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Ribajo se réveilla. En sortant de sa chambre, il tomba nez-à-nez avec son équipage qui semblait l’attendre de pied ferme dans la salle de séjour du Brûle-Pourpoint. L’ambiance était glauque, presque malsaine.
— T'as rien à nous dire, capitaine ? lui demanda Tino, en train de tailler un crâne au couteau dans un morceau de bois.
Ribajo s’immobilisa.
— Comment ça ?
— On sait que tu nous mens, affirma Boolaya. Tu nous mènes en bateau depuis le début. T'as jamais été un vrai pirate.
Ribajo comprit alors qu'ils étaient peut-être au courant de son ancienne identité. Mais peut-être n'était-ce que du bluff, un test pour confirmer des doutes encore infondés. Mais il ne se laissa pas défaire pour autant. Il pouvait encore sauver la face, s'il faisait passer cela pour un malentendu.
— Alors ça, dernière nouvelle. Qu'est-ce qui vous fait croire ça ?
— On sait qui t’es, rétorqua Segodeg. Quand on est sorti chercher du matos sur Thersgedoï, y’avait un avis de recherche avec ta tête placardé un peu partout. Apparemment t'es r’cherché pour le meurtre de ta femme... et l'Empire estime ta capture à 50 000 crédits. On s'est dit "c'est pas possible, c'est pas lui"... Mais un bothan qui a le sang chaud comme toi, avec une balafre sur le museau... Ça court pas les rues, hein !
— On s'est renseigné sur ta vie passée, poursuivit Boolaya. On dirait que les médias se sont fait un plaisir de la détailler, quand l'affaire a éclaté. La brusque descente aux enfers d'un cuisinier, un loser, un type sans histoire. Comme par hasard, la date du meurtre, et de la disparition... correspond à la veille de notre rencontre sur Khaffed. Ça explique sûrement pourquoi t’es arrivé comme ça, à l’improviste, tout seul et avec un vaisseau à moitié cramé… T’avais plus qu’à t’inventer une vie, et hop c’était plié ! C’est ça, hein ?
— Et nous, on t’a suivi… reprit Segodeg. On t’a fait confiance, "capitaine". Alors t’as intérêt à nous sortir une putain d’explication, ou ça va barder. Avec moi, les traîtres et les menteurs ne font pas long feu...
À ce moment-là, Ribajo comprit qu'il était cerné. Il savait au fond de lui que ce moment finirait par arriver, sans jamais réellement l’envisager, mais le rappel de ces sombres événements qu'il avait voulu effacer lui fit l'effet d'un choc. Maintenant qu'ils savaient la vérité, ce n'était plus la peine de se cacher. Il devait assumer. Il regarda le sol, soupira un bon coup, puis leva le regard vers eux.
— C'est vrai, dit-il. Je vous ai menti sur mon passé. Je n'étais pas encore un pirate... mais je le suis devenu, quand je vous ai rencontrés. Je voulais recommencer une nouvelle vie, faire table rase du passé. Mais parfois, le passé nous rattrape. Tout ce que je voulais, c'était être un bon capitaine. Vous m'avez suivi dans cette aventure, je vous ai acceptés comme vous étiez. Alors, oui, je ne vous ai pas tout dit. Mais c'était uniquement pour me protéger. J'espère... que vous comprendrez.
— Est-ce que c'est une putain de blague ?? rugit Boolaya en dégainant sa vibrolame. Comment tu veux qu'on fasse confiance à un menteur ? À quelqu'un qui a tué sa propre femme ? On va te faire ta fête, ouais !
— Je suis sûr que les Impériaux se montreront très généreux avec nous pour ta capture, ricana doucement Segodeg. En tout cas, plus généreux que le sale radin que tu es.
— Moi, radin ? Non mais c'est une blague...
— Ho hein, ne fais pas l'innocent... Quand j'ai compté le butin, il restait que dalle. Où sont passés tous les crédits, les armes et l'épice ? Les comptes sont pas bons, capitaine.
Ça, ce n'était pas normal. La dernière fois que Ribajo avait compté le butin, il était plein à craquer. Mais à ce stade, il soupçonnait Segodeg de chercher le moindre prétexte pour le discréditer. Il ne serait pas étonné que le Dug ait lui-même vidé les stocks dans son dos pour mieux l'accuser ensuite.
— C’est marrant que tu dises ça, Seg, parce que c’est toi étais chargé de surveiller le butin... On dirait que j'ai fait une erreur en te confiant cette tâche. Et non, je n'aurais pas tout pris pour moi sans vous le dire. S'il manque quelque chose dedans, le responsable se trouve parmi vous.
— N’essaye pas de nous accuser à ta place, répondit Tino en levant son blaster dans sa direction. Ta parole ne vaut plus rien, de toute façon. On a entendu assez de bobards de ta bouche. C’est l’heure de rendre les comptes.
Ribajo le dévisagea d'un air sinistre.
— Alors c'est comme ça que ça se termine... Même toi, Tino ?
Les larmes montèrent aux yeux de l’adolescent, qui était partagé entre sa haine et son attachement pour Ribajo. La bouche tordue par une grimace, il répondit :
— J'ai toujours su qu'il y avait un truc qui clochait chez toi. J'aurais jamais dû quitter ma planète pour obéir à un salaud dans ton genre. Je devrais peut-être te rappeler que… que c'est de ta faute si mon grand-père s'est fait tuer !!
— Ah oui, vraiment ? En quoi ?
— T'aurais pas dû tuer les potes à Zegg, quand ils sont venus à l'auberge. Ils ont cru que mon grand-père t’avait aidé à le faire, alors ils se sont vengés sur lui. Et toi, tu t’en es tiré comme si de rien n’était ! C’est toi qui aurais dû mourir, pas lui !
— Je regrette que ça se soit passé comme ça. Tu crois que j’aurais pressé la gachette si j’avais imaginé les conséquences ? Évidemment que non. Pourtant, je dois vivre tous les jours avec ça sur la conscience. Tu crois que c’est facile ? Tu crois peut-être que t’aurais mieux fait à ma place ? Qu’est-ce que tu me reproches exactement ? De m'être défendu ? Ou d'avoir voulu rendre service ?
— Je te reproche d'avoir mis les pieds sur ma planète. Je sais pas si tu t’en rends compte, mais t'as foutu ma vie en l'air, Jo. C'est à cause de toi que j'ai dû devenir pirate. J'ai… J’ai jamais voulu de cette vie-là !
— Je ne t'ai jamais obligé à me suivre, gamin... C'est même toi qui as insisté pour que je te prenne avec moi !
— J'avais pas le choix. J’avais plus personne, là-bas. Tu étais mon seul espoir... Et j'étais trop jeune pour tout comprendre. Ça t’arrangeait bien, toi… De la main d’œuvre facile pour t’enrichir, rien de plus ! C’est tout ce qu’on est pour toi ?
Ribajo baissa les yeux.
— Il n’a jamais été question de ça. En réalité… Tout ce que je voulais, c’était des gens qui puissent compter sur moi. J’espérais que vous comprendriez au moins ça.
Tino cracha par terre.
— Comment tu veux qu’on croie une seul mot de ta bouche ? Tu nous as tous manipulés, voilà la vérité. T’es rien qu’un manipulateur !
— Un imposteur ! renchérit Boolaya.
— Un traître ! vociféra Seg d’un air mauvais.
C'en était trop. Qu'il admette ses torts, pas de problème. Mais qu'ils l'accusent à tort et à travers, en rejettant toute la faute sur lui ? Qu'ils lui tournent le dos ainsi, après tout ce qu'ils avaient vécu ?
Le sang ne fit qu'un tour dans son cerveau, et le temps sembla se suspendre, quand il comprit qu'il n'y aurait plus aucun moyen de leur faire entendre raison. Ils avaient fait de lui le bouc émissaire idéal, coupable de tous les maux de l'univers. Maintenant qu'ils avaient passé le point de non-retour, ils feraient tout ce qu'ils pourraient pour se venger, puisque leur soif de violence insatiable était devenue leur seul crédo, comme une drogue qui les dévorait de l'intérieur... Et ils ne manqueraient pas une si belle occasion de le traîner dans la boue, lui, la seule figure d'autorité qu'ils devaient encore respecter. Ils ne manqueraient pas cette occasion de prendre sa place, lui qui était le seul à freiner leurs pulsions les plus infâmes, à vouloir les empêcher de sombrer dans cette folie qui les attirait vers le néant. Plus question de revenir en arrière, maintenant. Plus question d'hésiter. Il fallait limiter les dégâts, avant qu'il ne soit trop tard... Était-il déjà trop tard ?
Ils mirent trop de temps à réagir quand Ribajo se mit en mouvement, réveillant immédiatement son instinct de prédateur. En effet, même s’il ne les avait jamais affronté à pleine puissance, aucun d'entre eux ne pouvait rivaliser avec le Bothan en terme de vitesse. Et les années de combat n’avaient fait que l’endurcir. Il reçut tout de même un tir de Boolaya dans l'épaule, la douleur se répandant dans tout son torse. Il tituba, serra les dents, mais ne perdit pas l'équilibre. Ils n'auraient pas raison de lui. Pas aujourd'hui. Il leva son blaster et visa la main de la Twi'lek avec une précision chirurgicale, lui amputant plusieurs doigts pour lui faire lâcher son arme.
— Aaaaahhhh, ma main ! Ma jolie main !
Seg tira à son tour, mais le manqua de peu.
Un pirate qui ne sait pas viser est un pirate mort, se dit Ribajo. Mais... il ne voulait pas le tuer. Pas encore. Il profita de cette faute de son adversaire pour passer son blaster en mode paralysant, et l'arrosa abondamment de cercles bleus lumineux jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Boolaya se jeta sur lui sa vibrolame en main, prête à l'égorger, mais s'écrasa lourdement sur le plancher après avoir absorbé les rayons paralysants. Tino, quant à lui, essayait désespérément de presser la détente de son blaster, mais celui-ci s'était enrayé.
— Pas de chance, on dirait.
— Je... OK capitaine, je me rends ! C'est... C'était pour rire !
— Ouais, c’est ça. Moi aussi, c’est pour rire.
Et il paralysa également Tino.
Les malandrins se réveillèrent l'un après l'autre, pour se rendre compte qu'ils étaient enfermés dans une des capsules de sauvetage.
— Pas trop serrés, là-dedans ? leur adressa Ribajo, faussement amusé.
— T'es qu'un monstre, cracha Boolaya derrière le hublot.
Tino regardait ses pieds, le regard sombre, et Segodeg tambourinait de rage sur les parois de la cabine tel un singe ou un gobelin enragé.
— Un monstre, vraiment ? Je vous ai offert un foyer, la vie que vous rêviez. Je vous ai considéré comme des amis. Traités comme ma propre famille... Et c'est comme ça que vous me remerciez ? Pendant ces quelques années passées ensemble, j'ai pu voir quel genre de personnes vous étiez. Je sais bien que personne n'est parfait, moi le premier. Je croyais qu'avec assez de bonne volonté, on pouvait tous devenir meilleurs. Mais vous m'avez prouvé le contraire. Cette fois-ci, vous êtes allés trop loin. Alors je vais faire ce que j’aurais dû faire depuis longtemps, et que j’avais dit que je ferais si vous dépassiez les bornes : Je vais devoir me séparer de vous.
— Attends, Jo, paniqua Boolaya. On est désolés. On voulait pas que ça se termine comme ça. On va se faire pardonner, promis !
— Tais-toi, gromela Segodeg en attrapant Boolaya par le col. Tais-toi !
— C'est facile de dire ça, répondit Jo, maintenant que vous êtes en position de faiblesse. Vous auriez dû y réfléchir à deux fois avant de vous tourner contre moi. J’aurais préféré ne pas en arriver là, mais je pense que ce sera mieux pour tout le monde.
— Qu'est-ce que tu vas faire ? interrogea Tino. Nous tuer ?
— Vous tuer, non. Je vous laisse une dernière chance. Nous sommes en orbite de la planète Hoth. Je vous ai laissé assez de vivres pour une semaine, et un transpondeur pour envoyer un signal de détresse. Priez pour que quelqu'un vienne vous secourir avant que vous ne vous soyez transformés en glaçons. Le temps que vous quittiez cette planète, je serai déjà assez loin pour que vous ne puissiez jamais me retrouver. Et ne comptez pas à ce qu'on se revoie un jour. Nos chemins se séparent ici.
— Tu nous as condamnés à mort, fulmina Salsifel. On va mourir sur ce caillou gelé !
— Pas si vous faites preuve d'esprit d'équipe. Ça dépendra de vous. Adieu, mes amis. Vous m'avez trahi... mais je n'oublierai pas votre loyauté.
Ribajo appuya sur le bouton, presque à contre-cœur, et vit la capsule s'éjecter dans l'espace avant de disparaître au loin, en direction de cette vaste sphère blanche qu'était la planète Hoth.
Ribajo avait comme une boule dans la gorge. Une larme s'échappa de son œil et coula sur son museau. Malgré leurs travers et leur trahison, il fallait bien admettre qu’il s'était attaché à cet équipage. Mais il était aussi soulagé. Soulagé que tout ça soit enfin fini. Il sécha ses larmes, et soupira. Après tout, tout ceci était trop beau pour être vrai. Ainsi était-il comme brusquement revenu à la réalité, une réalité qu'il ne connaissait que trop bien. Sans personne... Et sans avenir.