Toujours sans aucun commentaire des précédents chapitres, je continue sur ma lancée.
Voici un chapitre plein de musique où l'intensité dramatique va en croissant, prémices à de sombres heures à venir...
Le meurtre du Comte de Fartia éloigna provisoirement de Taimi le spectre d’une enquête pour corruption mais sa situation restait d’évidence précaire, Proo Rabo’Par n’étant pas rodien à lâcher une affaire une fois qu’il s’en était saisie. Il avait mis dessus les meilleurs enquêteurs du royaume, choisis pour leur discrétion et leur efficacité. Un à un, tous les dossiers d’esclavage suspects commençaient ainsi à être soigneusement passés au crible, le roi ayant ordonné que toutes les personnes qui avaient été ainsi injustement traitées, fussent rendues à la liberté le plus rapidement possible avec un dédommagement substantiel.
Dans ses appartements, Taimi, que la suppression de son Excellence Armii Platonii n’avait pas suffi à rassurer, tournait en rond comme un fauve en cage.
— Rabo’Par va finir par m’avoir, je te dis ! explosa-t-il devant Diva qui tentait de le calmer. Et Calem va me jeter en prison, ou me bannir du royaume… peut-être même voudra-t-il faire un exemple et me fera-t-il trancher la tête !
La Sith masquait mal son impatience devant l’immaturité flagrante de ce jeune homme sur lequel elle était forcée de faire reposer une partie de son plan. Si elle l’avait pu, elle en aurait terminé avec lui à l’instant même, mais cette heure n’était pas encore venue.
— Cela n’arrivera pas, crois-moi. Il va se passer des choses autrement plus importantes dans des temps à venir qui ne sont pas si lointains, que cette histoire de faux certificats.
— Que veux-tu dire, sorcière ?
— Tu le sauras bien assez tôt. Il se pourrait que ton propre personnage prenne subitement plus d’importance que tu ne peux en espérer.
Le prince manifesta un geste d’humeur en jetant violemment dans un coin de la pièce la coupe qu’il tenait dans la main.
— Tu ne sais que parler en énigmes ! Ne pourrais-tu pas t’efforcer d’être plus claire pour une fois ?
Rassemblant en elle les ressources indispensables pour éviter de donner libre cours à la colère qui la gagnait, elle s’approcha de lui et enserra ses tempes avec les mains.
— Chut, trésor, calme-toi. Prends patience et fais moi confiance. Ton heure va venir mais pour le moment, il faut que tu fasses bonne figure à ton frère.
Elle puisa dans la Force pour tenter de le persuader de l’écouter. L’esprit de Taimi n’était pas si faible qu’il puisse être facilement influencé, mais sa fragilité actuelle jouait contre lui. En le regardant droit dans les yeux, elle répéta doucement en détachant ses mots.
— Fais-moi confiance.
Taimi ferma les yeux comme vaincu par le magnétisme de la Sith qui l’embrassa longuement avant de lui souffler à l’oreille.
— À présent, il va falloir nous préparer pour le bal de ce soir. Je veux que ton frère pense que tu l’aimes profondément. Je veux qu’il ne se doute de rien de ce qui se prépare.
*
* *
— Il ne me suffisait pas d’une seule princesse à habiller, voilà qu’elle s’est dédoublée ! se plaignit Namina debout devant une immense armoire garnie de dizaines de robes de soirée toutes plus magnifiques les unes que les autres.
Il s’était écoulé une dizaine de jours depuis que Iella avait été ramenée au palais d’Édinu et les deux jeunes filles s’entendaient désormais comme des jumelles, associant leur charme naturel à leur bonne humeur voire leur espièglerie. Mais un œil aiguisé aurait pu percevoir quelques changements imperceptibles dans le quotidien de tout ce petit monde.
Si Calem faisait toujours preuve de la plus grande bienveillance envers celle qui allait devenir officiellement sa fiancée lors de la cérémonie protocolaire qui devait avoir lieu deux mois après son arrivée à Édinu, soit dans une vingtaine de jours, il consacrait également une partie de son temps libre à se promener avec Iella dans les jardins ou à discuter avec elle dans les salons privés. De son côté, Sali en faisait de même avec son ami Jarval qui était aux anges. C’était cependant imperceptible, car les deux jeunes filles était elles-mêmes souvent ensemble. Ces moments étaient donc à la fois rares, mais denses pour leurs protagonistes et posaient à chacun d’eux des questions auxquelles ils avaient bien du mal à répondre. Seule, Namina s’en était aperçue, et ses sourcils froncés trahissaient sa préoccupation sur cette nouvelle situation. Cependant elle n’en souffla mot à personne, attendant sagement de voir comment évolueraient les événements qui allaient, mais cela elle ne pouvait le prévoir, se précipiter. N’y avait-il pas le bal des « quarante jours » qui permettait au roi de présenter « enfin » la future fiancée et reine à toutes les personnalités du royaume ?
Ce bal protocolaire qui, comme l’indiquait son nom, se déroulait quarante jours après l’arrivée de la future reine dans la capitale, était un moment de fête et d’allégresse dans toute la ville. Les rues et les avenues étaient pavoisées et illuminées de mille feux, et les places envahies de petits bals qui faisaient le modeste pendant à celui qui se déroulait dans les salons de réception du palais et dans les jardins. À minuit, un magnifique feu d’artifice était tiré à la fois de la place de l’hôtel de ville et des remparts de la cité royale, mais le clou du spectacle pyrotechnique était assuré par l’embrasement des murailles tout autour de la capitale.
Namina espérait sans doute qu’à cette sublime occasion, ainsi qu’à celle de la cérémonie des fiançailles qui suivrait quelques jours plus tard, le futur couple royal se souderait pour de bon.
Le grand soir arriva dans la capitale qui avait revêtu ses habits de fête. La journée avait été magnifique et l’air était doux. Une brise tiède et caressante balayait les avenues ainsi que les nombreux parcs de la ville si propices aux amoureux à la nuit tombée.
Différentes espèces d’animaux étaient utilisées pour les déplacements terrestres selon la nature et l’importance du véhicule à tracter, de son poids mais aussi du rang des personnes transportées. Ces véhicules avaient pour la plupart la particularité de se mouvoir en suspension dans l’air grâce au principe de l’anti-gravité qui faisait partie des technologies qui n’avaient pas été abandonnées sur Édéna, technologie qui malheureusement, en raison de son coût, n’était accessible qu’à une partie seulement de la société édénienne. Ainsi il était donc courant de trouver aussi dans les campagnes et même dans les villes, des véhicules animaliers à roues. L’avantage de l’anti-gravité était évidemment de proposer des transports plus faciles à tirer en raison de l’absence totale de frottement sur le sol, et qui pouvaient donc atteindre des vitesses conséquentes selon les animaux employés comme force motrice.
Une file ininterrompue de véhicules se succédaient à présent au pied des marches du perron d’honneur sur lesquelles un grand tapis rouge avait été déroulé. Une foule triée sur le volet se pressait pour apercevoir ces gens qui « comptaient » dans le royaume, et pour applaudir les splendides toilettes de ces dames de quelque espèce qu’elles fussent. Les reporters n’en finissaient plus de capter les images de ce défilé incessant qui était retransmis en direct sur des écrans holographiques géants installés au centre des principales places de la capitale et des villes du royaume ainsi que dans les chaumières. Perché sur une estrade improvisée, un commentateur omniscient énonçait dans son micro les titres et les noms de chacun des invités gravissant les marches, qu’il soit célèbre ou non.
Les invités étaient ensuite dirigés par une armée de majordomes et d’hôtesses vers le grand salon dans lequel de nombreuses personnalités discutaient déjà par petits groupes dans un joyeux brouhaha.
— On dit que la princesse Sali a un sosie qu’elle a ramené d’un voyage à Aretia, avançait une grosse femme déjà transpirante dans sa robe, à plusieurs de ses amies qui l’écoutaient en hochant régulièrement la tête avec un air hautement concerné.
— Un sosie ? s’exclama l’une d’entre elles, quelle drôle d’idée !
— Lui ressemble-t-elle vraiment ? demanda une autre.
— À s’y méprendre paraît-il, répondit la première, à tel point que des rumeurs prétendent que même le roi ne peut les différencier.
Toutes frétillantes, les commères s’esclaffèrent en regardant de droite et de gauche pour voir si des oreilles indiscrètes ne les écoutaient pas.
— C’est excitant, dit une rouquine dont le visage était couvert de taches, vous vous rendez compte… deux femmes pour le prix d’une !
— Oh, s’insurgea la plus vieille, enfin Mag, quelle drôle d’idée, ma chère !
Toutes rirent derechef.
Soudain le valet de pied qui annonçait les invités énonça d’une voix forte.
— Sa Majesté Calem premier, Souverain du Royaume d’Édinu et Roi d’Édéna !Aussitôt le silence reprit ses droits dans la salle et tous les regards convergèrent vers l’entrée principale pour voir arriver le jeune monarque souriant et détendu dans son uniforme blanc et or.
— Il est trop beau, laissa échapper à voix basse la rouquine à l’adresse de son cercle de connaissances.
Calem s’avança au milieu de la salle vers un groupe composé de hauts dignitaires du royaume dont le général Pardo et le ministre Orn Mitra et leur serra la main en toute simplicité après que ceux-ci se furent respectueusement inclinés devant lui. Le monarque avait assoupli l'étiquette autant qu'il l'avait pu, trop rigide à son goût, et remanié le protocole au grand dam du Grand Chambellan, le vieux mais imposant Mas Damidda, une créature en tous points semblable aux habitants de Champala, planète du système Chagri dans la Bordure Intérieure de la proche galaxie, qui supervisait étroitement la réception. Il était partout à la fois, distribuant ordre sur ordre à son armée de serviteurs, de majordomes et d’hôtesses, veillant à ce que tout se passe parfaitement aussi bien à l’intérieur du palais que dans les jardins somptueusement éclairés et dans lesquels étaient dressés des tables et des buffets.
La rumeur des conversations reprit tandis qu’on attendait impatiemment l’arrivée de la future fiancée qui devait normalement suivre de peu celle du roi. Celle-ci fut effectivement annoncée juste quelques instants après.
— Son Altesse royale, la princesse Sali d’Austra !Dans une longue robe bustier immaculée garnie de fines dentelles, symbole annonciateur de son prochain mariage, le diadème princier étincelant au sommet de ses cheveux coiffés en un haut chignon qui dégageait un long cou orné d’une rivière de diamants éblouissante, Sali pénétra dans l’immense salon sous les regards insistants de toute l’assemblée. Elle était resplendissante et son visage rayonnait d’un immense sourire de bonheur en s’approchant du roi devant lequel elle se prosterna, avant que Calem ne lui tende affectueusement la main pour qu’elle se redresse.
— Tu es merveilleuse, dit-il en l’embrassant sur les lèvres provoquant un frisson dans l’assemblée ainsi qu’une grimace de Mas Damidda qui leva les yeux au ciel.
— Tu es très beau aussi, répliqua-t-elle avec un sourire malicieux.
La suite du protocole voulait que le roi et sa promise aillent se poster au pied des marches de l’estrade en marbre, sur laquelle se dressaient deux trônes de velours rouge et de bois doré à l’or fin et délicatement sculpté, afin que les principaux invités leur soient présentés, un par un, par le Grand Chambellan qui s’était rapproché du couple pour cette occasion.
En même temps que les convives continuaient à affluer, Mas Damidda commençait son office en déclinant titres et noms des personnes qui s’inclinaient et se prosternaient devant Leurs Altesses. Sali recevait les compliments et les félicitations avec une grâce incomparable et une gentillesse touchante, souriante et simple dans les propos qu’elle ne manquait pas d’échanger avec chacun.
Il était heureux que tous les invités au bal ne paraissent pas de cette manière devant eux, car la nuit entière n’y aurait pas suffi. Mais seules les personnalités d’un certain rang y étaient conviées.
— Son Excellence Jalisco Vanghao, ministre du Commerce… leurs Altesses royales, le Duc Nathil d’Aretia et son épouse la Duchesse Klaara, annonça le valet de pied en poste aux grandes portes du salon d’apparat.
Ce fut sans manière aucune que le vieil homme s’empressa de traverser la salle, son épouse à son bras, pour parvenir jusque devant le futur couple royal. Après un aimable salut protocolaire, il tendit les bras vers son neveu qui lui rendit la pareille en toute simplicité pour lui donner une accolade. Puis ce fut au tour de Sali qu’il enserra dans ses bras sans cérémonie pendant que la duchesse s’inclinait devant eux.
— Vous êtes si beaux tous les deux, s’exclama le vieil oncle. N’est-ce pas, Klaara, qu’ils sont magnifiques ?
— Oui, Nathil, approuva la duchesse en embrassant Sali, ils forment vraiment un couple merveilleux ! Nous vous souhaitons à tous les deux, beaucoup, beaucoup de bonheur !
— Et de très nombreux petits bambins ! ajouta le duc avec un grand clin d’œil à Sali. Et je viendrai personnellement les faire sauter sur mes genoux !
— C’est ça, tu joueras le rôle du grand-père gâteau que ton pauvre frère n’aura pas pu tenir.
— Et pourquoi pas ? s’insurgea faussement Nathil. Bon, on vous laisse à vos devoirs… je pense qu’il y a de quoi se rincer le gosier dans les jardins !
— C’est ça, eh bien moi, je vais te surveiller, tout duc que tu es, répliqua son épouse cependant que Nathil réitérait son clin d’œil à l’attention cette fois du futur couple royal.
Comme ils s’éloignaient, Sali se pencha vers Calem pour lui dire.
— Ton oncle est réellement quelqu’un d’adorable !
— Oui, répondit le roi, je l’aime comme mon propre père. Il est comme un véritable rayon de soleil partout où il va. Quel dommage que tante Klaara n’ait pas eu d’enfant à lui donner !
— Quel dommage en effet, je suis certaine qu’il aurait fait un merveilleux père.
Les présentations tiraient à leur fin lorsqu’on annonça.
— Mademoiselle Iella Budhaasio et monsieur Gil Valestraa.Les conversations redoublèrent lorsque la jeune fille pénétra dans la salle au bras d’un Gil raide et sérieux comme un pape, se retenant intérieurement de tordre dans tous les sens son cou enserré dans un col haut et rigide dont il n’avait pas l’habitude et qui le grattait. Son bras gauche maintenu en l’air, compte tenu de sa taille plus petite que celle de sa cavalière, il emmena martialement cette dernière jusque devant le roi et la princesse. Puis, lui, s’inclina comme Sali le lui avait appris cependant que Iella se prosternait en une profonde révérence particulièrement gracieuse, ses cheveux bouclés ondulant sur les bretelles dentelées d’une longue robe bleu pâle.
Calem tendit la main à la jeune fille qui lui donna la sienne en se relevant, puis il se courba pour lui faire un baisemain appuyé qui provoqua le murmure de certaines de ces dames dans la foule des invités.
— Tu es toi aussi très en beauté, Iella, observa-t-il en se redressant, et toi également, Gil, tu es très élégant.
L’adolescent montra ses dents en souriant largement, très fier de lui.
— Merci, Votre Majesté, vous êtes pas mal non plus !
Ils éclatèrent de rire tous les quatre. Au même instant on annonçait.
— Le Capitaine Jarval Hor’Gardi, commandant la Garde royale.— Ah, voilà notre ami commun, s’exclama gaiement le roi en faisant signe au capitaine en grande tenue d’avancer vers eux.
Ils échangèrent sobrement les salutations protocolaires bien que s’étant déjà vus dans la journée puis Jarval déclara tout de go.
— Je n’en reviens toujours pas… ça fait neuf jours et je devrais y être habitué, mais quand je vous vois toutes les deux côte à côte comme maintenant… j’ai toujours l’impression d’avoir trop bu et de voir double.
— Et ça jacte drôlement dans les couloirs, ajouta Gil malicieusement.
— Ça jacte ? répéta Calem amusé. Et comment le sais-tu ?
— Eh ! Qui se méfie d’un ado qui se promène dans les couloirs du palais… ado qui a pourtant l’oreille bien tendue ? Les vieilles se demandent comment il se fait que le roi ait pris auprès de lui le sosie de sa fiancée…
— Les vieilles ? répéta à son tour Sali en s’esclaffant.
— Ben oui, les vieilles, quoi. Les femmes qui ont quarante ans et plus… des vieilles !
Le petit groupe partit d’un éclat de rire qui interloqua la proche assemblée au point que Calem dut se forcer à reprendre un air solennel.
— Je crois que tu en vexerais plus d’une si elles t’entendaient, souligna Iella. Tu sais, on est pas vieux à quarante ans, hein ?
Gil haussa les épaules en hochant la tête.
— Sais pas moi… pour moi elles le sont… enfin, tout ça pour dire que ces…
dames — il insista sur le mot — se posent pas mal de questions.
— Il est vrai que je ne voudrais pas devenir un problème pour toi, Calem, reprit Iella. Je suis prête à repartir d’Édinu s’il le fallait… maintenant que j’ai recouvré ma liberté.
Aussitôt, le jeune monarque protesta.
— Oh non, Iella ! Tu dois rester… enfin, je veux dire… vous êtes devenues amies Sali et toi et ta présence n’est en rien une charge. Je me fiche pas mal des qu’en-dira-t-on et vous devez en faire de même. Ne suis-je pas le roi après tout ? Si ta présence dérange quelqu’un, qu’il vienne me le dire !
Une fois qu’il eut achevé sa phrase, il se rendit compte qu’il avait été un peu trop spontané et se tourna vers la future reine en cachant mal un air embarrassé.
— Enfin, évidemment… je ne veux pas parler à ta place Sali… si la situation doit te gêner… il est évident que… si tu le souhaites…
Sali lui adressa un sourire indulgent et lança un clin d’œil à son double en la prenant par le bras d’un geste complice.
— C’est un spectacle unique que de voir un monarque sortir les avirons pour ramer aussi piteusement, ne trouvez-vous pas très chère ?
Iella acquiesça en rendant son clin d’œil à Sali.
— C’est une évidence, Votre Altesse Royale, et je trouve qu’il s’en sort fort bien…
Les deux jeunes filles étouffaient un éclat de rire lorsque le valet de pieds chargé d’annoncer les arrivants, tira involontairement le roi de ce mauvais pas.
— Son Altesse Royale, le Prince Taimi d’Édéna et Sa Grâce, la Duchesse Dolmie de Tamburu !À chaque annonce, les regards convergeaient vers les portes d’entrée de la grande salle de réception, et les nouveaux arrivants étaient inévitablement scrutés à la loupe par chacun des invités déjà présents. De longs murmures suivaient généralement ce moment, fruits des incontournables commentaires que les petits groupes, formés ça et là dans le salon, s’échangeaient aussitôt pour commenter, qui la robe de soirée de la nouvelle venue, qui d’autre la tenue culturelle haute en couleurs du non-humain mâle ou femelle, qui encore l’allure plus ou moins martiale, gauche ou empruntée, de tel militaire, ou même le tombé du smoking d’une personnalité en vue.
La rumeur alla bon train lorsque le prince entra en grand uniforme d’apparat avec à son bras, la theelin dans une longue robe moulante écarlate, généreusement décolletée et dont la jupe était fendue sur un côté jusqu’à la hanche.
— Oh ! Quelle tenue ! se récria à voix basse une grosse baronne boudinée dans sa robe jonquille. Mais regardez-moi ça ! Si elle pouvait, elle se promènerait toute nue…
— Il faut bien avouer qu’elle pourrait se le permettre… elle, persifla une autre femme plus âgée qui s’éventait le visage d’un geste précieux.
L’autre ne releva pas le sous-entendu mais pinça les lèvres pour se taire. Un colonel qui se tenait entre les deux ajusta son monocle et rendit son verdict très militairement.
— Belle pouliche en effet, racée et élancée… belle encolure, beau poitrail et des reins superbement cambrés !
— Oh ! s’exclamèrent ensemble les deux rombières.
L’officier les regarda d’un air incrédule.
— Pardon mesdames, vous aurais-je choquées par mes propos ? Vous m’en voyez désolé… l’habitude d’admirer les corinals de course… vous savez bien entendu que ce sont les femelles les plus rapides, ajouta-t-il en guise d’excuses.
Parvenus devant le roi entouré de ses amis, Taimi inclina la tête avec raideur tandis que Diva s’inclinait très bas avec une souplesse toute féline.
— Bonjour, duchesse, fit Calem en lui faisant un baisemain plus protocolaire que celui auquel avait eu droit Iella un moment auparavant, je suis ravi que vous soyez des nôtres ce soir.
— Je n’aurai manqué si belle réception pour rien au monde, Votre Majesté, répondit Diva avec son sourire le plus charmeur.
Puis elle s’inclina devant Sali.
— Votre Altesse…
— Dolmie… votre robe est magnifique.
— Merci infiniment, mais s’il y a une reine ici ce soir, tant par la grâce que par la beauté, c’est bien vous, princesse.
Sali sourit en retour du compliment d’usage si bien tourné, cependant que Jarval osait un trait d’humour.
— Le prince Taimi souhaitait sans doute pouvoir ne pas vous perdre de vue dans cette foule.
Devant le visage crispé de Taimi qui accueillit fraîchement la réflexion du capitaine, Calem fit diversion en renchérissant diplomatiquement.
— Il est vrai que non accompagnée, je suis certain qu’il y aurait ici foule de prétendants pour se lancer à l’assaut de la beauté de Dolmie, en bons valeureux chevaliers.
Le visage de son frère se radoucit un peu.
— Elle est éblouissante, n’est-ce pas mon frère ?
Ce dernier se contenta d’un petit signe de tête en guise de réponse. Au même moment l’orchestre entama un morceau et le Grand Chambellan s’approcha d’eux pour s’adresser au roi.
— Les présentations officielles sont terminées, Majesté, il vous appartient à présent d’ouvrir le bal avec Son Altesse.
Délicatement, Sali présenta la main à son futur époux qui l’entraîna au centre du cercle vide que les invités avaient spontanément créé au milieu d’eux. Les conversations retombèrent, absorbées par le spectacle gracieux du futur couple royal. Calem passa l’autre main derrière la taille de Sali et l’entraîna dans un tourbillon musical avec une légèreté et une aisance tout à fait naturelles. Tournant sur eux-mêmes, les futurs fiancés commencèrent à décrire un petit cercle dans cet espace sous les regards admirateurs, envieux ou connaisseurs, de tout ce beau monde.
Au bout de deux minutes précises, le Grand Chambellan adressa un signe discret au prince Taimi qui imita alors son frère en entrainant à son tour Diva sur la piste de danse, donnant ainsi le signal pour les autres couples. Dans la foulée, Jarval s’inclina devant Iella pour en faire de même et petit à petit, des couples se formèrent remplissant tout le salon en débordant sur la grande terrasse qui surplombait les jardins.
Au même moment, douze coups de canons tirés depuis les murailles de la cité retentissaient pour officialiser l’ouverture des festivités, et la musique envahit progressivement les places et les rues d’Édéna cependant qu’un premier feu d’artifice éclatait dans le ciel nocturne de la planète.
— Et si on allait manger quelque chose ? proposa Gil à Namina avec l’esprit pratique qui le caractérisait, tout en contemplant les danseurs. Moi la danse…
— Tu as raison, répondit la nounou, moi non plus je n’aime pas danser. La dernière fois que j’ai essayé, mon cavalier m’a tellement écrasé les pieds que j’ai eu mal à mon cor durant plus d’une semaine.
Sali contemplait le visage de son cavalier pendant que le salon tout entier semblait tourner follement autour d’elle. Elle cherchait dans ses yeux un indice qui pourrait lui ouvrir son âme en profondeur afin d’aller y quêter les réponses aux questions qu’elle se posait sur leur futur couple. Inspirant profondément dans son corsage serré, elle se jeta à l’eau.
— Calem… dis-moi… nous ne nous sommes jamais dit que nous nous aimions… l’avais-tu remarqué ?
Sans doute sous l’effet de l’étonnement, le jeune monarque perdit le compte de ses pas et s’arrêta brièvement avant de reprendre la danse au tempo suivant. Sa bouche entrouverte permettait de prendre toute la mesure de la complexité de la question qu’on lui adressait. Fixant Sali dans les yeux, il fouilla à son tour dans le bleu profond de ses iris pour tenter d’y déceler la raison précise à cette soudaine interrogation.
— Peut-être ne sommes-nous pas prêts à nous le dire ? biaisa-t-il enfin.
Sali resta un instant silencieuse en s’efforçant de se laisser bercer par la musique, puis reprit.
— Et si c’était une erreur de nous marier… tu y as déjà pensé ?
À son tour il se tut un moment. Dans sa poitrine il sentait son cœur battre de façon désordonnée et dans son esprit des pensées irrationnelles se bousculaient qu’il ne parvenait pas à ordonner. Au fond de lui-même, il savait ce que Sali essayait d’exprimer mais sa raison ne voulait pas l’entendre.
— Cette union est essentielle pour notre planète, Sali… il en va de beaucoup plus que de nous seuls.
— Là, c’est le roi qui répond, observa doucement la jeune fille en conservant son doux sourire, moi je posais la question à Calem… le beau jeune homme qui danse avec moi et qui dans vingt jours doit devenir officiellement mon fiancé.
— Faut-il vraiment que nous ayons une telle conversation ici et maintenant ?
Elle décela une légère irritation dans son ton et décida de battre en retraite. Accentuant son sourire, elle répondit docilement.
— Non, bien sûr, Calem, tu as raison, ce n’est ni l’endroit, ni le moment. Je suis désolée. Nous en reparlerons plus tard.
— Je ne sais pas… reprit le jeune homme, nous allons nous marier, Sali, il nous faudra faire avec, de notre mieux. Je m’y suis engagé et je m’y tiendrai.
La princesse ne répondit rien. Qu’aurait-elle pu dire de plus ? Que la réponse ne lui convenait pas ? Que « faire de leur mieux » n’était pas ce qu’elle attendait d’une union ?
Fermant les yeux, elle se laissa entrainer par le final enfiévré de la danse qui éclata en une apothéose musicale suivie par une salve d’applaudissements enthousiastes de la part de toute l’assemblée.
Le couple royal quitta le grand salon au milieu des courbettes pour s’en aller vers les jardins.
— Allez, viens, allons prendre une coupe de ce merveilleux pétillant que produit ton royaume, invita Calem.
Voulant lui apporter une touche de sérénité qui semblait lui faire défaut, il faillit ajouter « je t’aime » mais les mots ne dépassèrent pas ses lèvres et ne s’envolèrent pas dans l’air tiède de la nuit jusqu’aux oreilles de celle pourtant censée devenir sa bien-aimée. Son cœur se serra involontairement et il dut lutter pour chasser de noires pensées qui tentaient de s’insinuer dans son esprit.
De façon fort opportune, Jarval arriva vers eux avec Iella.
— Ouf, j’ai cru qu’elle n’en finirait pas, s’exclama le capitaine. J’ai bien dû écraser les pieds de Iella une bonne douzaine de fois, ajouta-t-il en prenant un verre sur le plateau qu’un serviteur s’était empressé d’amener au roi.
La jeune fille sourit avec complaisante.
— Ne l’écoutez pas, il plaisante ou il joue les faux modestes… il danse comme un dieu…
— À ce point ? releva Sali en prenant elle aussi un verre comme les autres. Il faudra que j’en juge par moi-même… Calem aussi danse merveilleusement bien, ça doit valoir le coup de comparer.
— Mais, quand vous le voudrez, Votre Altesse ! s’empressa de déclamer un Jarval tout heureux de la proposition sous-entendue. Ce sera avec le plus grand plaisir !
Les invités s’étaient partagés entre la grande salle de réception où les couples dansaient et les salons ou les jardins dans lesquels des buffets étaient dressés. Le roi n’était pas sorti depuis cinq minutes et avait juste eu le temps de partager quelques délicieux petits fours avec ses amis, que déjà des gens haut-placés se pressaient pour le rencontrer afin de lui présenter quelqu’un, le complimenter avec sans doute l’arrière-pensée d’un quelconque bénéfice, ou s’entretenir avec lui des choses du royaume. Très vite il fut accaparé malgré lui et Sali se retrouva à la traîne avec une moue que Jarval sut vite interpréter.
— Le moment est peut-être venu de m’accorder quelques pas de danse… à vos risques et périls, bien entendu.
Sali accepta le bras élégamment proposé et le couple reprit le chemin du grand salon. Iella grignotait en compagnie de Gil et Namina lorsque Taimi se présenta à eux.
— Iella, très chère, je vous vois abandonnée au milieu de cette foule dans laquelle vous ne devez pas connaître grand monde. Accepteriez-vous de danser avec moi ?
La jeune fille ne cacha pas sa surprise et regarda autour du prince.
— Qu’avez-vous fait de la duchesse Dolmie ?
Le prince eut un geste vague.
— Oh, elle est allée dans ses appartements pour se repoudrer le bout du nez… si vous voyez ce que je veux dire. Ce qui fait que pour un moment, je suis libre… et si vous m’accordez la prochaine danse, vous me sauveriez d’un certain nombre de baronnes, duchesses et autres courtisanes qui n’attendent qu’une faiblesse de ma part pour sonner l’hallali !
Il rit et Iella l’imita par politesse. Elle pensa qu’au fond, le petit frère de Calem était un garçon très gentil et bien mignon malgré des prévenances inexplicables qu’elle entretenait à son égard.
L’orchestre s’était mis à jouer une danse rapide sur laquelle il l’entraîna dextrement dans un pas étourdissant qui eut tôt fait de tourner la tête à la jeune fille. Excellent danseur, il la mena progressivement vers l’une des portes-fenêtres latérales qui s’ouvraient en grand sur les jardins dans lesquels il la fit sortir tout en virevoltant avec une adresse incomparable. Cette partie des jardins était faiblement éclairée et, par contraste avec le devant inondé de lumière, paraissait plongée dans une douce et reposante pénombre. Lorsqu’ils se furent éloignés de plusieurs mètres, Iella s’arrêta de danser en chancelant, cherchant à retrouver un équilibre qui ne semblait pas avoir quitté son cavalier. La musique était à présent adoucie par la distance et on pouvait entendre le craquettement de quelques insectes nocturnes faisant crisser leurs élytres dans les buissons. Galamment, Taimi retint Iella par la main pour l’empêcher de perdre l’équilibre et la soutint par la taille contre lui.
— Vous n’allez pas vous sentir mal, j’espère ? dit-il sur un ton amusé, sinon, je vais me voir obligé de vous porter dans mes bras.
— Non, ça va, soupira la jeune fille en se tenant la tête, c’est juste que je n’ai pas l’habitude de tourner aussi vite en dansant… comment faites-vous pour ne pas en éprouver de la désorientation ?
— Question d’habitude… chaque matin en me levant, je me hisse sur un pied et je fais la toupie à toute vitesse pendant plusieurs minutes.
Iella éclata de rire.
— Vous vous moquez de moi !
Taimi l’imita.
— Je n’oserais pas vous manquer de respect, Iella… je plaisante, voilà tout, j’aime tant vous entendre rire… et vous voir le faire aussi… vous avez de charmantes fossettes sur les joues lorsque vous souriez.
Iella baissa inconsciemment les yeux, embarrassée, et desserra délicatement l’étreinte un peu trop empressée de son cavalier.
— Vous aussi, observa-t-elle, tandis qu’il lui lâchait la taille mais pas la main.
— Moi aussi quoi ? demanda-t-il en l’emmenant un peu plus loin, entre les haies.
— Les fossettes… vous aussi vous en avez quand vous riez…
— Ah, oui… il faudra donc que je me regarde plus souvent devant la glace en me racontant des histoires drôles pour les admirer.
La jeune fille étouffa un nouveau rire.
— Vous continuez à vous moquer, laissa-t-elle échapper d’un ton de reproche.
Taimi prit une voix douce plus sérieuse.
— Non, Iella, je ne veux pas me moquer… vous êtes simplement d’une plaisante compagnie qui invite à un peu d’espièglerie, voilà tout.
— C’est bien calme ici, observa Iella en regardant les alentours déserts, calmes et reposants.
— C’est que, entre le bal, les buffets et mon frère qui accapare tous les regards ainsi qu’une foule de lécheurs de bottes, il n’y a plus personne pour se promener romantiquement loin de cette agitation.
Ils avançaient toujours entre les haies taillées au cordeau sur un petit chemin caillouteux soigneusement damé et franchirent une courte passerelle de bois en forme d’arche sous laquelle bruissait un étroit ruisseau qui se faufilait entre les pelouses. Un joli petit kiosque se tenait un peu plus loin avec des bancs de pierre tout autour. Une partie du pavillon était occultée par des panneaux de bois à croisillons serrés peints en vert, destinés à protéger les visiteurs du vent, laissant deux entrées à l’opposée l’une de l’autre. L’endroit, plutôt sombre, devait en temps ordinaire, être propice aux amoureux.
Depuis quelques instants, Iella essayait de lâcher la main du prince mais celui-ci ne semblait pas disposé à répondre à sa sollicitation.
— Où m’emmenez-vous ? questionna-t-elle, ne devrions-nous pas revenir à la réception ? On risque de nous chercher… et peut-être votre amie, la duchesse Dolmie, est-elle revenue le nez joliment poudré ?
— Oubliez Dolmie, elle doit repartir pour Tamburu très prochainement.
— Oh… je suis désolée… mais elle reviendra bientôt sans doute ?
— Ce n’est pas dit. Et puis je ne suis pas certain qu’elle et moi soyons parfaitement accordés.
— Pourtant à vous voir ensemble, on ne le dirait pas.
Ils étaient à présent au centre du kiosque. Taimi s’arrêta.
— Vous êtes d’une égale beauté avec la princesse Sali, remarqua-t-il en la prenant par ses épaules dénudées pour la placer face à lui.
Iella sourit, légèrement mal à l’aise.
— Nous nous ressemblons…
— Mais vous n’avez pas tout à fait le même caractère. Vous êtes plus entreprenante, plus intrépide et votre sensualité n’en est que plus accrue.
Iella baissa les yeux pour la seconde fois en quelques minutes.
— Vraiment, Prince, vous me gênez.
— Non, surtout ne le soyez pas… je vous trouve admirable depuis que je vous ai vue et votre grâce… votre charme… l’harmonie de votre corps si parfait… l’océan de vos yeux dans lequel je ne demande qu’à me noyer…
— Enfin, Prince, vous me mettez dans l’embarras… nous devrions rentrer…
Elle sentait les mains du jeune homme s’agripper fermement à ses épaules et dans l’obscurité, elle pouvait deviner l’éclat de ses yeux enfiévrés.
— Lâchez-moi, je vous en prie, cette conversation n’a que trop duré, protesta-t-elle d’une voix plus ferme.
Taimi haussa d’un ton.
— Elle durera autant qu’il me plaira de la faire durer ! fit-il d’une voix cassante. Je vous rappelle que vous n’êtes rien, Iella. Il n’y a de cela que quelques jours à peine, vous étiez une esclave soumise à son maître !
La jeune fille se cambra sous ce qu’elle ressentit comme une injure et essaya de se dégager sans brutalité. Mais il la tenait résolument et elle pouvait sentir ses doigts s’enfoncer douloureusement dans sa chair. Elle cria tout en tentant de maîtriser un vague sentiment de panique qui cherchait à s’emparer d’elle.
— Lâchez-moi… je ne veux pas vous faire mal.
— Vous ne le pouvez pas ! Dois-je vous rappeler qui je suis ? Je suis le Prince d’Édéna, la seconde personne la plus importante de cette planète après mon frère. Et vous, vous n’êtes qu’une roturière, une fille de basse couche… et vous avez la chance d’être désirée par moi ! Songez que je puis vous faire princesse et accéder à tous vos souhaits !
Sa voix vibrait maintenant sous le coup d’une puissante émotion qui commençait à lui faire perdre le contrôle de lui-même. Il la secoua de ses mains comme il l’aurait fait d’une poupée de chiffons.
— Je vous aime, Iella, et je vous veux ! Il ne s’écoule pas une heure sans que je ne pense à vous… chaque nuit je rêve de vous et chaque soir devient une torture de ne pouvoir m’allonger contre vous !
Pour le coup, Iella commençait vraiment à paniquer. Elle se tortilla vainement, essayant de repousser l’étreinte impitoyable du jeune homme avec ses mains, mais sans succès. Elle se mit à réfléchir follement. Il y avait bien la solution de force, mais Taimi avait raison. Si elle portait la main sur une Altesse Royale, elle qui n’était rien, elle se rendrait coupable d’un crime de lèse-majesté, et même si Calem pouvait en tant que roi la tirer d’affaire, elle ne voulait à aucun prix le mettre dans un tel embarras. Restait donc la persuasion.
Rassemblant tout son courage, elle inspira profondément pour se calmer et retrouver une voix normale.
— Taimi… vous permettez que je vous appelle Taimi… Votre Altesse ?
Légèrement décontenancé par le changement de ton et de contenu de conversation, il bégaya en se calmant un peu.
— Oui… oui… bien entendu… ça me ferait même très plaisir, chère Iella.
— Taimi, continua-t-elle comme dans un souffle, vous confondez l’amour avec le plaisir. Vous me désirez parce que je ressemble à Sali et que Sali est à Calem. Alors vous avez simplement l’impression que si vous m’aviez, ce serait un peu comme si vous lui voliez sa promise… rivalité de frères… ou peut-être comme si vous la partagiez avec lui.
Il resta sans voix un bref instant avant de secouer négativement la tête.
— Non, non, Iella, vous ne comprenez pas ! Vous ne ressemblez pas à Sali. Elle est fade, sans caractère, incapable d’aventure contrairement à vous, j’en suis persuadé. Vous, vous êtes une braise ardente, un tourbillon dans lequel je veux que vous m’emportiez !
Il avait approché son visage du sien et cherchait de toute évidence à l’embrasser. Elle pouvait sentir son souffle chaud et empressé sur sa joue et le sentait trembler de tous ses membres.
— Non, Taimi, non ! Je vous en prie, reprenez-vous ! Non ! cria-t-elle.
Soudain une poigne irrésistible saisit le prince par une épaule et le tira violemment en arrière. Sous l’effet de la surprise, il lâcha Iella et perdit l’équilibre pour tomber rudement sur les fesses, l’air hébété en regardant la silhouette de celui qui venait de porter la main sur sa personne.
— Qui a osé ? Vous venez de signer votre arrêt de mort ! hurla-t-il en se relevant les poings fermés.
— Arrête tes bêtises, Taimi, ordonna la voix de son frère, je t’interdis d’agresser Iella ainsi, tu m’entends ! Que je ne te vois plus poser tes mains sur elle ou tu auras affaire à moi !
Des larmes de rage montèrent aux yeux du cadet et firent craindre le pire à la jeune fille qui ne savait pas quelle contenance adopter.
— Tu as osé me jeter à terre ! Toi, mon propre frère ! Tu oublies que je suis le Prince d’Édéna ? hurla-t-il presque au bord de l’hystérie.
— Et toi, tu oublies que je suis le Roi, et que Iella est sous ma protection !
— Ta protection ? Peuh ! Parlons-en de ta protection ! Tu es tout simplement jaloux d’elle !
— Tais-toi, ne dis pas de sottises, tu te comportes comme un enfant trop gâté !
— Que je me taise ? Tu as peur que je dise tout haut ce que d’autres pensent tout bas ? Que je dise que c’est Iella que tu aimes et non celle que tu te prépares à épouser et que tu trompes déjà dans ton cœur ?
Au même moment, Sali et Jarval arrivaient à l’entrée du kiosque.
Un moment auparavant, Calem était entré dans la salle de bal et s’était approché du couple qui dansait pour leur demander.
— Je cherche Taimi… je voudrais le présenter au nouvel ambassadeur d’Aussia. Je l’avais pourtant vu se diriger par ici avec Iella, mais je ne les trouve pas. Vous ne les avez pas vus ?
— Si, répondit Sali à qui rien n’échappait, ils sont partis tous les deux vers les jardins, par là.
Elle désigna du doigt une porte-fenêtre vers laquelle Calem se dirigea aussitôt. Le couple reprit la danse mais au bout de quelques instants, la jeune fille en décida autrement.
— Et si nous allions prendre l’air ? Peut-être pourrons-nous aider mon futur époux à retrouver son frère ?
— Une partie de cache-cache dans les jardins ? répondit Jarval avec entrain, j’en suis !
Quelques minutes plus tard, dans la pénombre du labyrinthe des haies, ils se dirigeaient d’un pas pressé en direction d’éclats de voix qui résonnaient non loin d’eux et qui semblaient provenir d’un petit pavillon de jardin.
Leur entrée coïncida avec le geste fatal de Calem. Ce geste, il ne l’avait pas prémédité. Il était venu tout seul, arrivé avec la perte de sang-froid que la réflexion du cadet avait provoquée. Et ce geste d’impuissance ne pouvait signifier qu’une seule chose : que Taimi avait mis le doigt sur une plaie vive et douloureuse.
Sous l’effet du soufflet qu’il reçut de son aîné, Taimi tourna la tête qu’il immobilisa ainsi quelques secondes, dans le silence le plus complet. Sali porta ses mains à la bouche pour étouffer un cri et Iella sursauta de surprise consternée. Surpris lui-même de son geste, le roi resta bouché-bée, ne sachant plus quelle contenance prendre. Puis, comme au ralenti, le prince redressa son visage vers son frère, la bouche déformée par un rictus de haine et les yeux enflammés par un regard meurtrier.
— Pardon, Taimi, ne put s’empêcher de dire Calem en avançant une main, je ne voulais pas…
Le cadet repoussa vivement le bras tendu vers lui avant de se frotter la joue.
— Je te tuerai pour ça ! laissa-t-il choir froidement dans le silence.
Iella, pétrifiée, lançait des regards horrifiés sur les deux frères. Le mal était fait, on ne pouvait plus revenir en arrière. Elle se sentit coupable d’avoir crié et alerté le roi, pensant qu’elle aurait dû savoir gérer la situation sans en arriver là où ils en étaient.
Taimi tourna les talons et se dirigea vers la sortir du pavillon. Calem essaya de le retenir par l’épaule.
— Écoute, Taimi, je te demande pardon… je ne voulais pas te gifler, mais… avoue que tu as un peu exagéré, là…
Mais le cadet se dégagea brutalement de l’étreinte de son frère et se perdit à pas rapides dans l’obscurité des jardins, laissant sur place les quatre personnes médusés qui échangeaient des regards embarrassés. Un long silence s’ensuivit. Ce fut Jarval qui le brisa d’un ton qui se voulait rassurant.
— Ne t’en fais pas trop, Calem, ce n’est rien. Juste une dispute entre frères comme ça arrive partout. Dans quelques jours, il n’y paraîtra plus.
Sali ne pensait pas du tout la même chose mais resta muette. Ce fut le roi qui exprima tout haut les craintes qu’elle nourrissait intérieurement.
— Non, le mal est fait. Je connais Taimi, il est rancunier comme un enfant obstiné. Je viens de creuser un fossé entre nous deux.
En regardant tour à tour ses amis, il continua.
— Je suis désolé de ce piètre spectacle. Iella, je te prie de lui pardonner sa grossièreté envers toi et je te présente des excuses pour lui. Il est… impulsif et, je le crains, incontrôlable. Je comprendrais parfaitement si tu voulais quitter le palais à la suite de ce regrettable incident.
Iella avala sa salive dans sa gorge sèche, cherchant une réponse appropriée, puis finit par demander.
— Est-ce cela que tu souhaites ?
Embarrassé, Calem regarda Sali avant de lui répondre.
— Non, Iella, je voudrais que tu restes… encore un peu…
Cette fois, ce fut le cœur de la princesse d’Austra qui se serra involontairement. Aurait-elle dû s’attendre à ce que son futur époux renie les paroles que son cadet venait de prononcer ? Taimi avait dit tout haut ce qu’elle pressentait tout en cherchant à se le cacher. Que devait-elle faire ? Laisser les choses aller de l’avant et devenir une épouse par défaut pour le roi ? Ou s’éclipser tant qu’il était encore temps en laissant le roi se consoler auprès de Iella ? Et elle, Iella, quels sentiments nourrissait-elle vraiment pour le jeune homme ?
Sali décida qu’il fallait d’abord qu’elle le sache pour convenir de la suite à donner à tout cela. Ce fut elle qui reprit l’avantage, d’une voix posée, calme, presque autoritaire… une voix de reine.
— Nous ne devons pas laisser cet incident s’ébruiter ni ternir la réception du roi. Il nous faut reprendre notre place parmi les invités. Ensuite nous y réfléchirons posément.
Un silence approbateur accueillit ses paroles. Elle reprit.
— Calem, demain, nous partirons Iella et moi pour un ou deux jours, histoire de changer d’air.
D’abord surpris, le roi fit une moue dont on ne savait si elle était d’approbation ou de contrariété.
— Pour aller où ?
— Il y a deux jours, Iella a parlé de me faire visiter les ruines du Temple d’Édin dans la vallée des Mille Eaux. Je sais que l’accès à ce sanctuaire est interdit sauf autorisation particulière, mais je pense qu’en tant que future reine d’Édéna, je puis y aller et me dois de le faire, ne serait-ce que pour découvrir mon futur royaume !
La fermeté avec laquelle Sali venait de parler laissait peu de place à la négociation si tant est que Calem eût voulu l’empêcher de faire ce voyage.
— Je me serais fait un plaisir de t’y emmener, tu sais, osa-t-il quand même.
— Je n’en doute pas, Calem chéri, répliqua-t-elle en lui caressant la joue, mais j’ai envie d’y aller avec Iella, toutes les deux, entre femmes.
Jarval s’interposa.
— Laissez-moi vous accompagner pour assurer votre protection !
Sali fit non fermement de la tête.
— Quand j’ai dit « entre femmes », ça ne vous incluait pas, malgré toute l’amitié que je vous porte. Je suis certaine que votre compagnie aurait été des plus agréable, mais, c’est non.
— Mais je ne peux te laisser partir ainsi, sans escorte, protesta le roi.
— J’en conviens. Tu peux donc prévoir l’escorte qui te satisfera, mais sans toi et sans Jarval. Et je te le demande comme une faveur… une sorte de cadeau de pré-fiançailles si tu veux.
Le sourire de la jeune femme ne le disputait pas à la résolution qui brillait dans ses yeux et qui emporta l’assentiment plus ou moins contraint de son futur époux.
— Soit, deux jours pas plus, capitula-t-il en lui baisant les lèvres. Jarval, je te charge d’organiser tout ça et de choisir une douzaine d’hommes sûrs pour les accompagner !
— À tes ordres, Calem, je m’en charge évidemment. Néanmoins, la vallée des Mille Eaux est une zone sûre, absente de toute présence humaine… un petit paradis sur Édéna. Nous ne devons pas nous inquiéter pour une escapade là-bas…
— Évidemment, mais on n’est jamais trop prudents.
— Bien, maintenant, nous ferions mieux de nous remontrer ou les gens vont se douter de quelque chose, conclut Sali en sortant du pavillon.
Le petit groupe lui emboita le pas et retourna à ses devoirs en regagnant la réception. Au Grand Chambellan qui s’inquiétait de la disparition du prince, on répondit que ce dernier était fatigué et avait dû regagner ses appartements. Peut-être couvait-il quelque chose ?
Ce fut Diva qui essuya la colère hystérique de son amant lorsqu’il regagna ses quartiers.
— Il m’a frappé ! Tu te rends compte ? Il a osé lever la main sur moi comme… comme si… si j’avais été un enfant ! Et devant cette pute et Jarval… et cette petite garce de Sali qu’il n’aime pas, j’en suis certain ! Je sais que c’est parce que je lui ai envoyé la vérité à sa face de chien qu’il m’a giflé !
La Sith crissa des dents et serra les poings. Si son Maître lui avait enseigné la patience, ce n’était pas vraiment son point fort. Elle aurait volontiers pris son sabre laser pour se débarrasser de tous ces personnages qui commençaient à l’ennuyer prodigieusement avec leurs histoires.
— Je vais le tuer ! continuait Taimi dans sa rage. Et toi, sorcière, tu ne dis rien ?
La tête enfouie dans ses doigts crispés, il se trouvait assis sur le bord du lit dans la chambre plongée dans la pénombre, cependant que sa maîtresse regardait par les fenêtres les lueurs de la fête qui se déroulait en ville.
— Pourquoi tu ne dis rien ? hurla-t-il. Tu pourrais au moins prendre mon parti !
Les yeux de la theelin se plissèrent pour ne plus former qu’une fine ligne noire derrière laquelle un éclat écarlate se mit à luire. Les traits de son visage semblèrent changer un court instant, marqués par une ombre fugitive et ses joues se creusèrent pendant que les coins de la bouche s’affaissaient en un rictus inquiétant. Cette altération ne fut que de courte durée, cessant presque aussitôt et l’éclat rouge de ses yeux avait disparu lorsqu’elle les rouvrit.
Revenant jusqu’à lui, elle s’assit à ses côtés et prit sa tête contre sa poitrine comme une mère avec un enfant qui a du chagrin.
— Tu veux te venger de ton frère ? Fort, bien, je vais m’employer à t’aider.
Puis elle ajouta.
— Et si au lieu de le tuer, tu lui prenais plutôt son trône ?
— Son… trône ? balbutia Taimi d’une vois étouffée. Co… comment veux-tu…
— Calem s’est fait beaucoup d’ennemis ces derniers jours avec la réforme sur l’esclavage qu’il vient d’entreprendre et le général Pardo ne le porte pas dans son cœur depuis qu’il lui a interdit de poursuivre les Kiathes. Et si nous arrivions à convaincre ce cher général, qui commande à toutes les armées, que son intérêt est de s’allier avec la Forteresse du Désert de Sang avec toi comme roi ; qu’ainsi, il pourrait restaurer tout l’éclat ancestral du Royaume et étendre son hégémonie sur la planète tout entière ?
Taimi s’arracha de son étreinte pour pouvoir la regarder en face.
— Avec la… forteresse ? Mais qui es-tu vraiment, Dolmie ?
Elle lui posa son index dressé sur les lèvres.
— Chut, les réponses à tes questions viendront en leur temps. Fais-moi seulement confiance et sous peu tu règneras sur Édéna en Maître absolu.
Il baissa les paupières puis la tête.
— Entendu, je te fais confiance, Dolmie. Fais de moi ce que tu voudras pourvu que je puisse tenir ma vengeance entre mes mains.
— Ce que je veux ? répéta-t-elle avec une douceur toute sensuelle.
— Ce que tu veux, souffla-t-il.
Puis après un silence il reprit.
— Mais si Pardo commande les armées, il ne commande pas la Garde royale. C’est Jarval qui en est le chef, sous l’autorité directe de Calem !
La Sith prit le visage du prince entre ses mains pour l’embrasser.
— Alors, tant pis pour la Garde… et tant pis pour Jarval !
Le sourire qui se dessina sur son visage fit éclater la blancheur de ses canines pointues qui ressemblaient à cet instant précis, aux crocs d’un nexu.
Les deux silhouettes s’allongèrent sur le lit dans l’obscurité. Diva savait parfaitement ce qu’il fallait faire pour calmer son petit prince, marionnette insignifiante entre ses doigts mais amant parfait qu’elle regrettait d’avance de devoir tuer sous peu.