Si le retour d'Abrams et l'éviction de Trevorrow pour la réalisation de l'épisode IX m'avait plutôt satisfait, j'avais été quelque peu échaudé par les fuites révélant une partie du scénario. Je suis donc allé au cinéma un tantinet inquiet quant à la qualité de la conclusion de la postlogie de SW et ce d'autant plus que j'avais beaucoup apprécié TLJ et que j'aurais jugé très décevant une conclusion ratée. Seul point qui me rassurait : l'estime que je porte à JJA en tant que réalisateur dans le genre de films d'action grand public, genre qu'il maitrise très bien.
Renversement de mes attentes
Étrangement, mon sentiment sur l'épisode IX, après deux visions attentives, est que mes sources de satisfaction et de désappointement ne sont pas tout à fait là à où je pensais les trouver. En terme de mise en scène, l'épisode IX est beaucoup moins maitrisé que l'épisode VII que je trouve toujours extrêmement bien réalisé. Dans TROS j'ai entr'aperçu un JJA parfois maladroit dans sa mise en scène. D'abord dans quelques scènes frôlant le kitsch, comme la mort de l'empereur par exemple. Mais surtout dans le choix de rythme trop intense, qui saisit à la gorge le spectateur et nuit à la clarté du propos. Un tel nombre de plans par minute n'a jamais été atteint dans un SW même à l'air Disney ! Certains ont critiqué le montage du film beaucoup trop « épileptique ». Je pense a contrario que le(s) monteur(s) du film ont fait des prouesses avec un cahier des charges quasiment intenable.
La faute à une volonté de trop en dire. JJA et Chris Terrio n'ont pas pris leur travail par dessus la jambe : ils ont au contraire écrit un scénario truffé d'idées, d'intrigues et de sous-intrigues… apparaissant finalement comme beaucoup trop touffu.
Il était plaisant d'apprendre le passé un peu trouble de Poe, le plaçant ainsi à un pied d'égalité avec ses deux comparses, Finn et Rey… mais était-ce vraiment nécessaire ? Tout comme il était séduisant de confronter Finn à d'autres ex-stormtroopers comme Jannah, mais il faut bien dire que l'apport narratif reste limité et complexifie la trame globale de l'histoire.
Cette épaisseur disproportionnée d'un script nécessitant sans doute trois heures pour bien se déployer est contradictoire avec un film ne dépassant pas les 2 h 20. On sent parfois les nécessités de le faire rentrer dans un « lit de Procuste » malheureux. La fameuse bataille finale, pourtant réellement scénarisée avec ses objectifs, ses retournements de situation etc., devient ainsi passablement confuse. Pour tout dire elle n'est pas à la hauteur des attentes pour le final de la saga. D'autres coupes sont peut-être plus judicieuses comme, par exemple, la nature des liens entre Jannah et Lando qui n'ont pas été finalement dévoilés : on évite ainsi une nouvelle coïncidence. Il y en a déjà tellement eu dans SW qu'une de plus n'aurait pas été nécessaire.
Paradoxalement, les grandes lignes du scénario m'ont beaucoup moins gêné que prévu. Sans doute car je m'étais psychologiquement préparé à ces dernières. Mais aussi car JJA a décidé, ce que je trouve assez judicieux, de mettre ses cartes sur table d'emblée : dès le menu déroulant nous apprenons que Palpatine est de retour et menace la galaxie. L'idée est médiocre, reconnaissons-le, et il aurait beaucoup plus intéressant de ne pas faire ressusciter l'empereur et de faire de Kylo Ren le principal adversaire de la Résistance, comme RJ le suggérait manifestement dans le déroulement de TLJ. Mais voilà, JJA voulait un vrai antagoniste et plutôt que d'en créer un de toute pièce pour ce film, il a choisi d'en ramener un à la vie. Certes, il peut se fonder sur la mort un peu rapide voire expéditive d'un des plus grands maitres de la Force dans ROJ et sur les propos mystérieux de ce dernier à Anakin dans ROTS sur les possibilités de vaincre la mort, mais cela reste bancal. Toutefois, une fois l'idée retenue, il valait mieux effectivement la poser d'entrée de jeu et ne pas construire le moindre mystère autour. Par ailleurs, il faut bien dire que la scène de la recherche et de la découverte d'Exogol par Kylo Ren est extrêmement efficace. JJA est à son affaire et Adam Driver toujours aussi expressif. Et en retrouvant Palpatine, JJA a troqué aussi un mal pour un bien en s'ouvrant la possibilité de la rédemption de Kylo Ren / Ben Solo qui est un des gros points forts de son film.
Le caractère touffu du scénario s'explique aussi par les besoins de donner de l'épaisseur à la renaissance d'un Palpatine qui apparait beaucoup moins comme un empereur que, dorénavant, comme un grand prêtre Sith : il ne réside plus dans un palais mais dans un temple, peuplé d'adorateurs fantomatiques. Ainsi le film vise aussi à approfondir le « lore » des Sith avec son écriture runique interdite, ses objets presque thaumaturgiques et ses adeptes malsains (dont un assassin Sith ayant exécuté les parents de Rey). Si, on avait pu reprocher à JJA d'être resté extrêmement proche du propos de l'épisode IV dans son Réveil de la Force, cette fois-ci il est plus aventureux, creusant l'histoire et les mythes de la galaxie, comme déjà l'avait fait RJ ponctuellement avec les Jedi sur Ach-To. J'ai personnellement beaucoup apprécié voir Rey compulser les vieux grimoires Jedi, y découvrir des secrets enfouis et aussi de nouveaux pouvoirs intelligemment présentés.
Du beau cinéma d'évasion
On a reproché parfois un côté « Indiana Jones » à la première partie du film, constituées de course-poursuites très nerveuses, mais ce n'est pas pour me déplaire. C'est d'ailleurs assez dans l'esprit et des serials et des récits pulp dont s'est toujours inspiré Lucas. C'est l'occasion d'ailleurs à JJA de mettre en scène de superbes scènes d'action où il se montre parfaitement à son affaire. C'est aussi l'occasion pour lui de combiner pour la première fois le trio Finn, Rey et Poe et je trouve que l'alchimie passe parfaitement entre les trois acteurs, très à l'aise (et sans doute très bien dirigés). Le tout renforcé par des dialogues bien écrits et un humour qui m'a semblé parfaitement dosé : léger et piquant, dans l'esprit de la trilogie originale et de l'épisode VII. Cet humour est surtout construit autour de la personne de C3PO qui trouve enfin une vraie place dans un SW depuis… l'épisode VI à vrai dire.
Si SW relève bien du cinéma d'évasion au sens noble du terme, toute la première partie du film l'incarne bien et j'ai été saisi et emporté par les péripéties du trio sur Pasaana, Kijimi ou sur le destroyer du Premier Ordre.
La deuxième partie du film est par contre un peu moins légère car elle est largement structurée par l'achèvement de l'arc narratif de Rey et de Kylo. Posé dans l'épisode VII, développé par l'épisode VIII, il trouve là une conclusion que je trouve très réussie. Les idées de contact à distance déjà posées par RJ sont réutilisées très efficacement dans plusieurs scènes qui sont pour moi de très grandes réussites de la saga. L'ambiguïté d'un rapport entremêlé d'attirance et de répulsion est maintenue. Le dernier duel entre les protagonistes dans les ruines de l'Étoile de la mort II est non seulement absolument superbe visuellement mais fait sens dans le développement des personnages : l'instabilité et les errances de Rey la font échouer face à son adversaire lui-même ressaissi par son côté lumineux portée par sa mère Leia, mais aussi par sa propre conscience. L'idée de rejouer l'ultime discussion avec son père Han Solo pour incarner ce monologue intérieur est d'ailleurs brillante. Cela participe des excellentes idées du film auxquelles on intégrera l'ultime sacrifice de Leia. Je ne peux que tirer mon chapeau à Abrams et à Terrio pour avoir réussi à donner une mort aussi émouvante et significative dans une contexte aussi contraignant, à savoir devoir utiliser quelques passages avec Carrie Fisher non utilisés et une doublure de dos tout en refusant la CGI.
À la manière de ROJ qui tenait surtout par l'arc narratif de Luke et de Vador, TROS tient donc surtout grâce à l'arc de Rey et Kylo Ren, ceux de Finn et Poe s'avérant plus secondaires : mais il tient fichtrement grâce aux jeux des deux acteurs et à leur investissement évident. Si les qualités ce comédien d'Adam Driver sont reconnues, il faut signaler aussi la très bonne prestation de Daisy Ridley que j'ai trouvée très touchante et juste dans sa capacité à retranscrire ce mélange de candeur, d'hésitation voire d'errements caractérisant son personnage.
Un approfondissement des thèmes de la saga
Il arrive souvent ce paradoxe surprenant dans TROS qu'une idée douteuse ouvre sur une idée féconde et satisfaisante. Ainsi de la filiation de Rey. Certes, c'était assez dispensable l'idée d'en faire une Palpatine (même s'il faut reconnaitre que l'idée d'une famille Palpatine rencontrant, croisant, combattant voire s'alliant avec les Skywalker est une piste intéressante), mais cela donne un fort enjeu à son choix personnel d'adopter le patronyme de Skywalker, en accord et en hommage à Luke et Leia. Ce choix s'inscrit pleinement dans les thèmes de la saga qui ont toujours donné la prédominance à l'enjeu moral sur les déterminismes implacables. L'épisode VI avait montré qu'un fils pouvait faire échapper son père à ce qu'il croyait être son destin, l'épisode IX montre qu'une petite-fille a pu échapper à celui que voulait lui imposer son ascendance maléfique. Le propos du ROJ est repris donc et approfondit un peu à la manière des enjeux de la bataille finale contre l'alliance du Premier Ordre et de l'Empire sith : dans le ROJ, les Ewoks incarnaient la simplicité et le dénuement face à maitrise technologique et matérielle. Dans TROS, la flotte de Lando, venue renverser la situation, incarne la diversité infinie de la galaxie et la Résistance ne peut triompher que grâce au soutien de gens « ordinaires » soudainement interpelés par un combat qui ne doit pas rester celui de groupes militaires antagonistes organisés : l'avenir de la galaxie ne peut être simplement du ressort de ces derniers.
Conclusion
Au milieu d'un certain nombre de précipitations, de confusions, de surenchères maladroites et de facilités scénaristiques évidentes, l'épisode IX de JJA a malgré tout réussi à poursuivre le propos de l'épisode VIII. Mais il a aussi réussi à maintenir les deux fils conducteurs de la saga : l'évasion fondée sur l'émerveillement et le dépaysement, et le message moral à portée universel. Le chemin était difficile pour Abrams et l'on sent que d'une certaine manière, le film a été accouché dans la douleur, au milieu d'une profusion d'idées et d'hésitations, mais, ô miracle, l'ensemble tient. Un peu à la manière du ROJ auparavant d'ailleurs.