Beaucoup de travail littéraire depuis 1 an pour vous proposer enfin une version réécrite du premier chapitre... un gros morceau et je remercie au passage tous mes bétalecteurs les plus fidèles pour leurs innombrables propositions de correction et de leur fidélité à me lire et relire lorsque cela était nécessaire... merci donc à Notsil, Minos et Den pour les principaux. En espérant que le résultat ne soit pas trop décevant. Hormis des corrections mineures de coquilles restantes, y en a toujours, je ne pense pas faire une relecture de ce chapitre de si tôt...
Place à l'histoire :
Prologue
Il y avait bien longtemps, dans une galaxie déjà très lointaine, l’univers connu se limitait à une poignée de systèmes habitables alors que des procédés avant-gardistes tentaient d’en viabiliser d’autres. Un saut technologique sans précédent autorisa la navigation hyperspatiale et une expansion sans contrainte débuta. De systèmes longtemps isolés revinrent des colons riches d’idéologies libertaires et d’amertume contre le régime totalitaire central. Ainsi, toutes les décennies, quelques planètes s’ajoutaient à ce que l’on commençait à appeler le Noyau Profond. Après Alderaan, Corellia, Belgaroth, Bilbringi ou Shili un flot de nouveaux mondes apportait son lot de philosophies extrahumaines, d’avancées technologiques, de rêves d’indépendances et d’envies révolutionnaires. Tout devenait possible. Accompagné de ses mondes satellites, le pouvoir despotique de Coruscant résistait à des flux continus d’opposition.
Malgré une armée omniprésente et suréquipée, des alliances se nouaient dans l’espace où, pour ajouter à la confusion, les contrebandiers et pirates pullulaient. Des consortiums toujours plus nombreux tiraient parti de l’incapacité du noyau central à tout régenter. Les crédits se chiffraient en millions et ces cartels ne comptaient pas lâcher leurs juteuses affaires illégales.
La Force y existait depuis longtemps mais oubliée dans les méandres de l’histoire rakata, sa perception n’effleurait que la surface de ses potentialités. Toutes les formes de vie, dans l’ignorance, baignaient dans son fluide, l’utilisant comme une béquille naturelle. Le cours des événements allait perturber une bulle de connaissance qui exploserait pour transformer à jamais les annales galactiques.
Isolés de l’agitation permanente des mondes connus du Noyau, un groupe religieux de contemplatifs, en harmonie avec l’environnement, explorait ce Fluide de leurs dogmes. Appelés à servir de conseillers éclairés et de diplomates aux gants de velours par les pontes galactiques, certains d’entre eux furent aspirés par la spirale des complots politiques.
Depuis la nuit des temps, le couperet retombe sur le messager, et ce lieu commun constituera le premier maillon d’une suite d’événements qui déclencheront le jeu d’incontrôlables forces immatures.
Primus Locus :
Une existence à reconstruire
I
Des larmes inondaient un visage aux traits harmonieux, la pluie les diluait sur des joues rebondies en martelant une peau laiteuse et soignée. Abattu par le chagrin, un adolescent barbotait à plat ventre dans la boue. Une robe de bure beige vêtait des membres aux muscles secs ballottés de sanglots lents. Un maelström de douleurs lui déchirait l’âme et le bousculait sans délicatesse vers l’âge adulte. Oublieux des règles de vie imposées par la congrégation, le garçon ne maîtrisait plus ses émotions où colère et frustration se partageaient la vedette. Sali, amer, secoué de spasmes, il avalait à chaque inspiration un peu de la terre au goût ferreux du potager ; il ignorait exactement où la peine l’avait fauché, il ne reconnaissait plus rien de son environnement familier.
Lorsqu’il entrouvrait les paupières, le jeune Disciple apercevait la silhouette d’un de ses camarades empalés sur une barrière de bois blanc tachée de sang coagulé que la pluie acharnée ne réussissait pas à dissoudre. Lorsque ses poumons admettaient de l’air, des vicissitudes le prenaient à la gorge manquant de lui retourner l’estomac. La suie et la poudre se mélangeaient à l’odeur de la chair humaine fondue, brûlée, pulvérisée par les incendies et les armes à énergie. Le cœur rejoignait l’âme du pacifiste dans l’aigreur de la vengeance.
Plus calme, le jeune homme pataugea dans la boue pour ramener vers lui sa main droite et effacer des empreintes de bottes humaines. Il referma se doigts maculés de morceaux de végétaux et de terre en un poing pour en frapper le sol dans un cri. Un flot de larmes victorieuses revint à l’assaut de sa détermination. Un groupe armé, peut-être des pirates, contrebandiers, chasseurs de primes, qu’en savait-il, avait détruit son temple et tué indifféremment maîtres, disciples, étudiants avec une indicible férocité. Ils avaient éparpillé les hommes, femmes, extra humains et même les enfants justes coupables de leur innocence.
Pourtant, leur congrégation antimilitariste n’accumulait pas de dettes de sang, que des connaissances, savoirs et techniques. Les Bourtistes prodiguaient leurs lumières ou louaient leurs conseils dans les domaines du commerce, de l’industrie et de la culture. Que savait-il d’autre encore ? Des émissaires parcouraient les planètes pour apporter des solutions diplomatiques raisonnables, diffuser le savoir aux peuples opprimés, divulguer la bonne parole, soigner les âmes et les corps.
Plus rien n’existait pour lui ici, sur la Tython verdoyante et accueillante qu’il avait connu. Les pierres du temple s’entassaient sur le sol du perron et des promenades. Les corps des croyants, dans un au-delà meilleur, reposaient autour de lui. Dans sa tête, un charabia incompréhensible vidait de son sens le Fluide perturbé. Leurs plantations vivrières n’exprimaient plus de besoins ; ses amis ne le contactaient plus par la pensée ; finis aussi les jeux télé kinésiques. Le trouble qu’il ressentait provenait, pour une part, de la douleur véhiculée par le Fluide autour de lui. Des ondes s’abattaient sur lui dans un brouhaha confus comme si la nature avait été parasitée. Soudain, un souvenir émergea, le projetant quelques semaines plus tôt à l’époque d’un bonheur révolu, avant cette toute première mission qui l’avait éloigné de ce massacre.
II
Le soleil sautait à peine l’horizon qu’une énorme boule rouge sang illuminait l’atmosphère de douces teintes violacées où quelques nuages reflétaient des nuances mauves. Loin en dessous de lui s’étendait la ville, sur sa gauche des maisons aux toits verdâtres laissaient lentement la place à des immeubles d’habitation et sur la droite des gratte-ciel de bureau froids et vitrés. Briguillon la sanglante s’y coucherait dans une quinzaine d’heures standards. Sur le fond du ciel s’éclaircissant, monté sur une gerbe de flammes, un énorme vaisseau se découpait, s’élevant vers l’immensité galactique. Lou investissait à peine son jardin, ses pieds foulaient le compost humide de rosée et il gonfla ses poumons de l’air cristallin d’un petit matin trop froid pour la saison. Le Fluide psychique l’envahit lorsque son âme se fondit dans le creuset de dame nature.
Dans son dos, le disciple Osem percevait la présence de ses pairs dans l’immense temple de pierres froides et grises. L’office du matin s’était terminé depuis une poignée de minutes que chacun vaquait sans délai à ses tâches : recherches au sein des bibliothèques regroupant des copies de tous les livres connus, préparation d’une mission, humanitaire, politique ou consultative, cours de théologie, mathématique, physique, technique et pour beaucoup de contrôle dans le Fluide ou corvées et jardinage. Des âmes indiscrètes s’imposèrent à lui. De jeunes étudiants insuffisamment formés tâtonnaient pour étendre leurs perceptions, il les repoussa sans ménagement pour leur apprendre les bonnes manières. Des fidèles gravissaient la colline pour prier au temple et quémander des conseils aux Bourtistes afin d’améliorer leur vie de tous les jours.
Le jeune homme à la musculature harmonieuse et sèche se faufila entre les rangs serrés des légumes. Il redistribua le Fluide qu’il captait autour de lui vers les plantes fragiles les plus brûlées par la gelée matinale. Par endroit, l’herbe craquait sous ses pas. Bien que peu puissant, l’énorme soleil rouge réchaufferait sous peu les jardins. Les récoltes n’en seraient pas atteintes, bien au contraire, cette légère souffrance galvaniserait la fructification. Lou s’arma d’outils et entama son travail le dos voûté. Aérer la terre sans la meurtrir, arracher les mauvaises herbes, retirer les gourmands qui une fois compostés assureraient le lit des prochaines plantations.
Une présence se démasqua à proximité derrière lui. Un sourire joua sur ses lèvres alors que son cœur palpitait. Une profonde inspiration, un effort de conscience et le disciple Osem reprit ses droits sur cet organisme qui lui rappelait son humanité. Il attendit qu’elle ne se trouve plus qu’à deux mètres pour se redresser.
- Nadidja ! Je t’attendais.
Le jeune homme perçut l’hésitation de la jeune fille.
- C’est pas juste, tu ne pouvais pas me voir dans le Fluide.
- Sois plus attentive pendant tes cours et les travaux pratiques, fit-il narquois.
- Lou ! Es-tu un ami, un professeur, un précepteur ou un Dictat ? En tous cas pas encore un Maître.
- Ton parrain ! ajusta-t-il.
Lou se retourna un sourire suspendu aux lèvres. La jeune femme de quatre ans sa cadette délogeait une pierre du bout du pied. Nadidja la lança et la guida dans le Fluide. D’un revers nonchalant de la main, il la dévia pour qu’elle s’accumule aux autres sur le tas du fond.
- Une de moins à ramasser, merci Nadidja ! – Elle lui fit une grimace. – As-tu quelque chose à me dire ?
- Oui, répondit-elle, le concile veut te voir en fin de matinée.
En pleine adolescence et sûre de ses charmes nouveaux, Nadidja se rapprocha de lui à le toucher avant de lever ses yeux bleus pour les planter dans les siens, marrons. Les plis de leurs robes de bures, aux tons plus clairs pour elle, s’emmêlèrent dans la douce brise matinale. Le temps s’arrêta. Maîtrisés, les sentiments s’échangèrent en silence, réchauffèrent leurs cœurs. Ils ne se touchèrent pas.
Bien des années avant, alors qu’il n’était qu’un jeune élève, les Maîtres lui avaient confié en parrainage une petite fille tout juste sortie de l’enfance pour l’accompagner sur les chemins du recueillement et du contrôle de soi. De la même façon que Dimitril l’aidait dans sa formation, la maîtrise des sentiments et de ses dons.
- Sais-tu pourquoi ?
- Il se dit que tu passeras bientôt au niveau supérieur. Le concile des anciens te confierait une mission diplomatique. Ça sera ton test de passage pour devenir un Disciple Pawindé. Ils te donneront un Maître après ?
- Je peux toujours te faire confiance pour être au courant des derniers commérages.
Nadidja lui tira une petite langue rose, les deux poings sur ses hanches étroites.
- As-tu une idée de mon futur Maître ? questionna-t-il.
- Dimitril !
- Trop jeune, et ce n’est pas son rôle. Tant pis ! Tu as plein de labeurs à effectuer ce matin plutôt que de te divertir à papoter ici ?
- Tu me chasses ? Mais, je poserai des questions. Quelqu’un doit savoir quelque chose.
- Je ne veux pas que tu sois punie à cause de moi. Comment feras-tu pour venir sur les terrasses ce soir afin de suivre mes enseignements ?
- Si ça pouvait t’empêcher de partir en mission un peu partout dans la galaxie, là où les Conciles m’interdiront de te suivre.
En apparence, Nadidja conservait son calme. Le Fluide l’inonda de sentiments impulsifs et violents. Lou lui sourit et une vague d’amour le submergea. Tout s’éteignit d’un coup, des larmes brillaient aux coins des magnifiques yeux dont elle le dévorait.
- Ton contrôle n’est pas merveilleux en ce moment. Va chercher le Maître Théoden, il t’aidera !
- Pas ce vieux bonhomme ! – Lou sourit devant la mine déconfite de sa filleule. – Bon, fit-elle bougonne, je ferai des efforts pour toi, promis. Est-ce que nous serons souvent séparés si tu changes de niveau, que tu t’élèves dans la hiérarchie ?
Comme à son habitude, Nadidja continua sans attendre de réponses aux évidences.
- Je serai très fière aussi !
- N’oublie pas que le Fluide nous lie même au travers de l’espace. Nous en discuterons ce soir et cela te forcera à progresser dans tes capacités. File maintenant, ou tu seras en retard.
Nadidja attrapa les plis de sa soutane et se retourna d’un bond pour courir vers le temple aussi vite que le lui permettaient ses sandales. Il la regarda quelques instants, attendri, avant de reprendre son jardinage. Le soleil s’élevait et ses plants réclamaient ses soins à corps et à cris.
III
Ces souvenirs d’un passé heureux et plein d’espoirs lui insufflèrent du courage. Lou ne pouvait rester ainsi, figé, à plat ventre dans la boue grasse au milieu des anciens jardins si bien entretenus que des hommes en armes avaient piétinés. Les maîtres leur apprenait à affronter l’adversité pas à frissonner au fond d’une coquille. Il se redressa, d’abord sur les coudes puis les mains, glissant dans la terre spongieuse au moindre geste. Les joues baignées de larmes, des sanglots secouaient encore sa poitrine.
De tous les cadavres croisés ces dernières heures, aucun ne ressemblait à son adorée filleule Nadidja. Un doute surgit, il ne la sentait pas dans le Fluide. Une recherche superficielle ne lui renvoya que l’écho de la douleur du lieu. L’espoir survécut dans son cœur, il n’avait pas vu son corps. Comme on le lui avait appris, Lou Osem reprit le contrôle de lui-même avant d’ouvrir son esprit. De l’énergie s’engouffra en lui. Plus le jeune homme sondait le Fluide, moins il percevait de survivants et surtout pas des membres de sa congrégation. Rien non plus depuis les cieux immenses, quelque chose troublait le Fluide d’une façon qu’il n’appréhendait pas. L’énergie ne se canalisait plus comme avant, Lou nageait au milieu d’un océan d’électrons libres qu’il n’arrivait pas à contrôler. N’importe quoi se cacherait dans l’ombre, qu’il ne le distinguerait pas. Le Disciple Osem réalisa seulement alors qu’il était aveugle.
Une main se posa doucement sur son épaule droite mouillée, salie, tremblante. Un coup d’œil à l’homme le surplombant atténua la peur et la colère. Une poignée de fidèles montait vers le temple. Ses yeux les voyaient mais le Disciple Osem ne les percevait pas. Le jeune homme se concentra un peu plus, sonda le Fluide animé de la force du désespoir. Lou effleura l’âme dévouée de l’homme qui le redressait tant bien que mal. Quelque chose bloquait tout ce sur quoi sa vie se construisait. Une sourdine géante l’assourdissait, des œillères invisibles restreignaient sa vision du monde, un nœud coulant l’étouffait, une gueuse de béton le piégeait dans son enveloppe charnelle.
Le Tythonien dépenaillé, couvert de sang et d’estafilades offrait une épaule secourable. Lou visualisa le panorama du jour naissant, son instant préféré, encrassé de la fumée des incendies, enlaidi de l’odeur des morts et eut un haut-le-cœur.
- Ternangoff ? La capitale de Tython, je….
Les mots se perdirent dans le vent. D’aussi loin, une vision d’apocalypse lui masquait les détails du désastre. Au centre, des gratte-ciel encore debout, tordus, éventrés, fumaient comme de mauvaises torches. Dans les banlieues, des flammes dévoraient des quartiers d’habitations. Ils avaient tout détruit, comme écrasé par un poing vengeur, ni des pirates, ni des contrebandiers et encore moins des chasseurs de primes ne commettaient des exactions de cette ampleur. Toute la douleur de cette planète massacrée perturbait le Fluide.
Lou ne confierait sa peine et le poids de ses remords à personne, il ne restait personne pour le comprendre. L’erreur de cette réflexion le frappa comme une gifle, les maîtres leur apprenait une maxime à l’arrivée : « Ce n’est pas parce que l’on naît aveugle que le monde se prive de couleurs. Même en se bouchant les oreilles, l’arbre tombant dans la forêt fait un bruit d’enfer ». Le trouble dans le Fluide le privait de ses sens alors il ne percevait pas la présence de la congrégation mais il ne devait pas désespérer pour autant, les immenses ruines cachaient peut-être des survivants.
- L’attaque a commencé avant-hier soir, expliquait l’homme. Les bombardements ont duré toute la nuit sur la ville, au matin des vaisseaux ont décollé de l’astroport, tout était détruit. Nous nous sommes cachés avec les rats. Le temple était abattu et aucun des moines n’en sortait pour nous aider. Nous pensons, sans comprendre pourquoi, que vous étiez leur cible.
- Les avez-vous reconnus ? Portaient-ils des tenues distinctives ?
- Nous étions sous les bombes, dit l’homme en se courbant.
- Redressez-vous !
Parlant ainsi, Lou posa une main apaisante sur l’épaule qui le soutenait. Avec la promiscuité physique de la vie, il capta et puisa dans le Fluide par l’intermédiaire de son sauveteur.
- Rassemblez vos amis pour qu’ils nous accompagnent. Commençons par trouver des blessés ou des survivants dans les ruines du temple. Ensuite nous tenteront de déblayer les gravats, d’inhumer les frères assassinés et enfin retirer les livres des flammes. Un jour, nous retrouverons les coupables de cette barbarie.
L’homme frissonna de surprise d’entendre un moine parler d’un ton aussi tranché et dur.
L’esprit de Lou s’éclaircit. Les années d’entraînement jugulèrent ce tsunami de haine et la douleur. Avec acuité, le disciple perçut le Fluide et sut que d’un pas il franchirait une limite inconnue et crainte. La facilité s’offrait à la tentation. La colère pure d’esprits simples émanait des hommes. Ils se rassemblèrent sans les coutumières paroles légères tant ces ouvriers se sentaient abattus de trouver des ruines là où des colosses rassurants se dressaient hier. Le poids de la culpabilité pesait sur les épaules de Lou. Les Bourtistes avaient été incapables de prévoir et de protéger les Ternangois d’une calamité humaine. Une alternative chassa les miasmes de la peur dont ils le submergeaient. Lou tendit la paume de sa main, les doigts tendus au-dessus de cet auditoire. Il s’ouvrit au Fluide renforcé et s’exclama :
- Rassemblez vos forces ! Lou tendit sa volonté vers ces âmes. Le temple a besoin de vous comme vous avez toujours eu besoin de lui. Dans ces ruines, des Bourtistes tiennent la vie par un unique fils. Nous devons les sauver, éteindre les incendies, mettre à l’abri les mémoires du savoir galactique. Vous n’en comprenez peut-être pas le sens, mais je ne vous suis d’aucune utilité seul. Et vous devez bien à ses hommes et ses femmes qui ont toujours été riches d’écoute et de conseils de partir dans la dignité.
Tous acquiescèrent et se répartirent les tâches, ils se dirigèrent d’un bon pas vers le temple détruit. Ils trièrent sans rechigner les morts des vivants. Lou avait réussi l’impensable : manipuler des esprits. Cela allait dans le sens opposé des préceptes de son ordre mais personne ne le jugerait dans la situation présente. Tous les maîtres reposaient peut-être sous des tonnes de pierres sombres. Le jeune disciple mesura l’ampleur de sa solitude sur ce monde. Seul, il n’aurait même pas pu commencer ce que les quelques dizaines de bras accompliraient dans la journée. « Obtenir le résultat, nécessite de se comprendre soi-même ». Lou en retirait des bouffées de fierté ; il frissonna de honte alors qu’il se rappelait son passage devant le Concile des anciens quelques semaines auparavant.
IV
Lou, satisfait de son travail au potager, se lavait les mains avec soin à la fontaine jouxtant la vaste place semi-circulaire au pavage blanc en parvis du temple. Le Disciple Osem rassembla de l’énergie pour agir avec délicatesse sur le peigne en amont de la rigole qu’il utilisait. Le fin pinceau de liquide se tarit. Au temple, pas de maîtrise du Fluide, pas d’eau, les jeunes recrues mettaient aussitôt en pratique les leçons des professeurs. En Élève appliqué du temple Bourtiste, Lou sécha sa peau par évaporation d’un léger effort conscient pendant qu’il traversait la place d’un pas souple. En silence, il salua avec déférence les autres membres de sa congrégation.
Happé par le bâtiment sombre et austère dans lequel le vent sifflait en hiver, Lou tourna sur la droite. Sur le chemin des chambres de contemplation, il longea les dortoirs des Élèves Novices. Sûrement les pièces les plus froides du temple, le premier hiver venu, exposées au vent du nord, seule l’énergie tirée du Fluide autorisait le sommeil et évitait les engelures. Il se souvenait ses gardes d’Étudiant du temple où le principal travail consistait en une surveillance des constantes d’une poignée de Novices grelottants afin d’intervenir avant qu’il n’y ait le moindre incident. Lui-même, Novice, avait souvent partagé son lit avec des camarades moins doués que lui. Les Maîtres encourageaient l’entraide et l’esprit d’équipe : « L’union fait la force ». Subissant des épreuves journalières jusqu’au niveau d’Étudiant, les enfants passaient au stade d’adulte soudés comme les doigts d’une même main, dévoués à la congrégation et intégrés dans le Fluide. Au bout du couloir, il tourna à droite et ouvrit d’immenses portes de bois rare. Le plafond s’envola au-dessus de sa tête, soutenu par des voûtes monumentales. Un bâtiment construit pour durer.
Un groupe d’élèves se rassemblait dans une chapelle latérale pour expérimenter des méthodes de relaxation pour focaliser la concentration. Lou se dirigea sans hésiter de l’autre côté de la nef. Il entra dans une salle de contemplation. Beaucoup d’énergie s’en dégageait, le Fluide s’y agitait parce que des Maîtres y travaillaient. Lou s’isola pour ne pas les troubler et franchit la porte. Sur les lourds tapis étendus sur le sol deux hommes, une femme et un jeune Disciple Pawindé Sélonien étaient assis. Ce dernier tentait de se concentrer malgré les mouvements du Fluide que les trois Maîtres agitaient, guidaient ou focalisaient à loisir.
Lou s’assit en tailleur un peu plus loin. Il se recueillit et plongea dans le Fluide. Les remous d’énergie se fracassaient sur lui comme les vagues tempétueuses sur une falaise granitique. Le jeune Disciple les laissa s’infiltrer en lui et s’enroula dans les méandres d’un fleuve torturé. Quelques minutes lui suffirent pour déterminer un schéma dans les ondes que Xediver, la crinière trempée de transpiration, s’évertuait à contrôler. Bercé par le rythme énergique, Lou créa des vagues de fluide en opposition de phase et les propulsa vers les Maîtres. Une mer de calme s’étendit, le Fluide se lissa. Un peu plus loin, il engloba son ami le Disciple Sélonien. Celui-ci se détendit, le toucha dans le Fluide et copia sa technique à la perfection. À eux deux, ils figèrent le fluide autour des trois Maîtres qui interrompirent leur assaut-test sur le Pawindé.
La femme, d’une trentaine d’année, se redressa de sa haute taille fine.
- Qui est donc ce Disciple caché dans le fond de la salle ?
Lou se releva et s’avança penaud dans la lumière pour se présenter :
- Disciple Lou Osem, Maître Edlydie Trem. Je vous prie de m’excuser, j’apportais mon aide à un ami.
- Cela est louable. Bien qu’il eût été bon qu’il trouve lui-même l’astuce pour nous contrer.
Une voix inconnue répondit à la place de Lou qui n’osait pas répliquer à la rebuffade d’un maître aussi prestigieux :
- Il a vite appris et s’est approprié avec une facilité déconcertante à notre flux trois points. Le Pawindé Xediver montre de bonnes capacités, il a su compenser l’action extérieure et l’utiliser avec dextérité. « L’apprentissage est l’œuvre de toute une vie » affirmait notre Maître fondateur alors que le moment de s’intégrer définitivement au Fluide approchait.
L’homme, d’un âge respectable, s’avança avec un sourire affable. Habillé d’une robe de bure d’un gris très sombre, il y intégrait des pans de tissu noir. Ce maître inconnu de Lou reprit, empreint d’un calme communicatif :
- Ainsi, je rencontre enfin le Disciple Osem. Nous n’avons pas encore été présentés, je crois !
Lou s’inclina de nouveau. Le troisième Maître à la peau noire, vêtu d’une robe gris foncé et recteur d’étude, s’avança à son tour :
- Lou, voici le Maître Émissaire Daivien Grozilier, arrivé il a quelques jours de Coruscant.
- Très honoré, Émissaire, souffla un Lou estomaqué.
Il ressentait une douce énergie émaner de cet homme aux cheveux blancs, d’une taille moyenne, aux membres secs. Lou se redressa et croisa un regard d’absinthe, doux et réconfortant. Jamais encore le jeune Disciple n’avait approché un Maître vêtu de couleurs aussi sombres, hormis les Conciles du temple de Tython. Lou réprima une lueur d’envie, et lorgna l’homme qui voyageait d’étoiles en étoiles. Il réalisa que ce Bourtiste possédait une aura de Grand Maître plutôt que d’Émissaire.
- Jeune Disciple, ta réputation ne semble pas surfaite.
Sur ces mots sibyllins, les trois Maîtres tournèrent les talons et sortirent en silence. Lou, désemparé, ne comprenait pas la portée de telles paroles et s’interrogeait. Son imagination tourna à plein régime et troubla le miroir de sa concentration. Il piocha une nouvelle fois dans ses années d’entraînement pour taire la petite voix excitée qui murmurait dans son crâne. Xediver se leva, et après un série d’assouplissements, vint lui donner une accolade discrète.
- Merci, je ne m’en serais pas aussi bien tiré sans ton intervention. Quelques instants de contemplation seront les bienvenues.
Ils s’assirent côte à côte. Le Sélonien ressortit et le silence se referma autour de Lou dont l’esprit se vidait pour que son corps fluctue sur le rythme lent du fluide naturel émis par toute vie. Après la moitié d’une heure standard de contemplation dans cette pièce protégée, Lou se sentait reposé, en pleine possession de ses moyens pour se présenter devant le Concile. Le cœur léger, il traversa une grande partie du temple. Il établit, à son grand dam, un lien entre sa convocation et la présence de l’Émissaire. Cette fois-ci, l’excitation n’envahit pas sa bulle de Fluide. Le Disciple Osem conserva le contrôle de son âme, pendant qu’il gravissait les nombreuses marches de la tour sud.
Lou s’immobilisa devant une lourde porte de bois incrustée d’acier. Il dévoila sa présence dans le Fluide ; les premières semaines, les novices patientaient de longues heures derrière des portes closes avant de faire demi-tour ou d’apprendre à se manifester. Lou étendit ses perceptions à la limite de la pièce dans l’espoir d’une réponse favorable des Grands Maîtres au nombre restreint de trois Conciles. Osem en connaissait vaguement deux, le troisième gravitait autour du Temple de Tython. Une quatrième présence, inconnue, l’attendait dans la pièce et le sondait au travers du mur avec une délicatesse peu commune.
- Ta sensibilité est vraiment stupéfiante. Retire-toi ! Nous te convoquerons lorsqu’il sera temps, entendit-il dans sa tête.
L’étonnement passa pour que la honte de son indiscrétion involontaire prenne la place. Lou garda son calme et suivit les instructions ; il n’étendit pas ses perceptions pour percevoir l’autorisation de se présenter. Des minutes standard s’ajoutèrent aux autres, « La patience enfante des vertus ».
La porte s’ouvrit lentement, nul besoin de groom pour être introduit dans la chambre du Concile. Lou s’avança, marchant sur des œufs. Derrière une grande table claire en demi-cercle, trois Grands Maîtres, des Conciles, le fixaient de sous leurs capuches noires relevées. Dans la pièce sombre, le Disciple Osem ne voyait briller que les pupilles au centre de formes vêtues de noir. L’Émissaire Daivien Grozilier, bien qu’affublé des vêtements sombres dus à son rang, apparaissait comme une tâche de lumière. Lou se recroquevilla dans le Fluide comme pour s’y cacher alors que cette énergie pure le renseignait sans détours.
Leur présence rayonnait tels des phares dans son esprit. Ils l’analysaient pendant son approche et Lou changea de tactique. Il se laissa transpercer par le Fluide pour affirmer sa confiance. Sur la droite, un Vulptereen au mufle bardé de défenses ivoirines le sondait sans vergogne, appréciant sa capacité à contrôler le Fluide. Venait ensuite une humaine d’un age canonique qui jaugeait de son aisance physique sans oublier l’équilibre de son contrôle. Le troisième, d’une masse imposante, ne posait que deux de ses mains besalisks sur la table, presque juvénile pour un Concile. Plusieurs années auparavant, ce Maître le testait avec des pièges mentaux tordus. L’Émissaire, en position d’observateur, se contentait de deviner les sentiments des diverses parties.
La femme parla d’une voix usée :
- Disciple Lou Osem, malgré votre jeune âge, nous sommes conscients de vos capacités. En premier lieu, il est temps pour vous d’être confié à un Maître chargé de formuler un jugement impartial sur votre progression. Puis, si nous en ressentons le besoin, et nous n’en doutons pas, de parfaire votre entraînement en vous adoubant Pawindé. Il me semble qu’il n’est pas besoin de vous présenter le Maître Émissaire Daivien Grozilier. Il est venu vous chercher avant de partir pour Corellia. Le secteur est agité de troubles entre le Gouverneur, les colons et les autochtones. Votre Maître vous expliquera tout ce que vous aurez besoin de savoir. Le départ est dans deux jours, juste le temps pour vous d’expédier vos affaires courantes et réunir un bagage.
Elle se tut pour qu’il digère ces ordres déguisés en égards. D’un timbre grave, le Concile Vulptereen interrompit ses réflexions :
- Voilà une belle occasion de vous lancer, Disciple Osem. Saisissez-la, vous n’aurez pas deux fois la chance d’avoir un Maître de cette pointure, dont le Fluide se lie si bien au vôtre. Vos talents nécessitent d’être encadrés sous une tutelle unique et permanente.
- La question ne se pose pas, répondit-il. Je sers ma congrégation bourtiste et j’irai là où vous aurez besoin de moi. Je suis heureux de l’intérêt que vous me portez et c’est avec joie que j’accepte cette mission ainsi que le plan de formation que vous m’imposerez.
- Allons ! fit le Concile Besalisk d’une voix gutturale. Agenouillez-vous, Disciple Osem ! Veuillez reconnaître l’Émissaire Daivien Grozilier ici présent comme votre maître, vous lui obéirez en tout ce qu’il vous commandera conformément aux instructions des Conciles. Cette mission nous permettra de juger votre aptitude au rang de Pawindé, que le Fluide soit la pierre angulaire qui soutiendra vos connaissances.
Pendant cette courte cérémonie, le Maître Grozilier se plaça derrière lui, une main légère sur son épaule. Une fois cela fini, Lou se releva souplement avant de saluer les trois Conciles. Son maître salua également. Ils se retournèrent à l’unisson et se dirigèrent vers la porte. Lou réprimait son exaltation d’avoir été confié à un Maître, tous les novices en rêvaient jusqu’à ce que cela devienne une réalité ou que le sort en décide autrement. Un léger contact l’encouragea à s’ouvrir, ce qu’il fit.
La délicate présence de l’Émissaire s’insinua en lui, leurs énergies s’entremêlèrent. À la grande surprise de Lou, ils fusionnèrent. Après tout, Daivien était un étranger le jour d’avant. Le Disciple se confronta très vite aux limites de l’intimité proposée par le Maître et s’en contenta. Des barrières protégeaient Daivien des indiscrétions de son futur Pawindé et Lou en érigeait d’identiques. Seul le lien avec Nadidja était plus complet, mais la nature de leurs sentiments et la connaissance qu’ils avaient l’un de l’autre dépasseraient à jamais celui d’un Maître et de son Disciple. Quoi qu’il arrive, l’avenir lui réserverait d’autres Maîtres avant qu’il ne gravisse les échelons supérieurs de la congrégation.
V
Alors que Lou louvoyait entre les cadavres, l’espoir engendré par ce souvenir pénétra la surface de son chagrin. La nature du monde changeait, son Maître en avait la conviction, et Lou doutait que la congrégation y survive. Il identifia là un Novice, ici un Maître entouré de projectiles arrêtés par un bouclier de Fluide, là-bas un Étudiant sacrifié pour la cause, plus loin un Disciple dont il avait partagé le dortoir. Que resterait-il des Bourtistes s’ils devenaient les proies de factions armées ? Lou recréait autour de lui cette impassible bulle de Fluide qui caractérisait les Bourtistes. Plus forte et imperméable qu’avant, elle ne suffisait pas à percevoir ses pairs ou même statuer sur la survie de ses frères mais apportait du réconfort aux citoyens tythoniens. Des blessures physiques, mais aussi morales que Lou soulageait sans guérir afin d’obtenir leur aide. Marché de dupe où il ne s’investissait pas entièrement.
Les sauveteurs gravissaient les degrés du perron du temple lorsqu’un esprit surexcité attira son attention sur la gauche. Les portes majestueuses fracassées pendaient sur des gonds tordus fixés aux murs constellés d’éclats et de suie. Des munitions d’arme à feu avaient écaillé la roche millénaire et des décharges d’armes à énergie avaient vitrifié des pans entiers de l’enceinte. Lou ignorait tout de ces technologies mais se jura qu’à l’avenir, il les connaîtrait à la perfection. Brisant son introspection, un humain à la peau brune et à la barbe drue leva une main.
- Là, un blessé !
Lou Osem accourut et des humains s’approchèrent.
- Continuez à chercher, exhorta-t-il pour les détourner de cet unique point focal.
Accompagnant ses mots d’un geste, le Disciple Osem découragea de son esprit les sauveteurs à s’agglutiner autour de lui. Avec la proximité, Lou ressentait le contact d’un membre de la congrégation. Deux projectiles avaient traversé ce corps que Lou prit dans ses bras avec délicatesse. Du sang coulait des oreilles rabattues et de la bouche d’un Novice Caamasi. Le Disciple Osem le toucha au travers du Fluide et allégea sa souffrance. Quitter le noviciat signifiait maîtriser les balbutiements de l’entraînement pour s’ouvrir aux peines des innombrables malheureux. Admis au rang d’Élève avec la maîtrise et la conscience du Fluide, chacun d’eux caressait l’espoir de poursuivre la formation du temple et acquérir les connaissances nécessaires à leur guérison en tant que Disciple.
Le jeune Caamasi reprit connaissance. La détresse de ce regard simple titilla l’ombre de la colère allumée en Lou. Espèce aux mœurs douces découverte moins de dix ans auparavant, le temple avait intégré dans la congrégation bourtiste ce garçonnet ainsi que sa jumelle et un frère aîné deux ans plus tôt. Sans compter leurs heures, les Grands Maîtres s’entretenaient à tous propos avec ces enfants à l’innocente naïveté, incarnation de l’essence même de la philosophie dispensée par leur enseignement. Massacrer de tels individus renvoyait ces bourreaux à l’horreur aveugle, indicible et criminelle d’une attaque inacceptable, impardonnable.
Beetro Nt’Honne susurra en basic :
- Ils étaient si nombreux… des bombes écrasaient la ville… Nous les sentions mourir… nous ne pouvions rien faire.
- Un jour, chuchota Lou tel une promesse, cela changera !
L’enfant délira dans son langage maternel, douloureux, épuisé, incohérent. Lou le berça jusqu’à ce que son âme se mêle au Fluide. Le Disciple l’accompagna vers sa dernière demeure, seul geste charitable à sa portée. Lou se releva vide, froid comme les glaces d’Ojom. Les humains continuaient leur macabre labeur. Ils déposaient les morts en un unique endroit où les flammes cautériseraient cette plaie purulente dans son cœur, insulte à sa formation et à l’idéal Bourtiste. Alors qu’Osem y allongeait le garçon, le Fluide se clarifia.
À la manière brutale d’un pavé dans une mare, Lou transmit des ondes concentriques d’encouragement. Ces perceptions, allongées de plusieurs dizaines de mètres, distinguèrent un mouvement au milieu des ruines fumantes.
- Il ne reste plus personne de vivant sur cette place ! Concentrez vos recherches à l’intérieur ! ordonna-t-il. Ne commettez pas d’imprudences, des murs pourraient encore s’effondrer.
Lou regarda en direction de la ville. Les foyers d’incendie s’éteignaient, remplacés par une lourde cloche de fumée. Elle colportait les odeurs de suie et de chair calcinée qui écœuraient même les plus valeureux. À l’écart des principales routes commerciales, du centre du Dictat et de ses luttes de pouvoir, les Tythoniens n’interprétaient pas le sens de cette violence gratuite, Lou non plus.
Des sirènes attirèrent son attention. Des véhicules de secours rouges et jaunes gravissaient la proéminence où s’était élevé le temple Bourtiste depuis des milliers d’années. Les administrations planétaires se remettaient du choc et reprenaient de droit les territoires lésés par l’agression.
Lou sonda au plus loin dans les bâtiments effondrés, guère plus de dix ou quinze mètres. Comme réveillés par sa présence, quelques âmes s’ébrouèrent dans le Fluide ; des survivants blessés, torturés, privés de leurs sens. La signature mentale de son parrain, Dimitril, s’imposa dans ce chaos. Guidé par ce fanal, Lou se précipita à l’intérieur et rassura par la pensée ceux qui le percevaient. Il se fraya un chemin entre des tas de gravats, des corps sans vie et du mobilier déchiqueté. Une forme aux robes beiges affalée contre un mur l’attira. Le Disciple Lou Osem se jeta au chevet du Disciple Pawindé Dimitril Trehom inconscient, exsangue, voire mourant.
- Dimitril ! Dimitril, c’est Lou.
À genoux et aidé du Fluide d’instant en instant plus assuré, le jeune Disciple redressa son aîné sans en aggraver les blessures. Du bras droit réduit à une plaie béante de l’épaule au coude s’échappait un filet de sang vermeil qui agrandissait une mare en partie coagulée. Lou s’intégra à l’Énergie environnante. Par télékinésie, Dimitril comprimait sur une artère sectionnée mais n’en aurait bientôt plus la force. La clamper en amont aurait permis de tarir le flot de sang au risque de sacrifier un bras. Lou soulagea les tourments post-traumatiques de Dimitril et bloqua les récepteurs de la douleur. Le Disciple Pawindé reprit connaissance :
- Que fais-tu ? D’autres ont plus besoin de toi que moi.
- Je peux te sauver. Les secours de la ville se chargeront des autres survivants, trop peu nombreux. Je n’ai pas dénombré autant de corps que je le pensais. Les agresseurs ont dû enlever bon nombre de membres de notre congrégation.
Dimitril secoua la tête. Un sourire joua sur les lèvres pâles pendant que son filleul travaillait le Fluide pour réparer les lésions. Il perdrait un membre ; pied de nez à la mort qui ouvrait les bras pour l’assimiler au Fluide, énergie de la création.
- Non, Lou ! Ils sont venus nous massacrer. Passés les premiers moments de stupeur, les Grands Maîtres ont fermé les bibliothèques intactes et rassemblé nos frères pour se barricader dans les catacombes. Je suis resté en surface avec quelques autres pour ralentir la progression des soldats, une armée régulière sans aucun doute. Ils maîtrisaient un arsenal de haute technologie, récent et conséquent. Les projectiles des armes à feu sont faciles à dévier, dès lors, ils ont sorti des batteries de lasers portatives. J’ai été blessé alors qu’ils sonnaient l’assaut final. Plus tard, j’ai entendu des déflagrations. Si les défenses ont tenu, tu retrouveras le reste de la congrégation dans les catacombes.
- Calme-toi ! Maintenant tu vas te reposer, les médecins de Ternangoff arriveront sans délai. Moi, je chercherai nos amis.
Inquiet pour son parrain, le Disciple Osem posa la main gauche sur les yeux de son premier mentor et le plongea dans un coma artificiel. Durci par les nombreuses épreuves de cette matinée, Lou se releva et héla un humain dépenaillé.
- Orientez les médecins en priorité vers ce Disciple Pawindé, je vous prie. Je viens de le plonger dans le sommeil mais il est bien vivant et nécessite des soins.
- Oui, monsieur, acquiesça-t-il. Mes camarades ont trouvé d’autres survivants un peu plus loin.
- Merci, qu’ils s’en occupent du mieux qu’ils le peuvent, j’ai eu des informations. Dans cette direction, il y a des souterrains dans lesquels se terrent mes semblables. J’en dégagerai l’entrée.
L’homme s’agenouilla pour veiller Dimitril alors que des véhicules à suspenseurs se posaient sur la place. Lou étendit ses perceptions. Une dizaine de membres de la congrégation, Novices, Étudiants, Disciples ou Maîtres, étalés dans les décombres, survivaient à des degrés divers de conscience. Des humains les accompagnaient. Les secouristes aux tenues chamarrées et colorées investissaient les lieux, plus aptes que lui à soigner les blessures de la chair.
Lou interpella un groupe de Tythoniens qui sortaient les cadavres de frères tombés pour protéger de leurs corps pacifistes les valeurs, amis et connaissances réfugiés dans les profondeurs granitiques, embase indestructible du temple. Il n’eut pas à user de trésors de persuasion. Rasséréné, l’esprit libéré des contraintes, Lou s’ouvrit à la douleur de ce monde. Il augmenta sa sensibilité et guida ses perceptions vers les catacombes où il distingua l’énergie d’un champ de protection de Fluide.
*******
Quelques jours plutôt, sur Corellia, un imbroglio politique aurait explosé sans tarder si un émissaire n’avait éclairé les différentes parties de ses lumières. Les conséquences auraient impliqué l’ensemble du Dictat et des mondes du noyau. Lou y avait étudié, écoutant avec attention les voies du Fluide que tous les êtres vivants partageaient. Tython en contemplait un surprenant résultat.
VI
Les tempes battantes, Lou se redressa sur ce lit trop mou et confortable à son goût. Une sueur acide couvrait sa peau et son cœur lui tonnait aux oreilles. Le soleil, Corell, éclairait vivement l’intérieur de la pièce au travers des persiennes. Les cinq derniers jours n’avaient pas suffi à ce que son organisme s’adapte au rythme planétaire. Pourtant, le Maître Daivien Grozilier lui prodiguait moult conseils sur l’utilisation du Fluide afin qu’il perçoive Corellia sous différents aspects : les flux telluriques, les pulsations du noyau ou l’interaction gravitationnelle. Le jeune Disciple apprenait tant de choses depuis qu’il avait quitté le berceau du temple de Tython qu’il ne disposait d’aucun instant pour penser à ses amis.
Les deux jours précédant le départ s’étaient transformés en une succession de tests de connaissances, de maîtrise de lui-même et du Fluide. Sous la férule des exigences d’un nouveau Maître, Lou avait rassemblé les maigres possessions d’un simple Disciple pour en remplir sans détails un sac. Lou avait échangé quelques mots avec Nadidja qui s’était arrangée pour croiser son chemin sans cesse. Il lui avait confiée le potager ainsi qu’au Pawindé Dimitril, avec l’espoir que la jeune femme s’accroche à ce carré de nature si cher au cœur de Lou et oublie le narcissisme qui interférait avec la formation du temple. Osem s’attendait à retrouver ses plans en état de stress. « Un Disciple ne pouvait être à la prière, au jardin et à la bibliothèque au même moment », bien que parfois on ait pu croire le contraire.
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En hyperespace, le voyage avait duré plus d’une semaine standard à traverser le vide à des vitesses inimaginables. Lou se souvenait très bien de la première discussion que son Maître avait eu avec lui après avoir fait le tour du vaisseau, immense, sculptural et riche de luxueux quartiers. Partout des gadgets technologiques brillaient, bipaient, hululaient. Des droïdes dans toutes les pièces nettoyaient, servaient, remplaçaient les serviteurs. Lou s’ébahissait de découvertes en découvertes, Daivien s’en amusait et le traînait de coursives en coursives plus loin dans le cœur du géant d’acier.
Au temple de Tython, les Bourtistes vivaient de ce que la terre et le travail de leurs mains leur apportaient. Pour le reste, les faveurs qu’ils accordaient aux peuples et aux gouvernements permettaient d’obtenir les produits manufacturés indispensables. Lou se rendait parfois à Ternangoff, exceptionnelle excursion, pour donner des soins, accompagner un Maître ou un Pawindé en mission, accueillir un diplomate, un scientifique ou un chercheur à l’astroport. Il possédait une vision parcellaire du monde extérieur.
Cette fois-là, le Disciple Osem s’assit, timide, en robe de bure beige en face d’un Maître à l’aise au milieu d’une foule indiscrète de gens de races et d’allures bigarrées. Le jeune homme résistait tant bien que mal à la tentation de rabattre sa capuche. La présence, les sensations, les pensées des êtres autour de lui saturaient le Fluide et ses sens. Lou tentait d’ériger un mur autour de lui pour se protéger des involontaires intrusions dans son esprit, la quantité le submergeait et au lieu de s’ouvrir se referma comme un mollusque sans cervelle.
- Ne t’inquiète pas ! fit Maître Grozilier avec détachement. La vie au temple ne te prépare pas au contact de la civilisation. Certains ne s’y adaptent jamais, la fonction d’Émissaire ne s’improvise pas et tu choisiras ta voie dans le Fluide lorsque tu cerneras la complexité du monde qui t’entoure. Mais les choses changent. Il y a vingt ans, le voyage de Tython à Corellia aurait pris plusieurs dizaines d’années en hypernation, un système de cryogénie pour supporter les longs voyages stellaires à des vitesses subluminiques. Maintenant, n’importe qui peut parcourir toutes les planètes connues en une seule existence et même en découvrir de nouvelles. Ce procédé invente de nouveaux enjeux et brouille les cartes du Ladish. Sois attentif, je vais t’expliquer les tenants de notre mission.
Concentré sur la voix douce du Maître, Lou s’était enfin isolé. Il fixa les yeux extraordinairement verts au milieu du visage ridé où la gaieté de Daivien diffusait une bonté infinie et une compréhension inégalable. Mais au fond de ce regard inquisiteur, le Disciple discerna, l’espace d’un instant, une froide dureté alliée à une détermination inflexible.
- Je suis pressé d’apprendre, Maître.
Ce dernier rit doucement avant de dispenser sa leçon :
- Ne te précipite pas, le savoir demande du temps et de l’introspection. Lire des livres, écouter tes maîtres, prendre le temps de la contemplation sont des étapes clés mais l’expérience façonnera l’aboutissement de tes intimes convictions. La théorie se termine, la pratique commence ici.
- Je vous écoute !
- Voilà qui est mieux. J’attends de toi que tu poses des questions pertinentes. L’imprécision aboutit à l’incompréhension qui engendre la crainte. La peur nuit au bon apprentissage. Tu le vivras bientôt, la peur mène à la violence et à la discrimination. Le Fluide s’assombrira jusqu’à masquer la cohésion du grand tout.
Daivien se détendit, un bras négligemment jeté sur le dossier de sa chaise. La salle se remplissait d’une dense cohue que Lou oubliait, focalisé sur les paroles de l’homme aux traits chargés d’expérience. Un robot cubique, équipé de capteurs de position et de pinces rutilantes déposa devant eux des plateaux remplis de mets aux exhalaisons appétissantes. Le Maître Grozilier sourit à la machine avant de continuer son exposé :
- Cet énorme vaisseau fait route vers une planète florissante au climat doux et agréable dont les habitants ont développé des technologies en avance sur notre temps. Ils s’enorgueillissent, à raison, d’avoir mis au point les voyages hyperspatiaux. Ce procédé leur rapporte énormément de crédit. Un problème subsiste pourtant, cette colonie longtemps restée coupée de Coruscant voit d’un mauvais œil que le Ladish vienne imposer sa loi quelque peu martiale chez eux. Malgré tout, les Corelliens souhaitent disposer des troupes dictatoriales pour assurer la sécurité de leurs systèmes parce qu’idéalement placés ; des flux marqués de populations y transitent, aidés en cela par cette même propulsion hyperspatiale. Des colonies autrefois isolées empruntent des routes commerciales en pleine effervescence pour s’approprier ou vendre des ressources.
- Excusez-moi, Maître, interrompit Lou, tout cela est un peu confus. Il y a encore quinze ans de cela seul le Ladish acquérait les propulseurs hyperspatiaux, ainsi que quelques compagnies assermentées par le pouvoir de Coruscant. Le Ladish n’imposait-il pas un blocus sur cette technologie ? Si Corellia en avait mieux maîtrisé la dissémination, ils n’auraient pas ce genre de problèmes.
- En effet, dans ta confusion tu touches du doigt les problèmes fondamentaux, l’appât du gain et le besoin de contrôle dictatorial. La technologie est aisée à comprendre et à copier. Ainsi, pour que des indépendants ne leur volent pas un marché juteux les gouvernements corelliens ont décidé de vendre en masse à des compagnies privées contre l’avis du Ladish. En réponse, ce dernier a augmenté sa pression militaire sur les systèmes corelliens qui sont une plaque tournante commerciale, un point d’accès obligé à toute une partie de l’univers et surtout aux Neimoidians.
- Les quoi ?
Daivien picora dans son assiette avant de répondre :
- Les habitants de Neimoidia et d’un ensemble de planètes sont une espèce redécouverte par des colonisateurs indépendants. Les Neimoidians connaissent la navigation spatiale, gouvernent un empire et commercent des denrées à grande valeur ajoutée avec le dictat du Ladish depuis quelques décennies. Si les Neimoidians ne sont pas belliqueux, ils constituent un contrepoids politique et économique à Coruscant dans la région.
- Corellia devient le point central de la balance des potentiels stratégiques !
- J’aime voir tes yeux briller, futur Pawindé. Et une source complémentaire d’insécurité ; les Corelliens vivent, non, vivaient en harmonie ne connaissant que la liberté d’exister sur un monde magnifique et dans une zone prospère de l’espace. La révolte gronde, et tous les facteurs se réunissent pour que la bombe à retardement explose au visage de ceux qui l’ont fabriquée.
- Cela alimente-t-il les clivages entre les espèces natives de cette planète ? Elles sont trois, il me semble ?
- On ne peut rien te cacher, Lou ! Les humains sont des pièces rapportées depuis si longtemps que c’est tout comme.
Se ménageant le temps de la réflexion, ils mangèrent avant de continuer l’exploration du vaisseau hyperspatial. Ils se rendirent à la passerelle de commandement. Les autorités ne refusaient rien aux respectables membres de la congrégation Bourtiste. Lou remarquait souvent les regards obséquieux et ce désir de servir les Émissaires doux et mesurés qui prêchaient une paix pour tous. Le Maître Daivien Grozilier répétait : « On ne mord jamais la main qui se tend toujours pour aider sans rien exiger en retour ». Il ajoutait parfois : « On ne frappe pas l’épaule qui console de tous les chagrins ».
*******
Les pieds de Lou effleurèrent le sol. Le plancher en bois précieux sous ses orteils forma des vagues. Encore ensommeillé, une nausée le surprit. Dans sa tête, un tambour battait le rythme entre ses tempes. Il s’apaisa et le Fluide pénétra son corps, équilibrant les flux d’énergie. Le Disciple Osem n’était pas malade. Dans cette chambre corellienne, un rêve venait de le réveiller et il s’en rappela les détails :
« Un adolescent, habillé pauvrement d’une combinaison blanche ceint d’une ceinture noire, regardait deux soleils jumeaux se coucher sur la plaine de poussière d’une quelconque planète désertique. »
Aussitôt, un deuxième plan avait remplacé le premier sans établir de lien direct :
« Un jeune homme, assis en tailleur au sommet d’un temple au milieu d’une jungle luxuriante, contemplait l’avenir de sous la capuche relevée de sa robe de bure. »
Les souvenirs du rêve s’estompèrent. Lou reprit ses esprits en se levant. D’une démarche assurée, il se dirigea vers la salle d’eau et s’y rafraîchit. Son Maître poserait des mots sur ce nouveau tourment que Lou s’empressa de mémoriser. Il avait la certitude que les deux personnages de ce rêve étaient la même personne.
Quelques minutes plus tard, ayant à peine revêtu sa bure, Lou ressentit la présence de son Maître derrière la porte ouvragée de la chambre. Patiemment, il l’attendait.
- Tu d’adaptes à Corellia ? lui demanda-t-il dès qu’il eut ouvert.
- Doucement ! – Lou marqua un instant de silence. – Maître ?
- Quelque chose te tracasse, Disciple !
- Un rêve étrange en fait où j’ai vu un garçon puis le même, jeune homme, en deux endroits différents.
Lou expliqua ce qu’il avait vu et ce qu’il ressentait pendant qu’ils se rendaient à une énième réunion houleuse.
- L’un de mes Maîtres répétait : « Passé ou futur, le Fluide nous donne des indices du temps qui passe. Seul l’apprentissage et la contemplation permettent d’en déchiffrer les arcanes », répondit le Maître Grozilier. Range cette vision dans un coin de ta mémoire, puisque c’en est une. Ne saute pas à des conclusions hâtives. Prends le temps de réfléchir à ce qui t’es révélé, tu rassembleras des fragments de l’histoire comme les pièces éparses d’un puzzle souvent incompréhensible. Cela prouve néanmoins que ta sensibilité s’améliore et grandit chaque jour. Utilise la formation du temple pour conserver ta conscience indivisible et garder le recul nécessaire à l’impartialité.
Les deux moines interrompirent cette discussion instructive. Ils arrivaient à la salle de conférence devant laquelle des personnalités débattaient en haussant le ton. Le gouverneur du dictat, un gros humain, le teint gris, les yeux porcins, aux cheveux gras était pris à parti par trois humanoïdes que tout séparait. À droite un petit Drall voûté, les yeux noirs globuleux, la fourrure grisâtre propre, brillante, tout juste peignée, habillé d’un pagne richement brodé, gesticulait. À gauche un Selonien à tête de fouine affublée de crocs acérés, d’allure menaçante avec sa fourrure beige hérissée, regardait les autres avec dédain. Au milieu et avancé d’un demi pas un humain volubile, de taille moyenne, aux cheveux noirs, longs et bien entretenus provoquait du doigt. Ces quatre êtres représentaient les intérêts des peuples qui se déchiraient à la surface et dans les sous-sols de leurs planètes respectives.
- Messieurs, tonna l’Émissaire. Nous chamailler – Sa voix s’imprégna de douceur. – n’apportera pas de solutions durables à vos divergences. Autant que vous rejoigniez vos ouailles dans la rue pour vous étriper gaiement. Installons-nous confortablement et dégustons quelques breuvages suaves dont Corellia a le secret pour discuter de vos différents.
Les quatre gladiateurs se turent. Ils saluèrent les membres Bourtistes avant de maugréer passablement et d’entrer à leur suite dans la salle de conférence aux proportions intimidantes.
En quête de votre intérêt et de vos suggestions, votre dévoué serviteur dans la force, AJC