Et voilà la pas très fine équipe du BSI réunie à la sortie du labyrinthe, mains sur les flingues, prêts à en découdre avec les pièges suivants concoctés par l’esprit brillamment tordu – ou complètement taré, au choix – de Gédéon Saint-Lazare.
L’un des hommes d’Hoyddings est secoué par une ultime crise de rire. Pas de chance pour lui, et surtout pour son collègue devant lui, cette crise fait que sa main se crispe sur la détente de son blaster. Le coup part, l’autre est atteint en plein dos et s’écroule à terre, immobilement mort. Oui, je sais, « immobilement » n’existe pas, mais je vais au bout de mon tic d’écriture consistant à mettre le plus d’adverbes possibles dans cette histoire.
À mes côtés, Saint-Lazare sautille de joie, tout content d’assister à cet accident mortel. Il me balance un nouveau coup de coude et me dit :
– C’est ce qu’on appelle mourir de rire, non ?
Décidément, ce type n’en finira jamais de me faire peur…
Hoyddings se charge de l’épitaphe de son camarade tombé au combat :
– Adieu, compagnon de tant de luttes acharnées. Adieu, soldat Darok…
– Nan, chef. Darok, Gal de mon prénom, c’est moi. Lui, c’était Olbotar Horlack.
– Ah oui, c’est vrai. Faut dire que vous vous ressemblez tous, aussi, c’est pas facile de s’y retrouver.
Les autres se regardent : le grand Noir, le petit Asiatique, le Blanc avec plein de muscles, puis ils regardent le cadavre à leurs pieds, qui fut un petit homme replet. Comme ils reposent ensuite leurs grands yeux étonnés sur Hoyddings, celui-ci leur répond en haussant les épaules :
– Oui, bon, désolé, je n’ai jamais été physionomiste…
Et ils reprennent leur route.
Mais pas longtemps ! Car devant eux se profile un nouveau danger, un nouveau piège mortel à moins que non, qui saurait le dire ?
En effet, le couloir qu’ils suivaient jusque-là comme ils savent si bien le faire, à savoir bêtement, se divise soudain en deux. Au mur, deux panneaux fléchés. L’un indique « Salle de contrôle », l’autre « Piège mortel, passez votre chemin ».
Les voilà dans l’expectative, et je les comprends : les panneaux ont-ils été intervertis pour les induire en erreur, ou indiquent-ils réellement les bonnes directions ?
Suspense insoutenable, auquel je tente de mettre fin en demandant à Saint-Lazare ce qu’il en est.
– Bien sûr que les panneaux ont été intervertis ! qu’il me répond, à nouveau tout émoustillé et battant des ailes. S’ils suivent le soi-disant bon chemin, ils tomberont dans le piège suivant. Et s’ils suivent le soi-disant mauvais chemin, ils arriveront jusqu’à nous. C’est génial, cette idée de double piège, non ?
J’ai un doute, mais je préfère me taire et voir comment les choses vont évoluer.
Face au carrefour, Hoyddings et Zavid réfléchissent.
– Hoy ! Hoy ! On serait idiots de suivre le panneau « Piège mortel », donc suivons l’autre !
– C’est forcément un piège, répond Zavid. Il faut donc suivre l’autre panneau.
– Oui mais si ce n’est pas un piège, on aura l’air fin puisqu’on tombera dedans quand même.
– À moins que ce ne soit un double piège…
– Comment ça ?
– Saint-Lazare se dit qu’on va suivre le panneau « Piège mortel » parce que sinon c’est trop évident, mais si ça se trouve, c’est fait exprès.
– Ou alors c’est un triple piège ! Il pense que nous allons penser que…
– Ou un quadruple ! Il pense que nous allons penser qu’il pense que… euh… Zut, ça y est, j’ai perdu le fil.
– Hoy hoy. Moi aussi. On fait quoi, du coup ?
– Revenons à des choses plus simples, mais pas trop. On va suivre le panneau « Salle de contrôle ».
– Hoy !
Saint-Lazare est au comble de l’excitation à mes côtés, ses ailes frétillant comme jamais. Un instant, je me demande s’il ne va pas s’envoler, si son génie n’a pas été jusqu’à repousser les limites classiques de la poule, qui ne peut pas voler, mais non.
Il me dit :
– Les imbéciles ! Ils ont réagi exactement comme je l’avais soupçonné en installant ce piège élaboré.
– Ah ouais ? que je fais.
– Bien sûr ! Évidemment que le panneau « Salle de contrôle » mène au piège mortel, naïfs qu’ils sont !
L’esprit retors de Saint-Lazare m’impressionne. Mais pas longtemps. Car à l’écran, l’équipe du BSI se retrouve face à une porte métallique close, à laquelle Hoyddings, sans doute conditionné par une éducation traditionnelle, choisit de toquer.
Je fais à Saint-Lazare :
– Trop super, vous avez installé un son dolby surround panoramique ?
– Euh non, pourquoi ?
– Ah ? J’aurais juré que j’avais entendu toquer à la porte sur l’écran, mais que le bruit venait aussi de derrière nous.
On se regarde, on se retourne vers la porte de la pièce, on repose nos yeux sur la porte à l’écran.
Elles se ressemblent vachement, quand même, que je murmure. Se pourrait-il que…
Hoyddings toque à nouveau, et nous sursautons dans nos fauteuils. Nul doute n’est plus permis : c’est bien à notre porte qu’il frappe.
– Mais je croyais que…
Je m’interromps en voyant Saint-Lazare se prendre la tête à deux mains. L’air désespéré, il me dit :
– Je pense que le technicien qui a installé les panneaux s’est complètement planté, et qu’il a mis les bons panneaux au bon endroit, en fait. Pourtant, je lui avais bien expliqué ce que je voulais. J’aurais dû me douter à son air bovin et stupide qu’il n’avait rien compris de la subtilité de la manœuvre.
– On ne peut jamais compter sur le petit peuple, que j’acquiesce solennellement. Il ne comprend jamais rien à ce que veut l’être supérieur tel que nous…
– Le génie est incompris, qu’on dit tous les deux en même temps.
Alors tout est fini pour moi ? Les agents du BSI vont entrer et me faire prisonnier voire m’abattre ? Ainsi s’achèverait misérablement la vie du plus grand journaliste de la galaxie. Chienne de vie !
– N’ayez crainte, mon cher Cirederf, je suis loin d’avoir dit mon dernier mot.
Je fais un bond dans mon fauteuil en entendant ces mots, prononcés sur un ton sépulcral, et aussi parce qu’il a rallumé sa lampe de poche pour éclairer son visage par-dessous, ce qui est toujours aussi flippant.