Le jedi avait horriblement chaud sous sa fausse moustache. Elle ne ressemblait pas à celle du touriste dont il jouait le rôle, mais de toute façon, s’il se faisait prendre, la dissemblance de leur moustache serait le dernier de ses soucis.
Ils arrivèrent à l’astroport sans problème, extrêmement prudents malgré tout. Il ne semblait pas y avoir de contingent militaire sur les lieux. Ou disons qu'il ne fut guère plus nombreux que celui que Jinn avait rencontré à l’arrivée. Il passa les services de sécurité sans être inquiété, même si lui était très inquiet. Call quant à elle, semblait trouver cela très amusant –ça ne l’effrayait pas du tout de servir de complice à un hors-la-loi. Elle était plutôt excitée. Juste avant d’embarquer, ils se fondirent tous deux dans le petit groupe de touristes qui en avait visiblement marre de Cato-Neimoidia et de ce tour mal organisé, et qui était visiblement très heureux de rentrer chez lui.
« Rob Pollsen ? appela la voix du guide qui avait été chargé de l’organisation des visites la semaine précédente.
-Présent, annonça Jinn le plus naturellement du monde. »
Aucun des touristes ne remarqua quoi que ce soit. Call avait vu juste : le véritable Rob Pollsen ne manquait pas à grand monde. En tout cas pas à ses co-vacanciers. Seul le guide sembla tiquer légèrement : son regard se fixa dans celui de Jinn un peu plus longtemps que pour les autres. Il pencha la tête, histoire de réfléchir à celui qu’il allait embarquer avec lui.
« Quoi ? l’agressa Jinn, jouant à merveille le rôle du type outré qu’on le regarde ainsi sans raison. »
Le guide ne répondit pas. Il se contenta de hausser les épaules, puis reprit son appel sans sourciller.
Quelques minutes plus tard, le vaisseau de ligne décollait.
« Major Kints, vous m’entendez ?
-Oui, général Stinell.
-Votre homme a été repéré à l’astroport d’Elmo. Il vient tout juste de décoller à destination de la planète Syenyolia.
-Très bien, général. Je le suis.
-N’oubliez pas votre promesse, Kints.
-Je n’oublie jamais rien, mon général. »
Quelques jours plus tard, sur Koboc.
« Vous savez, général, que si un seul de vos hommes apprend ce que vous venez faire tous les soirs chez moi, ç’en est fini de vous.
-Qui l’apprendra ? Il n’y a ici aucun micro ni aucun système d’espionnage.
-Mais s’ils vous voient ne serait-ce que venir ici, ils trouveront ça louche. Supposez qu’ils vous imaginent être secrètement un vieux satyre adepte des relations inter-espèces ?
-Vous n’avez rien d’une prostituée, ma chère Lyona. »
C’était la première fois qu’il l’appelait par son prénom. Et ça ne sembla pas la gêner outre mesure.
« Ma foi, je ne sais pas si je dois prendre ça pour un compliment, mon cher Halaser. Mais même sans parler de prostitution, un espion amateur pourrait en venir vite à cette conclusion de relation inter-espèces. Et vous imaginez ce qu’une telle rumeur ferait à votre image ?
-Je n’ai plus que faire de mon image.
-Faux. Vous devez bien savoir que l’image est importante dans votre profession. Ce sera d’autant plus vrai si vous voulez organiser votre révolution de velours que vous évoquiez la dernière fois.
-Parfait. Pour tout vous dire, j’ai toujours fait en sorte de rester discret. Mais je m’assurerai plus sérieusement que nos petites séances de spiritisme demeurent parfaitement secrètes.
-Après, c’était pour vous que je disais ça… »
Coff but une gorgée d’alcool.
« Parlons de choses importantes à présent. Je ne vous ai pas caché mes projets, ou du moins ceux que j’estime devoir réaliser suite à ce que vous m’avez dit. Mais comment préparer correctement le terrain à un futur gouvernement républicain ?
-Vous me prenez pour une politicienne ? Qu’est-ce que j’en sais ? Je vous dirais intuitivement qu’il faut savoir avec qui on traite… Et comment on traite.
-Précisément ! Et c’est là où je voulais en venir. Si l’on veut préparer proprement un changement de régime politique sur Koboc, en causant un minimum de problèmes au peuple, il faut connaître notre futur interlocuteur.
-Donc ?
-Nous devons prendre contact avec la rébellion. »
-Je suis sérieux.
-Je sais. Et c’est bien votre naïveté qui me fait peur. Vous croyez vraiment que vouloir rencontrer les rebelles permet de les rencontrer ? Si c’était le cas, tous ceux qui…
-Il existe forcément des moyens, en passant par les bons réseaux. Tenez, sur Koboc par exemple. »
Avant qu’il n’ait pu continuer, Lyona éclata d’un rire tonitruant.
« Quoi donc ? Vous pensez qu’il n’y a vraiment AUCUN rebelle sur Koboc ? l’interrogea-t-il rageusement, vexé d’avoir été rembarré de la sorte.
-Ma foi… Je n’en sais rien, répondit-elle en riant encore un peu. Mais a priori, je dirais que non.
-J’aurais pourtant dit l’inverse. Pourquoi affirmez-vous cela ?
-Et bien, je n’ai pas la prétention de connaître les plans des rebelles, mais je les crois suffisamment intelligents pour se rendre compte d’une chose : Koboc n’a aucune importance stratégique. Ni politique, ni économique, ni même géographique !
-Ça, je m’en étais facilement aperçu, merci. Mais justement, j’aurais dit que son manque d’intérêt évident en aurait facilement fait une base de repli pour se cacher. En bref, une planète parfaite pour la rébellion.
-Sauf que vous êtes un militaire, et que vous semblez avoir oublié de prendre en considération un élément qui, pour vous, est tellement naturel que vous n’y faites plus attention.
-Et qui est ?
-La planète est ultra-militarisée, justement. A quoi bon avoir des bases sur une planète certes éloignée de tout, donc de manière très théorique assez sécurisée, si c’est pour se jeter en réalité dans la gueule du loup en arrivant dans un endroit rempli d’impériaux ?
-Ce n’est pas faux, dut-il reconnaître. »
Il analysa la situation.
« Et les sympathisants ?
-Quoi, les sympathisants ?
-Et bien, se lancer dans un lieu bourré d’impériaux est dangereux à condition que l’on s’y lance seul, sans aide. Mais la rébellion n’est pas une organisation qui se voit au grand jour. C’est un groupe vaste mais caché. En beaucoup d’endroits, elle prend le risque de côtoyer les soldats de l’empire, dans la mesure où elle sait qu’elle sera aidée par les locaux ; qu’ils cacheront les rebelles.
-C’est vrai. Mais encore une fois, votre éloignement du peuple kobocois vous ferait presque oublier qui il est. C’est vrai que les Kobocois détestent votre mainmise sur leur planète, et encore plus le fait que beaucoup de leurs libertés ont été supprimées par l’armée. Mais tous ne vous haïssent pas. Pourquoi croyez-vous que, moi-même, je n’ai jamais pu prendre une position bien définie pour un parti ou un autre pendant cette guerre idiote ? Certains n’ont pas eu à trop subir les répressions impériales que subit le reste de la galaxie –et je crois aujourd’hui, maintenant que je sais quel genre d’homme vous êtes, que c’est en partie grâce à vous. D’autres encore voudraient vous voir partir. Mais ils vous sont encore assez reconnaissants : ils n’ont pas oublié ce que vous avez fait pour nous il y a quatre ans… En tout cas je doute qu’il y ait vraiment beaucoup de sympathisants de la rébellion prêts à se mettre en danger en cachant des rebelles chez eux.
-Attention, vous en viendriez presque à me faire regretter la décision que j’ai prise de préparer le terrain pour la rébellion…
-Je répète que je ne suis que votre garde-fou, votre avocat du diable. Je ne prends fait et cause pour personne et ne suis là que pour faire des suggestions sur la situation, que vous êtes libre ou non de prendre en compte. Ceci dit, je pense qu’une majorité de Kobocois ne partage ni amour ni haine pour l’empire, mais mon indifférence. Si vous travaillez pour la majorité, vous devrez en tenir compte. »
Coff songea qu’il devrait presque en faire son credo, sa ligne de conduite ultime.
« Je le ferai. Tout cela ne répond toujours pas à la question : comment contacter les rebelles ?
-En tant que général, ne me dites pas que vous n’avez jamais entendu parler de ne serait-ce qu’une piste de preuve qu’il pourrait y avoir des rebelles, ici.
-Vous voulez dire, autre que ce qui n’était que pure paranoïa de la part de mes hommes ? Non. Jamais. Et aujourd’hui, j’ai presque envie de dire : malheureusement !
-Etonnant en un sens. Mais ça confirme plus ou moins ce que je disais. Du coup, je ne vois pas trente-six mille solutions si vous voulez vraiment les voir. Si la rébellion ne vient pas à vous, c’est vous qui irez à la rébellion.
-Oui, il me faut quitter Koboc quelques temps.
-Quoi ? Vous êtes général, tout de même ! Ne me dites pas que votre grade ne vous ouvre pas grand les portes de la galaxie entière !
-Je suis général, justement. Général de surface même. Un grade important pour les armées planétaires, mais pas forcément le plus élevé dans la hiérarchie militaire galactique. Une hiérarchie que je suis tenu de respecter, cela va sans dire. Plus nous nous éloignerons, plus le voyage deviendra dangereux.
-Etes-vous prêt à prendre ce risque pour « inviter » les rebelles sur Koboc ?
-Je crois avoir déjà été clair à ce sujet. Je le suis. Mais je parlais plutôt de vous, ma… « conseillère » officieuse.
-Moi ? Parce que vous voulez m’emmener avec vous ?!?
-Je pensais que c’était implicite depuis le départ…
-Et bien… »
En réalité, Lyona n’avait pas envisagé une seule seconde cette solution. Elle avait aiguillé le général sur la voie qu’elle aurait secrètement voulu qu’il prenne, et avait réussi. Mais son rôle aurait dû s’arrêter là.
« C’est que… Je ne suis pas une grande voyageuse, vous savez. Encore moins quelque aventurière. Je risquerais d’être un poids pour vous.
-Vous ne voulez pas ?
-Ecoutez, je ne crois pas manquer de courage. Après tout, je savais très bien il y a quelques jours, que mon… audace quand j’étais dans vos locaux pouvait me valoir la torture ou la mort. Mais je… Malgré tout, je ne suis pas comme vous. Je n’ai rien d’une guerrière !
-C’est exact. Mais votre audace, justement, je crois que c’est un peu le côté « guerrier » qui sommeille en vous.
-Si vous me flattez dans le seul but de me convaincre, sachez que c’est un peu ridicule, et inefficace.
-Pas du tout, je le pense. Vous dites ne pas prendre parti dans ce qui va se jouer sur Koboc dans un avenir proche. Et c’est sans doute vrai, dans une certaine mesure. Mais si ça l’était totalement, vous n’auriez pas cherché à me convaincre de partir en chasse de l’Alliance rebelle.
-Je n’ai pas cherché à vous convaincre, mais à mesurer vos propos en vous montrant un autre point de vue –que vous avez adopté. Rien de plus.
-Vous ne l’avez pas cherché. Mais il n’empêche que cela s’est produit, que j’ai adopté cet autre point de vue. Pour quelle raison me l’auriez-vous montré, si ce n’était pas pour que je le choisisse ?
-Parce que je déteste la mono-pensée, que j’estime trop souvent cause de tous les conflits réellement destructeurs.
-Et c’est tout ? C’est juste pour ça ? »
Pas de réponse.
« Vous avez refusé de défendre officiellement la moindre cause pendant des années, peut-être par peur de finir comme votre mari –que sais-je. Mais il y a en vous une femme forte et courageuse, prête à braver les tempêtes pour faire ce en quoi elle croit. J’en suis certain. »
Lyona essaya de lire dans le fond de ses iris. Mais pour une fois, les pensées du général étaient impénétrables. Ou peut-être que c’était parce qu’il y avait trop de conflit en elle pour que la Kobocoise puisse s’extraire de ses pensées à elle…
« Je crois que vous vous trompez sur moi, mon général. Vous n’êtes pas aussi fin psychologue que moi, je suis navré de vous le dire.
-Et si je vous dis que j’aurais probablement encore besoin de vos conseils pendant mes recherches…
-Peut-être. Mais je ne vous suivrai pas. Je ne quitterai Koboc pour rien au monde.
-Comme vous voudrez. Je me plie à votre décision, même si je la déplore. Souhaitez-moi au moins bonne chance.
-Bonne chance ! Mais je doute que vous en ayez besoin… »
Coff partit sans un au-revoir, laissant Lyona seule avec ses pensées.