Ce fut la musique lancinante du rêveil qui tira Jareen Etta hors de son sommeil. Elle ouvrit péniblement les yeux et tendant le bras, tâtonna sur la table basse pour trouver et éteindre l'appareil.
Une fois la machine éteinte, elle ramena un peu plus les draps à elle pour profiter encore quelques secondes du confort de son lit. Elle se lova contre son oreiller tout en sachant parfaitement qu'elle devrait quitter cet havre de paix dans un instant.
Mais Jareen était ce qu'elle était et elle adorait se prélasser au lit.
Avec un long soupir de dépit, elle repoussa draps et couvertures et s'assit au bord du lit. L'expérience lui avait montré plus d'une fois qu'il était plus simple de se réveiller une seule fois pour de bon que de traînasser ensuite toute la journée.
Elle s'étira difficilement et se passa la main sur le visage à plusieurs reprises. Sa bouche était pâteuse et son esprit embrumé.
Elle n'était décidément pas du matin.
Elle rabattit quelques mèches folles derrière son oreille en étouffant un baillement. Par les étoiles noires, ce qu'elle était fatiguée ! Il faudrait peut-être qu'elle arrête de prendre ces cachets : elle n'arrivait jamais à bien se réveiller le lendemain. Mais d'un autre côté, c'était le seul moyen qu'elle trouvait pour dormir d'un sommeil de plomb. Un sommeil sans rêves, pouvait sembler bien vide mais cela voulait surtout dire pour elle, un sommeil sans cauchemars.
Elle ferma les yeux un instant, tout en sachant que ce n'était pas la chose à faire. Elle ne les rouvrit que lorsque elle percut le cliquetis caractéristique et familier de son serviteur droïde. Ce dernier lui tendait un verre, rempli aux trois-quarts de jus de fruit frais.
Elle s'en saisait avec reconnaissance et le but avidement. N'ayant rien mangé depuis la veille au soir, elle fut à même de sentir le trajet du liquide jusque dans son estomac. C'était une sensation étrange mais presque agréable.
_Salutation joviale : bonjour amiral Etta !
_B'jour HK, marmonna t-elle en lui rendant le verre et en s'essuyant machinalement les lèvres du revers de la main.
Elle marqua une courte pause, puis :
_Combien de fois devrais-je te dire me m'appeler Jareen ?
_Ton amusé : au moins une fois de plus, amiral.
Elle lui sourit pour toute réponse, l'observant avec attention. C'était un droïde d'assez grande taille, d'un gris verdâtre. Seul l'identifiant "HK-62", peint en lettres blanches sur son poitrail, tranchait avec cette uniformité de couleur.
_Information : alors que vous dormiez, j'en ai profité pour régler la température de la douche. Je me propose de commencer à préparer et à servir votre petit déjeuner pendant que vous vous laverez.
Elle aquieça simplement en hochant la tête. HK était vraiment un excellent serviteur droïde et bien qu'il ne fut nullement conçu dans cette tâche, il s'en aquittait à merveille.
HK-62 était un droïde protocolaire et assassin de la série des HK, produits en grand nombre aux temps de l'Ancienne République.
Aujourd'hui, le modèle était complètement obsolète et on ne trouvait plus guère les HK que dans des musées.
Pourtant, Jareen avait eu de la chance. C'était sur la planète décharge de Raxus Prime qu'elle avait trouvé la carcasse du droïde et malgré un état de délabrement très avancé, il n'avait fallu que quelques semaines à ses techniciens pour remettre HK-62 en état de marche.
Elle l'avait ensuite configuré pour qu'il lui serve d'ordonance, n'ayant nullement l'usage d'un droïde assassin. Le vocodeur d'HK-62 ne possédant pas de variateur de tonalité, toutes ses phrases étaient prononcées sur le même timbre neutre. Le droïde devait expliciter à l'avance l'émotion qu'il désirait exprimer avant de parler de façon proprement dite.
Durant les premiers mois, cela avait réellement troublé Jareen mais désormais, elle n'y faisait même plus attention.
Au terme d'un suprème effort, elle se leva de son lit et marcha droit jusque dans sa salle d'eau. A peine la porte de la salle de bain s'était-elle refermée qu'elle quitta ses habits de nuit, pressa un bouton sur le mur et se glissa sous la douche.
L'eau chaude était un vrai délice. Bien meilleur que toutes les douches soniques de l'univers, qui étaient le commun des militaires. C'était dans ces moments là que Jareen se sentait vraiment fière de son grade.
Ses ablutions furent rapides mais efficaces. Elle n'avait jamais vraiment le temps le matin de toute façon. Elle aurait tout loisir de retourner sous la douche pour le plaisir ce soir de toute façon.
Une fois propre, elle coupa l'eau, se sécha et enfila un peignoir blanc tout en enroulant une serviette de la même couleur autour de ses cheveux.
Elle croisa son reflt dans le miroir et s'observa un instant. Le miroir lui renvoyait l'image d'une séduisante blonde de trente cinq ans, au corps mince et athlétique. Il n'y avait qu'un détail qui l'enlaidissait vraiment : une longue et sineuse cicatrice, qui courrait sur le côté gauche de son visage, de la racine de ses cheveux jusqu'à la naissance de ses lèvres. La cicatrice passait par l'oeil et là où auraît dû briller un iris d'un bleu azur, on ne voyait qu'un blanc laiteux.
La blessure avait bien cicatrisé avec le temps et ne se réduisait plus maintenant, qu'à une fine ligne, guère plus épaisse qu'un trait de crayon. On lui avait souvent conseillé de se faire opérer mais Jareen repoussait l'idée même de la chirurgie esthètique. Sa cicatrice faisait partie d'elle désormais et elle avait appris à vivre avec. Il n'y avait que le fait d'être borgne qui la gênait vraiment. Mais son nerf optique gauche avait été endomagé trop pronfondément pour qu'elle puisse voir à nouveau, même avec une prothèse occulaire. Alors, elle avait bien dû s'y faire.
Elle retourna dans ses quartiers alors qu'une délicieuse odeur de pain grillé flottait désormais dans l'air. Sur la table qui jouxtait une baie vitrée, non loin de son lit, HK s'appliquait à verser avec soin une grande rasade de café dans un bol blanc. Autour du bol, le droïde avait disposé plusieurs tartines et autres viennoiseries pour sa maîtresse.
Jareen s'assit à la table et se saisit d'un petit broc de lait de bantha. Elle le vida en partie dans son café, regardant le liquide bleu couler lentement.
_Déclaration sensée : amiral, vous auriez pû me dire que vous désiriez du café au lait ce matin. Vous vous seriez épargnée la peine de vous servir vous-même.
Elle lui décocha un petit sourire.
_Tu sais que j'aime bien faire certaines choses moi-même.
HK ne répondit pas, se contentant de ranger les aliments que sa maîtresse ne voulait pas. Cette dernière trempa un croissant dans son café avant de le dévorer avec délices.
Une douche la mettait toujours en appétit le matin.
_Quels sont les rapports du jour ? demanda t-elle après avoir avalé son croissant.
_Réponse factuelle : le commandant Callen a succité une entrevue avec vous dès que vous seriez en mesure de l'entretenir. Il se chargera lui-même des rapports d'aujourd'hui.
_Très bien.
Elle mordit dans une nouvelle viennoiserie, originaire de Naboo. Un ravissement.
Avec une bouffée de tristesse, elle se souvint que c'était Pakn qui lui avait fait découvrir ces pâtisseries.
_Constatation : vous semblez soucieuse, amiral.
Elle grimaça. HK s'était aperçu de son trouble.
_Ce n'est rien 62. Je pensais à quelque chose de triste, voilà tout.
_Interrogation : est-ce que cela à un rapport avec l'aniversaire de la mort du capitaine Skyrott ? Après tout, voilà presque un cycle qu'il nous a quittés.
Entendre HK-62 parler de Pakn lui remit son visage en tête et elle sentit la tristesse lui enserrer le coeur. Elle répondit d'un ton froid et cassant qui la surpris elle-même :
_Ca n'a rien à voir, tas de boulons. Et même si c'était le cas, tu es programmé pour me servir de majordome, pas de psychiatre au rabais. Je peux aller voir le médecin de bord pour ça.
_Ton emphatique : je vous prie de bien vouloir m'excuser amiral. J'ai été impoli et j'en suis profondément désolé.
Jareen préféra ne rien répondre et but son café jusqu'à la dernière goutte. Restant avec la cheleur du récipient entre les mains, elle regarda au loin, par la baie vitrée. La planète où ils allaient se rendre n'était plus très loin désormais.
Sylvana. Une planète essentiellement forrestière qui serait un bastion idéal si elle parvenait à rallier les natifs à sa cause.
Elle posa le bol avec force sur la table et se leva. Elle laissait le soin à HK de débarasser.
Elle jeta un oeil à l'horloge murale et étouffa un juron en constatant qu'elle avait quatre minutes de retard sur son planing habituel. Ca lui apprendrait à trop se prélasser sous la douche.
Sans perdre une seconde de plus, elle avança jusqu'à sa penderie et en tira son uniforme d'amiral : bottes, pantalon, chemise, jaquette, pelisse à mettre par dessus l'épaule et calotte d'officier. Le tout était soigneusement entretenu et d'un blanc immaculé, hormis quelques décorations de couleur vive.
"Amiral" avait beau être un titre qu'elle ne portait pas de jure, elle faisait tout pour en être digne. Ce n'était pas pour rien que ses troupes l'avaient baptisée de ce grade. Mais ce n'était pas le titre le plus ronflant et le plus ridicule dont un seigneur de guerre pouvait se trouver affublé, bien au contraire.
Tout en se saisissant de ses sous-vêtements et de son uniforme, elle dénoua son peignoir, roula des épaules pour s'en défaire et jeta la serviette à même le sol. Peignoir et serviette s'écrasèrent dans un bruit mouillé mais Jareen se moquait bien de salir son plancher. Au pire, HK pouvait toujours nettoyer derrière elle.
Elle s'habilla à la hâte, vérifiant toutefois que le moindre bouton était à sa place. Elle tenait à être parfaite quand elle était hors de ses quartiers privés.
Ce fut non sans un certain plaisir qu'elle épingla la Médaille d'Honneur Impériale à sa pelisse. Le ruban violet et noir tranchait agréablement avec son uniforme blanc.
Cette médaille prouvait à l'univers tout entier qu'elle était digne de commander au combat. Elle montrait à l'Empire lui-même qu'une femme pouvait faire partie de son armée.
Cela n'avait pas été simple. L'Empire était un régime misogyne, machiste et phallocratique. Jareen avait dû trimer plus dur et plus longtemps que d'autres camarades hommes de sa promotion, sur Corulag.
Bien sûr, on ne pouvait nier que certaines femmes avaient atteint un poste très élevé dans la hierarchie impériale : après tout, Ysanne Isard n'avait-elle pas tenu l'Empire dans la paume de sa main, même fugacement ?
Mais percer dans la hierarchie impériale restait une grande difficulté, spécialement quand on était une femme.
Ironiquement, Jareen pouvait remercier la défaite de Yavin de lui avoir donné sa chance : la mort de la quasi totalité de l'Etat Major impérial à bord de l'Etoile Noire avait privé l'Ordre Nouveau de ses cadres militaires. En conséquences, une grande vague de promotions avait frappée les soldats de l'Empire.
Jareen avait été promue sous-officier et avait enfin pû commencer à faire ses preuves. Elle avait alors très lentement gravi les échelons jusqu'au grade de lieutenant-colonel. La débacle d'Endor avait alors balayé tout espoir de nouvelle promotion pour Jareen.
Mais aujourd'hui, les grades ne voulaient plus rien dire. Après les chutes successives de Pestage, d'Isard et de Trawn, l'Empereur ressuscité avait tenté de recouvrer son trône avant d'être vaincu une nouvelle fois par la République.
Le Conseil Impérial avait tenté de sauver la situation mais les morts de ses grands leaders -Carnor Jax et Burr Nolyds en tête-des mains de l'ancien garde rouge Kir Kanos avaient poussé un des membres de l'assemblée, Xandel Carivus, à tenter un coup d'Etat en dissolvant le Conseil et en s'autoproclamant Empereur. Son règne fut le plus court de l'histoire galactique puisque il fut presque aussitôt assassiné par Kanos.
Depuis, il n'y avait même plus un semblant d'organisation : les seigneurs de guerre étaient légion, chacun poursuivant avant tout ses propres buts avant de chercher à rebâtir l'Empire.
Sans trop savoir comment, Jareen s'était retrouvée à la tête d'un destroyer stellaire de classe Impériale, baptisé le Khoehng, traduisible par "roi" en vieux corellien.
Avec le navire, Jareen recevait la charge d'une véritable petite armée, prête à la suivre jusqu'aux portes de l'Enfer.
Tant de responsabilités ne manquaient pas de lui donner le vertige. Elle avait déja commandé auparavant bien sûr, pendant la guerre contre les Rebelles mais elle avait toujours eu des ordres à suivre et des suppérieurs à qui se référer.
Désormais, elle était seule aux commandes et n'avait plus la machine de guerre impériale pour l'appuyer. Elle n'avait que le Khoehng et quelques dizaines de milliers d'hommes à opposer aux milliards de dangers que recelait la galaxie : pirates, autres seigneurs de guerre, sans oublier les néo-républicains et leur fâcheuse tendance à vaporiser tout ce qui portait une crête impériale.
Jareen replaça bien droite sa calotte d'officier s'admirant une ultime fois dans le miroir. Elle était prête -et toujours en retard-.
Elle marcha jusqu'à la porte d'entrée et l'ouvrit d'un simple contact des doigts. Elle la franchit sans entendre le souhait de bonne journée proféré par son serviteur droïde.
Jareen avança jusqu'à son turboélévateur privé et le programma pour qu'il l'ammène au plus vite sur le pont.
Elle ne devait pas faire attendre Callen plus longtemps.