« Non. »
La réponse du Seigneur Piejs était sans appel. Tainer jeta un coup d’œil discret à Dar’stricen, jusqu’ici resté en retrait, afin de quêter son soutien. Mais le mercenaire semblait peu concerné par l’enjeu de la discussion : il n’avait jamais été passionné par les stratégies militaires. Pour lui, un bon blaster suffisait à régler tous les problèmes.
Mais Kellt’aine’rodo ne pouvait baisser les bras. Il était persuadé d’avoir raison. Certes, jusqu’ici, les faits avaient toujours plaidé en la faveur du Chef de la Section, mais il était temps que le vent tourne. Attendre davantage ne serait qu’un aveu de faiblesse de leur part. Le chiss prit une inspiration et revint à la charge.
« Seigneur Piejs, écoutez-moi. Nous n’avons pas le choix. Si nous n’intervenons pas maintenant, nous sommes certains de perdre nos hommes. Ces rebelles ne sont pas venus négocier, vous le savez comme moi.
- Tainer, j’apprécie votre valeur en tant qu’officier. Vous avez toujours été de bon conseil. Mais il est hors de question que j’envoie ma Section dans un assaut suicidaire pour sauver quelques hommes. »
Le chiss fit un geste d’agacement devant les termes choisis par son supérieur. Il ne supportait pas que Piejs le remette ainsi à sa place. La situation était critique, et ils étaient encore ici à palabrer, alors qu’une partie de leurs meilleurs éléments étaient retenus en otage par ces rebelles !
« Vous me surprenez, Tainer, ajouta cyniquement Piejs. Vous êtes rarement si attachés à la vie de nos hommes pour ainsi insister dans le sauvetage de quelques-uns d’entre eux. Vous ramolliriez-vous donc ? »
Le sourire de Piejs s’élargit en constatant que ses paroles avaient davantage assombri son subordonné. Leurs disputes faisaient depuis longtemps partie du folklore de la Section, et il était de notoriété publique que le chiss briguait la place du Sith. Aussi chacun profitait de la moindre occasion pour rabaisser l’autre. Néanmoins, Piejs retrouva rapidement son sérieux devant la situation critique qu’ils affrontaient : cela faisait maintenant une semaine que cinq membres de la Section, parmi lesquels ses amis Tyrus et Vel’Cheran, étaient retenus en otage par des rebelles balmoréens. Ils risquaient d’être exécutés à tout moment, mais la diversion proposée par Kellt’aine’rodo était jugée trop risquée par le Sith pour en valoir la chandelle.
Dar’stricen sortit soudain de sa réserve habituelle et s’avança vers les deux hommes. Il pointa un doigt sur l’écran :
« Et en plaçant un tireur embusqué ici ? On pourrait couvrir cette zone du bâtiment. Il y a une ouverture de ce côté, qui permettrait de tenir en joue une bonne partie des rebelles. Si les autres sont occupés à résister à l’offensive de diversion, le tour est joué. »
Piejs et Kell cessèrent un instant leur dispute pour se tourner vers la carte, intrigués.
« Tu veux dire qu’il serait placé à l’est, là ? demanda Tainer.
- Oh, tu sais, moi, l’est et l’ouest… soupira Dar’stricen.
- Bon, à droite sur la carte, si tu préfères.
- Oh, tu sais, moi, la gauche et la droite… »
Piejs étudia la carte en silence pendant quelques instants avant de balayer l’intervention du mercenaire d’un geste de la main.
« Aucune chance. Pour avoir un angle de tir suffisant et être à peu près à couvert, il faudrait se placer sur cette colline, là, indiqua-t-il du doigt. C’est beaucoup trop loin. Restons à des hypothèses un tant soit peu réalistes, sinon nous ne nous en sortirons jamais. »
Le Sith allait se détourner lorsqu’il vit le sourire confiant qui ornait le visage de l’humain. Intrigué, il haussa un sourcil interrogateur.
« Ce n’est pas trop loin. Pas pour tout le monde, en tous cas. »
~~ ~~
Sheon étudiait la carte consciencieusement. Il ne fit pas attention à l’attitude impatiente des officiers qui l’entouraient. Il visualisait déjà le terrain : une petite colline légèrement boisée, à plus de deux kilomètres de l’ancienne usine chimique où avait lieu la prise d’otages. Si le vent n’était pas de la partie, l’opération était faisable. Il lui faudrait du meilleur matériel que le sien, évidemment : son bon vieux fusil de précision, qui lui servait depuis des années, était trop peu précis pour une telle distance. Mais avec un trépied, un fusil sur mesure et un peu de patience, tout était possible.
Au bout d’un temps qui parut infini pour son auditoire, Sheon se tourna vers son ami Dar’stricen et répondit laconiquement :
« Je le ferai. »
~~ ~~
Assembler le fusil. Doucement. Poser le trépied. Installer le fusil dessus.
« Solitaire, êtes-vous prêt ? »
S’allonger. Placer le canon dans la bonne direction. Reposer la crosse sur l’épaule droite.
« Solitaire, m’entendez-vous ? Êtes-vous prêt ? »
Regarder dans le viseur. Repérer la zone de tir. Compter les ennemis.
« Solitaire, répondez ! Je vous ai posé une question ! »
Un. Deux. Trois, quatre. Et deux autres à droite. Trois otages visibles.
« Solitaire, vous…
- Je vous entends très bien, officier. Laissez-moi me concentrer. »
Le viseur va de l’un à l’autre. Tranquillement. Doucement. Dans cet ordre. C’est ainsi qu’il faudra procéder.
« Officier : je suis prêt. »
L’assaut commença. Dar’stricen avait insisté pour combattre en première ligne : malgré son statut élevé dans la Section, il ne se sentait à l’aise que sur le terrain, pour diriger les hommes. Piejs et Tainer, eux, étaient restés dans la salle de briefing pour coordonner les troupes. Le chiss pianota sur un clavier afin d’obtenir la fréquence de communication de Sheon.
« Solitaire, ici Officier. L’assaut a été lancé. Comment se comportent les terroristes ?
- Ils s’agitent. Je pense qu’ils n’avaient pas prévu un assaut frontal et qu’ils attendent la permission d’exécuter un otage en représailles. »
Piejs prit la parole d’un ton agacé, malgré le regard noir de Kellt’aine’rodo.
« Nous ne voulons pas de suppositions, nous ne demandons que les faits. Vont-ils exécuter un otage ou non ? »
Bien qu’ils n’aient aucun moyen de le savoir, les deux officiers sentirent le haussement d’épaules de Sheon.
« Ils ne sont pas en train d’en exécuter un. Désirez-vous savoir autre chose ? »
Si le tireur d’élite s’était trouvé devant le Seigneur Sith, Piejs lui aurait fait regretter ces paroles. Mais, en l’état, il ne pouvait que ruminer sa colère.
« Officier, ici Solitaire. Les terroristes s’agitent. Demande la permission de prendre les mesures nécessaires à la protection des otages s’ils venaient à s’en prendre à eux.
- Solitaire, répondit Tainer, s’en prennent-ils aux otages ou non ? Votre mission est de les dissuader de le faire, n’essayez pas de les abattre directement ou ils deviendront incontrôlables.
- Sauf votre respect, Officier, je demande à nouveau l’autorisation de prendre les mesures nécessaires à la protection des otages. Mon travail n’est pas de tirer dans des vitres mais d’abattre des cibles. De plus, un tir de suppression ne ferait que les énerver davantage et mettre ma position en péril. »
Piejs pianota à son tour sur le clavier pour atteindre la fréquence de Dar’stricen.
« Leader, ici Chef, où en est l’assaut ? »
Des tirs de blasters retentirent dans l’écouteur, tandis que le mercenaire délivrait sa réponse.
« Ça canarde dans tous les sens ! On tient le choc, je ne m’attendais pas à une telle résistance de leur part mais ils ont l’air de jeter leurs dernières forces dans la bataille ! À mon avis, ils ne vont pas tarder à tenter un truc désespéré ! »
Piejs et Tainer échangèrent un regard qui en disait long. Il n’était plus temps de s’écharper pour le commandement de la Section : la vie de leurs hommes était en jeu, et ils ne pouvaient plus faire machine arrière. Le Sith hocha légèrement de la tête, et le chiss reprit la communication avec Sheon.
« Solitaire, me recevez-vous ? Ici Officier.
- Je vous reçois cinq sur cinq, Officier. Ça s’agite de plus en plus, ici. Demande autorisation d’ouvrir le feu.
- Autorisation accordée, Solitaire. Ne ratez pas votre coup, la vie de nos hommes en dépend.
- Rater la cible ne fait jamais partie de mes options. Terminé. »
Sheon haussa un sourcil. Une nouvelle cible venait d’entrer dans le périmètre et lui bouchait une partie de sa ligne de tir. Tant pis, il n’avait plus le temps de tergiverser : l’un des terroristes avait braqué son arme sur un otage.
« C’est parti. »
Il fut le premier à tomber. Mécaniquement, Sheon réarma son arme et tira : le nouvel entrant tomba à son tour. Réarmement. Tir. Les terroristes commençaient à réagir. Il n’en restait plus que quatre. Sheon n’entendait pas ce qu’ils disaient, mais ils semblaient crier et ne pas s’accorder sur la marche à suivre. Deux d’entre eux braquèrent leur arme sur des otages. Sheon avait prévu cela. Sa première balle tua le plus proche. En traversant le crâne de la cible, elle projeta une gerbe de sang sur le visage du second, l’aveuglant temporairement. Ce délai supplémentaire fut amplement suffisant pour Sheon, qui réarma et tira sur l’un des deux hommes sur la droite. Tandis que son complice s’essuyait frénétiquement le visage pour y voir clair, le terroriste restant eut la présence d’esprit de se jeter au sol, sortant de l’angle de tir de Sheon.
La situation se compliquait. Le tireur d’élite arma à nouveau son arme et fit feu sur le rebelle aveuglé, mais il en restait encore un. Il porta la main à son oreillette.
« Officier, ici Solitaire. Il reste une cible, qui s’est mise hors de mon champ de vision. Demande autorisation de changer de position.
- Autorisation accordée, lança Tainer sans hésiter. Y a-t-il des pertes ? »
Sheon se leva, abandonna le fusil sur trépied et se mit à courir tout en montant son fusil personnel, plus léger donc plus adapté à la situation.
« Six pertes chez les cibles, aucune chez les otages, mais il faut agir vite. »
Piejs reprit la communication avec le front.
« Dar’stricen, c’est Piejs, fit-il en laissant de côté tout code militaire. Il reste un terroriste avec les otages, où en êtes-vous ?
- On a enfoncé leur ligne défensive, on devrait pouvoir balayer rapidement les survivants. Tiens, goûte ! ‘Scuse-moi, Piejs, y en avait qui m’agaçait depuis tout à l’heure, à se cacher derrière son muret. Il fait moins le malin maintenant qu’il a pris un missile dans la gueule ! »
Sheon courait aussi vite que possible. Son fusil était maintenant monté et il l’avait coincé contre son épaule, prêt à faire feu. Il avait repéré tantôt un point, en surplomb, d’où il pouvait apercevoir le sol de la zone de tir, mais il lui fallait gravir une pente à la vitesse de l’éclair. À tout moment, le terroriste restant pouvait abattre un otage, si ça n’était pas déjà fait. Enfin, le cyborg arriva à son poste de tir : il se retourna et braqua son arme sur le bâtiment, juste à temps pour voir sa cible s’écrouler au sol, surplombé par l’un des otages, la main crépitant d’éclairs.
« Officier, ici Solitaire. La salle est dégagée. Le Seigneur Tyrus s’est occupé du rebelle restant. »
Au même moment, une voix rugit dans l’écouteur de Piejs, lui vrillant les tympans.
« Soon ! Voleur ! Il était pour moi, celui-là ! »
Piejs retira précipitamment l’écouteur, sous l’œil amusé de Tainer.
« Dar’stricen, ici Kell. Avez-vous fini ?
- Ouaip, on a eu le dernier, mais il était à moi ! Genre je le poursuis pendant cinq minutes, je l’accule contre un mur… *raclement de gorge* enfin, je veux dire, je le bloque contre un mur. Et là, l’autre arrive la bouche en cœur et il balance un vieux coup de Force à la noix. Il me prend pour un peintre ou quoi ?
- La salle des otages a été nettoyée, vous pouvez aller chercher nos hommes.
- Ça roule ! J’entre dans la salle. Oh, non, merde… »
Piejs reprit la communication précipitamment.
« Quoi, que se passe-t-il ?
- Les otages… Ils sont… Ils les ont tous… laissés en vie ! Ahahah, j’aurais bien aimé voir vos têtes, ça devait être magique ! Bon, je vous fais un paquet cadeau ou c’est pour les utiliser tout de suite ? »
Ainsi se déroula le premier fait d’armes de Sheon, qui allait lui permettre de se faire un nom au sein de la Section Wampa XXI.