Bonjour à tous !
Après une longue période d'inaction, je suis revenu "par hasard" sur le forum et le sujet du recueil actuel m'a inspiré. Voici donc en exclusivité mondiale (excusez du peu
) ma dernière nouvelle. Bonne lecture
Le cargo
Titi77 - 01/02/2014
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C’est une époque de guerre civile. Malgré sa première grande victoire contre l’Empire Galactique, la Rébellion est sur la défensive. Pourchassé par la redoutable flotte impériale, un petit groupe de combattants de la liberté cherche refuge parmi les mondes les plus inhospitaliers de la galaxie.
Aveuglé par son désir d’annihiler les Rebelles, l’Empire a abandonné la protection des routes commerciales. Pirates et criminels de tous poils font régner la terreur. Face à cette situation, les marchands les plus fortunés organisent des convois protégés par des mercenaires grassement payés.
Il reste pourtant des pilotes de cargos qui, par manque de moyens ou par goût du risque, voyagent seuls sur des routes dangereuses. Ceux qui livreront au plus vite leurs marchandises sur les mondes qui en ont besoin réaliseront un bénéfice substantiel. Les autres, au mieux, n’auront rien. Au pire, leur vie n’aura aucune valeur face aux marchandises que renferment leurs soutes…
***
Le vaisseau glissait silencieusement dans les ténèbres de l’espace interplanétaire. Surgi de l’hyperespace il y a quelques minutes à peine, ses moteurs subluminiques le réorientaient sur le cap de son prochain saut. Destiné au transport interplanétaire de conteneurs standardisés, ses formes étaient avant tout fonctionnelles. Un module de commande à la proue, une longue section rectiligne à laquelle étaient arrimés les conteneurs suivis, à la poupe, par le module de propulsion. Pas d’autres décorations que le logo de l’armateur et le nom du vaisseau, inscrit en grandes lettres et dont la peinture commençait à s’effriter par suite de nombreuses rentrées dans l’atmosphère : Mantellian Star.
Le cargo poursuivait lentement sa course quand le calme solennel de l’espace fut déchiré de rafales de blasters. Surgi du néant, un groupe de petits cargos et de chasseurs rapiécés fondit sur la proie facile qu’était le Mantellian Star !
L’apparence inoffensive du cargo n’était pourtant qu’une façade car les deux tourelles qu’abritait le module de commande s’éveillèrent et firent feu sur les assaillants tandis que le lourd vaisseau manœuvrait pour empêcher les pirates de s’amarrer à sa coque. Un ballet mortel s’engagea alors dans lequel les talents du pilote du Mantellian Star ne pouvaient que retarder l’inéluctable abordage. Un des cargos rompit l’engagement, un de ses moteurs touchés. Non loin de là, un chasseur partit à la dérive dans l’espace, la verrière fracassée.
À bord du Mantellian Star, l’équipage était focalisé sur sa survie. Aucun appel n’avait été transmis par les pirates : ce serait donc un combat à mort. De son côté, le capitaine du cargo n’avait pas envoyé de message de détresse car son vaisseau se trouvait trop loin de tout monde habité.
« Joli tir, Grazik ! » complimenta-t-il son navigateur, installé dans la tourelle dorsale. Aucune réponse ne lui parvint, le Dévaronien était trop concentré pour répondre au compliment de son capitaine.
Un coup d’œil à ses instruments appris au commandant que l’ordinateur de bord gérait correctement la tourelle ventrale. D’une main, il alluma l’intercom :
« Tev, est-ce que les moteurs tiennent le coup ?
– Ils tournent au poil, patron ! lui répondit l’officier mécanicien. Par contre, sauf vot’respect capitaine, si vous pouviez dire à nos amis d’arrêter de nous tirer dessus, ça serait gentil car je viens de perdre l’alimentation auxiliaire et la primaire est en train de me faire des fluctuations de puissance qui m’ont pas l’air sympathiques.
– Contente-toi de protéger l’hyperpropulseur ! » Et, sans attendre de réponse de Tev, il coupa la communication.
Comme pour confirmer les paroles du mécanicien, les lumières du cockpit vacillèrent un instant avant de revenir à la normale. Le commandant étouffa un juron tandis qu’il faisait faire une embardée au vaisseau pour éviter une navette pirate qui s’approchait dangereusement de leur écoutille principale.
Ils devaient s’échapper à tout prix et il n’y avait qu’une seule solution : un saut en aveugle dans l’hyperespace. Un coup d’œil aux instruments apprit au capitaine que son hyperpropulseur n’avait plus que vingt secondes de charge avant d’être opérationnel.
Il entama une prière silencieuse à la déesse vénérée par ses ancêtres tandis que les secondes s’égrenaient sur l’écran. Une éternité s’écoula durant laquelle le Mantellian Star évita par miracle la plupart des tirs des pirates et les empêcha de l’aborder. Enfin, la sonnerie indiquant la fin du compte à rebours retentit telle la plus douce des musiques aux oreilles du capitaine. Il actionna la commande et, instantanément, les étoiles s’allongèrent et formèrent le tunnel de lumière tant familier à ses yeux.
***
La baie de transparacier du cockpit du Mantellian Star ne montrait que d’innombrables étoiles. En plein espace interplanétaire, sans corps céleste à proximité, la multitude de minuscules points de lumière ne pouvait percer le semblant de nuit éternelle qui régnait autour du vaisseau. Perdu dans des pensées toutes plus pessimistes les unes que les autres, le capitaine du cargo joua machinalement avec un de ses lekkus.
« Enerho, commença le navigateur dévaronien avant de se reprendre. Capitaine…
– Oui ?
– J’ai vérifié mes cartes, le micro-saut ne nous a pas énormément fait dévier de notre route initiale mais il n’y a rien à des centaines d’années-lumière à la ronde. Pas même un champ d’astéroïdes. Rien. »
Le Twi’lek soupira.
« Nous sommes donc quelque part entre le secteur d’Orus et Colla IV. Si les pirates commencent à se mettre en embuscade hors des routes commerciales habituelles, c’est que la situation est vraiment plus grave qu’ils ne l’imaginent au siège de la compagnie. Un miracle que les boucliers aient tenu.
– Oui, capitaine. Je regrette aussi que la Marine Impériale n’ait pas plus de moyens pour organiser des convois.
– Allons, Grazik, tu sais bien que Tanaab et Chazwa sont beaucoup trop rapprochés pour qu’un convoi se justifie. Même la compagnie ne veut pas en entendre parler. Bon, les systèmes majeurs sont coupés ainsi que l’éclairage extérieur. Je n’ai gardé que les systèmes environnementaux, la radio subspatiale et les scanneurs passifs. Tu te contentes de surveiller les consoles pendant que je vais voir où en est Tev.
– À vos ordres, capitaine », répondit le Dévaronien alors que son supérieur s’éloignait.
La traversée de la section centrale était toujours une étape au mieux gênante, au pire agaçante, lors d’un déplacement entre la proue et la poupe du Mantellian Star. Au début de chaque grappe de six conteneurs se trouvait une écoutille à verrouillage automatique. La coque de la partie centrale étant clairement le point faible du vaisseau, elle était doublement protégée : d’une part par les conteneurs arrimés sur tout son pourtour et d’autre part par ces écoutilles qui formaient une suite de sas limitant les dégâts en cas de brèche.
Malheureusement, les concepteurs de cette classe de cargos ne testent que rarement la fonctionnalité de leurs créations. Le capitaine Enerho Vek devait donc patienter à chacune des sept écoutilles que l’ordinateur de bord contrôle la pression et la présence d’air respirable des deux côtés. Les lumières vacillantes n’aidaient en rien les nerfs du commandant, déjà mis à rude épreuve par l’attaque-surprise des pirates.
Alors qu’il patientait à la cinquième écoutille, un choc sourd contre la coque le fit sursauter. Jetant un œil par le hublot au-dessus de sa tête, il vit qu’au moins un des containers avait été percé par les tirs des pirates et que son contenu se répandait lentement autour du Mantellian Star. Le bruit était causé par un engin agricole qui venait de frapper le vaisseau et fait vibrer la coque par sa seule masse. Enerho s’en voulut de s’être laissé surprendre, ce genre de chose était à prévoir après une telle bataille. Encore heureux qu’ils ne transportaient pas d’aliments car la vue de quartiers de viande surgelée flottant dans l’espace n’était pas un spectacle des plus réjouissants.
Outre les habituels nuages de vapeur d’eau issus des échangeurs de chaleur, il fut accueilli dans la salle des machines par une bordée de jurons. Tev, le mécanicien humain, était penché sur le tableau électrique de l’alimentation principale. Il s’échinait à modifier une partie des câblages, ponctué par son langage habituel. Le capitaine savait que lorsque son officier mécanicien était concentré sur un problème, il fallait le laisser travailler. Il attendit donc.
Au bout de quelques minutes, Tev poussa une exclamation de triomphe, sortit de l’armoire et actionna un interrupteur. Instantanément la moitié de l’éclairage se coupa. Les lampes vacillaient toujours mais à une fréquence bien moindre qu’auparavant. Il se retourna, un sourire de satisfaction sur le visage et salua crânement son commandant.
« Capitaine, annonça-t-il fièrement, j’ai sauvé l’alimentation principale.
– Sauvé ? interrogea Enerho, incrédule.
– Et oui ! Nous avons perdu l’alimentation auxiliaire pendant la bataille et le circuit primaire a été dangereusement surchargé depuis ce temps. Ces salauds ont détruit plusieurs relais du système de refroidissement primaire. De bons tireurs pour sûr, capitaine, commenta-t-il. Bref, avec ces relais foutus, l’alimentation connaît des pics de tension. C’est ça qui a transformé notre éclairage en arbre du Jour de Vie. Heureusement les coupleurs de…
– Les faits Tev, juste les faits, demanda le Twi’lek, un brin d’exaspération dans la voix.
– Oui patron. Alors nous n’avons plus d’alimentation auxiliaire et j’ai dû couper la moitié des éclairages pour limiter les pics de tension de la primaire. La réparation tiendra jusqu’à Chazwa, voire au-delà si nécessaire. Les moteurs et l’hyperpropulseur fonctionnent du moment qu’on ne les pousse pas. Du coup, je pense qu’il nous faudra bien cinq jours pour rallier Chazwa.
– Bien joué, Tev. Malgré le délai, nous allons peut-être pouvoir livrer la cargaison finalement. En parlant de cargaison, nous avons au moins un container rompu, il faudrait voir si nous pouvons y faire quelque chose pour éviter de perdre tout ce qu’il renferme.
– Pour ce genre de boulot nous avons LUM-Wan, capitaine. Il est là-bas si vous voulez le briefer », indiqua l’humain en montrant du pouce un tas de débris dans une coursive non loin de là.
Au beau milieu de la ferraille issue des dégâts causés par les pirates et des réparations de Tev, trônait LU-M-1, leur droïde de chargement. Ou plutôt ce qu’il en restait. Un des bras avait été arraché et la moitié ce qui lui servait de tête était ouverte, les composants pendant au bout des fils électriques. Aucune lumière n’éclairait l’unique senseur optique qui restait intact.
« Et bien je suppose qu’il faudra que nous nous passions d’une partie de la cargaison », conclut Enerho.
La réponse de Tev fut noyée par un crissement de statique provenant de l’intercom.
« Capitaine, vous devriez venir voir ça.
– J’arrive, Grazik », soupira le Twi’lek. Il lança un coup d’œil interrogateur à l’humain.
« Je surveille les machines mais je suis certain que mes réparations tiendront le coup si nous ne nous retrouvons pas dans une autre bataille rangée, capitaine », annonça ce dernier.
Rassuré par les déclarations de son mécanicien, Enerho repartit vers le module de commande et la routine des écoutilles.
Quelques minutes plus tard, le navigateur fronça les sourcils et annonça à son supérieur :
« Capitaine, je crois… non, je suis certain, se reprit-il, qu’il y a un autre vaisseau pas loin.
– Les pirates auraient envoyé un éclaireur sur nos traces ?
– Je ne crois pas. Les scanneurs passifs n’indiquent aucune activité électronique, pas de moteur allumé, rien. Je pense que nous sommes tombés sur une épave, capitaine. »
Le Twi’lek réfléchit quelques instants. Le Mantellian Star avait reçu une sévère raclée et ils seraient bien contents de l’amener à leur destination prévue. Cependant, une épave représentait un bonus substantiel. À plus forte raison si sa cargaison n’avait pas été pillée. Néanmoins cela pouvait aussi être un piège tendu aux vaisseaux de passage…
« Nous allons voir. Grazik, amène-nous près de ce vaisseau. J’irai en scaphandre avec Tev. En cas de problème, tu désarrimes le vaisseau et tu files vers Chazwa le plus vite possible. Ne t’arrête pas pour nous.
– À… À vos ordres, capitaine », répondit laconiquement le Dévaronien.
***
Il n’y avait pas besoin d’être un grand esprit pour se rendre que le vaisseau auquel le Mantellian Star était en cours d’amarrage était à la dérive depuis bien longtemps. Les micropoussières ayant rongé la peinture rendaient indistinct le nom du vaisseau. La verrière de la baie d’observation bâbord était brisée. Aucune lumière n’était visible dans le cockpit et les appels radio lancés par Grazik ainsi que les coups répétés de Tev sur la coque de l’épave ne reçurent aucune réponse.
Alors qu’ils attendaient dans le sas que la pression s’égalise avec celle de l’épave, Tev expliqua à Enerho qu’il ne connaissait pas ce type de vaisseau.
« Les lignes me semblent vaguement familières, il vient sans doute d’un chantier corellien mais à part ça…
– Si l’ordinateur de bord fonctionne toujours nous devrions en savoir plus, répondit le Twi’lek.
– Capitaine, annonça la voix de Grazik dans leurs radios, les instruments confirment que les systèmes environnementaux de l’épave sont hors-service. N’enlevez pas vos scaphandres avant de revenir ici.
– Merci, Grazik, répondit le capitaine. »
Dans le sas, un voyant passa au vert, signe qu’ils pouvaient entrer à bord du mystérieux vaisseau. Enerho actionna la commande d’ouverture de la porte tandis que Tev serrait nerveusement les poings.
Sans air à bord de l’épave, il y régnait un silence oppressant. Le seul son qui parvenait aux oreilles d’Enerho et de Tev était celui de leur respiration. Ajouté à l’absence de lumière autre que celles de leurs scaphandres, on aurait aisément pu se croire revenu au commencement de l’univers, quand tout n’était que ténèbres insondables. Ces ténèbres, à peine percées par leurs lampes torches, rendaient la scène surréaliste, comme si quelque horreur surgie du néant attendait patiemment sa proie.
Curieusement, l’intérieur du vaisseau était propre : aucune poussière, pas de trace de corrosion ou de quelconques dégâts. Ils ne trouvèrent non plus aucune trace de l’équipage. Les quartiers d’habitation étaient impeccablement rangés, comme si ils étaient prêts à subir une inspection militaire ; la cambuse attendait encore qu’un cuisinier vienne y préparer des repas. Partout dans le vaisseau régnait un ordre impeccable.
« Qu’est-ce que c’est que cette mascarade, capitaine ? demanda un Tev visiblement inquiet.
– Peut-être que l’équipage est parti en pensant venir récupérer le vaisseau, peut-être qu’ils venaient de terminer des réparations quand ils ont dû partir précipitamment, tenta d’expliquer Enerho. Allons voir la salle des machines : si le réacteur peut-être redémarré, ça nous donnerait de la lumière et nous permettrait de consulter leurs journaux de bord. »
Malheureusement, ils découvrirent vite que, si le réacteur était en parfait état de marche, il n’avait plus de carburant et les batteries de secours étaient à plat. Tev étouffa un juron quand il se rendit compte qu’aucun numéro de série, aucune marque n’était visible sur les pièces dans la salle des machines. Rien ne permettait d’identifier la provenance de ce vaisseau.
Il ne restait plus que le poste de pilotage à visiter. L’inquiétude de Tev devenait visible et le capitaine luttait lui aussi pour garder un semblant de calme. Il se devait de montrer l’exemple et surtout, de garder l’œil ouvert au cas – improbable – où tout cela ne serait qu’un piège cruel. Il avait entendu nombre d’histoires de pirates rendus fous par l’immensité de l’espace. Folie qui les avait poussés à commettre des actes innommables. Il frissonna intérieurement : même l’appât du gain ne pouvait justifier toutes les tortures et la cruauté qu’on lui avait rapportées.
Enerho fut certain que ses craintes étaient fondées quand ils arrivèrent au poste de pilotage car une mise en scène macabre les attendait : un squelette humain était étendu à l’entrée, bras croisés sur la poitrine. Il sentit son cœur vaciller pendant une seconde avant de repartir quand rien ne se passa.
Cette fois, Tev lâcha à haute voix une bonne partie de son répertoire de jurons.
« Tais-toi, Tev, lui intima le Twi’lek.
– Oui capitaine, grommela l’humain. N’empêche que c’est pas normal de voir ça. On est pas sur un vaisseau normal que j’vous dis.
– Va voir si la mémoire de l’ordinateur de bord peut-être récupérée.
– D’accord. »
Tandis que Tev s’attelait à la tâche, Enerho se pencha sur la dépouille. Aucun objet ou signe distinctif n’était visible. Le sol n’était pas décoloré par une tache de sang. Aucune trace de tirs de blasters, pas de dégâts visibles sur les os, rien. Le malheureux reposait ici dans la solitude et l’anonymat le plus complet. Ne pouvant rien faire d’autre, le Twi’lek se releva et alla aider Tev.
« Y a plus rien, capitaine ! s’exclama ce dernier.
– Comment cela ?
– Les bandes mémoire ont disparu, voilà c’qu’il y a ! répondit-il d’un air agacé. Je veux bien être emporté par les Sith si nous ne sommes pas sur un fichu vaisseau fantôme !
– Allons-nous-en. Ne touche plus à rien en chemin. Grazik, appela-t-il à la radio, prépare le Mantellian Star, nous arrivons.
– Bien reçu. Nous pourrons partir dès que vous aurez fermé le sas de notre côté. » répondit le Dévaronien, apparemment soulagé de ne pas avoir à transférer une hypothétique cargaison sur leur vaisseau.
Aucun incident ne se produisit durant le chemin du retour. Tout l’équipage du Mantellian Star fut soulagé lorsqu’ils se détachèrent du vaisseau abandonné et plongèrent dans l’hyperespace, entamant les cinq jours de voyage devant les mener à leur destination : Chazwa.
***
« Journal de bord du Mantellian Star, entrée 26-50. Cela fait maintenant une journée que nous avons replongé en hyperespace vers notre destination. L’embuscade tendue par les pirates et la découverte de cette épave ne sont plus que de mauvais souvenirs. Les réparations de Tev tiennent le coup. Cet humain a vraiment un don pour la mécanique. Je note qu’il faudra le mentionner dans mon rapport à la compagnie lorsque nous serons arrivés. Il mérite une prime. Le seul incident à déplorer est que Tev a rapporté à deux reprises avoir entendu du bruit dans la section moteur alors que Grazik et moi nous trouvions à la proue. C’est absurde car les senseurs indiquent clairement qu’il n’y a que nous trois à bord. Je pense que la vue des restes de ce pauvre bougre l’a traumatisé. Ajouté à la tension consécutive à l’embuscade… Capitaine Enerho Vek du Mantellian Star, fin du rapport. »
Assis dans le siège du pilote, Enerho porta son regard sur le tunnel de lumière dans lequel flottait le cargo. Il avait toujours été fasciné par cet aspect des voyages hyperspatiaux : les déformations causées par le passage des vaisseaux dans cette mystérieuse dimension prenaient la forme de magnifiques arabesques que même les tailleurs de pierre de Ryloth ne pouvaient qu’esquisser grossièrement. Le Twi’lek s’arracha à sa rêverie pour jeter un œil aux instruments : on n’était jamais trop prudent.
Il était de quart, aussi avait-il le cockpit pour lui tout seul. Grazik ronflait dans sa couchette et Tev devait faire de même à la poupe. Ce dernier prenait son travail au sérieux et ne quittait ses moteurs qu’une fois en permission. Les instruments indiquaient – malgré les épreuves traversées – que tout était normal à bord. Le vaisseau atteindrait sa destination dans moins de quatre jours, qu’est-ce qui pourrait bien aller de travers ?
Pour s’occuper, Enerho ouvrit son databloc et s’attela à passer en revue les destinations les plus probables du prochain voyage du Mantellian Star. Elles ne manquaient pas car Chazwa était situé dans un secteur fréquenté. De plus, avoir des ébauches de routes à suivre lui ferait gagner du temps lorsqu’il devrait préparer le vaisseau pendant les réparations et le chargement de la future cargaison.
Ses calculs furent interrompus par des bruits de course. Enerho leva la tête et remarqua que les écoutilles de la section centrale avaient été ouvertes et que quelqu’un arrivait de la salle des machines. Il prit à peine le temps de poser le databloc et partit en petites foulées vers le carré, point de passage obligé pour toute personne arrivant depuis la poupe. Il y trouva un Tev essoufflé et visiblement apeuré.
« Il y a quelque chose, capitaine ! lâcha l’humain entre deux tentatives pour reprendre son souffle.
– Qu’est-ce qu’il y a Tev ? Que fais-tu ici ?
– Je venais de terminer mon quart et je voulais quelque chose à grignoter, alors je me suis dirigé vers la section centrale.
– Et ?
– Et alors, pendant que j’attendais dans le premier sas sur mon chemin j’ai cru voir une ombre dans la salle des machines.
– Une ombre ? interrogea Enerho d’un ton dubitatif.
– Oui, j’ai cru que je rêvais au début puis, quand je suis arrivé au milieu de la section centrale, je l’ai revue dans le sas juste derrière moi.
– C’est impossible, une seule personne a emprunté la coursive.
– Je suis sûr de ce que j’ai vu, capitaine !
– D’accord, d’accord. Nous allons bien voir. Réveille Grazik, je vais chercher des armes. »
Sans écouter la réponse de son subordonné, Enerho partit vers sa cabine. À l’intérieur, il appuya sur un interrupteur mural près de sa couchette qui révéla un coffre. Il entra le code et saisit trois blasters à l’intérieur. Avant de partir à la rencontre de son équipage, il s’assura qu’ils étaient bien réglés sur « paralysant » et que la puissance disponible ne risquait pas d’endommager un composant critique du vaisseau.
Il retrouva Tev et Grazik postés de part et d’autre de l’écoutille menant à la poupe. L’humain avait certainement raconté son histoire à nouveau car Grazik n’avait pas l’air dans son assiette. Tout en distribuant les armes, Enerho expliqua son plan :
« Grazik, tu restes ici et tu t’assures que nous sommes les seuls à emprunter cette écoutille. Tev, tu couvres mes arrières, nous allons voir.
– Mais… ce n’est pas imprudent ? demanda le mécanicien, visiblement peu désireux d’affronter ses peurs.
– Si tu as bien vu quelqu’un, c’est certainement un pirate ou le type qui a laissé ce squelette à bord de l’épave. Alors, je pense que nos blasters arriveront à le toucher avant qu’il ne se décide à purger l’atmosphère ou à nous sortir de l’hyperespace. Maintenant, suis-moi et ouvre l’œil. »
***
Ils ne trouvèrent rien d’anormal dans la section centrale. Alors qu’ils attendaient dans le dernier sas, Tev crut apercevoir quelque chose de l’autre côté de l’écoutille mais ce n’était qu’une ombre causée par l’éclairage vacillant et la condensation causée par les échangeurs thermiques. L’hypothèse d’Enerho selon laquelle son mécanicien était surmené et en proie à des hallucinations prenait corps petit à petit.
Le plan du capitaine était simple : Grazik avait verrouillé à distance toutes les portes coupe-feu de la salle des machines. Ils allaient explorer chaque section une par une en refermant les portes derrière eux au fur et à mesure. Comme il n’y avait qu’un chemin pour joindre deux points de cette partie du vaisseau, ils auraient l’assurance que personne ne se trouvait dans les sections déjà visitées.
Quelques minutes plus tard, alors qu’ils s’avançaient à pas feutrés dans une des coursives menant aux trappes de visites du moteur subluminique tribord, dernière étape de leur recherche, ils entendirent distinctement un craquement de métal devant eux. Enerho jeta un coup d’œil à son subordonné pour s’assurer qu’il tenait le coup. Il ne fut qu’à moitié rassuré en notant les mains tremblantes de l’humain mais il n’avait guère le choix. Il fit signe à Tev et ils s’avancèrent en direction du bruit tout en redoublant de précautions. L’endroit d’où leur était parvenu le bruit était situé derrière, de l’autre côté d’une porte coupe-feu ouverte. La section où ils se trouvaient était presque dans le noir complet. Le Twi’lek n’aimait pas ça, car le mystérieux intrus aurait beau jeu de se cacher pour mieux les surprendre, mais cela fonctionnerait dans les deux sens puisqu’il aurait autant de mal à repérer l’équipage du Mantellian Star.
Enerho prit une longue inspiration, assura son arme dans sa main et bondit à travers l’ouverture de la porte coupe-feu. Il pointa son arme dans toutes les directions où pouvait se cacher l’intrus sans rien apercevoir. Un faisceau lumineux apporté par Tev vint éclairer la scène et révéla l’absence d’intrus. La lumière révéla aussi l’origine du bruit qui les avait fait sursauter : c’était la dernière lampe du plafond qui avait éclaté, sans doute suite aux trop nombreuses surtensions qui ravageaient cette partie du vaisseau depuis deux jours.
Gêné d’avoir pris un banal bris de verre pour un intrus dans son vaisseau, Enerho n’en fut pas moins soulagé d’avoir confirmation que Tev avait rêvé. Ce dernier n’avait pourtant pas l’air rassuré.
« Je suis sûr de ce que j’ai vu capitaine, je vous dis, expliqua-t-il.
– Calme-toi, Tev. Tu es surmené, va prendre un peu de repos. Nous pouvons surveiller les moteurs depuis le cockpit et nous t’appellerons s’il y a le moindre souci. Ne t’en fais pas.
– Attendez, je sais ce que c’est je vous dis ! Tout à l’heure Grazik m’a dit que nous avons rencontré l’épave sur la piste Daragon.
– Pardon ?
– Vous savez, quand nous avons sauté en aveugle pour échapper aux pirates et que nous avons trouvé cette épave. Et bien d’après ses calculs, c’était en plein sur cette piste.
– Qu’est ce que ça change ? Nous aurions pu aussi bien être sur la voie Hydienne, répondit Enerho.
– Vous ne connaissez pas les légendes, capitaine ? C’est la route qui mène du Noyau à l’ancien Empire Sith ! Là où ils faisaient toutes leurs expériences, où ils torturaient leurs prisonniers, où ils défiaient les lois de la Nature pour créer leurs abominations. On dit même qu’ils pouvaient défier la mort elle-même et apparaître des siècles après sous forme de spectres.
– Tu te fais des idées, Tev : les Sith ont disparu depuis au moins un millénaire. Et maintenant, même les Jedi sont morts. Il ne reste plus que ce Vador…
– Et vous pensez que c’est une coïncidence si nous sommes tombés sur cette épave et ce type ? Nous avons dérangé sa dernière demeure et maintenant, il veut se venger de nous !
– Arrête tout de suite de divaguer ! intima le Twi’lek. Il était aussi mort qu’on peut l’être. D’accord, le vaisseau était vide de tout signe distinctif et ce n’était pas normal, je suis pourtant sûr que c’était juste une mise en scène pour décourager les curieux de trop fouiller dans le coin.
– Et moi je vous dis que…
– Tais-toi, c’est un ordre ! Maintenant, va prendre une nuit de repos et on en reparle plus tard, d’accord ?
– À vos ordres », grommela-t-il.
Alors qu’il partait, Enerho bloqua son passage et récupéra le blaster. Vu l’état de l’humain, il valait mieux éviter les risques.
Alors que le Twi’lek regagnait ses quartiers et rangeait les armes dans son coffre, il eut le pressentiment d’un désastre imminent et ne put retenir un frisson. Il se reprit très vite et mit cela sur le compte de l’état de Tev. Il n’avait jamais vu l’humain dans un tel état de nerfs et se demandait s’il ne devrait pas lui intimer de prendre plus de repos. Au moins jusqu’à leur arrivée. Il se dit que c’est ce qu’il ferait au réveil de Tev. En attendant, son quart était terminé et lui aussi avait besoin de se reposer.
***
Lorsqu’Enerho se réveilla, il fut surpris de constater qu’il avait dormi largement plus longtemps que prévu. Pourquoi Grazik ne l’avait-il pas averti qu’il lui fallait prendre le quart ? Sans doute que le Dévaronien s’était endormi à son poste. Cela ne lui ressemblait pas bien que les circonstances soient exceptionnelles.
Le Twi’lek sortit de sa cabine et partit à la recherche du navigateur. Il le trouva profondément endormi devant un plat qui avait dû être chaud il y a plusieurs heures de cela. Le capitaine secoua Grazik et arbora un large sourire quand ce dernier revint à lui.
« Désolé, capitaine, balbutia-t-il, je me suis endormi. Je ne comprends pas… Je ne me sentais pas fatigué mais…
– Ne t’en fais pas. Nous avions bien besoin de repos apparemment. Bon, Tev s’est calmé ?
– Je n’en ai aucune idée, la dernière fois que je l’ai vu vous l’aviez envoyé dans sa cabine pour se calmer.
– Allons voir, alors. »
Ils trouvèrent la porte de sa cabine fermée. Tev ne répondait pas non plus aux coups contre la cloison. Fronçant les sourcils, Enerho décida d’ouvrir la porte. La cabine était vide.
« Il a dû reprendre son quart en salle des machines, décréta le capitaine. Allons voir. »
Une surprise les attendait : à la jonction entre la proue et la section centrale, l’écoutille refusa de s’ouvrir. Les commandes étaient bloquées. Le capitaine utilisa le panneau de contrôle pour entrer son code d’autorisation personnel qui lui permettait de passer outre à toute interdiction à bord du vaisseau mais l’écoutille resta obstinément fermée. Intrigué, Enerho utilisa l’intercom pour contacter la salle des machines. Au départ, il n’eut qu’un crissement de statique en guise de réponse. Puis, alors qu’il se décourageait et songeait à forcer les écoutilles de la section centrale, la voix de Tev lui répondit. À son habituel ton enjoué avait succédé une voix monocorde aux reflets angoissés.
« Capitaine, c’est bien vous ?
– Qui veux-tu que ce soit, Tev ? Pourquoi as-tu verrouillé la section centrale ?
– Je devais me protéger capitaine, vous comprenez.
– Non, j’ai peur de ne pas comprendre.
– J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit tout à l’heure. Je suis maintenant persuadé qu’il n’y a que nous trois à bord.
– Ah, tu es revenu à la raison. Très bien, très bien. Ouvre les sas maintenant.
– Mais je reste certain de ce que j’ai vu. Et il n’y a qu’une seule explication.
– Tu pourras toujours la raconter pendant que nous arrivons. Allez, ouvre les portes. »
Enerho tourna la tête et vit Grazik se taper la tempe avec l’index, comme font les humains pour signifier que quelqu’un perdait la raison. La voix de Tev lui parvenait maintenant saccadée, comme si ce dernier inspirait fréquemment pour tenter de se calmer.
« Ils disent que quand un Sith mourait, il pouvait revenir hanter les vivants. On ne pouvait le voir que si il le désirait et il n’avait aucune consistance matérielle. On dit aussi qu’ils pouvaient posséder n’importe qui et en faire leur créature.
– Tev, arrête de divaguer et ouvre-nous ! ordonna Enerho.
– La seule explication c’est qu’une fois qu’Il a su que nous étions au courant de sa présence à bord, Il a possédé l’un d’entre nous. Et maintenant Il va tuer tous les autres ou nous torturer à mort. Nous ne reverrons jamais la civilisation. Tev étouffa un sanglot, se remémorant des instants de bonheur qu’il ne reverrait jamais. Je sais que ce n’est pas moi qu’Il a possédé et je veux bien croire que vous êtes toujours normal, capitaine. C’est Grazik qu’Il a choisi. Avec ses cornes de démon et sa peau rouge, je sais que c’est lui. Capitaine, implora-t-il, vous devez l’arrêter. Sinon nous allons tous y rester ! »
La communication fut brutalement coupée et les appels désespérés à la raison lancés par Enerho restèrent muets.
« Que fait-on, capitaine ? interrogea Grazik, visiblement ébranlé par l’accès de démence de Tev.
– Il faut que je trouve un moyen pour pénétrer dans la salle des machines et le maîtriser. On ne peut pas le laisser là. Il peut nous couper l’hyperpropulseur, peut-être même l’oxygène si l’envie lui en prend. »
Comme si Tev avait entendu leur conversation, ils sentirent le Mantellian Star trembler légèrement. Un coup d’œil par le hublot leur appris qu’ils venaient effectivement de réintégrer l’espace normal.
Cette fois-ci, le capitaine jura copieusement. Il s’adossa à la paroi de métal pour réfléchir à une ébauche de plan.
« Si on passait par l’extérieur, proposa Grazik, on rentre par un des sas de secours à la poupe et le tour et joué ?
– Non, il aura beau jeu de verrouiller l’accès aux sas de son côté voire d’empêcher leur pressurisation. La seule solution c’est de passer par l’accès principal.
– On ne pourra jamais forcer toutes les écoutilles à temps : de là où il est, il pourrait purger l’atmosphère de la section où nous sommes.
– Je sais, répondit sèchement le Twi’lek. Va dans le cockpit, utilise les caméras de surveillance pour savoir ce qu’il nous prépare. Je vais trouver un moyen. »
Hélas, lorsque Grazik se pencha sur les moniteurs dans le cockpit, il eut tout juste le temps d’apercevoir Tev frapper en direction de l’objectif avec sa clé hydraulique. L’image fut remplacée par un nuage de statique. Il en était de même pour les autres caméras de la salle des machines. Pointant son regard vers les moniteurs indiquant l’état général du cargo, son cœur se glaça lorsqu’il vit que les moteurs étaient stoppés. Malgré toutes les connaissances glanées en dix années en tant que navigateur et copilote sur des cargos spatiaux, il ne put arriver à les rallumer. Aucun système habité ne se trouvait à portée de leur radio subspatiale et même si ils envoyaient la balise de détresse, les éventuels secours arriveraient bien après qu’ils se soient trouvés à court de provisions. Ou d’air…
Il était sur le point de se laisser aller au désespoir quand Enerho entra dans le cockpit, l’air déterminé, un blaster à la ceinture et un autre à la main.
« Que se passe-t-il, capitaine ? »
***
À l’entrée de la section centrale, Enerho contacta Tev.
« Tev ! Tev ! Où es-tu ?
– Capitaine ? Ça y est ? Vous l’avez neutralisé ?
– Oui, j’ai paralysé Grazik et je l’ai attaché dans le carré. Viens me voir, nous allons décider ce qu’il faut faire.
– Je vous avais dit de le tuer ! Tant qu’il est en vie, il représente un danger pour nous.
– On ne peut pas tenir conversation comme ça par intercom, raisonna le Twi’lek, il peut certainement m’entendre d’ici.
– Oui, vous avez raison. J’ouvre les sas un par un et je vous retrouve à la sous-section 4. »
Tev coupa la communication sans attendre la réponse du capitaine. Ce dernier hésita devant le sas. Il caressa la crosse du blaster à sa ceinture pour se rassurer.
Alors qu’il n’y croyait plus, le sas s’ouvrit. La voix de Tev retentit dans les haut-parleurs du vaisseau pour l’inviter à s’enfoncer plus avant dans le corridor. Enerho prit une longue inspiration et traversa le seuil. Le bruit de l’écoutille qui se refermait sur son passage lui fit le même effet que les sirènes alertant les habitants de Ryloth qu’une tempête de chaleur approchait et qu’il fallait regagner leur cité souterraine.
La progression à travers les différentes sous-sections était interminable. La voix de Tev qui l’invitait à avancer ne l’aidait pas à garder son calme et il devait régulièrement serrer les poings pour empêcher ses mains de trembler. Un seul tir de blaster paralysant et tout serait fini, s’encourageait-il.
Enfin, il arriva à la jonction entre les sous-sections 3 et 4. Il ne voyait rien à travers le hublot de l’écoutille mais il s’avait que Tev était là. Derrière lui, il entendit l’écoutille menant à la seconde sous-section se refermer avec le bruit caractéristique du verrouillage. Il ne pourrait donc fuir si les choses tournaient mal.
« Je suis là capitaine, j’ouvre l’écoutille. » annonça la voix du mécanicien dément.
La porte s’ouvrit effectivement et laissa le passage à Tev. L’humain avait bien changé depuis la dernière fois qu’Enerho l’avait vu : mal rasé, transpirant abondamment, les mains tremblantes, les yeux exorbités et cet air de bête traquée… Il avait une clé hydraulique à la main et une vibrolame à la ceinture.
Il s’agit de jouer serré, songea le Twi’lek.
« Je suis là, Tev, annonça-t-il sur le ton le plus rassurant qu’il pouvait prendre. Regarde, je n’ai pas d’armes à la main, alors tu vas poser cette clé hydraulique et ce couteau et nous allons tranquillement discuter comme deux personnes sensées, d’accord ? »
Tev hésita un instant, méfiant. Il plissa les yeux comme pour mieux distinguer la forme du capitaine dans la pénombre. Rassuré par son examen, il commença à se baisser pour déposer ses armes au sol. Mais son regard fut retenu : quelque chose avait bougé derrière le Twi’lek, rien de plus qu’une forme ratatinée mais cela suffit à déchaîner la rage du mécanicien. Tev se redressa instantanément et hurla :
« Menteur ! Vous m’avez menti ! Il vous a suivi ! Vous… Vous êtes de mèche avec lui ! Traître !
– Non, Tev, attends ! »
Derrière lui, Grazik se redressait le plus vite possible et pointait son blaster en direction de Tev. Le plan d’Enerho était de partir à la rencontre de Tev en demandant à Grazik de le suivre à quatre pattes, caché dans la pénombre qui régnait dans la coursive. Le capitaine devait raisonner Tev au maximum pour que le Dévaronien ait le temps de paralyser Tev avec son blaster.
Tev fut le plus rapide : il bondit en face du Twi’lek et lui assena un violent coup au visage avec la clé hydraulique. Enerho s’effondra au sol, le visage en sang. Derrière, Grazik n’avait pas pu tirer par peur de toucher son commandant. Ayant enfin une vue directe sur son adversaire, il pointa son arme. Tev lui lança la clé hydraulique et se jeta sur lui, poignard en main.
Sonné par le coup mais pas KO, Enerho se remit sur ses pieds et vit Grazik lutter désespérément au corps à corps contre Tev. Ce dernier le lardait de coups avec la vibrolame. Ne pensant plus à se défendre, Grazik essayait de poser ses mains sur le cou de Tev mais il résistait férocement, comme si sa démence lui permettait de puiser dans des réserves d’énergie insoupçonnées.
D’instinct, Enerho se jeta dans la mêlée. Il réussit à séparer les deux protagonistes et se retrouva aux prises avec Tev. Un coup de genou à l’entrejambe de l’humain lui fit lâcher sa prise sur la vibrolame mais ce dernier se ressaisit. Il se retrouva pris dans une joute mortelle, ses mains agrippant les avant-bras de Tev et tentant de lui faire baisser sa garde. Arc-bouté sur ses jambes, il tentait d’utiliser son propre poids pour faire ployer l’humain. Malgré les efforts du Twi’lek, il tenait bon.
Aucun son ne sortait de la gorge de Tev mais son regard en disait long sur sa détermination. Pendant une éternité, aucun des deux adversaires n’eut le dessus. Malgré l’héritage de guerrier qu’il devait à ses ancêtres, Enerho n’arrivait pas à percer les défenses d’un humain qui n’avait que des bagarres de cantina pour toute expérience martiale.
Un instant d’inattention et ce fut le Twi’lek qui se retrouva en difficulté. Poussant son avantage, Tev lui assena un coup de poing à l’estomac puis agrippa un de ses lekkus et mordit sauvagement dedans. Terrassé par la douleur, Enerho s’effondra à terre. Emporté par la vague de douleur, il comprit qu’il avait échoué à protéger son équipage. Ils mourraient ici, au milieu du néant, oubliés de tous et personne ne retrouverait leur dernière demeure. Ils n’auraient pas droit aux rites funéraires et leurs âmes erreraient dans ce monde pour l’éternité.
« Non ! » hurla son esprit. Au-delà de l’héritage martial de son peuple, il reprit conscience d’une chose qu’une vie paisible avait tendance à vous faire oublier : l’instinct de survie, le désir de vivre à tout prix, l’envie de vaincre, de se battre, de mordre, de déchirer les chairs de son adversaire.
Le hurlement de douleur d’Enerho se transforma en un hurlement de rage. Puisant dans des réserves d’énergie jusque-là insoupçonnées, il projeta Tev contre la paroi de la coursive. L’humain fit un bruit sourd en heurtant le métal mais il était à peine sonné et repartit à la charge. C’était plus de temps qu’il n’en fallait : Enerho put enfin dégainer son blaster et tira.
La détonation fut comme une libération. En face, Tev avait l’air surpris. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, pourquoi il ne pouvait plus tenir debout, pourquoi de la fumée s’élevait de sa poitrine. Agonisant, il jeta un regard implorant à son capitaine et trouva la force d’actionner la commande de fermeture de l’écoutille menant à la sous-section suivante avant de rendre son dernier soupir. Non loin de là, le corps de Grazik baignait dans son sang. Aucun espoir pour lui.
Enerho ne réalisa que trop tard ce que signifiait le dernier geste conscient de Tev. Quand il reprit ses esprits, le sas était verrouillé. Sans les nouveaux codes programmés par Tev, sans outils, sans accès à l’ordinateur de bord, sans combinaison spatiale, il était prisonnier.
Il se laissa tomber à genoux. Peu à peu, la douleur prenait le dessus sur le flot d’adrénaline qui l’avait porté durant le combat. Il sentait le sang couler de son visage et de son lekku. Il ignora pourtant tous ces signaux et porta son regard sur son blaster. Il l’avait réglé sur « mortel » alors que celui qu’il avait confié à Grazik était réglé sur « paralysant ». Avait-il su tout du long que cette situation n’aurait qu’une seule issue ? Cette question n’avait plus d’importance maintenant. Et il leva son regard vers le hublot et la myriade d’étoiles qu’il dévoilait.
***
Le commandant du destroyer impérial observait le cargo que les rayons tracteurs de son vaisseau avaient ramené dans le hangar. Il frissonna en songeant aux trois cadavres que ses hommes avaient trouvés à bord, à la lutte qui avait conduit à la mort de deux d’entre eux et à l’horrible destin du troisième. Avant de rendre l’âme à son tour, il avait pu consigner les évènements qui avaient conduit à cette tragédie sur le databloc qu’il portait sur lui. À ses côtés, l’enseigne qui avait conduit les recherches à bord du cargo attendait pour faire son rapport. S’arrachant à sa contemplation, il se retourna vers son subordonné.
« Commandant, nos techniciens ont déterminé que l’accès de folie du mécanicien avait été causé par une fuite de liquide de refroidissement dans la salle des machines.
– Comment ont-ils pu ne pas la détecter ? S’étonna-t-il.
– C’est une fuite microscopique, quasiment indétectable. Et comme ce type de cargo embarque une grande quantité de ce liquide, ils ne pouvaient pas remarquer qu’ils en perdaient. Ils ont aussi établi que le liquide utilisé n’était pas conforme à la réglementation. C’est un fluide de refroidissement illégal, certainement installé par la compagnie qui affrétait le cargo pour diminuer ses coûts.
– Et je suppose que ce liquide n’est pas sans danger pour la santé ?
– Exact, commandant. À forte dose, on ressent maux de têtes, hallucinations, paranoïa, nausées avant de perdre conscience et de mourir par empoisonnement mais à faible dose, le liquide agit comme un puissant hallucinogène. Certains trafiquants de drogue le proposent avec leurs bâtons de la mort. Conjugué à la tension qui régnait à bord du vaisseau, le mécanicien a effectivement perdu la raison. Il était le plus atteint des trois car il passait la plupart de son temps dans la salle des machines et les sas de la section centrale empêchaient les vapeurs d’arriver jusqu’à la proue.
– Et l’épave qu’ils ont signalée dans leurs journaux de bord ?
– Les éclaireurs que nous avons envoyés à sa recherche n’ont rien trouvé. Nous avons pourtant pu déterminer avec une excellente précision l’endroit où elle aurait dû se trouver grâce aux enregistrements de bord du vaisseau. Il est probable que le gaz leur ait causé des hallucinations collectives : rien n’est apparu sur leurs senseurs entre l’embuscade des pirates et notre arrivée.
– Très bien, enseigne. Je vous laisse à votre rapport. »
Alors que le jeune officier le quittait, il contacta son second par comlink pour lui ordonner de mettre le cap sur Chazwa où ils livreraient le cargo au chantier le plus proche et déposeraient les restes de son équipage.
Le commandant retourna à son observation du Mantellian Star et se prit à regretter que l’Empire ne puisse protéger ses citoyens. La lutte contre la Rébellion prenait malheureusement le pas en ces temps troublés, c’est pourquoi l’épave du cargo avait dérivé pendant une année avant d’être retrouvée par son destroyer.