Interview - par Aurélien Allin - du chef opérateur Bradford Young dans le dernier numéro de Cinema Teaser (mai 2018).
Extrait:
A la vue des trailers, SOLO a tout l’air d’un western. Comment le définiriez-vous ?
À bien des égards, SOLO est un western, en effet. C’est aussi un "coming of age" et une étude de personnage.
C’est un film juvénile. Je dirais aussi qu’il est très ‘Americana’ dans l’âme : il suit un voyage effectué pour trouver quelque chose de nouveau. Le terme western convient bien parce que ce genre traite de la bataille intrinsèque avec les éléments et de la lutte entre le bien et le mal – avec toutes les nuances que ça implique.
Vous aimez éclairer avec une seule source de lumière. Est-ce possible de travailler ainsi sur un projet énorme comme SOLO ?
Oh oui, totalement ! Peut-être même plus ! C’est une des choses géniales avec les LED, d’ailleurs : il y en a une grande variété disponible et elles sont très puissantes. Donc même sur certains énormes décors, j’ai pu éclairer avec une seule source de lumière. Notamment en suspendant bien plus de LED que je n’aurais pu le faire avec des ampoules tungstène. Si je ne pouvais pas éclairer en source unique, je ne m’engagerais pas sur un projet, je crois.
Travailler sur un STAR WARS signifie-t-il de réfléchir à la manière dont les choses sont éclairées et cadrées dans les autres films de la saga ?
Je me suis détaché des précédents films, notamment parce que les
SW Story n’ont pas à être rattachés aux autres volets. Ils sont indépendants. J’ai pu créer ma propre logique et c’était une des raisons pour moi de faire ce film : j’avais la possibilité d’aborder cette histoire avec un œil neuf.
Prenons le Faucon Millénium. C’est un décor célébrissime de STAR WARS. Pensez vous l’avoir éclairé différemment et comment ?
J’ai totalement transformé la manière de l’éclairer, oui. Pour être honnête, je n’ai jamais été un grand fan de la manière dont il était éclairé dans les autres STAR WARS. Si j’avais dû m’y conformer, ça m’aurait demandé de réécrire toute mon approche de l’éclairage. Et je n’avais pas envie de le faire ! Nous avons ajouté divers éléments inédits et il y a une raison à ça : ces lumières n’étaient pas là dans les précédents films car il s’agissait d’un Faucon Millénium fatigué, en sale état.
Dans SOLO, il est tout neuf. Nous avions donc la possibilité de repartir à zéro. J’ai essayé de légitimer tous les changements et les nouvelles lumières – peut-être qu’avec le temps certaines ont faibli, les ampoules ont cramé et n’ont jamais été changées etc. Je suis un grand amateur des lumières venant de haut donc on a trouvé un moyen de retirer du plafond ces espèces de coussins qui recouvrent les parois du Faucon Millénium, puis d’en faire des moules en polyuréthane dans lesquels on pouvait placer des ampoules.
J’avais donc des lumières au plafond dans tout le sas d’entrée du vaisseau – auparavant, ils utilisaient beaucoup de rétro-éclairage, ce qui donne des lumières hors cadre, sur les murs etc. Ce n’est pas mon style. Il fallait que je trouve un moyen d’incorporer mon style et c’était magnifique de pouvoir le faire. SOLO est une origin story alors en tant que spectateur, nous n’avons pas de relation à ce qu’était le Faucon Millénium dans le passé, juste à ce qu’il était dans les autres films. C’était très amusant de pouvoir tout repenser.
D’ailleurs, de ce qu’on en a vu, SOLO ne ressemble à aucun autre STAR WARS. C’est même le premier qui semble jouer autant avec les nuances de noirs et d’ombres. Par le passé, vous nous avez dit vouloir raconter des histoires dans ces nuances. Quelle était votre intention sur SOLO, avec cette imagerie ?SOLO parle d’un gamin qui vient d’un monde froid, humide et industriel (Corellia, ndlr). L’idée du film est d’effectuer une transition visuelle de ce monde à quelque chose de plus naturel et idyllique. Dans le récit, il y a donc ces passages de Corellia à des planètes plus ouvertes et dégageant plus d’espoir. Il fallait ne pas perdre de vue que nous suivons des personnages qui doivent changer et être ouverts à l’idée de nouveauté. Au début du film, on doit avoir la sensation que Han ne trouvera jamais ce qu’il cherche – il ne cesse de perdre. Puis le récit va vers cette idée d’espoir et, pour que le public le ressente, il faut pouvoir être conscient de la lumière. Il faut que le personnage puisse gagner quelque chose [à l’image], qu’il puisse apprendre. Alors selon moi, je ne pouvais pas baigner SOLO dans les mêmes ombres et noirceurs que dans mes autres films. Mais elles sont quand même très présentes. C’est différent dans le sens où, dans SOLO, les ténèbres sont plus nuancées, légèrement plus élaborées, elles sont peut-être moins apparentes, moins ‘évidentes’ que dans certains de mes autres films. Je crois que les gens vont voir une autre part de mon travail. Visuellement, par rapport aux autres STAR WARS, SOLO est cohérent à certains niveaux mais, par moments, il est aussi très différent. Le but pour les personnages est de s’adapter à chacune des différentes planètes. Chacune a donc une ambiance différente et dégage quelque chose d’unique. Vous savez, je crois que c’est ce que les gens veulent : de l’imperfection. Plus imparfaits les films sont, plus réels ils ont l’air. On a vraiment essayé d’embrasser cette idée.