CHAPITRE 7 : Un dîner avec le sénateur
* * *
Plutôt que de compter les nouvelles rides sur le visage de son ami, le Jedi ne pouvait s'empêcher d'y chercher des traces de méfiance ou de regrets. Il comptait sur le fait que le sénateur soit un homme bon, l'une des seules personnes en qui il pouvait avoir confiance mais... Après avoir ignoré ses messages des mois durant, voilà qu'il débarquait dans sa demeure pour lui extorquer un service et Bail ne lui avait pas fait un seul reproche. Yaraa n'avait pas tort ; leur venue mettait le politicien et sa famille en danger, mais aussi ses sujets, des milliers de citoyens innocents. Alors même s'il s'accrochait à la foi qu'il avait en le Prince Consort d'Alderaan, une urgence ridicule lui vrillait la poitrine. Était-ce trop demander d'arriver un peu en avance, au cas où les appartements royaux soient truffés de mouchards, ou qu'un agent impérial se cache sous la table ? Mais bien sûr. Elle s'en fichait. Elle ne voyait rien de tout cela, comme à son habitude. Elle semblait percevoir la réalité à travers un filtre bien personnel, où rien n'était jamais vraiment grave. Foncer seule dans le chaos et invoquer une créature invincible ? La Mort n'était qu'une formalité. Jouer une comédie ridicule devant des stormtroopers plutôt que d'attendre qu'ils ne les dépassent pour les surprendre de dos ? C'était bien plus amusant. La ponctualité ? Une convention ridicule et facultative. À cette pensée Obi-Wan risqua une énième œillade à l'horloge. Quinze minutes de retard. Finalement, il espérait presque qu'un bataillon de soldats les attendent pour le dîner ; cela lui éviterait de mourir de honte.N'y tenant plus, il se leva et frappa à la porte de la chambre avec un agacement à peine contenu :
— Yaraa, tu es bientôt prête ?
La porte coulissa à mi-chemin. Le poing toujours levé, prêt à toquer de nouveau, le Jedi baissa la main et se prépara à affronter la mauvaise humeur de la sorcière, dont seule la tête dépassait de l'ouverture. Mais au lieu de lui lancer des lasers de ses yeux sombres, Yaraa affichait un air contrit, la tête baissée.
— Tout va bien ? lui demanda-t-il, aussi impatient que désemparé.
— J'ai essayé plusieurs tenues mais... Comment est-ce qu'on est censé s'habiller pour dîner avec un prince ? s'exaspéra-t-elle. Je n'ai pas la moindre idée des couleurs, blast, des coupes qui sont appropriées, je...
— Je suis sûr que n'importe laquelle des robes que Bail a fait amener pour toi conviendra parfaitement, l'interrompit-il.
Yaraa se figea et répondit d'une voix mal assurée :
— Ça commence mal. Je ne porte pas de robe.
À ces mots, elle finit de faire coulisser la porte et s'avança devant lui, ne décroisant les bras que pour se ronger les ongles. En effet, la sorcière n'avait pas jeté son dévolu sur une robe. Elle avait revêtu une combinaison bleu nuit, taillée dans une matière fluide et vaporeuse. Une cape en voile recouvrait ses épaules nues, mais rien ne venait couvrir le large décolleté qui s'arrêtait assez haut pour que l'on puisse qualifier le vêtement d'élégant et d'audacieux, plutôt que de bêtement provocateur. Une ceinture métallique en triangle marquait sa taille, au-dessus d'un pantalon aux jambes larges et aériennes, coupées juste au niveau des chevilles. Des souliers de la même teinte, tissés d'or, venaient compléter le tableau. Elle ne portait aucun bijou, à l'exception de manchettes dorées, dont les trois branches enserraient ses avants bras. Ses cheveux tressés en couronne dégageaient sa nuque et attiraient toute l'attention sur ses lèvres, peintes d'un indigo tirant sur noir. Sous ses cils recourbés et rehaussés d'un discret maquillage charbon, ses yeux brillaient d'une lueur de défi.
Comme s'il pouvait émettre la moindre critique à son égard. Comme si sa colère naissante ne s'était pas envolée dès qu'elle avait franchi la porte, inconsciente du pouvoir qu'elle avait sur lui. Comme s'il ne la trouvait pas tout simplement parfaite.
— Alors ? Ben, plus tu gardes le silence, plus je me dis que j'ai visé complètement à côté... Je suis ridicule, marmonna-t-elle.
Yaraa secoua la tête et fit mine de retourner dans la chambre. Sans réfléchir, le Jedi intercepta la porte dont la sorcière venait d'activer la fermeture. Il maintenait le panneau ouvert, cherchant désespérément ce qu'il convenait de dire, pour expliquer ce geste aussi impulsif que déplacé. Pour lui avouer à quel point elle était belle, resplendissante même, sans se trahir. Il était impensable de lui confier qu'il avait rencontré des monarques moins impériales, ou devisé avec de nobles dames bien moins dignes de louanges. Il ne pouvait surtout pas lui révéler qu'il avait même aimé l'une d'entre elles, à laquelle il se refusait de la comparer, mais dont la lumière égalait la sienne.
— Nous sommes déjà en retard. Et ne t'inquiète pas, tu es très bien. Plus que bien, même.
Un pieu mensonge, se convainquit-il, éloigné de la réalité et d'une platitude déplorable, mais un compromis acceptable. Il espérait ne pas l'avoir vexée, mais surtout, par les Étoiles, avoir contrôlé sa respiration et gardé un visage de marbre. Elle ne pouvait rien savoir, des instincts qu'il croyait éteint et qu'elle enflammait d'un seul regard, comme des poèmes qu'il aurait pu déclamer en la découvrant ainsi. Depuis leur départ, il ne savait plus qu'il devait tenter d'être, entre l'homme qu'il s'était résolu à devenir sur Tatooine ou de celui qu'il avait cessé d'incarner après Mustafar. Il se laissait flotter dans un réel cotonneux, porté seulement par un objectif de plus en diffus.
Retrouver la femme. Protéger le secret de l'existence des jumeaux. À l'exception de ses cauchemars, tout le traversait. Il réagissait. Il avançait. Mais rien de plus. Sauf avec elle.
Un adolescent éperdument stupide, voilà ce qu'il était en sa présence. Il n'avait ni le courage, ni la jugeote de décider ce qui était le pire entre son habituel état engourdi ou cette régression béate dès qu'il pensait ou parlait avec elle.
Il s'écarta pour lui permettre de franchir l'ouverture entre les deux pièces puis relâcha la porte, retenant un juron. Son épaule convalescente le lançait avec un entrain retrouvé, bien plus que ces derniers jours, durant lesquels il avait tâché de s'économiser physiquement. S'il pouvait manifestement se montrer aussi sentimental que dans ses jeunes années, son corps se chargeait de lui rappeler qu'il n'avait plus vingt ans. Obi-Wan trouva dans la douleur la confirmation dont il avait besoin ; Satine était une erreur qu'un padawan pouvait se permettre, quand le sort de la galaxie ne reposait pas sur ses épaules, et que l'avenir n'était pas encore un néant sans étoiles. Ou une mélancolie pressante à laquelle il était possible de s'abandonner, des années plus tard, comme pour se dire adieu. Mais il n'était plus le même homme et Yaraa n'était pas Satine.
Tu n'es même plus un Jedi. Tu n'es personne.— Tu dis juste ça parce que tu as choisi la même couleur, releva Yaraa, un sourire au coin des lèvres.
Elle avait presque l'air soulagée, mais il se faisait sans doute des idées. Il commençait à connaître la jeune femme. Elle n'était pas du genre à chercher l'approbation de quiconque, surtout pas la sienne. Et pourtant. Son intuition criait au Jedi qu'elle n'avait pas juste choisi ses vêtements et sa coiffure pour faire honneur à leur hôte. Qu'elle guettait chacun de ses mouvements, et que ses épaules s'étaient enfin relâchées quand il avait complimenté sa tenue avec la finesse d'un négociant Hutt. Obi-Wan rejeta cette idée à regret, conscient que dès que Yaraa était concernée, il était incapable de dire qui de la Force ou des sentiments — qu'à défaut d'accepter, il commençait à admettre — lui susurrait des inepties à l'oreille.
— Pas tout à fait. Un observateur avisé dirait que ta robe est bleu nuit, tandis que mon pantalon et mon veston sont cobalt, finit-il par répondre.
— Ce n'est toujours pas une robe, rétorqua-t-elle avec malice, et j'ignorais que la formation Jedi imposait des cours sur l'histoire des couleurs...
— Nous sommes... étions des gardiens de la paix. Un succès diplomatique peut tout à fait reposer sur les connaissances de l'émissaire envoyé sur place à propos de la culture locale. Chez certaines espèces, confondre deux nuances de vert peut s'avérer fatal.
Yaraa haussa un sourcil et hésita un instant :
— Tu te moques de moi, hein ?
Comme la plupart des semi-vérités, celle-ci avait un fondement bien réel. Il ne pouvait compter les nuits passées dans les archives du temple, avant de partir en mission avec Qui-Gon puis Anakin, à rechercher la moindre information sur une planète et ses habitants. Cependant, il était également vrai qu'il n'avait pas envie d'admettre que leurs tenues respectives étaient parfaitement assorties. Le pantalon ajusté et le veston col montant qu'il avait revêtu par-dessus une chemise blanche aux manches bouffantes étaient exactement de la même teinte que la robe-qui-n'était-pas-une-robe de la sorcière. Il s'imagina un instant à ses côtés, et réalisa qu'avec ses bottes montantes et ses cheveux trop longs, il ressemblait sans doute à un vaurien fortuné qui paradait avec une femme beaucoup trop belle et un tantinet trop jeune pour lui, en route pour une négociation clandestine dans les sphères secrètes de la Bordure Extérieure.
Qui-Gon lui avait promis ne l'avoir jamais abandonné ; Obi-Wan espérait que si son ancien maître l'observait en ce moment, il était bien assis et que des mouchoirs étaient fournis dans l'au-delà, parce qu'il devait rire à en pleurer.
Heureusement, Yaraa finit par se rappeler de l'existence d'un concept appelé « temps » et se confondit en excuses, lui donnant le prétexte parfait pour maugréer sur leur retard indécent, plutôt que de demander à son tour d'une voix timide comment elle le trouvait.
Un adolescent attardé.[/alinea]
* * *
Une allée bordée d'arbres parfumés aux courbes anguleuses les mena vers une arche, où deux humains montaient la garde. L'un d'entre eux opina du chef sous son casque arrondi, du même gris clair que le reste de son uniforme, puis se tourna sans un mot vers sa collègue. Dans une harmonie parfaite, exécutant sans doute un geste maintes et maintes fois répété, ils actionnèrent chacun une poignée argentée et tirèrent les battants d'une porte de plusieurs mètres de haut. Obi-Wan se permit un regard à sa compagne, qui bouche-bée, scrutait tour à tour les gardes, puis le mécanisme archaïque qu'ils venaient d'enclencher. En franchissant le seuil des appartement royaux, Yaraa avança avec une lenteur suspecte, se tordant finalement le cou pour détailler l'intérieur des portes, puis elle remercia les gardes et trottina à la suite du Jedi.
— Je ne suis pas certaine de comprendre comment ça fonctionne, mais bon sang, il faut avouer que ça a de l'allure, s'extasia-t-elle.
— J'ai quelques idées mais... demande à Bail, quelque chose me dit que si tu ne crains pas que le dîner s'éternise, il sera ravi de te faire un cours magistral.
— Ne me tente pas, mon ami ! s'écria l'intéressé, deux coupes remplies d'un liquide bleuté à la main.
Bail avait troqué sa tenue de voyage contre une chemise croisée et un pantalon vert d'eau, que venait protéger un tablier noué à la taille. Il tendit l'un des verres à Yaraa, qui l'accepta sans sourciller et huma timidement le breuvage. Enfin, il se tourna vers Obi-Wan. Le Sénateur leva un sourcil interrogateur à son intention, se rappelant sans doute que les Jedi ne buvaient pas ou que très rarement de l'alcool. Obi-Wan s'apprêtait à refuser l'invitation, par pur réflexe, puis se demanda à quoi cela servait, au final. Il continuait d'appliquer les préceptes de l'Ordre par habitude, parce qu'il n'avait rien connu d'autre. Ne plus se fier aux règles qui avaient toujours structuré sa vie ne serait pas une libération, mais un saut dans des abysses obscurs, terrifiants. Il savait, bien sûr, qu'il avait déjà trahi bon nombre des lois qu'un Jedi se devait de respecter, par le passé ou lors des dernières semaines. Chaque pas qui le rapprochait du vide en était la confirmation. Après tout, qu'était une gorgée d'alcool contre le désir qu'il ressentait pour Yaraa et auquel il avait failli céder à plusieurs reprises ? Il réalisa que l'une des seules choses qu'il lui restait, c'était décider de combien de pas il disposait encore avant le point de non-retour.
Un écho lointain recouvrit son subconscient, une voix qu'il avait presque perdu espoir d'entendre de nouveau. Un verre, mon jeune padawan. Un verre pour faire preuve de politesse envers nos hôtes, et pour ouvrir ton esprit. Les règles sont faites pour être remises en cause, Obi-Wan. Et mieux vaut savoir ce que l'on manque pour ne pas trop l'idéaliser. L'alcool, comme bien d'autres plaisirs dont notre statut nous prive en théorie, n'est au final pas grand-chose. Une réaction physiologique, comme la chaleur ou le froid. Bois, ce sera ta leçon du jour.
Il se revoyait sur Alderaan, des décennies plus tôt, intimidé par le faste de la planète mais décidé à suivre le Code à la lettre. Puis Qui-Gon lui avait fourré une coupe dans la main, avait vidé la sienne et lui avait fait ce discours, précurseur des conseils qu'il prodiguerait à son apprenti et des conflits qui éclateraient entre les deux hommes. Bien sûr, ce n'était qu'une réminiscence, un souvenir idiot. Pourtant, il n'avait entendu la voix de son ancien maître aussi distinctement qu'à deux reprises depuis sa mort ; la première, quand une marche sous les rayons impitoyables des soleils de Tatooine l'avait mené aux portes de l'inconscience, et la seconde, lors d'une vision où Yaraa avait permis à Qui-Gon de leur apparaître à tous les deux. Ça n'avait aucun sens, que son maître n'intervienne que pour lui suggérer de ne pas perdre la trace de la jeune femme, ou lui susurrer des paroles cryptiques à son égard. Des bredouillages prophétiques à propos d'une « clef » et des « entraves qui freinaient son voyage ». Du charabia comme seul son maître semblait en avoir le secret. Au moins, cette fois-ci, Obi-Wan pouvait dégager un sens des paroles de Qui-Gon. Cela faisait des jours qu'il s'évertuait à occuper ses mains ou son esprit pour ne pas se lamenter sur la situation, conscient qu'il n'obéissait plus à grand-chose, sinon aux lois du chaos ambiant. Il avait tant besoin d'une consigne, du moindre signe qui l'épargnerait de la responsabilité constante de prendre les mauvaises décisions, de se rapprocher inexorablement du gouffre. Et voilà qu'une indication simple lui tombait du ciel.
— Obi-Wan ? insista le sénateur, le rappelant à la réalité.
Le Jedi se força à sourire, puis délesta Bail de sa gêne et du verre d'un seul geste. Qui-Gon voulait qu'il boive ? Qu'il en soit ainsi.
Il leva le liquide pétillant devant lui, et trinqua. Le vin était frais et sucré.
* * *
Un fumet exquis s'élevait des casseroles que Bail venait remuer de temps à autre, tout en continuant de répondre aux nombreuses questions dont Yaraa le bombardait. Oui, il vivait ici avec sa femme et sa fille quand le devoir lui permettait de quitter Coruscant. Non, il n'était pas commun pour une famille royale de cuisiner elle-même ses repas, mais l'un des rares endroits où il parvenait à se détendre était au-dessus de ses fourneaux. Breha lui avait fait installer cette cuisine et salle à manger lors de l'un de leur premier anniversaire de mariage, à la place d'une salle de réception privée, dont ils ne se servaient jamais, de toute façon. Et que Yaraa se rassure, il n'avait pas pris des vacances pour la première fois depuis cinq ans dans le seul but de les recevoir, mais pour exercer ses fonctions de Prince consort en l'absence de son épouse. Il fallait bien que quelqu'un veille à la bonne tenue du mariage de sa cousine. Le timing était juste idéal, comme si la Force avait voulu qu'il puisse les aider de son mieux.
Bail ajouta du sel dans un plat qu'il jugeait trop insipide et leur assura qu'il ne manquerait à personne au Sénat pour deux petites semaines. Depuis qu'il avait été arrêté avec soixante-trois autres sénateurs pour haute trahison, les soutiens fidèles ou silencieux de Palpatine se taisaient en sa présence. Et depuis qu'il avait été gracié après avoir professé publiquement sa fidélité à l'Empire, ses anciens alliés l'évitaient dans les couloirs. Il lui faudrait du temps pour reconstruire les liens brisés par la chute de la République, avant de s'organiser contre la tyrannie impériale. Il en était conscient mais n'avait pas perdu espoir : il faudrait attendre le bon moment pour planter et cueillir les fruits de la résistance. Son heure viendrait. Il commençait déjà à le faire, en hébergeant un fugitif dangereux et sa ravissante compagne, n'est-ce pas ?
Une sonnerie retentit, interrompant le sénateur. Il se précipita vers un four hypersonique comme auprès du chevet d'un nouveau-né, laissant à Obi-Wan le choix entre finir son verre dans un silence pesant ou continuer d'animer la conversation. Le vin de Toniray était assez léger pour seulement titiller ses sens, mais assez traître pour qu'il ne craigne de prononcer une ineptie calamiteuse. Comme de rectifier la faute commise en minimisant de façon presque criminelle la vision que Yaraa offrait ce soir. La première chose qui lui venait en tête, s'il était parfaitement honnête avec lui-même, concernait le contraste saisissant entre sa peau à l'éclat lunaire et la teinte crépusculaire du voile qui couvrait ses épaules. Peut-être, tout compte fait, qu'il devrait plutôt terminer le verre que Bail avait cru bon de remplir dans son dos.
Heureusement — enfin cela restait à déterminer — Yaraa était moins vigilante quant à sa consommation de Toniray. Elle leva son verre et rencontra le regard d'Obi-Wan, qui, incapable de se détacher de ses lèvres sombres, sur lesquelles perlait une goutte du breuvage azur, s'apprêtait à bafouiller l'une des idioties qu'il craignait tant. La sorcière vint à sa rescousse sans le savoir et se défendit, pensant certainement qu'il la jugeait :
— J'ai été serveuse dans la Bordure Extérieure, je sais exactement quand m'arrêter. Toi, par contre...
Elle reprit une gorgée et lui adressa un sourire goguenard :
— Un lait de bantha, hein ?
— Pardon ?
— C'est bien ça, que tu as pris non ? Mon premier soir là-bas. Sadi voulait que je danse avec toi, nan mais tu imagines... Bref. Un lait de bantha. Tu sais que même si la couleur est proche, ce n'est pas ça que Bail nous a servi, hein ?
Son premier soir là-bas. La nuit où il l'avait trouvée, hilare et radieuse, dansant sur le comptoir, puis se mêlant aux danseurs, pour finalement jeter son dévolu sur un autre homme. Il avait d'abord pensé qu'elle viendrait vers lui, qu'elle causerait une scène puis accepterait de mettre leurs différents à plat. Il s'était ensuite convaincu qu'elle ne l'avait tout simplement pas vu, et que la sensation qui avait transpercé son cœur était de la déception devant de frivolité, pas de la jalousie, quelle idée. Mais elle l'avait vu. Elle savait qu'il était là. Elle l'avait même assez observé pour se souvenir de ce que lui avait servi la Twi'Lek à la peau orangée.
Sa tête s'était mise à tourner, non pas à cause du vin, mais des implications vertigineuses de cette révélation pourtant anodine. Si elle savait qu'il était là, avait-elle dansé avec cet homme pour lui envoyer un message ? Ou est-ce que cela ne changeait absolument rien, et qu'il était en train de faire une dune d'un tas de sable ? Yaraa était impulsive. Elle n'agissait que pour elle, n'obéissant qu'à ses envies changeantes. Penser que ses gestes étaient destinés à susciter quelque chose chez le Jedi, à lui extorquer une réaction, était bien la preuve qu'il redoutait. Il pensait n'avoir trempé qu'un orteil dans le lac, alors qu'il avait déjà de l'eau jusqu'au cou.
Bail le surprit en déposant une assiette fumante devant lui. Il avait déjà servi Yaraa et fit un aller-retour pour enfin chercher la sienne et une nouvelle bouteille de vin. Le sénateur dénoua son tablier et épongea son front avec satisfaction. Il contemplait ses deux convives, un sourire indéchiffrable peint sur les lèvres.
— Tu... comptes te joindre à nous ? se hasarda Obi-Wan.
— Évidemment, veuillez me pardonner, s'excusa Bail en s'asseyant. Je profitais juste de cette vision ; Obi-Wan Kenobi, que je pensais ne jamais revoir, assis à ma table, en charmante compagnie. Je sais bien que les raisons qui vous amènent ici sont tout sauf propices au badinage, mais je ne peux m'empêcher de me réjouir de te revoir. Et de vous rencontrer, ajouta-t-il à l'intention de Yaraa. Vous formez un duo surprenant mais fort bien assorti, à se demander si vous avez choisi vos tenues ensemble.
Yaraa masqua un rire derrière le dos de sa main tandis qu'Obi-Wan leva les yeux aux ciels. Par les Saines Étoiles, il savait que quitte à être en retard, il aurait dû se changer. Bail ne le laisserait jamais en paix. Désireux de changer de sujet, le Jedi prit la parole :
— Bon, à propos de notre heu... visite. La femme que nous recherchons est une envoyée de l'Empire. Une Inquisitrice, de ce que nous avons compris. Nous ne savons pas précisément quel est son rôle au sein des services impériaux, mais elle n'est pas la seule à porter ce titre. Elle était à la poursuite de Yaraa, formée au maniement du sabre, et convertie au côté obscur. Elle ne sait rien de Luke, mais elle m'a vu. Elle sait que je suis un Jedi. Elle a pris la fuite à bord d'une navette, dont j'ai les codes ici, précisa-t-il en faisant glisser un datapad vers Bail. Nous ne savons pas où elle a pris la fuite, mais il est raisonnable de penser que vu l'état dans lequel elle nous a quitté, elle est actuellement en cavale et fuit l'Empire. Ah, et j'allais oublier ; elle est grande, mince, a les cheveux noirs, un bras en moins et a perdu l'usage de la parole. Tu penses que cela sera suffisant pour que tes espions la retrouvent ?
Bail et Yaraa le fixaient, avec une gravité nouvelle. Quoi. Qu'est-ce que j'ai encore bien pu dire.
— Obi-Wan... Je. Oui. Tu as raison. Nous ferons tout notre possible pour la localiser. Si tu le souhaites, je vous tiendrai un bilan quotidien des avancées de mes agents. Mais... Peut-être que pour ce soir, nous pourrions juste profiter d'un bon repas, d'une excellente bouteille et oublier l'Empire ? Une agente de confiance se tient déjà prête et, voilà, ajouta-t-il en se saisissant du datapad sur lequel il pianota une série de chiffres. Je lui ai transmis les codes. Elle recevra un topo complet dans la nuit. Je ne minimise pas l'importance de cette traque, puisqu'elle t'a forcé à quitter Tatooine. Je sais ce que cela représente.
— Nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour que Luke soit protégé pendant notre absence, précisa Yaraa, dont la main était venue se poser sur celle du Jedi. Et je ne demande rien de plus que de me réjouir de dormir dans un lit moelleux et me régaler d'un tel festin, d'ailleurs, Bail, ça sent divinement bon, mais... Comprenez ce qu'est la vie sur Tatooine. Obi-Wan vit depuis un an dans la solitude la plus totale. On a tué pratiquement tous ceux qui ont un jour compté pour lui. Il n'a même pas pu faire leur deuil, assister à leur enterrement. Vous imaginez, Bail ? Il veille sur un gamin dont les parents adoptifs refusent de le laisser les approcher, c'est... Étrange, de se retrouver dans un tel lieu, avec vous, de trinquer comme si le passé n'existait plus et que l'avenir était fait d'autre chose que de ténèbres insondables. Nous apprécions tout ce vous faites pour nous, Bail, mais je crois que nous avons simplement besoin d'un peu de temps.
Obi-Wan dévisagea la sorcière, le souffle coupé. Un battement de cils plus tôt, elle sirotait son vin, le rose aux joues, et se moquait de lui avec un plaisir évident. Elle lui avait pourtant prouvé que ses airs farouches et son impulsivité n'étaient qu'une façade. Qu'en dessous de son attitude de chasseuse de prime et l'égoïsme qu'elle revendiquait presque comme un étendard, elle comprenait tant de choses. Trop, peut-être. Elle le voyait, lui, entier. Elle ne voyait pas simplement le Jedi, l'ermite ou le vétéran en fuite. Elle discernait cette personnalité mouvante qui émergeait des cendres, et dont lui-même ne devinait pas encore les contours. Ce n'était pas juste, que la plupart du temps, il lui fasse l'affront de prétendre s'arrêter aux apparences. En cet instant, il la voyait, elle-aussi. Le souci, c'est que quand cela se produisait, il n'avait plus qu'une seule certitude ; il était en train de tomber éperdument amoureux.
Hello à toutes et à tous, déjà bon week-end et merci de continuer à suivre cette histoire ♥
J'espère que ce chapitre vous a plu, en tout cas il me tenait beaucoup à cœur !