Informations

IMPORTANT : pour que la participation de chacun aux discussions reste un plaisir : petit rappel sur les règles du forum

Le grotesque chez George Lucas

Pour les discussions ayant trait à la globalité de l'univers cinématographique Star Wars (Saga Skywalker, Stories, autres), c'est par ici !

Retourner vers Tous les films Star Wars : discussions générales

Règles du forum
CHARTE & FAQ des forums SWU • Rappel : les spoilers et rumeurs sur les prochains films et sur les séries sont interdits dans ce forum.

Messagepar Alcatel » Dim 25 Déc 2005 - 17:49   Sujet: Le grotesque chez George Lucas

On le sait, Lucas est un cinéaste de l'abstrait. Manieur visuel d'idées et de concepts, maître du montage, cette facette s'exprime non seulement dans ses courts-métrages d'étude (Herbie (1966), Look at "Life" (1964), Electronic Labyrinth (1970)), mais aussi dans l'épure géométrique ou monochromatique de ses films commerciaux (THX 1138 (1971), L'Attaque des Clones (2002) notamment).

Plus visible (et souvent décrié), en revanche, est son goût pour le grotesque, le risible, l'étrange, le pathétique voire le mauvais goût. Sur ce postulat, par exemple, on comprend rapidement son engouement pour la bande dessinée Flash Gordon: créatures étranges, tribus d'hominidés sauvages et monstrueux, bêtes à cornes, chimères incroyables et improbables parsèment le récit fabuleux et moyenâgeux d'Alex Raymond.

Chez Lucas, cet aspect a pris corps très tôt, dès THX 1138, dont on doit encore souligner, par cet aspect, le caractère précurseur de toute l'oeuvre à venir. Le spectateur, à la fin du film, découvrait en effet une communauté marginale de curieux êtres, les Shell Dwellers, sortes de nains velus et sauvages, s'exprimant par cris. L'un d'eux était présenté au milieu du film, lors de la sensationnelle séquence de la prison sans murs, dans laquelle les détenus sont eux-mêmes des individus grotesques, débiles voire violents. Ces deux groupes présentent les mêmes caractéristiques de la marginalité qui définit les êtres grotesques de Lucas; rapidement, l'auteur associe différence et monstruosité. On reviendra sur ce que cette association peut avoir de personnelle pour lui. Notons cependant que l'imagination a la mémoire longue: dans la version DVD du film (2004), Lucas transforme une partie de ces nains humanoïdes en créatures numériques simiesques.

A priori, il est plus difficile de déceler les mêmes traits dans American Graffiti (1973), univers réaliste de la Californie des années 60 oblige. Pourtant, on remarque vite un personnage qui appartient indéniablement à ce registre grotesque: Terry "the Toad" (le Crapaud), le plus jeune et le plus naïf de la bande des quatre amis. Maladroit (il encastre sa Vespa dans un mur dès sa première scène), gaffeur (il se fait voler la Thunderbird que lui a confiée son ami), laid, cible de moqueries de ses aînés, faible (son ami John Milner doit venir à sa rescousse lorsqu'il se fait tabasser), c'est pourtant un personnage sympathique, et surtout... A la fin, il emballe la blonde qu'il a trimballée tout au long du film ! Lucas prouve que la différence n'empêche pas le succès, même si on ne le voit pas forcément venir. Par cet aspect décisif, il annonce clairement des personnages futurs, C-3PO et surtout Jar-Jar Binks.

Star Wars (1977) va permettre à George Lucas de faire exploser son goût pour les créatures étranges et grotesques. Dès Un nouvel espoir, les Jawas présentent un lien direct avec les Shell Dwellers, tandis que le droïde C-3PO, d'aspect abstrait s'il en est (visage géométrique, iconique, sans expression) est aussi un incorrigible gaffeur, peureux, maladroit et prétentieux. Pour en finir tout de suite avec ce personnage, ses mésaventures successives n'empêcheront pas, à la fin, qu'il devienne un véritable... dieu (aux yeux des Ewoks). Lui qui, au départ, ne "sait pas raconter des histoires", finit par résumer les Episodes IV, V et VI à un public captivé. Tout comme Terry, C-3PO a rencontré le succès sans s'en rendre compte. Il y a également Chewbacca, croisement de chien et de singe géant; enfin, la Cantina de Mos Eisley est un véritable assortiment (qui annonce déjà la cour de Jabba) de ces extraterrestres à l'aspect ridicule: on y trouve une sorte de vampire, une espèce d'éléphant, une souris géante commande un verre, un morse cherche querelle à Luke... Quant à Dark Vador, nous y reviendrons.

Si l'Empire contre-attaque, changement de réalisateur oblige, met le frein sur les créatures bizarres (on y trouve cependant, hors Yoda et ses numéros clownesques, la tribu des Ugnaughts de la Cité des Nuages), le Retour du Jedi prolonge Un nouvel espoir et annonce la future trilogie. La première partie du film présente notamment, au milieu de dizaines de bestioles - parmi lesquelles un étrange éléphant bleu joueur de clavecin électronique), tout d'abord l'immonde Jabba le Hutt: une énorme limace "baveuse et véreuse"; ensuite sa mascotte: Salacious Crumb, l'anti-Yoda et le pré-Jar-Jar Binks, une petite créature au regard et au rire dément. Si on y regarde de près, c'est la première fois que les "monstres" de Lucas sont d'authentiques "méchants"; les autres étaient soit des communautés soucieuses de garantir leur sécurité, soit des "gentils".

Dans la deuxième partie du film, aux Jawas de l'Episode IV répondent les Ewoks. Le concept de tribu est creusé; Lucas prolonge la recherche ethnologique et le contexte social dans lequel vivent ses monstres. On nous présente leur village, leur mode de vie, leurs rites; on nous montre qu'ils peuvent être à la fois monstrueux (ils mangent les humains) et sympathiques (ils accueillent Leia avant de s'allier aux héros contre l'Empire). Leur courage au combat n'a d'égale que leur sympathique maladresse, source de gags: là encore, les Gungans sont annoncés; Lucas n'abandonne jamais une idée profondément ancrée dans son esprit.Hormis les deux téléfilms consacrés aux Ewoks, Lucas n'est jamais vraiment revenu sur son goût pour la bizarrerie avant la Menace Fantôme (1999).

Dans ce film, son imagination se déchaîne, portée par ses moyens financiers et par le numérique. Alors qu'auparavant presque tous ses personnages importants étaient des humains, Lucas crée une République galactique bigarrée, un authentique melting-pot où toutes les races d'extraterrestres se retrouvent, égales, au Sénat. Les méchants, les Neimoidiens, sont des commerçants reptiliens lâches dotés d'un accent fort décrié (allemand pour les uns, russe pour les autres...). Sur Mos Espa, les héros rencontrent l'étrange Watto, l'inquiétant Sebulba et bien d'autres.

Cependant, celui qui a marqué le film, incontestablement, est Jar-Jar Binks. Sorte de crapaud géant (crapaud se dit toad en anglais) de la race aquatique des Gungans, Jar-Jar et ses cris stridents ont exaspéré le public. Pourtant, il nous rappelle quelque chose: maladroit, gaffeur, gentil et sympathique malgré tout. Si sa différence lui a valu d'être banni par son propre peuple (alors que leur chef, Boss Nass, a lui-même un tic salivaire grotesque), il n'empêche que, comme Terry et C-3PO avant lui, ce même personnage finira par rencontrer le succès alors qu'il ne s'y attendait pas. Promu émissaire par Amidala, il réconcilie les peuples Gungan et Naboo, est nommé général et finit son rôle comme délégué Gungan au Sénat de la République. Charlot Président. Le marginal moqué et mal-aimé s'impose. Par ailleurs, le fait que trois personnages puissent se répondre aussi parfaitement, sur trente ans d'intervalle, n'est pas anodin.

L'Attaque des Clones comporte moins de personnages de ce type, hormis quelques spécimens: principalement Jetster Dexter, le patron du restaurant qui sert d'indic à Obi-Wan. Son obésité, ses manières, son environnement nous évoquent American Graffiti et suggère que Wolfman Jack et son bagout oral auraient eu leur place dans l'univers que nous traitons. Dans un rôle de figurants, notons également les Geonosiens, termites géants dignes d'un film de Harryhausen. Citons enfin les monstres de l'arène, chimères renouant avec les jeux du cirque flashgordoniens: croisement de crabe et d'araignée, de rhinocéros et de taureau...

Enfin, la Revanche des Sith (2005) insiste, de son côté, sur le dernier avatar du grotesque de Lucas: le général Grievous. Il était question, au départ, d'une créature monstrueuse, un véritable cauchemar inspiré de Nosferatu. Mais le comique désamorce cet aspect. Le détail qui fait la différence: une toux insistante. Non seulement annonce-t-elle, au premier degré, le personnage de Dark Vador, mais, au second degré, met-t-elle l'accent sur le pathétique des deux personnages. Caricaturé depuis 1977 par cette respiration rauque, le Seigneur Sith se voit maintenant raillé par son propre créateur. Le risible de Grievous rejaillit sur Vador, désormais Anakin Skywalker, créature anéantie, dont la respiration est le symbole de la pathétique déchéance.

Dans cet inventaire global du grotesque lucasien, nous avons abordé tous les thèmes transversaux du cinéma de George Lucas: abstraction, marginalité, ethnologie, recherche du burlesque... Nous avons aussi découvert que les personnages et les situations se correspondaient d'un film à l'autre, avec constance, ce qui dénote une création très personnelle. Reste à l'interpréter: en quoi la bizarrerie est-elle personnelle à Lucas ?
Il faut mentionner une interview datant de 1977 dans laquelle Lucas déclare: "en entrant à l'université, j'étais Terry "the Toad". Et quand j'en suis sorti, j'étais John Milner, j'avais les voitures les plus rapides." Affirmation assez corroborée par des photos d'époque: autant le Lucas de 1964 semble être un peu naïf avec sa bouche de travers, autant celui de 1968 ressemble effectivement au champion automobile de American Graffiti.
Très tôt, Lucas a dû sentir qu'il était différent. Il avait des goûts différents, une sensibilité différente, des émotions différentes. Il s'écarte toujours de la norme, pour finalement y revenir. A l'université, ses camarades disent de lui: "si vous apercevez sur un écran quelque chose de complètement bizarre, mais de génial, vous savez que c'est George qui l'a fait." Lui qui devait être protégé, durant son enfance, par sa soeur aînée contre les moqueries, finit en 1970 avec le prix spécial de l'USC pour Electronic Labyrinth. Sans doute a-t-il alors senti que les monstres pouvaient eux aussi gagner le respect et réussir, quelles que soient les tares qu'on leur trouve. Pourquoi les monstres ? Parce que la marginalité ou l'appartenance à un groupe, dans la mentalité humaine, se fait toujours en fonction de l'apparence. Mais les créatures de Lucas n'ont pas seulement une apparence mais aussi un comportement différent. Lui qui a étudié l'ethnologie, la sociologie et s'est fasciné pour le cinéma japonais le sait très bien: l'Autre, c'est aussi celui qui n'agit pas comme nous. Les peuples ont des coutumes qui leur sont particulières, et nous sembleraient-elles, à nous, stupides ou ridicules, il convient de comprendre qu'il s'agit pour eux de choses normales et naturelles.

Comment Lucas est-il "rentré dans le rang" en tirant parti de sa différence ? D'abord, on l'a vu, dans son cycle universitaire; puis lorsque American Graffiti et Star Wars lui ont apporté la gloire et la fortune. Ces deux films, censés être "comme tout le monde", sont en réalité complètement originaux dans leur environnement cinématographique. Le vilain petit canard de Modesto est devenu le cygne admiré et respecté.

On remarquera, bien sûr, que toutes les créatures grotesques ne sont pas ainsi. On les a effectivement classées en trois groupes: les communautés (Shell Dwellers, Ewoks, Gungans...), les marginaux (Terry, Jar-Jar), et les méchants (Grievous, Jabba...). Ce dernier groupe relève de la part sombre de la monstruosité. Le message est simple: les méchants aussi sont des êtres grotesques. Ils ne méritent pas qu'on les craigne; ils méritent, au mieux pitié, au pire mépris.




N.B.: il manque quelques personnages à cet inventaire. SEN 5241, l'Empereur en relèvent. Mais l'exhaustivité n'est pas forcément utile.
Je veux faire des films historiques épiques, des séries télévisées, des documentaires et des films d'avant-garde expérimentaux !
Alcatel
Ancien staffeur
Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 3732
Enregistré le: 25 Nov 2002
Localisation: Nice
 

Messagepar NDV » Dim 25 Déc 2005 - 18:26   Sujet: 

Cette thématique de la différence se retrouve aussi parmi la plupart des productions Lucas post-ROTJ : Willow et Howard prennent tous les deux le parti de faire du freak le personnage principal, qui finira malgré tout par être accepté et s'intégrer au monde qui lui est étranger.
La situation est inversée dans Labyrinth, Sarah est la seule humaine dans un monde de créatures grotesques.
Dans un autre registre, Tucker évoque aussi le parcours d'un marginal face aux institutions que sont les constructeurs automobiles. Et Kagemusha est l'histoire d'un personnage placé hors de son élément, obligé de prétendre être ce qu'il n'est pas.
By Grabthar's Hammer, by the sons of Warvan, you shall be avenged !
NDV
Ancien staffeur
Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 3229
Enregistré le: 16 Juil 2003
Localisation: Ankh Morpork
 

Messagepar Robotus » Lun 26 Déc 2005 - 1:06   Sujet: 

On pourrait aussi ajouter que Luke dans les scènes coupées de ANH apparaissait comme un personnage pâlot et plein d'inhibitions en proies aux moqueries des autres jeunes de son âge. Il rappelait alors Terry the Toad. Fort heureusement, ces scènes ont été coupées. Cela permet une meilleure identification du public au personnage et le discours fonctionne sur un registre plus inconscient.
Robotus
Jedi SWU
Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 90
Enregistré le: 29 Mar 2005
Localisation: vers Montpellier
 

Messagepar Shagya » Mer 28 Déc 2005 - 22:43   Sujet: 

Bravo, c'est vraiment une analyse très poussée et intelligente! Sur le thème du grotesque, tu connais peut-être le théoricien Tzvetan Todorov: son travail sur ce sujet fait autorité. Je n'ai malheureusement pas le temps de détailler (je pars bientôt dans une galaxie très très lointaine où je n'aurai pas accès à Internet, beuh...) mais il serait intéressant de pousser l'analyse et d'étudier plus avant l'impact provoqué par l'introduction du grotesque dans la saga...
"His fate will be the same as ours"
Shagya
Jedi SWU
Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 167
Enregistré le: 25 Aoû 2005
 

Messagepar HanSolo » Dim 28 Jan 2018 - 15:13   Sujet: Re:

NDV a écrit:Cette thématique de la différence se retrouve aussi parmi la plupart des productions Lucas post-ROTJ : Willow et Howard prennent tous les deux le parti de faire du freak le personnage principal, qui finira malgré tout par être accepté et s'intégrer au monde qui lui est étranger.
La situation est inversée dans Labyrinth, Sarah est la seule humaine dans un monde de créatures grotesques.
Dans un autre registre, Tucker évoque aussi le parcours d'un marginal face aux institutions que sont les constructeurs automobiles. Et Kagemusha est l'histoire d'un personnage placé hors de son élément, obligé de prétendre être ce qu'il n'est pas.


Déterrage de topic.
Je me suis interessé recemment a Strange Magic, la derniere production de Lucas, et on doit reconnaitre que le gout de Lucas pour les univers "Freak" prend toute sa mesure.
Je soupçonne d'ailleurs GL de ne pas s'etre cantonné a l'écriture de l'histoire et quelques conseils au réal' !
Je t'aime... Je sais!
Leia - Han
HanSolo
Jedi SWU
Avatar de l’utilisateur
 
Messages: 10870
Enregistré le: 05 Oct 1999
Localisation: France
 

Messagepar ROSASTRECK » Sam 24 Fév 2018 - 15:20   Sujet: Re: Le grotesque chez George Lucas

bonjour,

Analyse poussé oui
mais inintéressant
je crois que tout est dit mais juste que vu l' analyse j' ai pas pu résisté
Mesrci
ROSASTRECK
Padawan
 
Messages: 6
Enregistré le: 24 Fév 2018
 


Retourner vers Tous les films Star Wars : discussions générales


  •    Informations