Tout a été dit, ou presque, sur la dernière composition de
John Williams pour la saga Star Wars : brillante, manque d’inspiration, grandiose, peu innovante… Le meilleur comme le pire a servi pour commenter cette bande originale, et tour à tour, selon les critiques,
La Revanche des Sith s’est vu attribuer le titre de la meilleure ou de la moins réussie des trois compositions pour la nouvelle trilogie. Bien entendu, il est difficile de la juger correctement tant que l’on n’a pas vu le film : plusieurs passages clés ne figuraient pas sur le CD simple de
La Menace Fantôme. Il faut espérer par contre que le film ne connaîtra pas le montage musical de l’Episode I (non conforme à la volonté de Williams, pour la dernière partie du film notamment) ou les copier-coller de l’Episode II. Le plus simple est sans doute d’analyser la B.O piste par piste.
1. Star Wars & The Revenge of the Sith
L’album s’ouvre sur le
Main Title traditionnel qui, pour une fois, n’a pas été réenregistré. Il s’agit en fait d’une réutilisation de l’enregistrement de l’Episode I. Personnellement, cela ne me gêne pas, mais apparemment cela ne fait pas l’unanimité. La véritable originalité de ce
Main Title réside dans l’enchaînement avec l’action du film, qui se fait de manière plus brutale que d’ordinaire, au bout de 1'15" : on est d’emblée projeté dans la bataille de
Coruscant, que nous avons déjà pu découvrir à travers les derniers épisodes de
Clone Wars. Certains petits veinards qui ont déjà vu le film nous assurent que le
Main Title s’y déroule comme d’habitude jusqu’à son terme. Le rythme et la tension sont sans doute les deux points qui se dégagent des 6 minutes d’action ininterrompue. On peut entendre vers le début une excellente utilisation militaire du thème de la Force. Le morceau est très efficace, et sans doute accomplit-il à l’écran son travail à la perfection. Sur album, il souffre un peu d’être en fait un assemblage de diverses scènes dans le film : c’est le gros reproche qui est adressé à Williams sur ce film, il manque un peu de cohésion, et si les moments d’action sont bâtis sur plusieurs motifs, ceux-ci sont bien plus rythmiques que thématiques, contrairement au style traditionnel de Williams. Le même reproche s’adresse aux deux morceaux d’action qui suivent,
General Grievous et
Grevious and the Droids. On notera aux alentours de la 5ème minute une citation de ce qui pourrait être le thème de
Grievous et que l’on retrouve dans
Grievous Speaks to Lord Sidious.
Je dois dire enfin que si j’ai été un peu déçu à la première écoute de ce morceau (qui, en dehors du rythme et de la tension, laisse peu de souvenirs), je l’aime de plus en plus d’écoute en écoute.
2. Anakin’s Dream
Le premier des morceaux à illustrer la chute d’Anakin, et qui sont à mon avis les sommets de cet album. Le morceau s’ouvre sur une atmosphère de tendresse et d’intimité qui introduit très vite une délicate version d’
Across the Stars, accompagné d’une mélodie en contrepoint jouée au violon, ce qui lui donne des accents crépusculaires exceptionnels. La scène du rêve reprend un petit peu la même atmosphère glacée que dans l’Episode II, et laisse place à un long développement au violon, tendre et entrecoupé par une nouvelle citation du thème amoureux. La fin traduit le déchirement intérieur d’Anakin, et sa peur de perdre Padmé. Quelques notes soulèvent un peu de noirceur, que le thème de la Force ne suffit pas vraiment à combattre.
3. Battle of Heroes
Un morceau que beaucoup attendaient au tournant, seul thème à recevoir le droit à un traitement en version concert. Il illustre le duel que des générations de fans ont attendu avec impatience : Anakin face à Obi-Wan. Le morceau est très différent de
Duel of the Fates, puisqu’il illustre un duel d’un tout autre genre, un duel entre deux frères. Et cela, pas mal de commentateurs semblent l’avoir oublié. Cette musique est plutôt difficile à décrire ; elle est bâtie sur un thème à 9 notes dérivé en trois lignes musicales et accompagné d’un chœur grandiose. L’aspect incroyable de ce morceau, c’est sans doute son caractère organique qui, pardonnez moi l’expression, prend aux tripes, alors que le
Duel of the Fates était plus intellectuel. Il ne s’agit pas d’un combat entre le bien et le mal, mais d’un combat entre deux anciens frères, Obi-Wan ne veut pas tuer Anakin, et cela fait toute la différence avec l’Episode I. Le chœur non parlé m’a fait penser la première fois aux vieux péplums, qui y avaient souvent recours pour illustrer de grandes mélodies, et le passage central avec le thème de la Force m’a donné des frissons ; c’est la première fois que Williams lui donne un traitement choral (ce qu’avait déjà fait de manière plus légère McNeely dans
Shadows of the Empire).
4. Anakin’s Betrayal
Ce morceau est la quintessence de tout ce que je trouve admirable dans l’album. Son utilisation dans les derniers spots TV laisse présager une superbe expérience pour le film. Tout ici est déchirement, conflit intérieur, passion, dans un écrin de toute beauté. Ce morceau ne s’explique pas, il se ressent. Certains ont pu comparer les passages choraux à ceux de Hook (
You are the Pan) et c’est effectivement le même genre de sentiments, plus tragiques toutefois, qui se dégagent. Seul petit regret : absence totale du thème d’Anakin et de la Marche Impériale.
5. General Grievous
Là où le titre laisse présager un thème, c’est en fait une pièce d’action endiablée qui nous est offerte. La première partie du morceau est ponctuée par un roulement de percussions du plus bel effet et qui me fait penser aux
Jurassic Park, d’abord à
Denis Steals the Embryos, puis à l’une des nombreuses poursuites du second film. Comme déjà dit précédemment, le rythme l’emporte sur la thématique, mais l’impression de rouleau compresseur, d’ennemi implacable est telle que l’on ne boude pas son plaisir. On retrouve le même aspect déstabilisateur que la musique accompagnant le Général et ses droïdes dans la série
Clone Wars, en plus percutant toutefois. Un bon moment, mais qui en dehors des sensations précédemment évoquées ne laisse pas un souvenir impérissable.
6. Palpatine’s Teachings
Des voix gutturales, relevées par une atmosphère sombre et évasive, ouvrent le morceau, installant un climat de noirceur. Ceux qui ont déjà vu le film disent que cette minute trente est en fait une
source music pour la scène de l’Opéra. Des trompettes font soudain entendre leur plainte et sont évocatrices de la scène de l’Episode II où Anakin s’entretenait avec le Chancelier Palpatine dans ses bureaux. Les premières notes du thème de Shmi résonnent, puis le motif attribué au rêve d’Anakin, et enfin la marche impériale affrontant dans les pensées du jeune Jedi le thème de la Force. Une scène mystérieuse suit, accompagnée d’un bruissement des chœurs puis d’une trompette obscure, qui introduit très brièvement des motifs qui rappellent très fortement des scènes avec l’Empereur dans
le Retour du Jedi. Le morceau se termine de manière peut-être abrupte, du moins en désaccord avec les tonalités évoquées jusqu’à présent, sur une brillante reprise de la Fanfare de Coruscant présentée dans l’Episode I. C’est, jusqu’au final, le seul moment de lumière dans le CD.
7. Grievous and the Droids
Une bonne scène d’action, dans laquelle on ne retrouve toutefois ni le motif de Grievous, ni les percussions de
General Grievous. Le morceau se distingue pourtant par l’inclusion très brève du thème de Luke ce qui, à ce moment de la chronologie, soulève quelques questions. Un ensemble efficace, dans le même esprit que
Jango’s Escape de l’Episode II.
8. Padmé’s Ruminations
Un morceau qui a fait couler de l’encre (ou plutôt qui a fait enfoncer pas mal de touches de claviers) tant la première moitié ne ressemble à aucun autre morceau de la carrière de John Williams.
The Street Singer, dans l’Ultimate Edition de
La Menace Fantôme, est peut-être ce qui y s’en approche le plus en terme d’étrangeté. L’atmosphère est très irréelle, soulignée par des gémissements électroniques qui font penser à des instruments orientaux. Une voix solitaire plane au-dessus de tout ça, étrange, douloureuse. C’est une scène qui doit avoir du relief à l’écran. Une brève citation d’
Across the Stars fait la transition avec le reste du morceau, très méditatif, dominé par des cordes graves.
9. Anakin’s vs. Obi-Wan
A partir de ce morceau, le CD atteint ses sommets. On est d’emblée projeté dans le thème de
Battle of the Heroes, joué d’une toute autre façon que dans la version concert. Plus dépouillé, il est aussi plus rapide, et les premières secondes me font penser au survol des snowspeeders dans l’Empire Contre-Attaque, à moins que ce ne soit à l’échappée finale. Après deux séries du thème à 9 notes, la magie opère. On fait un bond dans le temps (je vous laisse décider du sens de ce bond, selon la chronologie réelle et celle des films) : la Marche Impériale surgit, dans sa version du duel final de l’Empire Contre-Attaque. Ce n’est d’abord qu’une courte intrusion, mais après deux nouvelles séries de 9 notes, elle revient en force, et suit à peu de changements près (lesquels changements sont plutôt efficaces) le déroulement que nous lui connaissons. Les arpèges sont beaucoup plus longs, et la transition qui s’opère avant une réitération de
Clash of the Lightsabers colle au plus près au style de Williams lors de la Trilogie Originale.
Battle of the Heroes explose à nouveau, avec les chœurs puis l’orgue, avant de se lancer dans une magistrale exécution du thème de la Force, plus puissante encore que dans la version concert. Un morceau tout simplement génial.
10. Anakin’s Dark Deeds
Il semblait dur d’égaler le morceau qui précédait. Et pourtant, c’est bien le cas d’
Anakin’s Dark Deeds. Difficile d’éviter la comparaison avec le Seigneur des Anneaux d’Howard Shore pour les premiers instants de la piste : une chorale (sans doute électronique), fredonne un motif doux, très proche du thème de l’Anneau dans les films de Peter Jackson. La surprise est grande quand les chœurs véritables éclatent, plus agressifs encore que dans le
Duel of the Fates. Un motif récurrent dans la pièce fait son apparition, qui, lui, rappelle un peu le thème militaire pour Stargate de David Arnold. Des morceaux de noblesse alternent avec des passages sombres, dominés par les chœurs : la chute d’Anakin dans toute sa splendeur. Au bout de 2 minutes, l’orchestre enchaîne sur un nouveau motif, dans la lignée d’
Anakin’s Betrayal, qui est d’une grande beauté. L’explosion finale semble condamner le personnage au Côté Obscur. Ces deux morceaux, le 09 et le 10, forment, avec
Anakin’s Betrayal, le cœur de l’album.
11. Enter Lord Vader
Personnellement, le titre du morceau me faisait espérer un long développement de la Marche Impériale, croissant au fur et à mesure de la transformation d’Anakin pour aboutir à quelque chose proche de la fin de l’Episode II, en plus sombre peut-être. Eh bien, pas du tout. Le morceau déroge à toutes mes attentes. Mais sans doute est-ce une surprise bienvenue. Une brève fanfare nous introduit à quelques notes tristes, qui évoquent l’ancienne grandeur d’Anakin et sa déchéance présente. La fanfare revient au bout d’une trentaine de secondes, plus proche d’une marche militaire. Un passage d’
underscore athématique suit, puis une grande envolée des cordes qui rappelle un peu les Indiana
Jones réintroduit la marche, dont le caractère militaire est accentué. La tension monte ensuite, de façon extraordinaire : on attend tous la marche impériale, on sait qu’elle est au bout du chemin. Anakin est mort, place à
Vador. Et la marche impériale vient en son temps, de façon trop brève à mon goût, juste les neuf premières notes (qui renvoient peut-être aux neufs notes de
Battle of the Heroes), mais très efficace. C’est dans ces moments qu’on comprend le concept aristotélicien de catharsis. Très vite, une fanfare reprend le dessus, et nous introduit, via la première moitié du thème de la Force, à une courte citation du thème de l’Empereur.
12. The Immolation Scene
Un morceau triste et mélancolique, dominé par les cordes, sans motif ni thème particulier. Il se fait malheureusement trop vite oublier.
13. Grievous Speaks to Lord Sidious
La première minute est le premier véritable développement thématique de l’album, très sympathique, notamment dans les passages avec chœur, et parfait pour le Général Droïde. La discussion est ensuite soulignée par des accents lointains de ce thème à la trompette. On retrouve l’atmosphère musicale des deux premiers films de la nouvelle trilogie.
14. The Birth of the Twins & Padmé’s Destiny
La naissance des jumeaux est illustrée par une musique très atmosphérique, dominée par le célesta. Quelques arpèges de la harpe nous rappellent la planète
Naboo, et tout dans ce morceau en rappelle la beauté. On regrettera l’absence du thème de Luke et Leia à cet endroit ; sans être repris complètement, il aurait été bien de l’évoquer. La tension monte brutalement et suggère l’inévitable catastrophe. Un bond est fait jusqu’aux funérailles, qui reprennent à double reprise (et trois fois dans le film) le thème utilisé pour les funérailles de Qui-Gon. Cette version est toutefois beaucoup plus triste, avec une plus grande présence féminine. Je pense que ce passage sera très effectif à l’écran, ce thème étant sans doute l’un des plus beaux de la nouvelle trilogie.
15. A New Hope & End Credits
Cette suite de 13 minutes qui clôture le film et la prélogie est entièrement dédiée aux fans, j’en suis persuadé. En une minute, les trois thèmes principaux de l’Episode IV se succèdent, illustrant le destin de Leia et de Luke. Il est amusant de noter que le thème de Luke résonne plus des accents de l’enfance alors que celui de Leia, malgré l’orchestration, fait beaucoup plus mature. Réentendre ces deux thèmes donne le frisson. Une transition bien trouvée conduit au thème de la Force dans toute sa splendeur, à mi-chemin entre
Binary Sunset et
Light of the Force. Les crédits de fin suivent le schéma traditionnel : fanfare, thème de Luke, puis enchaînement sur quelques notes du crédit de fin de l’Episode IV. Le cœur de la version concert du thème de Leia est suivi par la réexposition complète de
Battle of the Heroes. Le morceau se termine par
The Throne Room, que l’on retrouve avec un plaisir sans égal, dans la même version que sur le CD de Sony Classical où John Williams conduit le Skywalker Orchestra. Et puis, quand on croirait que tout est fini, la musique se relance et débouche sur la toute fin des crédits du Retour du Jedi. Pour notre plus grand bonheur, le morceau semble ne plus vouloir finir, et pourtant il faut bien mettre un terme à cette prélogie.
Conclusion
Il est très difficile de juger cet album de façon objective. Est-il le meilleur des trois ? Le moins bon ? Je me refuse à tout classement, d’autant plus que nous n’en connaissons qu’une version tronquée. Certes, musicalement parlant, la nouvelle trilogie s’est éloignée de l’ancienne, surtout à partir de l’Episode II. On peut regretter l’absence ici de thème fédérateur : chaque film en dispose de plusieurs, à l’exception de l’Attaque des Clones centré sur
Across the Stars ;
Battle of the Heroes ne couvre qu’un moment spécifique du film, sans le parcourir complètement. La chute d’Anakin convoque de très nombreux motifs, tous plus beaux les uns que les autres, mais s’ils se font écho par ce qu’ils évoquent, ils ne sont pas bâtis autour d’un thème commun. En dehors du thème de la Force, les anciens thèmes ne sont guère présents, notamment la Marche Impériale.
Mais, une fois de plus, nous ne connaissons que 70 min sur un peu plus de 120, et l’expérience des deux précédents albums nous a appris à modérer nos propos. Le thème d’Anakin, par exemple, dans l’Episode II, est absent de tout le CD en dehors des crédits de fin, mais on le retrouve plusieurs fois dans le film. Pareil pour le thème de la Force dans l’Episode I. Le copier-coller ne sera pas absent du film, avec la reprise de passages d’
Escape from Naboo, de
Duel of the Fates ou encore de
The Arena. Je pense pourtant que sa place sera plus limitée, vu que Williams a pu se consacrer complètement à l’écriture de cette musique, ce qui apparemment n’avait pas été le cas pour l’Attaque des Clones (tout comme, la même année, pour le second volet d’Harry Potter).
On a attendu beaucoup de cette B.O, peut-être même beaucoup trop. Certes, les scènes d’action, en dehors du duel Anakin/Obi-Wan, ne sont pas les plus inspirées du compositeur, et l’absence de thème fédérateur se fait sentir par moment, mais l’on ne saurait, comme je l’ai déjà dit, bouder son plaisir. L’ensemble est merveilleux, tout simplement, d’une puissance émotionnelle rare. Certaines des meilleures pistes de la nouvelle trilogie sont contenues dans cet album. On ne saurait rêver meilleure vitrine pour aiguiser notre faim de voir le film…
Benje Socar (Jean-Christophe BENZAL).