Ce chapitre est un peu plus long. A partir de là, j'ai eu du mal à organiser chacun de façon équilibrée (et j'avoue, j'ai renoncé...).
CHAPITRE 8
Elle arriva en ville peu avant la tombée de la nuit. Tirso l'attendait, assis devant l'auberge. Dès qu'elle fut descendue du speeder, il se jeta contre elle, enserrant sa taille de ses bras. Rey eut un petit rire et caressa ses cheveux.
« Tu étais si impatient de me retrouver ? » demanda-t-elle en souriant.
Tirso acquiesça d'un mouvement de tête. Puis il finit par répondre plus clairement :
« Je n'aime pas cette planète, je n'aime pas le sable qu'il y a partout et tout ce que je ressens ici. J'ai l'impression d'un poids, comme une sensation de tout sentir plus fort. Même les objets quand je les touche, c'est comme s'ils voulaient entrer à l'intérieur de mes mains.
- C'est la Force que tu ressens. Même si elle est partout dans l'univers, elle est plus palpable dans certains lieux, comme ici. Mais il ne faut pas que tu aies peur d'elle. Laisse-la entrer en toi. Cette sensation de fusion avec le monde qui t'entoure, tu dois en saisir toute la profondeur et toute la beauté.
- Mais c’est difficile quand tu n’es pas là. Je me sens déjà mieux maintenant que tu es rentrée. »
Rey prit sa main et le suivit dans le bâtiment. Tirso semblait déjà tellement attachée à elle. Cela lui paraissait étrangement naturel et même grisant mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir des craintes diffuses. C’était peut-être trop intense, trop évident justement. Elle avait lu dans les livres Jedi beaucoup d’éléments sur le danger de l’attachement et même si son instinct la poussait à remettre en cause le côté radical de ce rapport à la Force, elle ne pouvait s’empêcher de comprendre le sens de ce précepte en voyant le lien viscéral qui s’était créé en si peu de temps entre elle et cet enfant. Plus que jamais, elle sentait au plus profond de sa chair, de façon instinctive, ce que signifiait le mot « famille ».
En même temps, l’amour exclusif et essentiel entre enfant et parent ne durait pas éternellement, paraissait-il. Rey avait envie d’avoir confiance. Leurs sentiments s’apaiseraient sûrement avec le temps et cesseraient de faire battre ainsi leurs cœurs, devenant simplement une rassurante certitude.
Elle rejoignit ses compagnons pour leur faire le récit de sa journée. Eux non plus n’avaient pas chômé. Ils s’étaient déjà procuré tout le matériel nécessaire pour ériger un campement. Rey les regarda en souriant :
« Vous saviez déjà ce que j’allais dire, n’est-ce pas ?
- Disons que nous avons tendance à te connaître maintenant, toi et ton goût pour les endroits éloignés de la civilisation, répondit Poe, alors nous avons gagné du temps. »
Rey contempla tour à tour Chewie qui observait ailleurs d’un air faussement absent, Poe qui la regardait avec un sourire espiègle et Finn qui buvait distraitement le contenu de son verre. Elle sentit battre son cœur plus vite. Elle avait tellement de chance de les avoir chacun dans sa vie.
« Merci », dit-elle simplement.
Puis elle leur expliqua plus en détail la configuration des lieux et spécula sur les meilleurs moyens d’y accéder et de s’y installer. La soirée passa dans un sentiment de joie douce et simple et c’était exactement ce dont elle avait besoin.
Une fois dans sa chambre et alors que Tirso s’était endormi, elle ouvrit une malle qui était posée dans un coin et en sortit des livres et divers éléments, entourés soigneusement dans des morceaux de tissu. Elle trouva la page qui l’intéressait dans un des livres et vérifia son inventaire. Satisfaite, elle constata qu’il ne lui manquait bien que le cristal. Elle appréhendait le moment où il lui faudrait retourner au lac pour en puiser l’eau mais également ce qui l’attendait lors de la phase d’assemblage. Arriverait-elle à fabriquer un sabre réellement fonctionnel ? Elle sentait qu’elle en avait besoin, maintenant, de ce prolongement d’elle même et de sa force dans un objet qui serait uniquement à elle. Mais il ne fallait pas se précipiter pour autant, songeait-elle en replaçant les éléments après les avoir soigneusement enveloppé dans les différentes étoffes. L’impatience était rarement une bonne conseillère.
Et pourtant, à ce moment précis, l’enthousiasme l’emportait sur la crainte. Ces lieux seraient idéaux pour commencer à former Finn et Tirso. Cet écrin en retrait du monde offrait à la fois cet ancrage profond et concret à la Force et des lieux accidentés pour développer leurs capacités physiques. Rey se laissa entraîner par cet élan et savourant cette douce harmonie du soir avec la Force, elle finit par s’endormir.
***
Quand Rey leur montra les vestiges de l’ancien camp d’entraînement, Poe ne put s’empêcher une remarque cynique.
« Mais c’est du confort grand luxe, dit-il en pénétrant dans une de ces huttes faites de terre.
- Tu peux te moquer, dit Rey en souriant, mais ce matériau permet à la fois de se protéger de la chaleur la journée et d’éviter de ressentir trop intensément la fraîcheur de…
- Oh regardez ce que j’ai trouvé, s’écria Tirso. Qu’est-ce que c’est ? »
Il tenait en main des cristaux qui semblaient avoir été polis et sculptés en plusieurs formes diverses. Rey distingua des figurines d’apparence humaine et reconnut également la forme des ces petites créatures grises qu’elle avait vues la veille. Un autre de ces cristaux attira son attention : il avait la forme d’une grosse créature massive à quatre pattes au nez pointu, allongé et pourvu de cornes de chaque côté et avec un cou semblable à un plastron et hérissé d’épines. Rey lui prit la figurine des mains. Elle lui semblait étrangement familière.
« Ce sont des cristaux dit Rey, on dirait que quelqu’un les a sculptés pour en faire des sortes de jouets. Il y a en a plein de semblables dans la grotte. Je t’emmènerai les voir plus tard.
- Est-ce que je peux les garder, demanda Tirso les yeux brillants ?
- Bien sûr », acquiesça Rey.
Elle ne ressentait aucune négativité dans ces objets et tendit la figurine à Tirso avec un sourire. Ce n’était finalement qu’un enfant et elle se réjouissait qu’il pût en avoir les joies simples. Elle regarda autour d’elle : d’autres enfants avaient habité ces lieux, songea-t-elle, rassurée. Elle se sentit moins coupable d’entraîner Tirso dans cette aventure.
Il fallut du temps pour réaménager le campement qui était en ruines. Passée l’impression poignante de pénétrer dans un lieu qui témoignait de la permanence de l’Ordre Jedi, il fallait bien reconnaître que son état était fortement altéré. Ils réussirent cependant à déblayer ce qui devait l’être et à investir deux huttes qui semblaient suffisamment solides.
Chewbacca s’employa notamment à en vérifier l’étanchéité et à combler les failles avec cette boue qu’ils trouvaient en quantité près de la rivière, non loin de leur campement et qui paraissait étonnamment solide une fois séchée. Alors que Rey revenait avec un seau plein de cette terre, elle entendit un cri aigu retentir. Elle lâcha son seau pour se précipiter, persuadée d’avoir entendu Tirso mais quand elle le rejoignit, elle s’en voulut de s’être inquiétée. Il sautillait joyeusement, près du camp. Il aperçut Rey :
« Rey, j’ai vu de petits animaux tout gris. Ils sont trop mignons ! J’espère qu’ils reviendront !
- Si tu cries comme ça, tu risques de les effaroucher. Laisse-les s’approcher pour te renifler et t’étudier. Plus tu chercheras à les attraper et plus ils te fuiront ? »
Rey repartit récupérer son seau et constata avec dépit que son contenu en était renversé. Elle retourna donc chercher une autre cargaison de boue. Quand elle se dirigea une nouvelle fois vers le campement, elle put voir Tirso, accroupi, qui tendait la main vers une de ces petites créatures qui se tenait à quelques mètres de lui.
« Ce sont des neeks. J’ai demandé à l’auberge hier soir. On m’a dit qu’ils étaient farouches mais aussi très curieux. »
Les petits animaux s’étaient éloignés à l’arrivée de Rey au grand dam de Tirso qui la regarda avec un air contrarié.
« Ne t’inquiète pas, ils reviendront si tu restes calme. Cela va t’apprendre la patience, Tirso. Parfois pour obtenir quelque chose que l’on désire, il faut accepter que cela puisse prendre du temps. L’impatience ne mène qu’à la frustration et à la colère. Apprendre à la maîtriser est essentiel pour un Jedi. »
Tirso était redevenu plus grave et regardait Rey avec calme :
« Je comprends. J’attendrai qu’ils viennent à moi alors.
- Tu as bien compris », dit Rey et lui ébouriffant les cheveux.
A la fin de la journée, le campement était suffisamment retapé pour qu’ils puissent s’y installer dans un relatif confort. Quant à Tirso, même s’il ne regardait plus derrière lui pour le vérifier, il sentait très bien la présence de jeunes neeks qui le suivaient à distance raisonnable.
Alors qu’ils mangeaient assis autour du feu, Tirso envoya quelques miettes en leur direction. Il put distinguer dans la nuit leurs ombres furtives s’approcher pour les récupérer avant de repartir se cacher dans les rochers. Il sourit doucement.
Quand Rey sortit de la hutte une fois l’enfant couché, elle distingua Poe assis, seul, sur un rocher au bord de l’eau. Ce n’était pas courant. Il semblait à Rey qu’elle ne le voyait jamais qu’en mouvement, son humeur oscillant entre enthousiasme bruyant et frénésie enragée. Elle s’approcha de lui.
« Tu comptes repartir bientôt pour Coruscant ?
- Il le faut bien. Mais quand je pense à ce qui m’y attend, je sais que ce ne sera pas très réjouissant. Est-ce que je vais devenir un de ces vieux généraux qui scrutent tout avec une attitude hautaine et lâchent de temps en temps une phrase laconique en se donnant un air important ? »
Rey sourit. Il reprit :
« C’est vrai que j’ai besoin d’action, mais je comprends que j’ai surtout besoin de me sentir utile. Et d’un autre côté, je n’ai pas envie de vous quitter.
- Ta présence nous fait du bien, à tous, mais ni toi ni nous ne pouvons vivre dans une forme de nostalgie permanente et de regret vis-à-vis de ce qui a été. Vivre ce n’est pas passer sa vie à vouloir redonner corps à notre mémoire. Et puis le temps adoucit les souvenirs et nous donne souvent une image faussement idéalisée de ce qui a été.
- Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que la distance entre nous peut nous éloigner réellement les uns de autres. »
Il taisait manifestement une partie de ses craintes. Leurs pérégrinations échevelés prenaient fin. Leurs trajectoires semblaient bifurquer. C’était ce qui arrivait quand une lutte commune n’était plus là pour unir et que la paix laissait à chacun la nécessité de choisir sa propre voie.
« Mais si tu ne te libères pas de la peur de l’avenir, tu ne peux simplement pas vivre.
- Tu ne nous perdras jamais abruti », les interrompit une voix.
Finn les avait rejoint et il s’assit à côté de Poe.
« Depuis quand parles-tu avec un air si grave ? ajouta-t-il, tu sais très bien que nous nous retrouverons finalement. »
Un silence doux et un peu triste s’installa entre eux. La remarque de Finn ne trompait personne. Tous savaient que la vie avait le pouvoir de séparer les gens tout comme elle les avait liés. La vie en éternel mouvement changeait obligatoirement les êtres. Mais plus encore, tous savaient que se raccrocher aveuglément au passé, voire même à une projection illusoire de ce qu’il avait été ne causait rien d’autre qu’une forme de déni douloureux et inutile.
Poe rompit l’harmonie du moment et baissant les yeux, il dit dans un sourire :
« Vous allez me manquer. »
Rey sentit son cœur se serrer. Ce n’était qu’un au revoir bien sûr mais il la renvoyait à tout ce qui l’inquiétait dans cette vie qu’elle avait choisie. L’existence des Jedi menait bien souvent à vivre un peu à l’écart des autres. Cette sensibilité à la Force avait-elle un prix trop cher finalement ? Et pourtant, et plus encore dans ces lieux, elle la ressentait si puissamment, comme une évidence, et savait qu’elle ne pourrait jamais y renoncer.
Comment pourrait-elle garder son lien aux autres tout en explorant cette connexion avec la Force ? Comment pourrait-elle devenir une Jedi digne de ces prédécesseurs tout en suivant son propre chemin ? Les solutions lui paraissaient pour l’heure bien floues et sinueuses.
***
Poe partit le lendemain avec Chewbacca. Il le ramènerait à Coruscant avant de revenir dans le désert d’Ambria. Malgré ce qu’ils s’étaient dit la veille et la certitude de faire les choses au mieux, la séparation n’en fut pas plus facile. Les adieux furent brefs mais chaleureux et il sembla à chacun que les larmes de Tirso trouvaient écho dans leurs propres cœurs.
Quant le Faucon eut disparut dans le ciel, Rey saisit Tirso dans ses bras et ils reprirent ensemble le chemin du campement. Trois petits neeks les suivaient tout en restant à distance raisonnable.
« On dirait que tu t’es fait de nouveaux amis, dit finalement Rey en souriant à Tirso.
- Tu veux dire de vrais amis à moi ? demanda l’enfant les yeux écarquillés.
- N’est-ce pas comme ça que tu les considères ?
- Si », confirma Tirso en serrant Rey entre ses bras et en enfouissant son visage dans son cou. Quand il relâcha son étreinte, elle le reposa au sol et reprit sa route. Tirso restait un peu arrière et les animaux s’approchaient de lui, reniflant son odeur et emboîtant ses pas. Rey sourit et songea avec soulagement que Tirso, encore une fois, semblait avoir de grandes capacités d’adaptation. Elle eut un regain de confiance.
***
Les jours qui suivirent, Rey partit souvent seule pour découvrir les grottes alentour. Cela lui permit de cartographier complètement le Canyon. Mais quand elle croyait en avoir fait le tour, elle découvrait de nouveaux boyaux, débouchait sur de nouvelles grottes, ce qui rendait sa tâche ardue. De son côté, Finn était pris par l’entraînement physique et les exercices de méditation que Rey lui imposait tandis que Chewbacca s’occupait des repas et de l’entretien du camp. Rey était fasciné par son adaptabilité et ses compétences incroyables dans tant de domaines. Il lui semblait qu’il avait vécu une infinité de vie.
Quant à Tirso, il passait beaucoup de temps à jouer avec ses figurines et à tenter d’apprivoiser les neeks. Rey doutait encore. Une partie d’elle lui disait qu’il fallait lui apprendre au plus vite à maîtriser ses pouvoirs, mais une autre l’incitait à le laisser s’amuser innocemment, à goûter l’insouciance de la vie d’enfant qui lui avait été refusée si longtemps. Elle se souvenait aussi de ses pleurs dans la forêt, de la violence de sa crise dans l’auberge. La méditation le confronterait forcément aux images du passé qu’elle aurait souhaité qu’il oubliât à jamais.
Un soir pourtant, alors que la nuit apaisante recouvrait Rey de son voile d’intimité et qu’elle se laissait gagner par la mélancolie d’un souvenir devenu doux-amer qui résonnait toujours en elle, il s’assit à ses côtés. Tirso n’eut pas besoin de prononcer le moindre mot. Il se contenta de fermer les yeux. Rey saisit sa main doucement et se joignit à lui.
Bien sûr, la tristesse imprégnait encore les images qu’ils partagèrent ce soir-là. On ne guérissait jamais vraiment des blessures d’enfance, des chagrins profonds, mais ils s’atténuaient, leurs contours s’adoucissaient quand ils étaient touchés par la beauté du ciel infini, par le silence des roches qui portaient le poids de tant de monde, par le bruit des sources s’écoulant incessamment pour nourrir la vie, par les frémissements du vent réveillant une frêle branche encore endormie.
Longtemps, la Force les caressa ainsi, avec douceur, alors que les étoiles dans le ciel semblaient briller plus que d’habitude et que le lien qu’ils partageaient paraissait s’étendre aux confins de l’univers.
Quand elle ouvrit enfin les yeux, Rey regarda l’enfant à côté d’elle. Il semblait épuisé et ses traits conservaient une légère crispation. Mais elle avait compris : il ne servait à rien de repousser le moment. Cette vie d’enfant ordinaire et ses joies simples ne correspondaient finalement qu’à ses propres souhaits.
Tirso n’était pas un enfant ordinaire et même s’il avait parfois des réactions excessives et immatures, il était souvent grave et avait une grande capacité de concentration. Elle avait rechigné à le former tôt comme l’étaient les padawans des temps anciens. Mais c’était nier l’avidité de son rapport à la Force. Il devait réussir à trouver l’harmonie et la paix qui lui avaient été si étrangères pendant ses premières années de vie. Il ne servait à rien de refouler les malheurs et les souffrances. Ce n’était qu’une fuite et Tirso lui rappelait qu’il était lucide et courageux.
Les fois suivantes furent parfois douloureuses et laissèrent Tirso presque sans force. L’abandon avec lequel il s’adonnait à la méditation était saisissant. Comme si elle était un besoin vital, plus que pour quiconque. Mais ses progrès furent fulgurants et bientôt, il adopta la même routine que Finn.
***
« Nous partons en expédition aujourd’hui, je vais vous faire découvrir les grottes du canyon. »
Ils préparèrent ensemble le matériel nécessaire sous l’œil curieux d’un neek qui s’approchait de plus en plus près. Les autres semblaient s’être lassées, désormais habituées à leur étrange présence, mais celui-ci, plus petit que les autres continuait à suivre fréquemment Tirso. Il arrivait presque à le toucher désormais.
Quand ils pénétrèrent dans un des étroits couloirs qui fendait la falaise, la petite créature, comme impressionnée, resta près de la porte et Tirso lui fit un signe de la main. Tous trois progressèrent vite dans le dédale que Rey connaissait bien à présent. Elle marchait en tête, imposant un rythme soutenu mais régulier. Elle sentait l’excitation de ses disciples mais ne voulait pas que leur impatience les empêche de saisir la solennité de cet instant.
Il débouchèrent finalement dans la grotte que Rey avait découverte lors de sa première exploration. Elle y ressentit la même sensation de quiétude mais également de majesté.
Les exclamations de ses compagnons quoi qu’étouffées par le respect qui naissait en eux face à l’aspect imposant des lieux ne trompaient pas. Enfoncés sous la terre, chacun en goûtait l’essentialité tout en admirant les trésors qu’elle conservait, avec à la fois simplicité et une richesse infinie. Les reflets des cristaux formaient un jeu de miroir dans lequel il était tentant de regarder la réalité sous un angle plus brillant, un peu fallacieux.
Rey interrompit finalement cette contemplation en leur indiquant à chacun une roche plate sur laquelle s’asseoir. Ils commencèrent leur méditation. Rey leur rappela la nécessité de s’oublier eux-mêmes pour se connecter à la Force. Cela faisait déjà quelques temps que Finn et Tirso s’y entraînaient et le jeune enfant arrivait maintenant à trouver une paix dans l’exercice qui avait déclenché chez lui tant d’effroi dans un premier temps. Il pouvait être difficile de se perdre alors qu’on ne s’était jamais trouvé.
Quant à Finn, il semblait embêté à chaque fois que Rey lui demandait de parler de ses ressentis à ce sujet et elle soupçonnait qu’il avait encore du mal à lâcher prise. Elle n’aurait su lui en vouloir, elle-même était encore torturée par des souvenirs qui la hantaient toujours même si elle avait fait la paix avec eux.
Il était plus aisé désormais de ne plus voir l’image de Ben dès qu’elle fermait les yeux. Les ombres qu’elle entrapercevait dans les méandres de son esprit n’avaient plus non plus la forme de ses parents. Il ne restait d’eux, qu’elle avait tant aimés, que des silhouettes vagues qu’elle retrouvait dans les formes oblongues des stalactites, dans l’ondulation des herbes sèches de la prairie, dans le rayonnement incandescent du soleil.
Elle fut tirée de sa contemplation intérieure par un cri net :
« Rey ! »
Elle ouvrit les yeux. Finn était à quatre pattes sur la roche et des larmes coulaient de ses yeux grands ouverts.
« Qu’est-ce qu’il y a Finn ? Dis-moi ! » dit-elle avec empressement.
Tirso s’était approché à son tour et les regardait tous deux avec un air désolé.
La voix de Finn était essoufflée, un peu rauque quand il cracha ses mots, comme si les expulser lui faisait mal :
« Je ne peux pas Rey, c’est trop pour moi, pour mon corps, d’être traversé par tant de choses, tant de vies. Je crois que je n’ai pas autant de place en moi. »
Rey tenta de poser une main apaisante sur son dos.
« Finn…
- Non, je ne suis pas Finn, je ne suis rien, je ne suis personne, juste un numéro. As-tu oublié Rey ?
- Tu ne l’es plus, intervint une petite voix. »
Tirso s’était finalement approché et regarda Finn dans les yeux avec un air résolu et grave.
« Tu es devenu une nouvelle personne quand tu as eu ton nouveau nom. Tu as des amis. Tu as Rey maintenant. Tu as tout, Finn. »
Il s’approcha encore et serra la tête de Finn sur sa poitrine.
Les pleurs et la respiration de Finn s’apaisèrent. Rey ajouta :
« Je sais ce que c’est de n’être personne et de devenir quelqu’un brutalement. C’est terrifiant de ne plus être inconscient du monde et résigné face à ses difficultés, de devoir faire des choix. Mais pouvoir agir sur le monde qui nous entoure, pouvoir l’aimer, lui et ceux qui le peuplent, c’est à la fois terrifiant et enivrant. C’est se jeter enfin dans le vide et aimer ça justement parce qu’il n’y a plus de retour en arrière possible.
- C’est vrai reconnut Finn, c’est juste que devenir général, peut-être un Jedi un jour, ça me paraît trop, brusquement. Quand on est dans l’action, on oublie tout ça. Mais le vide ne laisse plus aucun endroit pour se cacher.
- Mais, ajouta Rey, avoir conscience de toutes ces vies que nous ne faisons que perpétuer et relier est justement ce qui rend heureux. Savoir que nous ne sommes qu’un maillon de cette chaîne infinie, c’est ça la beauté de la vie.
- Être à la fois un maillon et un individu, et réussir à tout concilier, c’est… »
Finn ne finit pas sa phrase.
« C’est trouver l’équilibre. Être un Jedi, c’est accepter que tu es là, que tu as le droit d’y être… »
Rey s’interrompit en sentant sa voix trembler. Elle avait besoin de le dire, besoin de l’entendre elle-même, pour reprendre enfin pleinement la place qui était la sienne dans ce monde.
« …tout en consacrant ta vie aux autres, à perpétuer la vie et c’est aussi suivre son instinct, ses convictions. C’est vrai que cela peut paraître des injonctions contradictoires d’une certaine façon. Être un individu unique mais connecté avec tous les autres êtres vivants, ceux qui sont, qui ont été et ceux qui seront. Mais il faut garder à l’idée l’importance de chaque vie, tout en ne négligeant pas la tienne, en restant à l’écoute de l’individu que tu es. Tu sais Finn, et je dis ça sans aigreur, il est encore temps de renoncer, de rentrer sur Coruscant…
- Tu sais très bien que je ne peux plus faire marche arrière. Je ne pourrai plus jamais faire comme si la Force n’était pas là, tout autour de moi. C’est juste que l’imaginais plus comme une compagne apaisante, que comme une conscience trop aiguë du monde.
- C’est pour ça qu’il est parfois si difficile de résister au côté obscur, il faut à la fois aiguiser ses sens et son instinct, tout en ne présumant jamais de l’importance de sa propre existence. Il est si facile de s’y perdre, de se sentir si seul à être ainsi le monde entier.
- Il faut avoir un point d’ancrage, intervint Tirso. C’est Rey pour moi. Elle me tend la main parfois quand je me souviens de choses que je ne voudrais pas. Il faut que tu trouves ton point d’ancrage toi aussi, une personne, un instant, le point de non-retour dans ce qui a fait de toi ce que tu es.
- Le point de non-retour… »
Finn semblait avoir retrouvé tous ses esprits. Cependant, la discussion aussi était intense et il était temps que tout le monde reprenne des forces.
« Rentrons au camp, intima Rey avec douceur. Nous reviendrons ici une autre fois. »
Ils remballèrent toutes les affaires et prirent le chemin du retour. Tirso, progressait avec légèreté dans les couloirs rocheux tout en marmonnant parfois, de façon enjouée, des mots pour lui-même.
« Vima et Zannah n’avaient pas menti. C’est vraiment très beau ici.
- Qui sont ces personnes ?
- Mes amies ! Je les vois dans mes rêves. »
Rey se raidit un instant. Tirso dut le percevoir car il ajouta :
« Mais ne t’inquiète pas, elles sont gentilles. Je crois qu’elles ont vécu ici elles aussi. »
Cela aurait pu être un jeu enfantin de s’inventer des amis imaginaires mais il lui sembla peu probable que ces faits soient aussi anodins. Elle ne permettrait pas qu’un nouvel enfant soit perverti par des voix envoûtantes et malveillantes.