Après un premier édito le mois dernier portant sur The Acolyte et la place de de l’Ordre Jedi dans la Haute République, je vous propose ce mois-ci un article sur le passionnant livre : The Rise and Fall of the Galactic Empire.
Pour tout savoir sur ce guide d’exception d’un genre nouveau, je vous renvoie vers ma critique, mais en substance c'est un livre qui montre sur quels méchanismes se sont reposés Palpatine et ses Moffs pour créer l'Empire et comment ce dernier a dominé la galaxie.
Pourquoi un deuxième article sur ce livre, me direz-vous ? Tout simplement car ma lecture m’a ébranlé, je n’avais pas seulement l’impression de lire un essai sur l’Ascension et la Chute de l’Empire, je lisais un essai sur les ingrédients d’un mouvement autoritaire tel qu’il y en a eu beaucoup sur Terre et tels qu’on en voit encore aujourd’hui émerger. A chaque exemple d’ingrédient Impérial je pouvais donner un exemple tiré de l’Histoire de nos pays ou de l’actualité récente.
Mais au lieu de faire un article acerbe reliant chaque ingrédient de l’Empire à des faits bien réels (ce qui existe déjà dans les ouvrages de références que je cite dans ma critique) je me suis posé la question : pourquoi ça fonctionne aussi bien, encore aujourd’hui ? Pourquoi Star Wars et son Empire résonnent-ils toujours autant ? Est-ce que ça ne viendrait pas du message que véhicule cette saga qu’on adore ?
Par le prisme de ce livre je vous propose donc aujourd’hui cette question :
Star Wars, l’œuvre, a-t-elle une limite ? Où s’arrête son message ?
Amusons-nous un peu.
Je repose donc ma question, où s’arrête son message ? Au spectateur qui décide ce qu’il y voit ou y aurait-il un message au-dessus de tous les autres ? Ou plutôt un message qui engloberait tous les autres ?
Star Wars est pour tout le monde et par conséquent défend la liberté de tous face à n’importe qu’elle forme d’oppression, quelle soit dirigée contre des fans ou des acteurs. Et dans Star Wars l’oppression c’est l’Empire (puis le Premier Ordre) il est donc temps de revoir tous les mécanismes d’oppression qu’expose ce livre. Je précise à toute fins utiles que l’ensemble des éléments cités dans les paragraphes suivant proviennent de ce guide et donc de son auteur. Si vous y voyez des similitudes avec l’histoire ou l’actualité, vous avez peut-être mis le doigt sur la critique que veut faire un historien de notre monde moderne.
(Cette chronique n’engage que son rédacteur et surtout l'auteur du livre dont il est question et pas l’ensemble de la rédaction de StarWars-Universe)
L’Ascension d’un gouvernement autoritaire
Le premier ingrédient utilisé par Palpatine pour installer son Empire est sans aucun doute la Guerre de Clones. Au-delà de jouer sur les deux tableaux et d’être obligatoirement gagnant à la fin, il compte sur une chose : la lassitude.
La guerre, ou n’importe quelle situation de crise, occasionne des contrariétés qui mettent à mal le confort de la population. Il y a le manque de nourriture, des pénuries diverses et variées, l’augmentation des impôts, la peur d’être touché par la crise même au cœur de la République. Tout ça occasionne une baisse de moral qui sert à une chose : accepter n’importe quoi pour un retour à la normale.
La guerre et les crises ont un autre avantage : ça renforce le sentiment national. On voit donc dans la République apparaitre des drapeaux sur les propriétés ou des acclamations spontanées pour leurs dirigeants ou leurs soldats !
Après la guerre tous espèrent une baisse d’impôt par exemple, c’est ce qui arrive pour les classes moyenne et supérieure (on verra plus loin pourquoi c’est important pour les classes supérieures). Le Noyau de la galaxie va donc ensuite déborder d’argent. Mais cet argent ne vient pas de nulle part, il provient des Bordures (surtout Extérieure) et donc des classes les plus pauvres. On voit donc apparaitre dans la galaxie un enrichissement des plus riches, ceux vivant sur les mondes ou les institutions se trouvent, au profit d’un appauvrissement de ceux déjà pauvres sur les mondes miniers ou agricoles par exemple.
Il reste une question cela dit, comment faire accepter aux plus précaires l’explosion de leur précarité et leur nombre grandissant ?
C’est assez simple finalement, on va reporter la faute sur d’autres. L’Empire n’a pas inventé le racisme envers les aliens, il était déjà là, il l’a seulement utilisé pour promouvoir son idéologie et son système de société et ainsi détourner l’attention. Il a utilisé des préjugés honteux pour avoir l’autorisation d’agir contre ces populations.
Ce n’est pas pour rien que les Séparatistes étaient grandement composés de races aliens. Ces races, ces mondes, plus touchées que d’autres par les préjugés avait un sentiment de « ras le bol » de la République. Palpatine n’aura ensuite qu’à les pointer du doigt. Le fait que ces races fassent partie du camps des méchants Séparatistes justifie le racisme qu’on peut leur infliger.
L’ennemis est donc tout trouvé et tout sera bon pour amplifier ce sentiment. On enseignera qu'une seule langue à l’école, créant ainsi des écoles que pour les humains. On créera des quartiers uniquement pour certaines races. On les abandonne pour qu’elles se replient sur elles-mêmes dans des communautés (pauvres). Ensuite c’est facile, on les accuse de communautarisme.
Dans la galaxie on voit pulluler les contrôles au faciès (aliens), on leur refuse des emplois, des locations de logement. Les médias et les holofilms vont aller jusqu’à les stigmatiser, certaines races seront présentées uniquement comme des gangsters. Prenons l’exemple des Trandoshan, on les force à vivre entre eux, on les présente partout comme des criminels, on leur refuse métier et logement, au final les adolescents se verront offrir une seule voie, celle qu’on leur a préparée. Ils deviennent donc des parias, des trafiquants, des chasseurs de primes etc. Renforçant ainsi le cliché déjà créé par la République puis l’Empire.
Ensuite cela permet une chose très facile : on les accuse d’être à l’origine de leur souffrance. Voir même on accuse une planète entière. Et quand bien même une personne n’a rien fait, en fouillant dans son passé, sa famille, sa race, on trouvera bien une faute ou un préjugé qui justifie la punition.
Ça va même aller plus loin. Des races différentes auparavant respectées comme les Wookiees, seront accusées sans cesse par les médias d’être des primitifs sans intelligence (ce qui permettra leur esclavage par la suite).
Alors que le vrai communautarisme vient des humains du Noyau qui ont tout fait pour vivre uniquement entre eux.
Finalement les classes moyenne et supérieure ferment volontairement les yeux sur les horreurs qu’un futur Empire va causer aux plus pauvres et aux aliens, on n’hésite pas à sacrifier un peu de liberté pour plus de confort. D’autant plus que ces classes là ne sacrifieront pas leurs libertés à elles mais celles des autres.
Elles vont donc donner plus de pouvoir au futur Empereur pour améliorer leurs conditions de vie, et si y a bien une chose en quoi croit Palpatine c’est que le pouvoir donne la permission d’opprimer.
Les plus anciens (ceux qui ont connus la Guerre des Clones) veulent donc le confort et la sécurité, vivre leur vie tranquille.
Mais les plus jeunes eux, ils vont se rendre compte des injustices et voudront les combattre.
Les Jedi comme première pierre pour batir un Empire
Un point très rapide.
Le premier racisme exacerbé par Palpatine et son premier génocide étaient dirigés contre l’Ordre Jedi. Il avait ses raisons en tant que Sith bien sûr, mais il organisa leur chute de manière que ça serve à la création de l’Empire.
Il créa cette menace et cette attaque contre sa personne pour justifier l’instauration de son Empire et les mesures d’ordre et de sécurité qu’il imposa ensuite.
Il n’eut pas de mal non plus, les Jedi étaient souvent perçus comme une élite au-dessus du peuple, libres d’agir à leur guise, de se déplacer comme ils veulent, vivant dans leurs beaux temples dorés. Et surtout ils étaient perçus comme des êtres orgueilleux dont leur morale supérieure leur accordait tous les droits. Ils savaient mieux que tout le monde. Pire, ils étaient l’instrument d’une République corrompue.
Telle une théorie du complot, certains avaient le sentiment qu’ils pouvaient diriger en secret la République, donc cette attaque contre Palpatine confirma ce que beaucoup croyaient déjà savoir.
Une fois l’Empire établi sur cette pierre solide, il fallait continuer à justifier les mesures oppressives mises en place pour combattre les Jedi. C’est là que le racisme rentra en jeu mais aussi la Rébellion. Palpatine avait besoin d’un ennemi, quitte à parfois le nourrir lui-même.
La domination d’un gouvernement autoritaire
Maintenant voyons voir, en plus de nourrir une forme de rébellion, ce qu’a fait Palpatine pour maintenir son régime en place et comment il en a profité.
La première chose (car c’est un point important du livre) c’est que Palpatine n’en a pas grand-chose à faire de l’Empire. Ce n’est qu’un moyen pour lui, une sécurité, pour accéder à l’immortalité. Avec un contrôle total sur la galaxie il peut fouiller les temples Sith, faire ses expériences, voir se nourrir de la peur et des dévastations qu’il commet pour atteindre son but.
Mais pour ce faire il a besoin que l’Empire tienne et d’être en sécurité. C’est pour ça que les principaux jeux de pouvoir se trouvent aux échelons inférieurs. On ne manigance presque pas pour être empereur, on manigance pour être Grand Moff, Gouverneur, Amiral etc. Tous ses généraux sont trop occupés à s’affronter pour l’affronter lui.
Son arme principale de contrôle de la galaxie : la doctrine Tarkin ! C’est le gouvernement par la peur de la force et des représailles. Le but est que le peuple craigne plus de subir cette violence que de la voir. Ça permet de détourner les yeux de soulagement quand elle tombe sur quelqu’un d’autre.
L’aboutissement de cette doctrine aurait dû être l’Etoile de la Mort. Mais pour ce faire, les besoins en matériels, argent et personnels sont immenses.
D’où l’esclavage des Wookiee par exemple dont on a vu le mécanisme pour le justifier ou la fin d’une forme d’écologie sur certains mondes.
Les planètes « sanctuaires » possédant des ressources précieuses perdront leur protection et finiront dévastées. L’Empire inventera plein d’excuses pour détruire la faune et la flore de ces mondes. Un mouvement autoritaire comme celui de Palpatine n’a que faire des considérations écologiques si elles l’empêchent d’atteindre son but.
C’est là qu’on voit une autre constituante de ce système : les lois ne s’appliquent pas de la même manière à tous. L’Empire choisit celles qu’il veut appliquer et surtout sur qui. Il ne lui viendrait jamais à l’esprit de les appliquer sur une personne ou une entreprise qui lui serait utile.
C’est là que l’argent rentre en jeu. On a déjà vu qu’il provient des classes et mondes les plus pauvres. Les plus riches eux profitent d’éxonérations ou de montages fiscaux, abusant de leur position. Ils n’hésitent pas, et sont même encouragés, à financer Palpatine et à offrir de beaux cadeaux pour que les institutions ferment les yeux.
Ce qui finit par arriver c’est que dans le noyau, les planètes sont des modèles. Tout tourne à merveille, les infrastructures sont parfaites, c’est propre, ça brille de modernité. C’est bien la preuve que l’Empire est un système qui fonctionne ?
C’est oublier la supériorité riche et humaine démocratisée par un gouvernement d’hommes riches et humains. On divise la galaxie entre humains et non humains alors que la vraie division est entre élites riches et non-élites pauvres (humains compris). On peut même noter une forme de sexisme, l’Amirale Sloane a dû se battre de toutes ses forces pour atteindre le poste qu’elle occupa pendant la bataille de Jakku.
Mais toutes les excuses sont bonnes pour passer pour les gentils, nombre de membres du gouvernement n’hésitant pas à se mettre en scène dans des pseudo œuvres de charité ou même à s’afficher sur l’holonet avec des sportifs qui viennent de gagner un titre.
Et contre les histoires discordantes, les voix qui s’élèvent, ce gouvernement n’hésite pas à étouffer via des organes de propagande les artistes, les journalistes et les associations. Ils finiront par instruire aux enfants une vérité nouvelle, la leur. Résultat, l’Empire passe toujours pour les gentils et les rebelles deviennent des terroristes.
On assite à un aveuglement galactique volontaire. Mais l’Empire compte aussi dessus. Les gens qui ferment les yeux ont honte, ils se sentent coupables d’avoir détourné le regard. Donc pourquoi se rebelleraient-ils, s’ils ont laissé faire ?
Le devoir de mémoire et d’enseignement
Une phrase beaucoup entendue sous la Nouvelle République était « c’était plus facile pendant l’Empire ». Mais il est important de se demander quelles personnes prononçaient cette phrase et surtout pour qui c’était plus facile ? Si certains gagnaient des avantages c’était au profit des libertés des autres.
Les idées autoritaires et fascistes de l’Empire ont resurgi avec les centristes de la Nouvelle République puis le Premier Ordre. Tout simplement parce que ces idées n’avaient pas besoin de Palpatine pour se répandre. Le racisme, l’égoïsme, l’avidité étaient déjà là, il n’avait fait que s’en servir.
Il y avait surtout une fracture de longue date entre ceux qui ont pris part à la lutte et ceux « neutres » qui ont profité du résultat. Ils se croyaient plus « purs » politiquement parlant car ils n’étaient dans aucun camp pendant la guerre. Les fameuses personnes qui fermaient les yeux sur les horreurs de l’Empire, cherchant le compromis, oubliant que ne pas prendre parti c’est prendre parti.
Palpatine a longtemps été le bouc émissaire, le diable, mais c’était oublier que ses idées n’ont pas été seulement exécutées par lui. Il avait du support, de l’encouragement, des millions de soldats, des alliés idéologiques ou juste des gens qui l’ont laissé faire.
En faire le responsable de tout, croire que le souvenir des horreurs perpétrées comme rappels, suffiraient à empêcher toute résurgence des idées autoritaires a été une erreur. Les historiens ont échoué, la Nouvelle République a échoué à prendre les mesures pour empêcher toute résurgence de ces idées.
Se croyant à l’abri avec la mort apparente de l’Empereur, la Nouvelle République a admis en son sein ceux restés neutres voir même a réincorporé certains des anciens organes gouvernementaux pour faire tourner la galaxie.
Les historiens ont quant à eux beaucoup documenté les génocides, les actes barbares, les horreurs de l’Empire comme rappel de ce que ces idées font.
Leur erreur a été de ne pas documenter et décrire les mécanismes qui ont permis la mise en place de l’Empire. Si on n’arrive pas à voir les signes avant-coureurs on est destiné à revivre le passé. Quand peu à peu ceux qui ont connu l’Empire ne sont plus là pour témoigner, quand la mémoire collective oublie, le travail de l’historien est plus important que jamais.
Combattre l’Empire est un combat de tous les instants, il faut être attentif au moindre signe qui pourrait finir en escalade.
Et pourtant la Nouvelle République comme les historiens ont échoué. Ils n’ont pas réagi quand les centristes ont émergé avec leur idée d’un pouvoir central, ils n’ont pas réagi quand le Premier Ordre s’est armé en dépit des traités de désarmement, ils n’ont pas réagi face à la propagande et l’endoctrinement des enfants. A la fin, Hosnian Prime en a payé le prix.
C’était intense comme lecture, cet Empire ne nous a jamais semblé aussi réel. On va cependant être lucide, par la métaphore de l’Empire et sa résurgence en Premier Ordre, le Dr Kempshall nous offre un guide à charge sur notre époque contemporaine. Mais ce faisant il reste dans la longue tradition du message de la saga identifié plus haut : Star Wars est contre l’oppression.
On n’est pas obligé d’être d’accord avec son constat, on trouve des gens qui pensent que la guerre du Vietnam était une bonne chose, ou que les démocraties ne sont pas corrompues ou encore que les femmes et les personnes queers ont déjà bien assez de droits. On n’est pas obligé de voir un message dans Star Wars (ou de choisir d’en voir un). Je le répète, Star Wars est pour tout le monde même pour ceux qui veulent y voir seulement du divertissement. Cependant ça n’efface pas pour autant les messages véhiculés et surtout ça ne nous autorise pas à reproduire les mécanismes qu’utilisent les méchants de ces films qu’on adore.
A partir du moment où une œuvre dénonce des formes de dominations, les adaptant bien évidemment à son propre univers, ses propres règles, ses propres codes, on peut dire qu’elle défend tout le monde, peu importe nos origines, notre sexualité, nos idées, nos religions, la seule chose qu’elle ne défend pas c’est l’oppression.
Je laisse donc à cet auteur le mot de la fin :
FIGHT THE EMPIRE, IT BEGINS WITH YOU.
(Combattez l'Empire, ça commence avec vous.)