Bonjour à toutes et à tous !
Aujourd'hui, pour la dixième actualité de cette mise à jour de janvier, place à une analyse sur la figure des clones dans l'univers de la saga Star Wars. Bonne lecture !
En mai dernier, la troisième et dernière saison de The Bad Batch s'est achevée sur la plateforme Disney+. Cette série a pour personnages principaux non pas des Jedi ou des combattants de la liberté, comme c’était le cas pour les séries précédentes (The Clone Wars, Rebels, Resistance), mais des vétérans clones confrontés aux bouleversements d’une galaxie où l’Empire vient de remplacer la République. Si la série s’intéresse à des clones « dysfonctionnels », dotés de caractéristiques qui les rendent uniques, elle vient parachever une révolution dans l’image de ces êtres longtemps ravalés au rang de machines vivantes. Des premières esquisses à la Clone Force 99 en passant par l’escouade Oméga et les Nulls de Skirata, plongée dans le visage des clones à travers les âges !
Attention : cet article contient des spoilers sur la trilogie Thrawn, la duologie de la Main de Thrawn, les livres de Karen Traviss, les comics Republic et les séries animées The Clone Wars, Rebels et The Bad Batch.
Les liens entre la saga Star Wars et le clonage sont aussi vieux que la saga elle-même, puisque c’est dans une réplique de Luke Skywalker dans le tout premier film, en 1977, qui sert de première mention de cette « guerre des Clones » dont Ben Kenobi est l’un des vétérans. Mais le conflit demeure alors auréolé de mystères ; il n’est que l’une des nombreuses références que la saga fait à d’autres temps et d’autres lieux lors de ces premiers films fondateurs. Les stormtroopers, malgré leurs armures similaires qui leur donnent un visage, n'en sont pas (sinon, la mythique première interpellation de Leia à Luke n'aurait pas de sens !). Ni L’Empire Contre-Attaque ni Le Retour du Jedi n’y font référence.
En attendant que de nouveaux films ne s’emparent du sujet, c’est donc à l’univers étendu naissant de s’y atteler. Le projet éditorial porté par le fabricant de jouets Kenner en 1984 (afin de pouvoir produire de nouvelles gammes après la fin des sorties au cinéma) reposait en partie sur le personnage d’Atha Prime, maître cloneur libéré de son exil par la mort de l’Empereur Palpatine. Ce concept (qui a inspiré trente ans plus tard le personnage de Zeta Magnus dans Skyewalkers d’Abel G. Peña) faisait des clones des adversaires à la fois de l’Empire et de la Rébellion… Une position qu’ils allaient occuper pendant longtemps.
C’est effectivement cette idée qui allait être reprise dans les premiers romans Star Wars originaux, sous la plume de Timothy Zahn. Le seul passage où il est fait mention du clonage, dans L’Héritier de l’Empire, est significatif :
— Qui avons-nous accepté à bord ?… J’aurais pensé que c’était évident. Joruus C’baoth – notez bien le double u révélateur de Jorus – est un clone.
Pellaeon le dévisagea.
— Un clone ?
— Mais certainement. Créé à partir d’un échantillon de tissu cellulaire, probablement peu avant la mort du véritable C’baoth.
— En d’autres termes, au début de la guerre, conclut Pellaeon, la gorge nouée. (Les premiers clones – du moins ceux que la flotte avait affrontés – étaient particulièrement instables, à la fois émotionnellement et mentalement. De façon parfois spectaculaire au point de…) Et vous avez délibérément embarqué cette chose sur ce vaisseau ?
— Auriez-vous préféré que ce fût un parfait Jedi Sombre ? demanda froidement Thrawn. Un second Dark Vador, peut-être, avec tout le pouvoir et les ambitions qui pourraient facilement lui donner le contrôle de ce vaisseau ? Capitaine, remerciez votre chance.
Le personnage de C’baoth, dans toute cette trilogie Thrawn, restera un archétype de la folie, allant jusqu’à créer un autre clone fou – Luuke – pour en faire son apprenti.
Zahn offrira également une autre image des clones à travers l’armée créée par le Grand Amiral pour armer ses vaisseaux, dévoilée dans les dernières lignes de La Bataille des Jedi et approfondie dans L’Ultime Commandement. L’ouvrage offre une plongée au cœur du centre de clonage du Mont Tantiss et détaille aussi davantage les événements de la Guerre des Clones :
Pellaeon ne put réprimer un frisson. Jamais il ne s’habituerait à ces plongées crépusculaires dans la démence des clones. Il savait pourtant que, à l’origine, le problème avait été universel, dès les premières expériences : instabilité émotionnelle et mentale des sujets en proportion inverse de la durée de duplication. Rares étaient les ouvrages scientifiques qui avaient survécu aux Guerres Cloniques, mais Pellaeon en avait consulté un dans lequel on suggérait qu’aucun clone qui avait atteint sa maturité en dessous d’une année ne pouvait être suffisamment stable pour survivre hors d’un milieu totalement contrôlé.
À en juger par la vague de destruction qui avait déferlé sur la galaxie tout entière, Pellaeon s’était dit que les maîtres cloneurs avaient bien dû finir par trouver une solution, même partielle, à leurs problèmes. À moins qu’ils n’aient admis que la cause sous-jacente de la folie des clones était une question totalement différente.
Ces clones se montrent particulièrement redoutables, ainsi qu’en témoigne cet échange entre Wedge Antilles et Pash Cracken :
— Ça a dû être une sacrée affaire, dit Wedge. Ça s’est passé comment : ils étaient en surnombre ou plus fort sur le plan stratégique ?…
— Les deux, fit Pash en grimaçant. Je ne crois pas que Thrawn était présent en personne, mais c’est certainement lui qui a mis au point l’assaut. Wedge, je vais te dire une chose : ces clones sont les trucs les plus épouvantables auxquels j’aie jamais eu à me colleter. C’est comme les commandos, des machines de guerre au sang glacé, précis, implacables. La seule différence, c’est qu’ils sont partout, et qu’ils n’ont rien de troupes de choc en mission spéciale.
— Parle-moi de ça. On a dû affronter deux escadrons de Tie avec ces choses pendant le premier assaut de Qat Chrystac. Ils faisaient des manœuvres impossibles.
Pash hocha la tête.
— Le général Kryll pense que Thrawn doit choisir ses meilleurs éléments comme étalons de clonage.
— Il serait idiot de ne pas le faire.
Leurs compétences sont d’origine génétique, mais aussi issues de systèmes d’imprégnation des connaissances… À la manière des droïdes. Ils sont d’ailleurs des « trucs », des « choses » - en somme, des machines plutôt que des humains. Et une autre œuvre dévoilée à l’époque va renforcer cette impression : L’Empire des Ténèbres.
Palpatine y revient à la vie au moyen de corps clonés, qui seront finalement sabotés par quelques-uns de ses disciples. Là encore, les clones ne sont que les vaisseaux d’une conscience qui leur vient d’ailleurs, des corps de rechange, pas des êtres à part entière. Il en ira de même dans d’autres œuvres de l’univers étendu avec les clones d’autres antagonistes jouant un rôle anecdotique (celui de Sate Pestage, doublure de sécurité) ou plus important (celui d'Ysanne Isard, antagoniste dans le tome 8 des romans X-Wings... en se prenant pour l'originale !). À la même époque, les romans de L'Académie Jedi introduisent une utilisation un peu différente du clonage, à travers le personnage du Jedi Dorsk 81, dont la planète, Khomm, a fait du clonage le moyen de reproduction exclusif de sa population. Une utilisation originale mais qui n'a eu que peu de suites dans l'univers étendu.
Paradoxalement, c’est Timothy Zahn qui va entamer, à la fin des années 1990, la réhabilitation des clones dans la duologie de la Main de Thrawn à travers le personnage de Carib Devist, clone de Soontir Fel membre d’une cellule dormante sur la planète Pakrik Minor, qui refuse de rallier les Vestiges de l’Empire.
Carib regarda les plantations.
— C’est notre vie, désormais. Notre terre et nos familles, voilà tout ce qui importe. La politique, la guerre et les chasseurs TIE appartiennent au passé !
Ce qui n’empêche pas les vieux stéréotypes, voire les haines, de persister, comme le démontre ce passage un peu plus loin :
— Tu n’aimes pas les clones, hein ? remarqua Yan.
Lando secoua la tête.
— Exact. Palpatine avait tort de vouloir classer les races selon une hiérarchie... Mais s’il y en avait une, les clones seraient en bas de l’échelle.
Et c’est valable aussi bien pour un camp que pour l’autre :
— Ce putain de clone ! jura Disra. Nous n’aurions pas dû nous y fier. Thrawn n’aurait jamais dû lancer ce foutu projet !
— Calmez-vous, dit Tierce. Thrawn savait ce qu’il faisait. Et n’oubliez pas que de nombreux clones sont morts pour l’Empire.
— Ce sont quand même des abominations, grogna le Moff.
Il avait parlé à des clones, il en avait mené au combat, et il en avait même vendu aux Pirates Cavrilhu en échange des Oiseaux de Proie de Zothip. Mais le seul fait d’y penser lui donnait la nausée.
— Impossible de leur faire confiance, répéta-t-il.
Le Tierce de ce passage, principal antagoniste de la duologie, est lui-même un clone issu d’un projet spécial de Thrawn… Tout comme un clone de Thrawn lui-même, secret ultime du complexe de Nirauan. L’échange entre Luke et Mara Jade, lorsqu’ils le découvrent, témoigne du changement qui a commencé à s’opérer dans la perception des clones.
— Comment sera-t-il ? demanda Mara d’une voix étrange. À quel point ressemblera-t-il à l’original ?
Luke secoua la tête.
— C’est une question dont on débat depuis des dizaines d’années. Théoriquement, un clone qui a la même structure génétique que l’original, et « apprend » grâce au système d’apprentissage-éclair le schéma mental du modèle, devrait être identique à celui-ci. Pourtant, ils ne sont jamais exactement pareils. Certaines subtilités de la personnalité sont peut-être perdues ou brouillées lors de la transition. À moins qu’il y ait en nous des choses que le système d’apprentissage-éclair est incapable de déceler. (Il fit un geste vers le clone.) Il aura tous les souvenirs de Thrawn. Mais son génie, son charisme et sa détermination implacable ? Je l’ignore.
À partir de 1999, la saga prend une nouvelle orientation avec la sortie au cinéma de la prélogie, sous la houlette de George Lucas. Si les clones sont absents du premier film, La Menace Fantôme, le titre du deuxième opus est en revanche bien plus prometteur. L’Attaque des Clones promet de montrer à l’écran cette fameuse guerre annoncée vingt-cinq ans plus tôt.
Mais plutôt que de montrer ce à quoi les fans pouvaient s’attendre – un affrontement entre la République et les Jedi d’un côté, et les clones de l’autre –, le film va prendre tout le monde au dépourvu. L’armée ennemie est une évolution de celle de la Fédération dans l’Épisode I, reprenant les mêmes droïdes, tandis que les clones sont placés sous les ordres des Jedi, au service de la République. Ils sont en quelque sorte le camp du Bien… Et même si l’on comprend à la fin du film, en voyant que leur commanditaire est le comte Dooku, qu’ils ont un autre rôle à jouer, leur image a changé du tout au tout.
Le film nous révèle également que cette armée clone est constituée à partir d’un modèle unique, Jango Fett, « père » de Boba – qui n’est lui-même qu’un clone. Il nous présente l’usine de clonage des Kaminoens et leur processus de croissance accélérée, qui livre des soldats aptes au combat en moins de dix ans. La situation est très différente de ce qu’elle pouvait être dans les romans, puisque les clones, s’ils connaissaient une croissance accélérée jusqu’à l’âge adulte, bénéficiaient ensuite d’une espérance de vie normale. C’est un détail qui bientôt n’en sera plus un…
Dans la foulée de la sortie du film, et pour faire le lien avec le futur Épisode III en explorant cette Guerre des Clones tant attendue, l’Univers Étendu nous permet de découvrir plusieurs de ces clones, en tant qu’individus. Le choix est fait de nous présenter des clones de série Alpha, aux caractéristiques proches de leur modèle, Jango. La série animée Clone Wars nous fait ainsi découvrir le capitaine Alpha-77 « Fordo », combattant lors des batailles de Muunilinst et d’Hypori ; la série de comics Republic introduit dans son premier arc de la Guerre des Clones, La bataille de Kamino, Alpha-17 « Alpha ». Il y expose sa conception très particulière de la fraternité des clones en programmant l’autodestruction d’une partie du complexe de clonage afin d’éviter que les futurs soldats ne tombent aux mains des séparatistes.
Le côté « machine de guerre » des clones est donc encore bien présent, même si l’empathie du lecteur avec Alpha sera développée peu à peu dans la suite de la série, après sa capture sur Jabiim, sa torture aux mains d’Asajj Ventress et sa disparition à l’issue de la bataille de Boz Pity. Les comics Republic vont aussi introduire les commandants clones, avec par exemple Bly, placé sous les ordres d’Aayla Secura.
Ce même Bly est l’un des nombreux clones nommés que l’on retrouvera dans La Revanche des Sith, l’Épisode III qui vient conclure en mai 2005 la saga de George Lucas au cinéma. Cody, Oddball, Gree… combattent aux côtés des Jedi, semblent amicaux avec eux, transmettent leurs ordres aux troupes régulières… Et n’hésite pas à se retourner contre eux lorsque Palpatine émet l’Ordre 66, dans l’une des séquences les plus marquantes de la saga. Le film renforce le côté artificiel des clones, qui obéissent à des ordres d’une extrême gravité sans poser de questions, se retournent contre ceux avec qui ils combattaient l’instant d’avant, comme l’auraient fait des droïdes reprogrammés.
Pourtant, cette vision déshumanisante est sur le déclin, en partie grâce à la sortie quelques mois plus tôt d’un jeu nomme Republic Commando. Cette fois, le joueur incarne un clone, RC-1138 « Boss », au sein d’une escouade de soldats d’élite agissant en toute autonomie derrière les lignes ennemies. En mettant le joueur dans la peau d’un de ces soldats (certes, encore une fois une version « haut de gamme » plutôt que le trooper de base), Republic Commando ouvre une nouvelle porte vers l’identification des fans aux clones.
Chacun des membres de l’escouade Delta est doté de sa propre personnalité, a une armure personnalisée, des compétences qui lui sont propres : RC-1140 « Hacker » (« Fixer » en VO) est un as en informatique, la voix de la raison, RC-1262 « Nitro » (« Scorch ») un plaisantin adepte des explosifs et RC-1207 « 07 » (« Sev ») un tueur au sang-froid, amateur de chasse et du fusil sniper. L’empathie est bien présente, elle grandit tout au long du jeu jusqu’à ce final sur Kashyyyk qui questionne encore bien des joueurs, près de vingt ans plus tard…
Mais ce qui fait de Republic Commando un véritable tournant dans l’histoire des clones, c’est le fait qu’un roman ait accompagné sa sortie, Republic Commando : Contact Zéro, dès octobre 2004… Un roman écrit par une nouvelle venue dans l’univers Star Wars, Karen Traviss.
La carrière de Karen Traviss comme auteure de romans Star Wars a été courte : cinq ans à peine, de 2004 à 2009, à comparer par exemple aux seize années d’activité de James Luceno ou aux plus de trente ans du recordman Timothy Zahn. Toutefois, cela lui aura suffi pour marquer durablement son influence sur l’Univers Étendu à travers sa construction d’une culture mandalorienne jusque-là mal définie. En parallèle de ce travail dont l’influence est encore ressentie aujourd’hui (ce qui mériterait un autre article !), Karen Traviss a fait énormément pour humaniser les soldats clones et éclairer d’un jour nouveau leur traitement.
Le premier roman, Contact Zéro, n’est pas aussi « militant » que peuvent l’être ses suites. Il nous présente l’escouade Oméga, constituée de clones commandos ayant survécu à la bataille de Géonosis qui a décimé leurs escouades respectives. On suit en particulier RC-1136 « Darman », un spécialiste en explosifs qui se retrouve isolé du reste de l’escouade lors de leur première mission sur la planète Qiilura. Il est le premier à rencontrer le seul point de vue non-clone de ce roman, la jeune padawan Etain Tur-Mukan, isolée sur ce monde depuis le début de la guerre et qui découvre avec lui l’existence des clones.
Même si Etain ne maîtrisait pas encore la Force, elle voyait et sentait des choses au-delà de l’univers matériel. Elle percevait les créatures nocturnes autour d’elle ; elle sentait même les anguilles argentées passer de chaque côté de ses bottes en avançant dans l’eau.
Puis elle perçut quelque chose qu’elle ne s’attendait pas à rencontrer dans les bois d’Imbraani, la nuit.
Un enfant.
Il y avait un enfant tout près. Il avait quelque chose d’inhabituel, mais c’était un être jeune, et il semblait perdu. Elle n’imaginait pas que les gens de la ville puissent laisser un enfant sortir la nuit, avec les gdans qui rôdaient.
Ignore-le. Il n’est pas ton problème.
Mais c’était un enfant. Il n’avait pas peur. Il était anxieux, mais pas terrifié comme aurait dû l’être tout enfant raisonnable, errant tout seul la nuit.
Soudain, quelque chose toucha son front. Elle fit le geste de chasser un insecte, mais il n’y avait rien. La sensation descendit brièvement sur sa poitrine, puis remonta sur son front. Soudain, elle fut aveuglée par un rayon de lumière intense qui jaillit des ténèbres.
Elle n’avait rien à perdre. Elle sortit son sabre laser et se prépara à mourir en combattant s’il le fallait. Elle n’avait pas besoin de voir son adversaire.
Elle entendit un ah léger. La lumière s’éteignit. Elle percevait toujours l’enfant devant elle.
— Désolé, Madame, dit une voix d’homme. Je ne vous avais pas reconnue.
Elle détectait toujours un enfant, si près qu’il devait être juste à côté de l’homme. Pour une raison quelconque, elle ne percevait pas du tout l’adulte dans la Force.
[...]
Il enleva son terrible casque mandalorien, qui s’ouvrit avec un petit plop.
C’était un jeune homme, dans les vingt ans, avec des cheveux noirs coupés courts et des yeux noirs. Malgré les plans durs de son visage, il avait une expression si innocente et confiante que cela la sidéra. Il n’avait pas confiance en lui-même, comprit-elle, mais en elle.
— Vous êtes probablement un peu rouillée, Madame. Nous vous remettrons en forme en moins de deux.
— Êtes-vous en forme, Darman ? (Il l’avait vaincue. Ça n’était pas supposé marcher comme ça…) Quel est votre niveau de compétence ?
— Je suis un commando, Madame. Élevé pour être le meilleur. Élevé pour vous servir.
Il ne plaisantait pas.
— Quel âge avez-vous, Darman ?
Il ne cilla même pas. Elle voyait les muscles durs de son visage, où ne paraissait pas un atome de graisse. Il avait l’air en pleine forme, un vrai soldat modèle.
— J’ai dix ans, Madame, dit Darman.
Dix ans. En quelques mots, Karen Traviss a remis sur la table le dilemme moral occulté dans L'Attaque des Clones : ce sont factuellement des enfants que la République utilise comme chair à canon dans cette guerre qui porte leur nom. Et les Jedi, qui sont leurs commandants, sont complices de cette exploitation... Les valeurs morales qui plaçaient les Jedi sur un piédestal sont bousculées au profit de ces clones qui faisaient tant peur et commencent à apparaître, aux yeux des lecteurs, comme des victimes.
Les romans suivants ont davantage développé cet aspect avec l'arrivée du personnage de Kal Skirata, instructeur mandalorien bourru qui va, dès l'incipit de Triple Zéro, prendre la défense de jeunes clones modifiés, les Null (qui portent bien mal leur nom !), face aux cloneurs kaminoans qui cherchent à les "reconditionner" (un euphémisme signifiant élimination).
Les réflexions de Kal, sa quête pour donner une durée de vie normale aux clones, à ses "garçons", ses fils même puisqu'il en adopte un certain nombre, accompagnent dans ces livres des échanges entre les soldats sur leur condition, sur leurs aspirations à une vie meilleure, leurs espoirs, leurs sentiments même. En somme, Karen Traviss donne une âme à ceux qui étaient jusque-là vus comme des machines de chair. Elle fait éprouver de la compassion pour eux, à travers par exemple le sort malheureux de Fi, qui, après une blessure grave, est voué à être jeté comme un rebut par une République qui ne lui reconnaît pas le statut d'être vivant...
Et l'Ordre 66 dans tout ça ? Situant ses romans dans la temporalité de la Guerre des Clones, Karen Traviss ne pouvait pas y échapper. Le récit fait que "ses" clones n'y participent pas ou presque, à l'exception d'un incident aux conséquences tragiques. Mais, au tout début de ce chapitre, elle glisse une citation qui en dit long sur son sentiment.
J’ai hésité un moment quand j’ai reçu l’Ordre 66, parce qu’un coup d’État tenté par les Jedi était la dernière chose que j’envisageais. Est-ce que je me suis senti trahi ? Bien sûr. J’ai repensé à tous mes hommes tombés sous les ordres de Ki-Adi-Mundi, et si j’avais su alors que lui et ses petits copains se préparaient à faire le boulot pour les Séparatistes et à renverser le gouvernement, je l’aurais abattu comme traître bien avant. Il a trahi la confiance de chacun d’entre nous.
— Commandant clone Bacara, anciennement membre des Marines Galactiques
Elle parvient donc à renverser complètement la dynamique qui avait été instaurée par l'Épisode III, au point que le lecteur peut en venir à comprendre la décision des clones d'ouvrir le feu sur leurs officiers Jedi. Le premier roman de la série Imperial Commando offre même une plongée auprès des troupes de choc du tout jeune Empire dans les premiers temps de la Purge, et l'on peut en venir à compatir pour ces soldats confrontés à des Jedi qui n'ont plus rien à perdre, si ce n'est leur vie...
En 2008, The Clone Wars débarque sur les écrans, et si la cohabitation avec les récits de Karen Traviss débute bien (elle est chargée à l'époque de la novellisation du film et du roman dérivé Pas de prisonniers), les retouches apportées à Mandalore dans la saison 2 (entre autres) l'amènent à se retirer à l'été 2009.
Pourtant, cela ne marque pas le retour à la vision des clones comme droïdes de chair. Bien au contraire, The Clone Wars va mettre en lumière des individus auxquels le public va s'attacher. Dès le premier épisode de la série, un échange entre Yoda et des soldats traqués avec lui par des droïdes séparatistes donne le ton :
— Allons, assis. Et vos casques retirez. Vos visages je voudrais voir.
— Y a pas grand-chose à voir, Monsieur. Nous avons tous le même visage.
— Vous abuser les yeux peuvent. Dans la Force, très différents les uns des autres vous êtes. Rys, toujours sur l'ennemi concentré vous êtes. Pour l'inspiration, en vous-même cherchez, et dans ce qui vous entoure. Jek, focalisé sur les armes vous êtes. Les batailles, par les armes ne se gagnent pas. Plus puissant que cela est votre esprit, hmm ? Plus futé que les droïdes, vous êtes. Thire, vous ruer dans la bataille il ne faut pas. Long est le conflit. Uniquement en survivant vous l'emporterez. Des clones, peut-être vous êtes, mais dans la Force résident toutes formes de vie.
Mais c'est surtout le cinquième épisode de cette première saison, Les Bleus, qui va lancer cette dynamique. C'est le premier épisode de la série où les Jedi ne font qu'un simple caméo, au profit des soldats clones. Obi-Wan et Anakin sont remplacés par leurs commandants clones, Cody et Rex (créé pour la série et inspiré d'Alpha, cité plus haut). C'est aussi dans cet épisode que l'on rencontre deux jeunes clones, Fives et Écho, que l'on va suivre tout au long de la série et voir évoluer, depuis leur entraînement jusqu'à leur disparition.
La série nous présente aussi des clones allant à l'encontre du modèle du bon soldat. Le seizième épisode de la première saison, L'Ennemi caché, nous présente Slick, un clone servant d'espion pour Asajj Ventress, qui expose ses motifs lors d'un affrontement avec Rex et Cody.
— Vous ne faites que suivre aveuglément les ordres ! Et pourquoi ? Moi, au moins, je vais tirer quelque chose de cette souffrance !
— Oui, je parie que tu as vendu tes frères pour une très grosse somme !
— Oui, elle m'a offert de l'argent. Mais elle m'a offert quelque chose de plus important, une chose que tu ne peux même pas comprendre : la liberté !
Ce qu'il poursuit un peu plus tard, face à Anakin et Obi-Wan :
— Ce sont les Jedi qui gardent mes frères en esclavage. Nous nous soumettons à vos caprices, nous obéissons à vos ordres. On méritait un peu plus que ça. (...) J'aime mes frères, mais je me suis révolté pour tous les clones.
Dans la saison 2, c'est un déserteur que Rex rencontre sur Saleucami : Cut Lawquane, qui a choisi de s'éloigner du conflit pour fonder une famille. Là encore, la série nous montre que les clones sont dotés d'une pensée indépendante et capables de désobéir s'ils en éprouvent le besoin. Un arc de la saison 4 va le montrer de façon éclatante : celui qui oppose les soldats de la 501ème au général Jedi Pong Krell, dans l'obscurité d'Umbara. Comme chez Traviss, on en vient à souhaiter la survie des clones face à leur officier... qui toutefois se révélera un traître.
— Autrefois, je croyais qu'être un bon soldat signifiait obéir sans jamais discuter. C'est comme ça que nous avons été éduqués. Nous ne sommes pas des droïdes. Nous ne sommes pas programmés, nous devons faire en sorte de prendre nos décisions par nous-mêmes.
Capitaine Rex
Reste qu'à vouloir humaniser tous les clones sans faire passer les Jedi pour des monstres sans cœur, The Clone Wars se retrouve face à un dilemme plus compliqué que celui qu'avait connu Traviss face à l'Ordre 66. La question est longtemps restée en suspens, mais c'est finalement la saison 6 de la série qui y apporte, dans son premier arc, les réponses attendues. On y découvre la présence, chez tous les clones, d'un implant cérébral activé par l'Ordre 66 et qui les conduit à vouloir éliminer les Jedi. Une assurance, pour Palpatine, de voir ses bons soldats obéir aux ordres...
Cette histoire de puce inhibitrice vient changer une nouvelle fois le statut des clones et permet d'expliquer le contraste entre les individus vus à l'œuvre dans The Clone Wars et l'armée qui se retourne contre les Jedi dans La Revanche des Sith. L'arc final de la série, diffusé en 2020, montre particulièrement bien ce contraste et les effets de ce petit composant. Entretemps, Rebels nous a présenté le devenir de trois clones ayant ôté leur puce, dont le capitaine Rex, qui vont en venir à combattre l'Empire. Des clones contre les stormtroopers ? Le meilleur moyen, sans doute, de faire la distinction entre les deux groupes, entre leurs capacités (au niveau de la précision de tir notamment), et entre leurs statuts : les uns sont des victimes de la guerre, les autres ses pions plus ou moins consentants.
L'héritière de ces deux séries, The Bad Batch, a poursuivi dans cette direction et en a profité pour nous montrer la transition entre les deux groupes de combattants, dans les premiers mois de l'Empire. Le groupe de combattants de la Clone Force 99 est apparu dans les quatre premiers épisodes de la saison 7 de The Clone Wars (et auparavant dans les épisodes qui avaient été rendus disponibles en animatique). Chacun de ces clones a reçu des mutations génétiques le rendant unique : Hunter a des instincts de chasseur hors-norme, Wrecker une force surhumaine, Tech une intelligence largement supérieure à la moyenne et Crosshair des capacités de visée incroyables. Rejoints par Echo après que celui-ci ait été transformé en cyborg par les Séparatistes, ils évoluent en formant une unité à part, en-dehors des standards et des chaînes de commandement classiques, fonctionnant un peu comme une famille, avec un peu de dédain pour le clone commun... Ça ne vous rappelle pas les Nulls de Karen Traviss ? Moi si !
Une grande différence cependant : chacun a une apparence différente des clones communs, et ce n'est pas seulement dû à des choix de coiffure ou des tatouages. Leurs traits divergent, malgré leur air de famille persistant. Leur série dévoile même une autre clone modifiée... Oui, une, car Omega est une jeune fille bien mystérieuse, en dépit de ses traits proches de ceux de son "frère" Boba Fett ! On perd peut-être un peu, à cause de cela, le rattachement direct au clonage, à ces êtres censés être tous identiques... Mais c'est pour mieux aborder d'autres problématiques sur le clonage tel que présenté dans Star Wars.
Car la série aborde le sujet du devenir des clones, après la fin de la guerre portant leur nom. Karen Traviss s'y était intéressée, quoi que de façon incomplète du fait de son départ de la licence ; avant elle, le jeu Battlefront II original, celui de 2005, nous offrait une campagne dans la peau d'un soldat de la 501ème, de Géonosis à la bataille de Hoth. La voix cynique de ce narrateur anonyme nous faisait bien revivre le soulèvement de Kamino, ses conséquences sur la fin de l'approvisionnement en clones de l'armée impériale... Mais The Bad Batch va beaucoup plus loin, beaucoup plus tôt dans l'univers. La destruction de Kamino, les clones expédiés au sein du Mont Tantiss de Wayland (souvenez-vous, la première usine de clonage apparue dans l'univers Legends !) pour y subir des expérimentations, ou même laissés à mourir comme le pauvre commandant Mayday dans la saison 2... La série ne prend pas de gants et nous montre des clones plus victimes que jamais de cette guerre portant leur nom, au point de subir un sort pas si différent de celui des Jedi qu'ils ont exterminés sous la contrainte de leur puce inhibitrice. Elle nous présente aussi le réseau de Rex et d'Echo, qui ne se résignent pas à ce triste sort.
Et elle nous montre surtout la Bad Batch, qui se bat pour vivre en tant que mercenaires, pour survivre lorsqu'ils sont traqués... Mais aspire surtout à la paix, ce qu'on voit lorsque l'équipe trouve refuge sur Pabu. Hunter en particulier se comporte comme un grand frère, voire un père, pour Omega. Ce que la série nous donne à voir est moins une escouade militaire qu'une famille un peu atypique, parfois disfonctionnelle, mais finalement attachante.
Que de chemin parcouru depuis la trilogie Thrawn, n'est-ce pas ? Si la saga est revenue un peu en arrière dans la postlogie (avec le personnage de Snoke et le retour de Palpatine qui s'inspirent directement de L'Empire des Ténèbres), la vision de clones humanisés s'est globalement imposée. Mais c'est finalement ce qui rend la saga Star Wars si particulière : la multitude d'intervenants qui lui ont donné forme et ont tous apporté leur touche, leurs idées pour la construire. L'évolution aura été particulièrement visible dans le cas des clones : d'armes dénouée de conscience, de leurres ou de vaisseaux pour la conscience d'antagonistes, ils sont devenus peu à peu de véritables êtres pensants doués de sentiments, capables de s'individualiser et d'attirer la sympathie du public. Et je pense que nombre d'entre eux font aujourd'hui partie des personnages favoris des fans de la saga, à raison selon moi !
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Alfred M. a écrit:Très sympa, mais t'as toujours Crosscurrent/Riptide à lire.
Adanedhel a écrit:Les mentions des Clones qui prédatent la prélogie, notamment chez Zahn ou encore avant dans quelques épisodes des comics Marvel, m'ont toujours fasciné, c'est fou à quel point cette unique réplique de l'épisode IV a enflammé l'esprit des auteurs et a immédiatement fait du clonage une notion acquise de l'univers sans qu'on ait besoin d'en voir un seul à l'écran !