’air. Partout, des clones, indifférents, efficaces, froids. Dans quel camp combattaient-ils ? Cette question inattendue s’imposa à mon esprit, contre ma volonté. Bail perçut mon trouble mais ne dit rien. Nous restâmes ainsi, dans un silence méditatif, côte à côte mais séparé par l’esprit, pendant de longues minutes.
- Quelles certitudes avons nous aujourd’hui, Maître, demanda-t-il soudain en me fixant intensément. Chaque jour qui passe nous affaiblit et renforce notre ennemi. J’ai peur que la République n’ai nourris en son sein quelque serpent mortel. Chaque bureau, chaque couloir, chaque alcôve semble dissimuler une nouvelle traîtrise. Où sont les amis, où sont les ennemis ? La lutte est inégale lorsque le sol tout autour est percé d’oubliettes et que ceux qui nous suivent, que nous croyons fidèles, alliés et partenaires, peuvent à tout moment nous faire don d’un peu d’acier entre les épaules.
Je compris alors, en observant ce visage agité de remous, que l’attentat dont avait été victime le sénateur, s’il ne l’avait pas atteint dans sa chair, l'avait tout de même bouleversé. Que pouvais-je rajouter à ce qu’il avait dit avec tant d’émotion ? Je pris le temps de la réflexion.
- La seule certitude que nous ayons, répondis-je tranquillement, sûr de cette vérité, c’est que la République doit survivre comme idée. C’est à cette survie que nous devons consacrer notre énergie, notre volonté, nos vies si nécessaire. Sans doute nous faudra-t-il cheminer sur des routes incertaines avant d’arriver au bout de notre périple… Il n’en demeure pas moins que cette République, comme toute création humaine, est vouée à connaître une fin. Quand…cela n'a pas d'importance. Même disparue, elle demeure dans les mémoires, impérissable. Et c'est le souvenir de ce qu'est la République qui servira à faire germer une nouvelle république…dans cent ans, dans mille ans…peu importe.
- La République…, murmura le sénateur pour lui-même.
Puis, obéissant à une discipline de fer, il se recomposa un masque impassible, celui du sénateur Organa devant lequel nombreux étaient ceux qui pliaient. Il s’installa derrière son bureau et m’entraîna dans une conversation fleuve sur la situation actuelle et les possibilités d’action. La nuit tomba et les lunes d’Alderaan apparurent, l’une d’elle si proche qu’elle semblait envahir une moitié du ciel. Bail Organa activa un communicateur holographique. Un secrétaire portant la robe bleu glace des universitaires apparut et s’inclina devant lui. Ce dernier lança des ordres brefs et quelques instants plus tard, les portes s’ouvrirent devant une jeune femme à la beauté étrange.
***
Je mis un certain temps à mesurer les implications de ce que m’avait révélé Milessa Kand. J’explorais une à une, avec méthode, les possibilités qu’offrait le projet surprenant de cette femme surprenante, sentant sur moi peser sa présence, son énergie massive. Bail s’était exilé vers les ombres de la pièce et je distinguais à grande peine le bas de son visage, les rides marquées aux coins de sa bouche qui indiquait une réflexion profonde.
De prime abord, l’idée avait de quoi séduire un Jedi. Créer un sanctuaire où la Force serait stimulée par la présence de milliers d’espèces vivantes différentes, faire de ce sanctuaire un refuge pour ses adeptes, un lieu de guérison du corps comme de l’âme, un lieu de méditation et ce en des temps où l’avenir de la République et de l’Ordre semblait bien incertain…Le Conseil aurait approuvé pareille initiative et je ne pouvais moi-même qu'y adhérer. Mais un détail me troublait encore. Milessa Kand était-elle capable de faire protéger ce lieu de l'altération puissante du côté obscur ?
J’étais enclin à le croire. Tout en poursuivant ma réflexion, je détaillais son visage tourné vers le mien, d'une tranquille impassibilité, immobile dans l'attente de mes paroles. Elle était jeune me dis-je d'abord avant de me souvenir que j'étais à peine plus âgé, l'un des maîtres les plus précoces de l'ordre. Pourtant mes premiers échanges avec elle avaient révélés une sagesse et un vécu spirituel qui tranchait avec des traits où s'attardait encore l'adolescence. Le dessin de ses yeux en amande était d'une perfection presque absolu, d'une sombre brillance dans ce visage aux joues rosies par la vie sauvage. Ses cheveux glissaient avec grâce sur l'étoffe soyeuse de ses vêtements colorés et ornés de motifs végétaux artistement ouvragés. Je reconnu sa beauté avec ce que je pensais être un détachement d'esthète, m'amusant de ses pieds nus tachés d'herbes sur le sol de marbre si solennel. Plutôt petite, elle paraissait immense par sa présence. La Force autour d’elle avait la tranquillité des eaux primordiales. Elle possédait une maîtrise que je n’avais que rarement vu, un accord presque parfait avec les mouvements universels. Mais on sentait pourtant toute la puissance sereine qui s’exprimait sous la surface, animée de courants lents et pesants, d’une densité inhabituelle. Rayonnante comme la vie de ce monde, il semblait émaner d’elle une bonté inépuisable.
- Je sens le doute en vous Maître Jedi, dit-t-elle avec douceur. Vous vous demandez si je suis à la hauteur de l'ambition du projet. Vous vous demandez si je suis capable de maîtriser l’énergie sans limite de la Vie.
- Maîtriser, voilà une ambition démesuré car nul ne peut prétendre maîtriser la Force, lui affirmais-je alors. Maîtrise est un mot que beaucoup emploient sans en saisir les implications. C’est là une bien dangereuse illusion qui conduit souvent à une fin douloureuse. Beaucoup en ont fait l’amère expérience. Seule compte la compréhension, l’harmonie, le contrôle exercé avec clairvoyance. La Force est une alliée et non un serviteur docile.
- Je comprend vos craintes et acceptent vos croyances mais elles ne sont pas miennes, me contredit-elle, toujours égale. Il n’y a pour moi ni lumière ni obscurité, ni transcendance ni chute. Je récuse cette conception. Il n’existe que la Vie, notre Mère Universelle qui donne âme et mouvement à chaque créature ici-bas.
Bail demeurait silencieux. Mais je le sentais qui observait avec acuité la moindre de nos expressions, le plus anodins de nos mots. Je sentais combien ce projet lui tenait à cœur.
- Il vous faut comprendre, poursuivit-je, que la Force possède un dessein qui lui est propre et dont la finalité nous échappe bien souvent. Mais elle tend vers un équilibre parfait sur une durée impossible à apprécier pour l’intelligence humaine. Pendant le temps bref de notre existence charnelle, nous servons ce dessein par nos actions, nos décisions, l’orientation de nos vies. Mais si nous possédons une certaine liberté dans notre accomplissement, nous avons également un rôle qui nous est dévolu de toute éternité. Une destinée. Celui qui vit bien est celui qui aura su percevoir qu’elle était sa tâche. Car la Force ne laisse pas d’indices évidents. C’est à chacun de chercher et cette…quête revêt presque plus d’importance que la découverte. Elle grandit l’homme.
- Nos conceptions ne sont peut-être pas si éloignées finalement, répondit-elle avec un sourire léger. Je crois à la nécessité de l’écoute, de la perception profonde. La Vie est comme un maître bienveillant pour nous. Ses préceptes doivent être entendus et appliqués afin que toute chose soit en harmonie avec les autres, que l’Océan Sans Fin soit apaisé. Nous devons suivre ses courants et non les détourner et trouver la place qui nous est destinée. Il faut s’abandonner au Flux et ne faire que ressentir.
Nous continuâmes ainsi d’échanger nos visions pendant une longue heure. Bail ne faisait qu’écouter et je compris vite que notre échange n’avait pour but que de créer l’accord des esprits. Je sentais que chaque phrase, chaque idée, m’ouvrait un peu plus à elle et réciproquement, comme si nous eûmes noués au fil du dialogue des liens qui devaient être noués. Comme si nous répondions à la volonté de la Force. Milessa apaisait lentement mes craintes, non tant par sa parole que par sa présence. Quelque chose rayonnait en elle.
***
Voyager à dos de thranta est une expérience déroutante. A quelques centaines de mètres au-dessus du sol, l'absence d'un cockpit et de murmures de navordinateur a quelque chose de déstabilisant. Mais rien ne surpassait le plaisir de ces visions de montagnes bleues, de forêts moutonnantes dans lesquels se lovaient les courbes ophidiennes des rivières et l'épaisseur immobile des lacs. Adossée à la main-courante de la nacelle, Milessa s'abreuvait de la majesté du monde et nous voyagions ainsi, dans ce silence méditatif, depuis deux heures environ. Je ressentais encore une certaine appréhension que la tranquille assurance de ma compagne ne parvenait pas à atténuer complètement, la certitude ambivalente d'un grand bien à venir et de difficiles heures à vivre. Mes perceptions se perdaient dans un brouillard épais.
Je n'avais jamais fait preuve d'un grand talent dans la maîtrise de la vision du temps. Mon esprit, avait dit Maître Yoda, cheminait sur trop de voies, empruntait trop de détours. Je n'étais jamais pleinement à ce que je faisais que lorsque j'activais mes sabres. Ainsi en étais-je venu à concevoir mes méditations comme des exercices armes en main, à créer de nouveaux enchaînements, chacun d'eux reflétant les mouvements de ma pensée. J'étais un guerrier au sens le plus absolu du terme, trouvant la paix dans la guerre.
Le thranta sembla frémir et plongea lentement vers la canopée, planant avec une aisance déroutante. Comment une créature aussi massive parvenait-elle à se maintenir dans les airs ? Ses grandes ailes, semblables à des nageoires, battaient avec une lenteur mesurée et son museau de rongeur semblait humer les odeurs qui montaient de la forêt de plus en plus proche. Celle de l'humus s'imposait avec force.
- Nous sommes proches à présent, lança Milessa d'une voix forte pour couvrir le bruit du vent. Lorsque vous verrez cette vallée, vous comprendrez alors ce qu'elle représente. Ses prunelles brillaient de joie dans un visage où s'esquissait un sourire enfantin.
- Ne croyez pas que je méprise ce projet Milessa, répondit-je simplement, conscient qu'elle doutait encore de mon engagement. Je suis un Jedi et, par dessus tout, j'aspire à voir la vie préservée. Votre enthousiasme et celui du sénateur plaident pour cette entreprise.
Notre monture franchit une crête et plongea dans une cuvette aux parois abruptes, frôlant la cime des arbres. Je fus aussitôt aspiré par un vortex surpuissant, comme une feuille voguant avec incertitude vers les remous de la rivière. Quelques chose avait changé dans la texture du monde, ou du moins s’était renforcé, laissant les sens en émoi. La Force avait élu domicile ici, dans l’ombre intime de deux sentinelles, ses deux gardiens, dans la luxuriance, l’abondance d’une forêt maternelle où cette femme décidemment stupéfiante qui m’accompagnait avait enraciné sa propre existence.
Durant notre approche, je me laissais pénétrer par la toute puissance de la Force, balayé par ses vagues régulières, ressentant avec une acuité neuve la vigueur de ses mouvements, massifs comme ceux des montagnes. J’étais allongé sur le sable d’une plage, à demi immergé dans les flots, accueillant avec une sérénité immense, le flux de l’océan. Cet endroit était béni. Touché par la grâce de la Force.
La clairière où nous nous posâmes abritaient un petit hameau parfaitement équipé, un système de communication hyperluminique, un générateur qui aurait eu sa place dans un appareil de bonne taille, ainsi que deux autres bâtiments que je découvris être des laboratoires. Un hangar occupait l’une des extrémité et par sa porte largement ouverte j’aperçus, au moment où le thranta touchait l’herbe rase d’une aire d’atterrissage, les silhouettes de deux landspeeders et un d’un subtraceur Mobquet. L’endroit cadrait en vérité assez peu avec l’image que je m’étais formé, avec une naïveté sans doute puérile, de la retraite d’une mystique comme Milessa. Cette dernière, encore une fois, perçut mon désappointement. Sens Jedi ou intuition féminine, le résultat était le même : il était vain de lui cacher quelque chose.
- C’est à une grotte que vous pensiez, me taquina-t-elle avec un ton gentiment moqueur. Une femme aime son confort, c’est une constante, une donnée invariable, valable dans toute la galaxie.
- Autre donnée constante, répliquais-je avec moins de sérénité dans la voix que je l’aurais voulu. Les Jedi n’ont pas pris les femmes pour sujet de réflexion. Pour être franc j’avoue ne pas entendre grand-chose à cette science hautement empirique, ajoutais-je en croyant faire preuve d’esprit.
- Pourtant les femmes sont nombreuses dans votre ordre, me fit-elle remarquer avec malice.
- Les Jedi sont assez peu…sexué, répondis-je plutôt mal à l’aise, tout en marchant à sa hauteur en direction d’un groupe de techniciens scientifiques occupés à étudier les mouvements d’une étrange créature qui s’ébattait dans un enclos. Le sexe est à mon sens un paramètre qui n’influe guère sur nos pouvoirs.
- J’essaierai de vous expliquer plus tard en quoi vous vous trompez lourdement Maître Vega, m’asséna-t-elle sans expression mais avec ce regard faussement dépité qu’arborent les femmes, je le découvris plus tard, lorsque les hommes se comportent en enfant.
***
J’appris que la retraite de Milessa abritait une petite communauté bigarrée de chercheurs venu étudier ici des espèces endémiques. La Force, si présente en ce lieu, avait favorisé l’éclosion de formes de vie rares, tant végétales qu’animales, et avait agi comme une énergie attractive, réunissant dans l’espace clos de cette vallée profonde, au fil des âges, une profusion incroyable d’espèces appartenant à tous les règnes recensés. Ce lieu témoignait du foisonnement de la Vie, sorte de jardin des origines.
La plupart des chercheurs travaillaient pour les universités d’Alderaan, bien que l’on pu compter parmi eux quelques étrangers originaires d’autres mondes du noyau, certains autres ayant même voyagé depuis la Bordure Extérieure. Exobiologistes, exobotanistes, zoologues… c’est toute une foule frénétique et enthousiaste qui gravitait autour du cœur de ce sanctuaire unique, la sibylline Milessa Kand. Les scientifiques trouvaient dans cette fantasque et généreuse éclosion de vies protéiformes un champ d’expérience plus vaste et plus profond que partout ailleurs et, de ce fait, de nombreuses réponses à leurs interrogations, des révélations essentielles.
Les premiers jours que je passais ici furent rythmés par des rencontres, des échanges surprenants. Milessa tenait à ce que je découvre tous les aspects de son monde en miniature. Elle insista pour que je m’intéresse aux divers enjeux scientifiques des recherches menés ici, que je questionne chaque chercheur sur son travail afin de mieux apprécier l’importance cruciale de notre futur projet. Je partageais mes repas avec eux, allant de table en table pour soutenir de longues discussions. Mon avis n’était jamais négligé, car aucun d’entre eux ne méprisait l’aspect spirituel de ces lieux étranges. Sur Alderaan, au sein de ce peuple si cultivé, les Jedis conservaient toute leur aura et leur influence.
L’ampleur des travaux entrepris me laissa admiratif ainsi que le respect profond pour les inépuisables manifestations de la vie qui semblait être le credo commun à tous. Ici, je n’avais pas affaire à une poignées de chercheurs mercenaires, généreusement soldés par une des firmes du Secteur Corporatiste, mais à des hommes et des femmes guidés par un solide sens éthique et une vision de l’univers qui s’accordait bien à la mienne. Je sentais aussi le respect sincère que chacun vouait à Milessa , sans tenir le moindre compte de sa jeunesse, sensibles à sa seule sagesse, à sa seule bonté. Tous ces brillants esprits qui chaque jour m’enrichissaient de leur vaste savoir, tous gravitaient avec abandon autour de cette étoile-mère dont la chaude radiance réchauffait leurs cœurs et maintenait la cohérence de cet amas d’humanité.
Milessa m’accompagna chaque jour dans de longues errances à travers la vallée, afin que je pu apprécier toutes les merveilles de cette enclave fascinante. Nous marchions pendant des heures, très souvent en silence, parfois échangeant nos idées, confrontant nos points de vue. Nos réflexions sur la nature de la Force alimentaient de longues conversations que la rencontre dans le bureau de Bail Organa n'avait pas épuisé. Parfois, c'est pour nous gorger de la beauté surnaturelle de la vallée que nous faisions halte…nous étions plein de cette vie, nous étions plein de la Force. Mais c’est d’elle aussi que j’étais plein, de sa lumière qui emplissait les salles les plus reculées de mon être, faisant voler en éclat des portes anciennes que les douleurs de tant d’années de guerre et de batailles avaient lentement fait pourrir. Je crois qu’au début, je résistais à cet invasion pacifique, alors que de mon esprit grondait la vieille litanie : il n’y a pas de passion, il y a la sérénité. Pourtant il me sembla toujours être serein, et peut-être plus encore à mesure que Milessa trouvait sa place en moi.
Peu à peu, les contours du projet prenaient forme dans mon esprit et la silhouette incertaine qu’avaient suscitée les premières explications de Bail Organa gagnait à présent en consistance. Il y avait dans cet ambitieux dessein une noblesse désuette qui me touchait. Sans doute ce projet méritait d’être soutenu et, en tant que Maître Jedi, c’était un refuge de la Force que je devais préserver.
La découverte du cadavre fissura l’édifice communautaire avec la violence d’une secousse tellurique. Un mort. Si la chose était banale partout ailleurs, elle en devenait presque terrifiante en un lieu où la vie hurlait à pleins poumons. Milessa s’isola quelques jours, refusant toute visite. On s’interrogea sur les raisons de ce silence, arguant que la jeune femme, d’une sensibilité vive et animé par un sens des responsabilités contraignant, supportait mal la perte d’un des membres du groupe scientifique. Un instinct de mère, j’en étais persuadé, la poussait à pleurer cette mort.
Le corps avait été retrouvé au pied d’un arbre zirath, figé dans une position grotesque, la peau violacée, presque noire. On retrouva près de lui un fruit entamé, gros comme le poing et réputé pour son extraordinaire saveur. La victime, un botaniste d’Alderaan, avait quitté la base quelques jours plus tôt pour une série de repérage et de prélèvements, genre d’expéditions banales pour tous les scientifiques du groupe et qui ne suscitaient pas de craintes particulières. Si les sous-bois touffus de la vallée cachaient quelques prédateurs, ils ne représentaient pas de menaces sérieuses pour les hommes et les femmes de la communauté, tous formés au maniement des blasters de défense et des pics de force et suffisamment prudents pour éviter les territoires de chasse.
L’examen médical révéla un empoisonnement. Des traces d’une toxine inconnue furent découvertes à l’intérieur des prélèvements sanguins, révélation qui plongea nombre de spécialistes dans une profonde perplexité. On étudia de plus près le spécimen d’arbre zirath et l’on ne découvrit rien qui puisse expliquer pourquoi la chimie du fruit avait été altérée au point d’en faire une offrande fatale. C’est par intuition que je concentrai alors mes sens sur l’arbre et découvrit la présence, infime, ténue, mais néanmoins troublante du côté obscur de la Force. Je décidai alors de garder pour moi mes impressions. A la nuit tombée et après un service funèbre sobre, une navette ramena la dépouille jusqu’à la capitale.
***
Deux jours plus tard, Milessa consentit à abandonner sa retraite. Souriante mais visiblement fatigué, elle partagea le déjeuner de la petite troupe, s'efforçant d'être agréable à tous. Pourtant, à son teint pâle et son regard égaré, chacun comprit qu'il faudrait du temps avant qu'elle ne retrouve un peu de sa quiétude. Sûrement exerçait-elle sa volonté à ne pas sombrer dans un chagrin plus noir, car je sentais en elle une lutte, une sorte de tension permanente que je n'avais jamais remarqué alors. Je m'installai à son côté et décidai de ne pas violer son silence.
Les incidents se succédèrent dans les jours suivants. Un groupe tomba sur deux félinoïdes dont l'un avait succombé à ses blessures, le corps lacéré par les griffes puissantes. Le survivant, bien que gravement atteint lui aussi, fit preuve d'un reste de vigueur suffisant pour empêcher sa capture. Les membres du groupe n'eurent d'autre choix que de l'abattre tant sa rage semblait ne pas vouloir trouver de fin. On commenta beaucoup ce combat sauvage, surpris par le comportement inhabituellement agressif des deux spécimens. Le lendemain, alors que j'accompagnais Milessa, nous tombâmes sur une clairière isolée dont le sol semblait s'être boursouflé, asséché. Sur cette terre lépreuse ne poussait plus qu'une herbe cassante, dont le vert éclat s'était changé en un gris poussiéreux, et des arbres qui s'affaissait sur leurs troncs trop malingres pour les supporter. Milessa laissa ses sens errer autour de la clairière pour découvrir que maintes formes de vie familières avaient désertées cette désolation, détruites comme ces plantes qui s'étalaient sous nos pieds, ou enfuis au loin comme la plupart des oiseaux.
- Je ne comprends pas, avoua-t-elle, choquée. Il y a un mois encore, cette clairière était une corne d'abondance !
- Je ne saurais vous expliquer, dis-je tout en cherchant et trouvant presque aussitôt la trace de ce que je cherchais. Rien ne saurait l'expliquer. A moins peut-être qu'une forme de dégénérescence génétique particulièrement virulente…
- Non, je ne crois pas, répondit-elle tout en observant les alentours avec acuité. Bien trop rapide…bien trop étendu. Je ne perçois plus…je ne sens plus la même vie qu'avant. Il se pourrait que tout soit atteint à peut-être deux cent pas au-delà de la clairière.
Je m'éloignai un peu sous les arbres et rencontrai partout le même spectacle alors que mes pas me conduisaient sur les premières pentes de la montagne. Au creux d'un arbre mort je découvris un shvis tremblant dont le pelage était par endroit absent, rongé par la gale. L’imposant rongeur bondit en arrière en piaillant furieusement lorsque je tendis une main apaisante. Dans son esprit primitif régnait une terreur sans nom.
Une équipe de botanistes et de zoologues se rendit sur les lieux dés le lendemain pour effectuer des observations et des prélèvements. En chemin, ils durent repousser l'attaque de deux ours en maraude qui ne cédèrent qu'après avoir senti la morsure des pics de force. En outre, les membres du groupe rapportèrent que la zone s'était étendue jusqu'à former une large bande de forêt qui s'étalait aux pieds des montagnes. Partout on observait les mêmes phénomènes, agressivité et agitation de la faune, dégénérescence de la flore et aucune des observations préliminaires effectuées en laboratoire ne fut éclairante. Rien sur le plan scientifique ne permettait pour l'heure d'élaborer ne serait-ce qu'une esquisse d'hypothèse valable.
Je connaissais la cause de tout cela mais il me semblait difficile de faire accepter à des esprits aussi rationnels l'idée d'une force obscure à l'œuvre, corrompant toute forme de vie avec une voracité aveugle. Si les Jedis jouissaient d'un respect sincère, on les considérait davantage comme des guerriers garants de la paix galactique que comme des mystiques et la plupart des gens ignorait tout de leurs croyances ou, dans le cas contraire n'y prêtait pas plus de crédit qu'à de vieilles légendes. De plus je ne parvenais pas à comprendre comment le côté obscur avait pu s'insinuer ici, dans cette vallée, si loin de toute influence, et consumer avec une telle violence tant de vies. Et j'avais ressentit autour de cette clairière le même malaise qu'il y a quinze ans lorsque je m'étais aventuré, enfant tremblant mais résolu, dans l'épave où mon maître avait péri. L'antichambre d'un domaine du Mal où s'agitaient confusion, chaos, peur…mais comment avaient-ils germé en ce monde ? Maître Yoda répétait souvent aux jeunes padawans que le côté obscur pouvait prendre des formes diverses, changer sans cesse dans ses manifestations car il était avant tout chaos, impermanence absolue. Pourtant, il me fallait à présent en chercher les racines.
***
La nuit avançait mais une lumière ténue brillait encore aux fenêtres de la demeure de Milessa. Cette modeste bâtisse de pierre et de bois affichait une simplicité accueillante et la promesse d'un feu agréable s'échappait en une fumée épaisse et paresseuse de la cheminée. Je trouvais Milessa assise dans l'obscurité, loin de l'âtre, la tête inclinée sur l'épaule et le regard errant. Elle m'accueillit d'un sourire las mais chaleureux, éveillant en moi un malaise étrange, où la crainte le disputait à d'autres sentiments que je n'osais, sur l'instant, reconnaître avec honnêteté.
- Tu as du mal à trouver le sommeil ? dit-elle d'une voix murmurante.
- Il y a de ça. Et l'envie de parler.
- Assieds-toi près du feu, que j'en apprenne davantage sur toi, dit-elle, sibylline.
- Le feu est-il si perspicace qu'il puisse lire en moi ? répondit-je amusé.
- Je crois que le feu peut consumer le matériel et l'immatériel et sa chaleur faire fondre le masque de cire dont chacun se couvre le visage.
- Je porte un masque ?
- Non…non. Je souhaite vraiment que ce beau visage soit bien le tien, dit-elle avec malice. Parlons de toi pour commencer.
- Que veux-tu savoir ? répliquai-je sincèrement surpris. Parler de moi apportera-t-il de l'eau à notre moulin ?
- Si nous voulons découvrir ce qui agite la vallée il me semble inévitable de mieux te cerner.
- Tu supposes que ma présence à un rapport quelconque avec ces changements.
- Je ne fais que supposer Sidh, poursuivit-elle tout en se levant pour tisonner distraitement la bûche incandescente. Mais avant ton arrivée rien de tel ne s'était jamais produit.
- L'explication n'est-elle pas un peu simple, la contrais-je, surpris qu'elle emprunte un raccourci aussi naïf.
- J'admets que les phénomènes que nous avons observés peuvent difficilement être expliqué par des causes personnelles. Je ne vois pas comment de telles manifestations pourraient trouver racine en toi. Tu n'es pas un terreau fertile pour cette semence. Mais…
- Mais ?
- Tu es agité depuis quelques jours. Je le sens.
- Mon esprit est en paix pourtant, répondit-je avec une certitude forcée. Il me semble être bien placé pour juger de ses mouvements.
- C'est ton cœur qui se meut, dit-elle en posant un index délicat sur ma poitrine. Des sentiments confus s'agitent…
- Il n'y a que sérénité, assénais-je avec un peu trop de vigueur. Je ne suis plus un padawan…
- …mais un maître avec un orgueil qu'il lui faudrait savoir regarder en face, me coupa-t-elle. L'esprit ne commande pas au cœur. C'est ici, dans le foyer ardent de la vie que naissent les sentiments, les élans et les passions. Mais aussi les peurs les plus noires.
- J'aurais donc peur, dis-je, amer d'avoir été si facilement révélé à moi-même par cette jeune femme.
- J'ai longuement réfléchi à ces incidents et je ne vois rien de rationnel dans tout cela. Aucun des experts du groupe n'a pu avancer quelque chose de satisfaisant. Il y a en ces lieux un pouvoir à l'œuvre qui s'exerce aveuglement sur la vie, une entité de corruption, un esprit sauvage. Peut-être réagit-il à ta présence, attiré par quelque chose qui se cache en toi, quelque chose de vicié. Une noirceur dont tu n'aurais même pas conscience.
- J'avoue avoir de nombreux motifs d'agitation mais j'ai appris à m'accommoder de mes responsabilités depuis le début de la guerre des clones. Général, maître d'armes, envoyé diplomatique…je m'acquittes de tout cela avec efficacité à ce qu'il me semble. Et j'ai de bonnes raisons d'être fier de mon padawan. En toute honnêteté Milessa, je ne vois pas ce qui pourrait en moi nourrir le Côté Obscur. Le nourrir jusqu'à ce qu'il…jaillisse et se répande comme un fléau. Et sans même en avoir conscience.
- Je te l'ai dit ce n'est qu'une hypothèse, concéda-t-elle. Je n'ai pas encore réfléchi suffisamment à la question mais je me suis fié à mon intuition. C'est une chose que vous faites, vous les Jedis.
- On nous enseigne cela en effet, répondit-je heureux de cette petite pique qui me permit de juguler une angoisse naissante.
Elle me rejoignit près du feu et s'assis sur le sol jonché de roseau fraîchement coupé, les mains enfouies dans les manches amples de la lourde robe qui la vêtait. Les minutes s'écoulèrent, impalpable comme un songe. Muette, Milessa semblait s'être laissé charmer par les flammes. J'acceptais ce silence, profitant de ces instants méditatifs pour me retrouver seul face à moi-même. Mon reflet m'apparut dans un miroir étrange posé sur la pierre maîtresse du foyer et, pendant quelques secondes, j'observais avec attention le visage d'un homme de trente ans aux cheveux absolument blancs ramenés en arrière en un chignon martial d'un autre âge. Les premières rides s'étaient creusées aux coins des yeux - une pour chaque épreuve traversée me sembla-t-il - et le bleu du regard avait pâlit tout comme la cicatrice laissée en présent par Asajj Ventress, juste à la base du cou. Mes pensées vagabondèrent et je me demandais si en cet instant le disciple de Dooku regardait cette cicatrice sur son bras blanc, maudissant mon nom et l'Ordre tout entier.
Ce fut la présence des chasseurs de primes qui me tira de ma rêverie.
Je les sentis qui approchaient, venant de la forêt. Ils étaient si proches du camp que je me demandai comment les systèmes de senseurs, qui pourtant balayaient la zone sur près de trois kilomètres, avaient pu laisser passer un groupe aussi important. Assurément, il devait s'agir de professionnels. Le plus inexpérimenté des chasseurs de primes n'ignorait rien de la menace que pouvait représenter un jedi, à plus forte raison un maître d'arme formé par Mace Windu. J'échangeai un bref regard avec Milessa avant que nous nous dispersions dans la pièce, ordonnant au contrôleur domotique l'extinction de toutes les lumières. Le geste était dérisoire car l'obscurité ne pouvait être qu'une gêne temporaire pour des hommes parfaitement équipés, tous aguerris à la traque de proies classées hors catégorie. Je jetais un œil aussi prompt que prudent à la fenêtre mais ne vit rien. Bien sûr je ne m'attendais pas à ce qu'ils soient là, me défiant ouvertement avec des vibro-lames dans les mains, affrontant avec une joyeuse insouciance les arabesques fatales de mes sabres-laser. Les arbres leur offraient d'opportuns postes de tir et les sous-bois épais qui encerclaient le camp devaient abriter une bonne partie d'entre eux, tapis dans les fourrés avec la patience infinie du prédateur sûr de lui. Milessa s'était laissée glisser le long du mur et, les yeux fermés, exerçait ses sens aguerris à dénicher nos ennemis.
Quelques poignées de secondes s'écoulèrent avec une lenteur exaspérante. Je ne pouvais guère prendre le risque de me retrancher dans la maison, sans quoi un cercle mortel finirait par se refermer autour de nous. La bâtisse de bois primitive n'offrirait alors qu'une résistance dérisoire à des tirs de blasters lourds et il fallait compter sur les adeptes de la Guilde des Chasseurs de primes pour faire usage de la fine fleur de l'armement illégal.
Je me glissai dehors en longeant le mur. Un silence presque total alourdissait l’atmosphère du camp où rien ne s’agitait, même pas la poignée de spécimens sauvages, provisoirement enfermée pour examen, dans leurs vastes cages. Je réfléchis aux intentions et à la tactique de ces tueurs et je résumais lapidairement ces interrogations en une seule question : qu’attendaient-ils que je fasse ?
D’un jedi ils attendaient de la prudence et de la pondération. Ces chasseurs de primes devaient miser sur le fait que je me retrancherais patiemment dans la maison, attendant de voir comment le combat allait tourner avant de réagir vraiment. J’étais censé me conformer à ce schéma tactique.
Je fis appel à la Force pour accélérer mes mouvements et d’une course tranchante, je traversais le camp sous les premiers tirs surpris des snipers. Ma vitesse était telle qu’aucuns ne parvint à m’atteindre et je pus me mettre à couvert sous les arbres. Juste le temps pour moi de souffler et je perçus un mouvement à quelques pas derrière, un effleurement léger mais suffisant pour déranger le sommeil d’une volée d’oiseaux. Aussitôt, j’entrai dans le Temps du combat, ce monde étrange de perceptions nouvelles où chaque mouvement autour de moi semblait acquérir une inertie inhabituelle. Seuls mon esprit et mon corps, soutenus par la Force, se mouvaient encore avec leur vivacité naturelle.
Mon premier sabre décrivit un arc de cercle ample et si rapide qu’il se changea, l’espace d’un battement de cœur, en un disque bleuté scintillant lancé dans une course mortelle.
Un cri étranglé, un bruit mat.
Je récupérai l’arme au vol alors que je courrais déjà vers un nouveau point, m’enfonçant davantage dans la forêt. Le tronc massif d’un arbre me préserva d’un tir fatal dont je ne pus même pas estimer l’origine. Au point d’impact, l’écorce s’enflamma brièvement sous l’effet de la violente décharge d’énergie. J’eus à peine le temps de remercier la Force que deux chasseurs, dont un rodien salement amoché engoncé dans une lourde armure, se jetèrent en travers de mon chemin et déchaînèrent toute la puissance de leurs Merr-Sonn Power 5. Sabres au clair je repoussais avec application leur assaut nourri et, d’un prompt mouvement du poignet, je déviais un tir sur la main gantée du rodien. Le séide de la Guilde lâcha son arme avec un cri de stupeur et de douleur mêlée. Profitant de ces deux secondes de confusion je projetai son acolyte à quelques mètres de là, à la rencontre d’un arbre vigoureux qui l’assomma net. Le rodien n’eut pas le loisir de faire jaillir le petit blaster de poche logé dans son avant-bras que je frappai deux fois, un rapide gauche droite, taille puis estoc, et continuais ma course, laissant s’effondrer derrière moi la dépouille de mon adversaire et ma robe trop encombrante.
C’est alors que j’entendis, calme et claire, la voix de Milessa dans mon esprit.
- Je suis avec toi Sidh, dit-elle. Mes sens les traquent sans relâche. Laisse-moi être tes yeux.
- Je n’écoute que toi, répondis-je simplement
Grâce à l’enseignement de maître Windu et la présence rassurante de Milessa, je n’étais plus que détachement, ne ressentant rien d’autre qu’une paix diffuse. Je n’avais à l’esprit que ce combat, anticipant son flux comme un maître d’armes devait le faire. A chaque instant qui défilait, j’accédais un peu plus à cette sérénité qui m’était coutumière dans l’exercice des armes.
- Sur ta droite à cent pas, dit Milessa dans un souffle.
Je déviai ma course et quelques tirs vagabonds. Maintenant les chasseurs allaient converger vers moi, guidés par les indications de leurs packs senseurs portatifs. Des tirs sporadiques illuminaient par instant la forêt, générant une aube artificielle qui me révélait quelques détails de mon environnement, indications précieuses alors que je progressais rapidement dans la pénombre du sous-bois. Plusieurs tirs très rapprochés fusèrent.
D’un bond je m’élevai jusqu’aux premières branches d’un pin élancé où se terraient un des snipers, un aqualish dont le masque rageur disparut au loin avec sa tête, pendant que son corps s’écrasait dix mètre en contrebas. Sa chute ne passa pas inaperçu. En dessous, dans l’épaisseur des halliers, s’avançait au petit trot un groupe d’une demi-douzaine d’individus, protégés par des armures scouts AV-IS. L’un d’eux dépassait ses compagnons d’un bon mètre et portait avec une aisance déconcertante un puissant canon qui n’aurait pas paru déplacé sur un speeder militaire.
Un saut salvateur m’éloigna de l’arbre alors que celui-ci se désintégrait dans un rugissement de canon-laser, projetant alentour des milliers d’éclats acérés de bois surchauffé. La voix de Milessa hurla dans mon esprit alors que je retombais lestement au milieu du groupe d’assaillants. S’ils n’avaient pas eu la certitude de m’avoir réduit en particules élémentaires l’instant d’avant, peut-être n’auraient-ils pas été si surpris de me voir maintenant me dresser juste à côté d’eux. Les instants qui suivirent furent terrifiants de violence.
Dans l’espace de quelques battements de cœur, nous exécutâmes dans un unisson surnaturel une danse de mort d’une sauvage beauté. Je parvins en cet instant à cette apogée, ce lieu sans nom, au-delà des étoiles, où la Sérénité siégeait sur un trône fait d’éther pur.
Les chasseurs de la Guilde tirèrent promptement vibro-lames et vibro-haches.
Tous se préparèrent à vendre chèrement leur peau.
J’arrachai les deux premiers du sol d’une impulsion plus violente que je ne l’aurais voulu et ils s’écrasèrent lourdement dans un fourré. De mon sabre dextre, je parai un coup puis deux et je vis du coin de l’œil la lame de mon adversaire tranchée en son milieu, incapable de résister à l’énergie de l’arme Jedi. Je virevoltais au milieu d’un cercle d’ennemis hésitants mais habiles, distribuant à chacun sa part de coups de taille et d’estoc. Une pointe menaçante frôla ma poitrine. Aussitôt, je répliquai de senestre par un revers montant qui trancha net le poignet du droïde-assassin alors que mon sabre droit plongeait dans la poitrine et perforait le module-énergie. Un nouveau bond m’amena dans le dos des survivants. Le plus agile pivota brusquement pour accompagner un coup de taille suffisamment bien ajusté pour me trancher la tête. Plus vif encore, je plongeai sous la lame et répliquai de deux coups expéditifs qui lui ouvrirent la poitrine au moment où s’abattait sur moi une hache à la mesure du Yuzzem qui la brandissait. J’esquivai une fois encore et la lourde lame, animée de micro-vibrations, ouvrit une plaie large et profonde dans l’humus forestier.
Le surpuissant alien faisait pleuvoir avec acharnement des coups d’une rare brutalité et il me fallait m’employer pour esquiver chacune de ces attaques. Dans le dos de la créature, son compagnon tentait de m’ajuster avec une arbalète wookie. Patiemment, je reculai jusqu’à m’adosser à un arbre et veillai à laisser le Yuzzem intercalé entre moi et le tireur, la masse du géant m’offrant une opportune couverture.
Le moment était critique. Je percevais chez mes adversaires une tension paroxystique, une peur galopante générée par le tourbillon du combat, par la mort trop rapide de leurs compagnons. Ils se sentaient en équilibre précaire, menacés par la moindre défaillance, la moindre hésitation. L’impétuosité du Yuzzem ne masquait rien d’autre que sa crainte viscérale de me voir reprendre l’initiative alors que l’exaspération fiévreuse de son compagnon, incapable de s’offrir une ligne de tir convenable, clamait haut et fort qu’il avait déjà perdu le combat.
Je m’offrai une profonde gorgée d’air et, assurant mes appuis, j’attendis le coup suivant, les yeux rivés sur le tranchant de la vibro-hache. Elle disparut dans le tronc avec un fracas épouvantable alors qu’un petit pas de côté, rendu imperceptible par l’action de la force, m’éloignait de sa trajectoire. Une seconde plus tard, mes lames s’enfonçaient dans ce bloc de muscles et de nerfs qui s’effondra sur moi dans un rugissement assourdissant de douleur tandis qu’une décharge hystérique de gaz Tibanna enflammait sa fourrure.
Une longue litanie de tirs s’abattit des pentes alentour et je fus heureux de pouvoir m’abriter sous le cadavre du Yuzzem, dont la massive dépouille m’épargna une mort certaine. Après ce déchaînement de feu, le silence revint, un silence absolu. L’odeur du combat saturait l’air, l’odeur des blasters surchauffés, celle des chairs déchirées par la morsure brûlante des sabres-lasers. Je m’extirpai de mon abri improvisé et découvrit Milessa penchée sur l’arbalétrier inconscient.
- Deux autres dorment d’un sommeil profond dans les buissons, là-bas, dit-elle alors qu’elle se relevait et s’approchait de moi.
- Ramenons-les jusqu’au camp. Après quelques soins et un peu de repos, il me faudra leur parler.
- Une idée sur l’identité du commanditaire ?
- Je n’en suis pas certain, dis-je tout en examinant avec intérêt un Blas-tech E-11, arme récemment apparu au sein des armées clones. Il y a peu de temps, le chapitre Nova Pourpre de la Guilde des Chasseurs de Primes a accepté un contrat sur les Jedis. Plusieurs d’entre nous ont péris et il a fallut l’intervention de Maître Windu et de quelques membres du Conseil pour mettre fin à cette traque. En outre, moi et quelques vieux compagnons nous sommes attirés les bonnes grâces d’un Hutt après une enquête délicate sur Kessel. J’ai un peu trop d’ennemis pour y voir clair. En outre je…
- Tu…
- Je me demande ce qu’un chasseur de primes peut bien faire avec une arme d’assaut aussi rare.
Je me figeai soudainement et je vis Milessa faire de même alors qu’elle observait avec inquiétude quelque chose derrière moi. Un froid m’engourdit l’esprit avec une soudaineté désarmante et c’est avec appréhension que je me forçais à tourner la tête.
Je le vis.
Ce n’était qu’une ombre, à peine discernable dans la maigre clarté lunaire du sous-bois, un halo de néant posé sur le décor de feuillage et de laquelle semblait émaner une menace indéfinissable. Usant de la Force pour affiner mes sens, je distinguai des traits, le dessin vague de ce qui me parut être une armure antique ouvragé avec un savoir-faire oublié. Le regard adamantin de ces yeux pourtant immatériels exprimait une folie froide et un désir dévorant de pouvoir. Quelque chose résonna en moi, comme un écho lointain jaillit des abysses de la mémoire de toute une lignée. Et cette chevelure blanche sous un heaume de bataille Sith.
***
- Voilà l’objet du délit ! s’écria Aber Gerphron alors qu’il brandissait en manière de triomphe un ridicule morceau de silicium. Ce genre de processeur n’est fabriqué que par les laboratoires militaires de la République. J’ai fait une brève pige pour eux pendant mes années à l’université de Corellia. Ce genre de truc était encore en projet à l’époque et ça doit pas faire plus de quelques mois qu’ils sont utilisées.
- Une explication ? glissai-je sans conviction, l’esprit encore agité par l’apparition brève et mutique de ce que, faute de mieux, il me fallait appeler un fantôme.
- Hmm…rien de rationnel mais ça va être coton de faire dans le rationnel.
- C’est plus ou moins le cas depuis que je suis là.
Aber apprécia le trait et gloussa tout en continuant de disséquer le pack senseur que nous avions récupéré sur l’un des cadavres des chasseurs primes. Le coréllien était un homme plein de ressources, élevé dans le milieu crasse et violent des vendeurs de drogues synthétiques bon marché, niche sociale où un avenir meilleur était aussi improbable qu’un rayon de lumière dans un caveau. Aber avait le mérite de n’avoir jamais franchit la barrière qui aurait fait de lui un candidat pour les mines de Kessel. Au contraire, à force d’opiniâtreté et de courage, son intelligence en guise de passe-muraille, il avait enfoncé les portes qui trop souvent demeuraient scellés à ceux de son espèce. Diplômé en ingéniérie éléctromécanique, spécialisé dans la conception de droïdes militaires, il avait travaillé de nombreuses années pour Industrial Automaton et Cybot Galactica et avait fait parti de l’équipe de recherches avancées à l’origine des séries d’astromécanos R4 et R6. A quarante-cinq ans et pour des raisons obscures, il avait abandonné l’écrin doré des grandes corporations technologiques pour venir se perdre au milieu des forêts d’Alderaan. Là, anonyme parmi des chercheurs marginaux, il assurait l’entretien des droïdes scientifiques et des équipements vitaux de la station, comme un simple technicien. Cet exil volontaire avait de quoi surprendre mais on acceptait son silence et les incertitudes de son passé car l’homme était par ailleurs sans reproches, d’une disponibilité exemplaire et contribuait à l’ambiance de la communauté par son naturel jovial.
- Les technologies, ça va et ça vient, reprit Aber. Surtout celle de la République. Aujourd’hui, dans le domaine de la robotique de pointe, la concurrence est féroce et les Corporations engloutissent des sommes colossales dans l’espionnage industriel, histoire de ne pas être à la ramasse. Ces mercenaires ont très bien pu se fournir auprès d’une firme parfaitement renseignée.
- J’ai du mal à croire qu’une arme qui comme le E-11, qui en était encore à la phase de test il y a quelques mois seulement, puisse se retrouver entre les mains de chasseurs de primes moyens.
- S’ils se sont pas offerts leurs joujoux eux-mêmes alors c’est un gentil mécène fichtrement bien intégré dans le système qui aura fourni vos artistes de la gâchette.
- Si c’est le cas j’ai plusieurs pistes tout à fait valables, conclus-je sombrement.
J’abandonnais Aber à ses travaux et je rejoignais le dispensaire de la station le pas lent et la tête pleine de questions, alors que la communauté semblait retrouver un peu de son calme après les combats de la nuit. Les laboratoires disséminés un peu partout dans le périmètre étaient tous actifs et des lumières froides et blanches brillaient derrière les baies vitrées épaisses où se profilait parfois la silhouette d’un chercheur besogneux.
Les prisonniers – ils fallaient bien les appeler ainsi – avait passé la nuit sous bonne garde dans un entrepôt à l’écart, en compagnie de limiers-droïdes configurés avec soin par Aber. Milessa avait insisté pour contacter les autorités d’Alderaa afin que nous soit envoyé un détachement de soldats royaux pour assurer la sécurité des installations et du personnel mais, désireux de ne pas éveiller l’attention sur les ombres de cette histoire, je m’étais opposé à sa décision, arguant qu’il me revenait de tirer tout cela au clair.
En premier lieu, il me fallait apprendre qui avait commandité cette bande de chasseurs de primes, qui avait fait preuve de suffisamment de persuasion et de réserve bancaire pour faire accepter un contrat sur un Jedi, d’autant plus après la démonstration de force de Maître Windu. Certes, Prall le Hutt avait mis ma tête à prix et j’étais depuis près de deux ans persona non grata dans tout l’espace contrôlé par les mafieux de Nar Shaada mais le maître de Nubia savait quand il fallait lever le pied et se montrer prudent. Cette attaque nocturne avait tout de l’assaut frontal volontaire et ne pouvait qu’être le fait d’un parti qui se sentait absolument sûr de sa force.
Cela réduisait considérablement le champ des possibles.
J’obliquai jusqu’à la station de transmission et envoyai un message à mon droïde R4 en orbite à bord du Delta 7 arrimé à la station-relais. Le petit appareil serait là d’ici quelques minutes. Ensuite – et malgré quelques réticences – je contactais le chasseur de primes et mercenaire Hens Garrek, un compagnon efficace et fiable à défaut d’un ami. Aux dernières nouvelles il assurait la protection d’un certain Mr Terrik, négociant en objets technologiques de pointes et œuvres d’art à Republic City, auparavant bras droit d’un caïd de la pègre de Nar Shaada.
Un sourire minimal me fut offert en guise d’accueil par une jeune femme aux cheveux roses, taillés courts et aux yeux d’un violet extraordinaire. Après les précautions d’usage elle disparut du projecteur holographique et céda la place à un homme d’une trentaine d’années, solidement bâti, portant à la ceinture deux énormes blasters jumeaux.
- Tiens tiens Jedi, commença-t-il avec son éternel sourire cynique rivé aux lèvres. La télépathie n’aurait-elle pas été plus approprié pour un séide du Temple ?
- Elle nécessite un minimum d’affinités pour se révéler efficace, répliquai-je sur un ton neutre. Pas besoin d’en rajouter je suppose ?
- Inutile. Que me veux-tu ?
- Des renseignements.
- Tout à un prix.
- Ces renseignements ci pourraient bien te concerner au premier chef, toi ainsi que notre bon Amiral. A toi de voir.
- Pas de blabla Vega, dit-il froidement. Annonce la couleur et j’aviserai.
Jusque là il n’y avait rien d’inhabituel dans notre conversation. Après les provocations d’usage, on en venait aux négociations. J’entretenais une relation particulière avec Hens, une fragile alchimie de respect martial et d’incompréhension idéologique. Hens était farouchement individualiste, un guerrier solitaire animé d’un besoin essentiel : acquérir toujours plus de pouvoir, se parfaire sans cesse. Il considérait les Jedis comme un ramassis de moralisateurs dogmatiques et obscurantistes, attachés à leur pouvoir et à leur vision rigide de l’ordre des choses. Nous étions opposés violemment par le passé car je réagissais avec toute la force de mon orgueil et de mes certitudes à ce que je considérais comme de terribles insultes à tout ceux en quoi je croyais. Aujourd’hui je considérais ces joutes comme allant de soi entre nous, conscient que notre animosité n’en était pas vraiment une.