CHAPITRE 11 : La croisée des chemins
* * *
L’après-midi passée dans les rues d’Alderaa fut absolument parfaite. Beaucoup trop parfaite. Obi-Wan profita de chaque instant, conscient que ce moment de légèreté n’était qu’éphémère. Pour quelques heures, portés par le soulagement et la certitude que la condition de Yaraa n’était pas d’ordre médical, ils firent fi de tout le reste. De l’Empire, de la mission qui les attendait, de leurs passés respectifs. Au cœur des allées verdoyantes, ils s’autorisèrent une dangereuse insouciance. Obi-Wan savoura chaque éclat de rire de la sorcière, au moins autant que le repas qu’ils s’offrirent dans un restaurant panoramique. Le spectacle visible depuis la haute tour vitrée faisait pâle figure en comparaison de l’émerveillement que le Jedi pouvait lire sur le visage de sa compagne. Elle tentait de masquer ses émotions, mais échouait assez spectaculairement sur ce plan, ce qui ne la rendait que plus irrésistible. Trop fière pour admettre que tout dans cette ville la fascinait, Yaraa tâchait de reprendre contenance dès qu’elle laissait échapper un cri de ravissement, se composant un visage beaucoup trop sérieux pour l’occasion. Obi-Wan finit par ne plus pouvoir résister et pouffa de rire, s’attirant un regard noir de la jeune femme, qui finit par se joindre à lui. La beauté et le calme d’Alderaa étaient contagieuses, un air pur au contact duquel on ne pouvait qu’oublier ses tracas ou s’autoriser, l’espace d’un après-midi, à cesser de faire semblant. Entre deux statues dans une galerie d’art où même lui ne pouvait rien acquérir, Obi-Wan se permit de cheminer bras dessus, bras dessous avec elle. Assis sur un banc dans un parc aux odeurs exquises, il cueillit une fleur au bleu tendre et la plaça derrière l’oreille de la jeune femme. À un stand de lait de Bantha glacé — la dernière tendance de la capitale, à en croire le vendeur — il rit de bon cœur quand elle porta la cuillère à sa bouche et écarquilla les yeux, incapable de décider si c’était la meilleure ou la pire chose qu’elle eut jamais goûtée.
Quand le ciel bleu se para d’ocre et de rose, il lui proposa de se rendre au bord du lac qui bordait la ville. Il regarda d’un œil discret le coucher de soleil, incapable d’empêcher son regard de sans cesse revenir vers elle. Les teintes chaudes qui dansaient à la surface de l’eau éclairaient Yaraa d’une lueur dorée, révélant tout l’argent de sa chevelure et l’éclat lunaire de son teint. C’était le moment ou jamais. Le moment de faire de cette parenthèse éthérée une nouvelle réalité, de saisir cet instant où tout semblait possible pour ouvrir une autre voie. Un monde alternatif dans lequel il aurait le droit de l’aimer, sans mettre son âme et la galaxie entière en péril. Il ne rêvait que de pouvoir prétendre à cette seconde chance, d’oublier celles et ceux qui, avant Yaraa, avaient perdu la vie parce qu’il avait eu l’audace de penser qu’il valait mieux que les autres. Que lui, Obi-Wan Kenobi, n’était pas un Jedi ordinaire. Qu’il pouvait aimer Satine sans renier son devoir, ou chérir Anakin comme son propre frère sans faillir à son rôle de mentor. Il ne demandait qu’à se convaincre que cette fois-ci, ce serait différent. Il pourrait si facilement rompre son serment, s’abandonner tout entier aux sentiments qu’il ne parvenait plus à nier. Mais Yaraa méritait mieux que ça. Elle méritait qu’on l’aime sans concessions. Pour la vie, et pas seulement une journée hors du temps. Elle méritait un homme qui ne passerait pas leurs étreintes à se demander s’il trahissait ses vœux, ses promesses et ses fantômes. Elle méritait quelqu’un de libre, avec qui construire un futur. Même si l’Ordre s’était fourvoyé, même s’il ne tenait qu’à lui de tracer une nouvelle voie, ça ne changeait rien. Qui-Gon avait tort. Elle n’était pas une « clef » ou une solution. Yaraa était une personne et elle méritait qu’on la considère comme telle. Il refusait de se servir d’elle ou de lui promettre ce qu’il n’était pas en mesure de lui offrir.
Alors Obi-Wan ne dit rien. Il se contenta de regarder le soleil plonger dans le lac puis se fondre dans ses eaux mauves, striées d’or. Il laissa cette parenthèse se refermer et ses regrets disparaître avec les dernières lueurs du jour. Ils rentrèrent au palais en silence. La magie était rompue.
* * *
Les jours suivants, Yaraa retourna au lac. Elle attendait la tombée du jour, histoire que personne ne la surprenne à façonner des formes mouvantes dans l’eau. Après avoir passé la journée enfermée dans la bibliothèque personnelle de Bail, où elle lisait le plus d’ouvrages possible d’astrogation et d’ethnologie, elle avait besoin de prendre l’air. Pratiquer sa magie n’était qu’un bonus appréciable. Elle apprenait chaque jour un peu plus sur les mondes connus, essayant de retenir chaque planète, et quelques spécificités à propos des cultures et des spécificités de chacune. De ce que lui avait dit le med-droïde, elle risquait de ne jamais retrouver les connaissances acquises lors de sa précédente vie. Si les souvenirs personnels revenaient, l’absence de savoirs généraux était notable. Ou peut-être n’avait-elle jamais été autre chose qu’une jeune femme des milieux inférieurs de Coruscant, qui n’ignorait rien de sa propre planète, et avait vécu toute sa courte existence sans tourner le regard vers les étoiles. Peut-être qu’elle n’avait rien oublié, mais souffrait de la comparaison avec l’éducation poussée des Alderaaniens ou d’un Jedi particulièrement cultivé.
Tout juste était-il que d’après le médecin, elle avait de la chance de ne pas être devenue un vrai légume, incapable de fermer les boutons de sa chemise ou d’écrire une phrase en commun. Le cerveau était un organe complexe, avec lequel on ne devrait jamais jouer. Le « coup sur la tête » qu’elle prétendait avoir reçu pour éviter les soupçons du droïde avait abîmé sa mémoire de façon aléatoire, comme la foudre. En somme, elle devait s’estimer heureuse de n’être que partiellement amnésique et de ne pas être devenue l’idiote du village. Ou du désert, en l’occurrence.
Lors de ces entraînements nocturnes, Yaraa ne pouvait s’empêcher de repenser à l’après-midi que le Jedi et elle avaient passée ensemble. À la façon dont la journée s’était terminée, au bord du lac. Sur le moment, elle aurait juré qu’il s’apprêtait à sortir de sa retenue, à lui avouer que le sort d’oubli qu’elle lui avait jeté sur Tatooine avait échoué, qu’il ne pensait qu’à elle depuis. Elle avait prétendu être fascinée par le coucher de soleil, mais la beauté des rayons colorés miroitant sur le lac lui était complètement égale. Elle avait revécu leur seul et unique baiser, comme si en convoquer le souvenir pouvait suffire à décider le Jedi. Mais bien sûr, elle ne se faisait que des idées. Obi-Wan ne referait jamais un pas dans sa direction. Premièrement, parce qu’elle avait veillé à effacer ce moment de la mémoire du Jedi et deuxièmement, parce que ce baiser n’était qu’un geste désespéré, l’élan primaire d’un homme qui se pensait condamné à mourir le lendemain même. Elle était là, c’est tout. Rien de plus.
Heureusement, ils avaient depuis cette après-midi fatidique adopté chacun leur propre routine. Obi-Wan se levait tôt et passait la matinée à méditer ou faire de l’exercice en forêt, puis rentrait couvert de sueur quand elle quittait la suite, après une grasse matinée. Ils se saluaient et occupaient chacun leur journée dans leur coin, se croisant à peine. À part les briefings quotidiens dans le bureau de Bail, leurs échanges étaient devenus rares. Et comme les agents du sénateur offraient peu de nouveaux éléments quant à l’inquisitrice, même ces temps se trouvaient limités. Tant mieux, pensa la sorcière.
* * *
Obi-Wan observait le liquide mordoré dans le verre que Bail avec posé devant lui. Bien sûr, elle était en retard. Faisant fi de son impatience, il saisit le récipient et en huma le parfum délicat, d’épices et de feu de cheminée.
— Qu’est-ce qui me vaut cet honneur, Bail ? D’habitude, quand je refuse ta proposition de goûter ton whisky Corélien, tu ranges sagement ta bouteille. Aujourd’hui, tu ne m’as pas demandé mon avis. Qu’est-ce qu’on fête ?
— Rien du tout, je me suis juste dit que pour une fois, je n’allais pas te laisser le choix. Boire seul, c’est d’une tristesse… Allez, goûte-moi ça, mon ami.
— Tu l’as retrouvée, c’est ça ? demanda le Jedi, se redressant soudain dans son siège.
— Mes agents m’ont transmis certains progrès significatifs, mais non, soupira le sénateur. Tu ne préfères pas attendre Yaraa, pour discuter des détails de l’investigation ?
— Si elle daigne arriver, pourquoi pas, maugréa Obi-Wan.
— Puisque nous sommes tous les deux dans un cadre propice à la confidence… commença Bail en prenant une gorgée de whisky.
— Qu’est-ce que tu veux savoir ? le coupa le Jedi.
Bail Organa lui lança un regard intrigué, où son ami pouvait aussi lire une pointe de surprise. Que le sénateur se rassure, Obi-Wan était lui-même étonné de sa propre réaction. Mais blast, il en avait assez de consigner ses pensées au fond d’un coffre, comme il l’avait fait sur Tatooine avec son ancienne tenue et le sabre d’Anakin. Contrairement à ces objets, ces sentiments refusaient de le laisser en paix une fois un couvercle — certes métaphorique — refermé sur eux. Il n’en pouvait plus de faire un pas vers l’acceptation puis deux vers le déni. Quelques jours à éviter soigneusement Yaraa lui avaient prouvé que la situation ne lui convenait pas du tout. Évacuer ses frustrations diverses dans de la méditation et un entraînement physique intensif lui occupait de plus en plus de temps, signe que les choses étaient loin de s’arranger. Une séance d’alchaka d’à peine une heure suffisait en temps normal à l’apaiser ; celle d’aujourd’hui avait duré tout l’après-midi. Il y avait bien une chose qu’il n’avait pas encore tentée : savourer un alcool onéreux avec un ami, et pourquoi pas se confier à lui.
— Vas-y, l’encouragea-t-il. Je ferai de mon mieux pour te répondre.
— Pas de tour de passe-passe Jedi ou de louvoyage purement politicien ? s’amusa Bail.
— Rien de tout cela, confirma Obi-Wan en portant le verre à ses lèvres.
Le whisky était surprenamment sucré, pour une boisson réputée aussi forte. Il savoura la sensation de l’alcool sur ses papilles, qui enrobait son palais d’une robe de velours. Ce n’est que lorsque le liquide glissa dans sa gorge qu’il comprit que la réputation du whisky Coréllien n’était pas volée : un feu ardent s’empara de lui, laissant dans son sillage une douce chaleur. C’était un peu comme se faire gifler puis embrasser sur la joue en l’espace d’une seconde. Une analogie des plus curieuses, nota le Jedi, mortifié. Voilà ce qui arrivait quand on partageait sa suite avec une femme impossible, à qui il était inenvisageable d’avouer ce que l’on ressentait pour elle.
— Et donc, cet exil sur Tatooine…
— Bail, nous savons tous les deux que ce n’est pas ce que tu veux me demander. Qui est-ce qui louvoie, maintenant ? ironisa Obi-Wan en reprenant une gorgée de whisky.
— Tu m’as eu, avoua Bail, les deux mains levées en signe de capitulation. Bon, Obi-Wan, qui est-elle ?
— Ça, je pense que tu le sais mieux que moi, soupira Obi-Wan.
La veille, Bail avait confié un dossier à Yaraa, contenant toutes les informations qu’il avait pu trouver au sujet de Rownica Voron, citoyenne de Coruscant. La sorcière avait distraitement remercié le sénateur, fait disparaître le datapad dans sa tunique puis l’avait abandonné au fond de son sac de voyage une fois rentrée dans leurs appartements. Comme chaque soir, elle s’était excusée auprès d’Obi-Wan et avait filé quelque part, n’emportant comme repas qu’une des rations de survie liquides qu’elle avait trouvées au fond d’un placard. Encore une fois, Obi-Wan avait dîné seul, laissant une assiette à l’intention de la jeune femme sur la table. Comme chaque matin, il avait trouvé la vaisselle faite, l’assiette comprise, mais pas le moindre mot de remerciement.
— Tu veux dire « qui est-elle par rapport à moi », n’est-ce pas, corrigea le Jedi en faisant tourner le liquide ambré dans son verre.
— Si tu as envie d’en parler, évidemment. Mais… il y a quelque chose, n’est-ce pas ?
— Les épreuves rapprochent, tenta de se convaincre Obi-Wan en haussant les épaules. Nous nous sommes trouvés à un moment de faiblesse mutuelle, j’imagine. Tu plaisantais à propos de mon exil, Bail, mais c’était tout sauf facile. D’essayer d’oublier qui on est, face au vide. Le silence me hurlait sans cesse mes échecs au visage. Le vent transportait mes remords, inlassablement. Bref, quand j’ai sorti Yaraa de son vaisseau, c’était comme si tout ce que j’essayais d’enterrer entre les dunes, tout ce qui devait disparaître d’Obi-Wan Kenobi, était ressorti d’un coup. Je pensais avoir fait le deuil de ma propre existence, quelque chose que j’aurais dû faire en tant que Jedi il y a des années, d’ailleurs. On nous apprend à ne chercher ni la gloire, ni l’amour, ni aucune satisfaction personnelle. Ce n’est qu’une fois seul sur Tatooine que j’ai compris à quel point j’avais échoué, en tant que Jedi. Mes amis… ma famille me manquait. Combattre me manquait. Le sentiment grisant du triomphe dans une bataille ou une joute orale me manquait. J’étais perdu, incapable de mener ma mission à bien. J’ai réalisé que je n’étais qu’un homme, finalement. Faible, vaniteux. Irrécupérable. Yaraa… elle, au moins, je pouvais essayer de la sauver. Sauf que bien sûr, rien n’est jamais facile avec elle…
Obi-Wan s’interrompit et se força à lever les yeux vers son ami. Les deux mains posées sous son menton, Bail semblait en pleine analyse d’une proposition d’amendement particulièrement épineuse au sénat. Par les Étoiles, il devait s’ennuyer de pied ferme.
— Je suis désolée, ce que je raconte n’a aucun sens.
— Non, au contraire, le rassura Bail. Continue.
— Je ne sais même pas ce que je voulais dire, marmonna le Jedi. Yaraa est… elle est tout ce que je devrais détester. Elle est impulsive. Souvent égoïste. Têtue. Ses pouvoirs flirtent avec le Côté obscur. Elle est dangereuse. Pourtant, je lui fais confiance. J’ai failli me sacrifier pour elle, tu comprends ? Si je meurs avant d’avoir entraîné Luke, j’échoue à ma mission. Mais j’étais prêt à le faire pour elle, Bail. J’étais prêt à échanger ma vie contre la sienne.
— Parce qu’une mission, un devoir, ça ne fait pas toujours le poids, avança le sénateur avec précaution.
— C’est bien le problème. C’est pour cela que notre Ordre bannissait l’attachement. Parce qu’entre sauver une personne particulière ou des centaines d’autres, l’attachement poussera toujours à prendre la mauvaise décision.
— Es-tu sûr que ce soit forcément le cas ? suggéra doucement Bail. D’un point de vue purement logique, les Jedi ont déjà été envoyés pour protéger des monarques, et ce même quand une population souffrait. Parfois, une seule personne peut changer le cours des choses. Un leader pacifique peut éviter bien des guerres. Un général avisé peut sauver de nombreuses vies, si on le sauve lui plutôt qu’un régiment. La bonne décision n’est pas toujours la plus évidente ni la plus rationnelle. Risquer la vie d’une centaine de chevaliers Jedi pour toi, l’Élu et une sénatrice n’était pas le plus logique, et c’est pourtant cette décision qu’a prise le Conseil.
— Et cet évènement catastrophique a engendré une guerre, qui nous a tant coûté, contra Obi-Wan. Mais si tu veux t’aventurer sur le terrain de la philosophie pure, oui, en théorie, un Jedi devrait toujours écouter et suivre la Force. En saisir sa volonté n’est pas une science exacte, d’où le Code et certains préceptes pour nous guider. Qui-Gon croyait que chacun était libre de tracer sa route, au détriment des règles. Je n’étais pas d’accord. Aujourd’hui, pour être honnête, je n’en sais fichtre rien.
— Et qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas justement la Force qui l’a mise sur ton chemin et te pousse vers elle ?
— Je… j’y ai pensé. Mais si c’était le cas, ce que je ressens pour elle serait pur, lumineux, non ?
— Obi-Wan… soupira le vice-roi d’Alderaan. Qu’est-ce que le Code, dit à propos de hum, ces choses-là, déjà ?
— « Il n’y a pas d’émotion, il y a la paix » et aussi « il n’y a pas de passion, il y a la sérénité », récita Obi-Wan. Cela signifie, grossièrement, que notre devoir est de servir la galaxie. Nous pouvons aimer chaque être d’une compassion universelle, mais l’attachement nous est interdit. Se lier à une personne entraîne la volonté de ne jamais la perdre. La jalousie et la peur mènent au côté obscur.
— Et c’est ça, que tu ressens pour elle ? De la jalousie et de la peur ?
Le Jedi ne répondit pas tout de suite, décontenancé par la question de son ami.
— Non, avoua-t-il finalement, les sourcils froncés. Je ressens… de la passion. Et rien qui ne s’apparente à de la sérénité.
— Et ces sentiments ils sont… hum, hésita le sénateur. Ils sont nouveaux, pour toi ?
— Est-ce que tu essaies de me demander si je suis vierge ? sourit Obi-Wan, absorbé par les reflets du whisky. Non, Bail, j’ai déjà eu des aventures. Quand je te disais que je suis loin d’être le Jedi exemplaire dont l’holonet faisait le portrait à une certaine époque…
— Je ne suis pas expert, mais… est-ce une atteinte directe au code, que d’avoir des relations sexuelles ?
— Pas nécessairement, répondit Obi-Wan, surprit du soulagement qui le submergeait en abordant un sujet aussi trivial avec une personne de confiance. C’est une question sur laquelle les Jedi n’ont jamais vraiment statué. Idéalement, bien sûr qu’il aurait été préférable que nous soyons tous chastes et modérés dans nos désirs. Mais on ne peut lutter contre la biologie, au risque de modeler de jeunes gens frustrés, des proies faciles pour le côté obscur. Au final, le code demeurait la seule consigne vraiment donnée. On laissait un peu à chaque maître le loisir de gérer son padawan quand il entrait dans cet âge difficile, où le corps effectue certains changements… Il était aussi nécessaire que nous n’engendrions pas de descendance. Un enfant né d’un parent sensible à la Force est souvent dangereusement puissant. Il revient donc aux maîtres, de façon implicite bien sûr, puisque le Conseil ne dit rien, d’apprendre certaines précautions à leurs protégés. Mais bref, en la matière, Qui-Gon était on ne plus permissif. Même prompt à me laisser faire mes découvertes, sans entrave aucune. Je le soupçonne de s’être parfois absenté à certains moments clefs sous des prétextes plus que fallacieux.
Le Jedi s’accorda une nouvelle rasade de whisky, et une pensée émue pour la nature sauvage de Mandalore et ce qu’il avait découvert à l’abri d’une grotte, sur une couchette sommaire, lors d’un orage solaire.
— Bien sûr, reprit-il, certains padawans sont plus faciles à gérer. Je sais que tout le monde ne ressent pas le même attrait pour le sexe, qu’il est possible de n’en ressentir même aucun. J’ai cru, pendant un temps, que c’était mon cas. Et puis j’ai rencontré quelqu’un qui m’a fait piétiner le code à plates coutures, Bail.
— Tomber amoureux, tu veux dire ?
— La tête la première, confirma le Jedi. J’aurais pu quitter l’Ordre pour elle, si elle me l’avait demandé. Je sais que son silence m’a préservé, qu’elle m’aimait sans doute assez en retour pour ne pas m’éloigner de ma voie. Mais je n’ai jamais cessé de me demander ce que ma vie aurait été à ses côtés. Je n’ai jamais pu me consacrer entièrement à ma mission, tant une partie de moi est restée avec elle. J’ai connu d’autres personnes, ensuite. Je les ai tous aimés, d’une certaine façon, mais jamais autant qu’elle. Tu vois, même sur ce plan, je suis un piètre Jedi. Incapable de soulager son corps sans torturer son âme.
— Tu veux dire que tu as besoin d’avoir des sentiments pour coucher avec quelqu’un ? Obi-Wan, ça n’a vraiment, mais alors vraiment rien d’étrange, dit Bail avec douceur.
— J’imagine. Mais tu vois le souci ? Incapable d’être un bon Jedi, même sur ce plan, trancha-t-il avec amertume.
— Tu parlais de remettre en question le Code, et certains des enseignements Jedi, non ? tenta Bail. Tu es à ce qu’on appelle une croisée des chemins. Tu peux aller à gauche, à droite, ou continuer sur la même route, celle que tu as toujours connue. Tu as déjà aimé, et n’as pu vivre pleinement ces relations. Tu as déjà renoncé, tu es donc en mesure de le faire de nouveau. D’un autre côté, tu ne sais donc pas non plus ce qui t’attend sur l’un des chemins annexes. Mais tu as aussi pu constater les dégâts d’un amour passionnel, en première loge… Anakin et Padmé sont morts, certes. On peut néanmoins se demander… Était-ce à cause de leur amour, ou parce qu’ils devaient se cacher, en raison des règles dont nous parlons depuis tout à l’heure ?
Après sa tirade, le sénateur saisit la bouteille et remplit de nouveau leurs verres. Généreusement.
— C’est… impressionnant d’éloquence et de logique, ironisa Obi-Wan.
— Hé, contra Bail en levant son verre, on ne me laisse plus trop de tribunes au sénat. Autant que je m’entraîne à argumenter en faveur de causes perdues quand j’en ai l’occasion.
— Aux causes perdues, renchérit Obi-Wan.
Ils trinquèrent, savourant chacun le breuvage et la complicité nouvelle qui se tissait entre eux. Obi-Wan eut cependant à peine le temps de méditer sur les paroles du sénateur, car ce dernier repartit à l’attaque.
— Si tu ressens du désir pour Yaraa, j’imagine que cela veut dire que tu as aussi des sentiments pour elle ? Enfin si on suit la logique de ce que tu viens de m’expliquer…
— Je crois que c’est assez évident, oui.
Voilà. Il l’avait dit. Quelqu’un d’autre savait. La foudre n’avait pas fendu le toit du palais pour le réduire en cendre. Le sol ne s’était pas dérobé sous ses pieds. Il était toujours assis avec Bail, autour du large bureau en bois de ce dernier, en train de parler de ce qu’il ressentait pour Yaraa. Comme d’un sujet normal. D’un sujet dont il avait le droit de parler.
— Et si tu le sais, si tu peux même le dire aussi franchement… tu ne crois pas que tu as déjà mis un pied sur l’une des routes qui s’offrent à toi ? demanda Bail.
Blast. Depuis quand le sénateur avait-il des dons de clairvoyance ?
— Obi-Wan, est-ce que je peux te donner mon avis sur la question ? Bien, continua-t-il, face à l’approbation muette du Jedi. De mon expérience et de celle de la plupart des mortels, d’ailleurs, l’amour n’est jamais pur, simple ou évident. Il s’impose à nous, certes, mais le faire perdurer demande un travail constant. Je fournis des efforts, chaque jour. Pour maintenir la confiance que j’ai pour Bréha et qu’elle a en moi. Mais aussi pour que les tracas du quotidien, les colères passagères et les désaccords profonds n’aient pas raison de notre couple. Je l’aime de tout mon cœur, mais pas un jour ne passe sans que je ne doive faire des concessions ou des efforts. C’est ça, l’amour. Avoir foi en soi, en l’autre, en la relation. Y croire assez pour ne jamais la laisser dépérir. Je n’y ai jamais réfléchi de cette façon, parce que je n’ai jamais eu de raison de craindre que l’amour ne fasse de moi une personne différente. J’ai toujours cherché ça, même. Je trouve ça magnifique, qu’une personne nous fasse évoluer, que nous changions à son contact. Mais de ton point de vue, vu d’où tu viens, je comprends que tu aies peur des zones d’ombre que cela pourrait faire émerger en toi. Ce sera sans doute le cas, tu sais. Il ne tient qu’à toi de décider si le risque fait le poids face à ce que Yaraa pourrait t’apporter. Mais tu as aussi les clefs en main, pour veiller à ne pas franchir certaines limites, ne pas avoir certains comportements que tu jugerais dangereux. Aucune relation ne ressemble aux autres, tu sais.
— Je… je vais y réfléchir, promit Obi-Wan. Je ne sais même pas si elle ressent quoi que ce soit pour moi, de toute façon.
— Ça, tu ne pourras le savoir que si tu te jettes à l’eau, mon ami… et puis sérieusement, dit Bail avec malice, si tu veux l’avis d’un vieux sénateur marié qui n’a que la vie sentimentale des autres pour se divertir…
Avant que le vieux sénateur en question ne puisse livrer un ultime fragment de sagesse, trois coups retentirent sur la porte. Bail eut à peine le temps de dire à Yaraa d’entrer qu’elle se jeta dans le second fauteuil réservé aux visiteurs. Avec un regard appuyé pour la bouteille entamée, elle demanda :
— J’interromps quelque chose d’important ?
* * *
Malgré les protestations des deux hommes, Yaraa ne pouvait se départir de l’idée qu’elle avait en effet coupé court à une discussion primordiale. Bail Organa lui avait proposé un verre de whisky de bonne grâce, qu’elle avait machinalement accepté, regrettant aussitôt sa décision. La dernière fois qu’elle avait abusé de ce breuvage, c’était sur Tatooine. Elle avait alors sauté sur le premier venu, autant pour rendre Obi-Wan jaloux que céder à son besoin de proximité humaine, maintenant qu’elle se l’avouait. Elle trempa les lèvres par politesse, mais ne toucha pas à son verre le reste du court entretien, pendant lequel Bail leur expliqua que le vaisseau volé par l’inquisitrice avait enfin été déniché par ses équipes, abandonné dans la Bordure médiane. Les agents du sénateur remontaient maintenant sa piste, et il était confiant quant à leur chance de retrouver la trace de l’impériale sous peu. Comme d’habitude, il ne pouvait leur donner un délai précis. Patience, prudence et retenue.
Alors que Yaraa se relevait, prête à regagner son coin de lac puis son lit, à une heure assez indécente pour que le Jedi soit déjà endormi, Bail l’arrêta d’un geste.
— Pas si vite, ma jeune amie. J’aimerais aborder avec vous deux le planning des prochains jours.
— Pourquoi ? s’étonnèrent le Jedi et la sorcière en chœur.
— J’avais bon espoir que nous ayons déjà localisé cette femme, avant demain. Mais… elle est plus futée et retorde que ce que mon équipe avait anticipé. Ça ne devrait plus tarder, bien sûr, mais… tout juste est-il que vous serez donc présent pour le mariage de ma cousine. Il a lieu demain soir, précisa Bail d’un air contrit. Comme tu l’as si justement soulevé à ton arrivée, Yaraa, il serait suspect que des invités demeurent en retrait. Ton sort a fonctionné comme un charme, il y a assez de nourriture prévue pour nourrir un régiment et puis vous devez vous ennuyer à force.
— Pas du tout, protesta Yaraa.
— Nous sommes tellement occupés que nous nous croisons à peine, confirma le Jedi avec ce que Yaraa interpréta comme une amertume à peine voilée.
— Heu… d’accord. Vous ne souhaitez donc pas prendre part aux festivités ?
— Tout plutôt que de rester enfermée là-haut, supplia la sorcière, vexée par les sous-entendus d’Obi-Wan.
— Pourquoi pas, ajouta Obi-Wan, son habituel détachement de retour.
— Parfait, s’enthousiasma le Sénateur. Je vous ferai porter un choix de tenues adaptées. La cérémonie est réservée à la famille proche, mais la réception commencera dans le jardin royal dès sept heures. Et voilà pour vous.
Bail ouvrit un tiroir de son antique bureau et leur tendit à chacun un carton d’invitation crème, indiquant que le professeur Gioden Darjam et Mlle Valvyes Samar étaient cordialement conviés aux noces de Bellia Prestor et Edivar Stulen.
Hello hello ! ♥
Désolée du petit retard, j'ai bien profité de mon week-end avec une de mes meilleures potes, du coup je n'ai pas eu le temps de poster hier.
Ce chapitre fait partie de ceux que j'avais le plus hâte d'écrire et que j'avais en tête depuis le début. Je sais que ma vision de comment l'ordre Jedi gérait les émois des leurs fera peut-être débat, tout comme la sexualité d'Obi-Wan telle que je l'aborde, mais cela faisait partie des choses que j'avais envie de développer dans cette fan fiction. Bref, j'espère que ce chapitre vous aura plu et sinon je serai ravie d'échanger avec vous.