- Je ne négocierai pas ce point-là, affirma Fett d’une voix tranchante.
Cela arracha un énième soupir à Valorum.
- Vizsla doit être jugé par la Cour de Justice Républicaine pour ses méfaits.
- Pour ressortir dans combien de temps ? demanda le
Mand’alor en levant les yeux au ciel. Vos prisons sont des passoires incapables de retenir ce genre d’ordures. Ses sbires le libéreront avant même que vous n’ayez pu programmer son audience.
- Cela ne retire rien au caractère barbare d’une exécution…
Jagen, assis entre les deux hommes, suivait le débat d’un regard amusé. Pour l’heure, il n’était pas intervenu, mais il sentait bien qu’il ne pourrait pas rester neutre plus longtemps.
- Sénateur, je pense comprendre votre point de vue, déclara-t-il d’une voix affirmée. Selon vous, la République doit capturer tous ses ennemis en temps de paix ?
- Il en va de notre honneur et du bon fonctionnement de notre démocratie, répondit le politicien.
- Je sais, je sais. Mais si nous étions en guerre ? Quel serait le protocole à suivre ?
- En guerre ?
- Techniquement, nous y sommes. Vizsla et les Kordiens ont attaqué un vaisseau diplomatique en pleine connaissance de cause. Puisque nos ennemis contrôlent apparemment plusieurs planètes, ils peuvent être considérés comme un groupe politique hostile et plénipotentiaire qui a attaqué la République sans raison. Quel autre terme que « guerre » pour décrire cela ?
- Jagen, dit sévèrement Valorum, je ne cautionne pas cette démarche.
- Moi non plus, sénateur. Moi non plus. Mais il ne s’agit en aucun cas d’un conflit majeur, plutôt d’une opération de défense qui sera vite réglée. Il suffirait qu’un membre du Sénat – vous, par exemple – utilise l’article 516-D de la Charte pour justifier l’intervention sans l’accord du Chancelier Suprême.
Fett regardait tout cela avec un large sourire.
- Dans ce cas-là, la mort de Vizsla ne serait plus un problème ? demanda-t-il enfin.
- Ce serait même un objectif à considérer, répondit très sérieusement le jeune colonel.
- Ça me va, répondit le guerrier. Les
Mando’ade se joindront à vous.
Il se leva brutalement et saisit son casque, jusque-là posé sur la table.
- Je vais participer à l’installation du camp avec mes hommes.
Sans ajouter un mot, il sortit, laissant seul le diplomate et le militaire.
- J’espère que vous savez ce que vous faites, Jagen, déclara sans réserve Valorum en se levant à son tour.
- Sénateur, ce que je sais, c’est que nous nous trouvons sur un caillou écarté des voies commerciales et sans moyen de communication, avec des dizaines, peut-être même des centaines de personnes qui rêvent au mieux de nous capturer. Si les Mandaloriens sont notre seule chance et qu’ils veulent la tête d’un criminel notoire comme unique récompense, je trouve que ce n’est pas cher payé.
- Vu sous cet angle, c’est un marché de la dernière chance.
- Je n’ai jamais prétendu le contraire. Mais si Fett nous abandonne, nous allons nous retrouver seuls. Et ni moi, ni mes hommes ne sommes préparés à ce genre de choses. Notre terrain, c’est l’espace. Ici, nous sommes presque sans défense.
- Vous m’effrayez, Jagen.
- Je sais.
- Qu’allez-vous faire, à présent ?
- Me rendre utile. Si vous voulez bien m’accompagner…
Ils quittèrent côte-à-côte la tente et se retrouvèrent au milieu de ce qui devenait une véritable forteresse. Les Mandaloriens et les Républicains travaillaient ensemble, main dans la main, pour renforcer les remparts établis en précipitation par les droïdes. Ceux-ci étaient à leur gauche en plein travail d’excavation ; ils creusaient dans la roche de la petite falaise au-dessus d’eux pour leur ménager des positions souterraines sûres.
- Cela ne risque-t-il pas de s’effondrer ? demanda Valorum en voyant la galerie qui s’enfonçait sous terre.
- Aucun risque, répondit le colonel en y jetant un coup d’œil. Quand l’excavation sera terminée, les droïdes ajouteront une couche d’alliage en fusion pour assurer le maintien de l’ensemble. Tout a été programmé.
Il s’interrompit.
- Je me demande d’ailleurs pourquoi nous avions de tels droïdes dans le
Freedom Messenger, reprit-t-il après un instant de réflexion.
- Sans doute est-ce pour la base d’Ord Biniir, où vous deviez me conduire ensuite.
- Ord Biniir ? répéta Jagen. Pourquoi ?
- Mon neveu fait partie du personnel civil de l’endroit, répondit vaguement le sénateur. Les planificateurs ont sans doute préféré envoyer un seul vaisseau au lieu de deux quand ils ont appris que j’irais là-haut.
- Et on ne m’en a même pas informé…
- Toutes mes excuses, Jagen. Mais j’avais bien d’autres choses en tête…
Sans rien ajouter, ils sortirent du camp par la sorte de pont-levis qui avait été aménagée au milieu de l’enceinte semi-circulaire. Dehors, quelques mandaloriens entraînaient au tir des membres de l’équipage, plus habitués à se battre avec des ordinateurs qu’avec des blasters. Jagen repéra Galieet, à qui le dénommé Silas enseignait le port du blaster. Le givin se montrait attentif, mais ses talents limités dans ce domaine semblaient exaspérer son instructeur.
- Et dire que vous appelez ça des « guerriers »… dit une voix derrière eux.
Jagen se retourna. Fett avait remis son casque, mais il restait aisément reconnaissable à sa démarche et à l’impression de dur à cuire qu’il dégageait.
- Mettez-le aux commandes d’une corvette, et vous verrez qu’il en est un, répondit calmement le colonel.
- Ce n’est pas ce que j’appelle se battre, répondit le mandalorien.
- Vraiment ? Alors, qu’est-ce donc ? Un plaisir ?
- Un jeu. Tout se passe à distance, avec un incroyable sentiment d’impunité. Les boucliers, les canons longue portée… Tout cela n’a rien d’un véritable combat.
- Vous vous trompez, Fett. Vous ne savez pas ce que l’on ressent aux commandes d’un vaisseau spatial, quand on a des vies à sa charge et peu de chances de s’en sortir en cas d’erreur.
- Sur le champ de bataille, on n’a pas non plus de deuxième chance. Cours vite, tire bien, ce sont les règles que l’on peut suivre.
- Dans l’espace, c’est plus une question d’unité. Ce n’est pas le nombre, mais la cohésion qui fait la force. Un simple chasseur peut avoir plus d’importance qu’un croiseur.
- Foutaises. Le vainqueur est celui qui a la plus grosse. N’est-ce pas pour cela que vous avez fait construire votre destroyer ?
Ainsi, Fett était au courant pour le chantier du
Knight’s Blade.
- Pas exactement. L’armement lourd est un atout, mais c’est surtout le blindage et la capacité d’accueil des chasseurs qui m’ont intéressé.
- Pour que d’autres puissent aller se faire massacrer à votre place ?
- Pour qu’ils puissent se faire réparer quand ils en ont besoin.
- Vous êtes vraiment un beau parleur.
- Tout comme vous, Fett.
- Ne me prenez pas à la légère, Eripsa. On dirait bien que vous avez besoin d’une correction.
- Si cela vous chante. Blasters en position paralysante ?
Il avait toujours eu une assez bonne adresse aux exercices de tir de l’Académie. Même s’il ne pouvait pas raisonnablement l’emporter face à un guerrier mandalorien surentraîné, il prouverait ainsi que ce n’était pas dans ses manières de se défiler.
À sa grande surprise, Fett déclina l’offre.
- Je parlais d’un vrai duel, à l’ancienne.
Il fit signe à l’un de ses hommes et lui cria quelque chose dans leur langue. En réponse, le soldat lui apporta ce qui ressemblait à une vibrolame assez brillante.
-
Beskad, déclara Jango en exposant l’arme. Vous n’en avez pas, bien entendu. Mais une vibrolame fera l’affaire.
- N’est-ce pas inégal ? fit remarquer Valorum, qui avait jusque lors observé sans rien dire. Vous avez plus de protections que Jagen…
- C’est exact.
Il enleva son casque et commença à défaire ses plaques de métal lourd. Dans le même temps, Jagen retira son plastron.
- Peut-être devrais-tu… commença le sénateur.
- C’est solide contre les blasters, coupa le militaire, mais contre une lame de ce genre… Il est bien plus charpenté que moi. L’agilité sera ma meilleure arme. Et puis, après tout, ce n’est pas un duel à mort.
- C’est ce que nous verrons…
Les entrailles du jeune homme grouillèrent.
Les doutes de Finis n’ont rien de bien rassurant… Enfin, bref, je suis un Eripsa. Et corellien, de surcroît. Qui donc pourrait me résister ?- Vous êtes prêt ? lui lança Fett, son sabre levé.
- Allons-y, répondit Jagen en l’imitant.
Les deux hommes ne firent au début aucun geste. Puis ils se mirent à marcher sur le côté, l’un en face de l’autre, comme pour délimiter une arène circulaire. Autour d’eux, les membres d’équipage et les mandaloriens se pressaient pour les observer, gardant une distance raisonnable pour éviter d’éventuels coups manqués.
Puis ce fut l’attaque. Jagen sentit que son adversaire allait donner le premier coup, et l’anticipa sans problème. Le mandalorien abattit sa lame sur le vide, tandis que le colonel s’écartait largement. Étant plus grand que le guerrier, il disposait d’un avantage non négligeable. Sa propre arme fendit l’air horizontalement, la pointe cherchant à toucher Fett ; mais celui-ci recula et balaya devant lui d’un grand coup, ce qui permit de dévier la lame de Jagen et le laissa sa protection. Mais le jeune homme n’était pas sans ressource pour autant ; il se dégagea pour se mettre hors de portée du
Mand’alor et reprit sa position originelle, cherchant à toute vitesse le point faible de son adversaire.
Il lui fallut pourtant quatre autres échanges pour entrapercevoir un début de réponse. Fett, pour compenser sa taille réduite par rapport à lui, avait tendance à donner des coups assez larges et puissants pour le déstabiliser. Ses attaques en pointe n’étaient pas assez puissantes pour vaincre le guerrier ; mais il pourrait parvenir à la victoire en changeant radicalement de tactique. Tentant le tout pour le tout, il profita d’une des puissantes rafales de Fett pour coincer son arme et la saisir. Le mandalorien, surpris, la lâcha involontairement. Jagen, sans perdre de temps, prit une lame dans chaque main et les pointa sur la gorge du guerrier.
- Vous avez perdu, déclara-t-il avec un sourire sur les lèvres.
Fett lui lança un regard mauvais.
- Un simple coup de chance, maugréa-t-il en tendant la main.
Jagen lui rendit son
beskad, en s’assurant bien évidemment que le mandalorien ne tenterait pas de le prendre par surprise.
- Appelez-ça comme vous voulez, répondit-il avec philosophie..
************
Le soir tomba bien plus tardivement que Jagen ne l’avait pensé. Il avait en effet négligé les caractéristiques de la planète, dont la rotation durait près du double du standard de Coruscant. Mais, si cela retarda le repas qu’ils devaient prendre – le premier depuis le crash du vaisseau –, cela permit également de rallonger les préparatifs et donna lieu à ce qui pourrait s’apparenter pour ces naufragés à un véritable festin.
Les droïdes avaient récupéré de nombreuses rations à bord du
Freedom Messenger, mais Jagen et Jango avaient d’un commun accord décidé de les épargner en attendant des jours plus durs. Plusieurs hommes étaient donc partis en fin d’après-midi pour chasser du gibier, qui selon les dires des Mandaloriens était à la fois abondant et savoureux sur Korda VI.
- C’est dans ces moments-là qu’on peut regretter que vous n’ayez pas amené de
Jetiise avec vous, grommela Myles en découpant le côté d’une des bêtes qui rôtissaient sur le feu de camp central. Un
Jetiikad nous aurait épargné bien des efforts.
- Je croyais que vous n’aviez besoin de personne pour survivre ? lâcha Jagen d’un air goguenard.
- Ce n’est pas pour autant qu’on aime le travail inutile, répondit le mandalorien en lui tendant une gamelle avec un large morceau.
Le jeune colonel le remercia et examina la part qu’on lui avait servi. La viande avait une couleur rouge braisée, et était plutôt dure lorsqu’il tenta de la piquer avec sa fourchette. Cependant, une fois en bouche, elle révéla un goût fort mais agréable qui ne lui faisait nullement regretter les rations habituelles.
Du coin de l’œil, il vit Fett, assis à l’écart, qui ne disait mot.
Peut-être a-t-il honte de sa défaite face à moi tout à l’heure, songe Jagen. Légèrement pris par le remords, il s’approcha du guerrier, sa gamelle toujours en main.
- Vous êtes en train de bouder ? demanda-t-il en arrivant à la portée du
Mand’alor.
Jango ne l’avait visiblement pas vu, puisqu’il parut surpris que l’on s’adresse à lui.
- Je m’inquiète pour une de mes patrouilles.
- Que se passe-t-il ?
- Ils auraient dû revenir voilà plus d’une heure. Je les avais envoyés à proximité de la route, à six klicks d’ici… J’ai bien peur qu’ils aient été victimes d’une embuscade.
- Ils n’avaient pas de comlink ?
- Malheureusement non.
Jagen ne sût pas quoi répondre, puisqu’il n’avait jamais eu à faire face à une situation de ce genre.
- Je suis sûr qu’ils vont bien, déclara-t-il avec un sourire provoqué. Ce n’est qu’un petit…
Il fut interrompu par un rugissement énorme qui provenait de la forêt. Le bruit intense dura quelques secondes et interrompit toutes les conversations. Lorsqu’il cessa enfin, ce fut pour laisser la place à des ordres donnés à la va-vite par les lieutenants de Fett, qui se ruaient sur leurs casques et leurs armes.
- Qu’est-ce que… commença le jeune colonel.
Une fois encore, il n’eût pas le temps de finir sa phrase.
Une immense créature lézardesque jaillit des profondeurs du bois qui les entourait en fonçant vers eux, une lueur de folie sauvage et meurtrière dans les yeux. Devant elle, plusieurs mandaloriens – la patrouille perdue de Jango, comprit Jagen – tentaient tant bien que mal d’échapper à son courroux. Mais rien ne semblait pouvoir l’arrêter ; un arbre fin, rescapé de l’incendie qui avait dégagé l’endroit, fut déraciné par la bête sans que cela ne la ralentisse.
La majeure partie du groupe courut se réfugier derrière les barricades édifiées plutôt, espérant qu’elles suffiraient à décourager l’odieuse créature. Mais Jagen et Jango n’avaient aucune chance d’y parvenir ; la trajectoire de la bête passait entre eux et le camp de fortune.
Jagen était fasciné par la puissance de cet être vivant, plus grand que tous ceux qu’il avait croisé jusque lors en liberté. Mais sa curiosité se transforma en peur paralysante lorsqu’il croisa le regard de la créature, un regard jaune empli de haine envers l’univers. À ce moment-là, elle s’arrêta et se tourna vers lui.
Fett cria un juron et s’empara de ses deux pistolets blasters avant de faire feu sur le visage de la bête. Mais Jagen, pour sa part, était sans arme et tétanisé. Il avait l’impression de sentir le souffle du monstre sur lui.
Le
Mand’alor lui lança quelque chose, qu’il rattrapa de justesse. Avec surprise, il reconnut le
beskad avec lequel Fett l’avait affronté tout à l’heure.
- Les yeux ! hurla le guerrier. Aveuglez-le !
Il s’adressait à ses propres hommes, qui disposaient sans doute de grenades aveuglantes. Mais Jagen prit l’ordre pour lui et leva la lame.
Il entendit Finis lui crier quelque chose, mais il n’en tint pas compte. Toute son attention était consacrée sur le monstre. Alors que celui-ci arrivait sur sa hauteur, il se jeta sur le côté, espérant être à une distance suffisante pour l’éborgner sans danger.
C’est à ce moment-là qu’il comprit qu’il avait lourdement sous-estimé la largeur de la bête.
Le choc fut terrible. Jagen ressentit une douleur vive à l’estomac et se retrouva catapulté sur le haut de la tête de la créature, qui n’avait pas plus que lui comprit ce qui venait de se passer. Essayant de se dégager, il se rendit compte que sa veste de combat était prise dans les écailles du monstre ; cela lui sauva la vie, puisqu’il aurait pu sans cela se faire piétiner. Du coin de l’œil, il vit le sabre mandalorien coincé au-dessus de l’oreille de la bête ; rassemblant ses esprits malgré la douleur, il s’en saisit et la planta dans l’œil droit de l’animal. Celui-ci hurla, et aveuglé aussi bien physiquement que par la douleur, il glissa et bascula sur le flanc. Un silence de mort s’abattit alors sur la scène.
Mais il ne dura pas bien longtemps. Très vite, tous accoururent au secours de Jagen, coincé sous la masse de chair du monstre. Ils s’approchèrent avec circonspection de la créature, avant de s’apercevoir qu’elle était morte ; la chute avait enfoncé plus profondément la lame et lui avait ainsi transpercé le cerveau. Le jeune colonel avait au contraire eu de la chance ; il apparut très vite que seule une jambe était réellement prise, et il fut vite dégagé. Valorum le serra fort contre lui.
- Doucement, Finis… marmonna-t-il sans trop savoir quoi dire d’autre.
- Si tu avais été tué, répondit vigoureusement le sénateur, ton père ne m’aurait jamais pardonné ! s’exclama le sénateur.
- Justement, ne m’achevez pas ! répondit-il avec un large sourire.
La douleur se dissipait lentement, ce qui lui permit de remettre de l’ordre dans ses pensées. Toutefois, il restait sous le choc de ce qui venait de se passer, et, s’il n’avait pas senti aussi distinctement ce qui s’était produit, il aurait sûrement cru à un banal rêve.
Cette dernière hypothèse lui revint en tête lorsqu’il aperçut Fett lui tendre une main amicale pour l’aider à se relever.
- Jamais je n’aurais cru qu’un
shabuir de la République aurait suffisamment de
gett’se pour faire ce genre de choses, déclara le
Mand’alor avec un sourire intrigué.
************
Trois jours plus tard
La stratégie était une part importante des enseignements prodigués au sein de l’Académie d’Anaxes. Les enseignants dans ce domaine étaient parmi les meilleurs de la galaxie, et suivaient une tradition établie depuis des millénaires. La proportion de non-humains y était plus forte que dans les autres disciplines, à raison : la différence d’espèces impliquait également des schémas de pensée divergents, ce qui était fort utile pour se sortir d’une situation conflictuelle. De nombreux fonds étaient alloués à cette matière, si bien que les élèves disposaient des tables holographiques dernières modèles et des ordinateurs de calcul les plus perfectionnés. En général, quand un cadet obtenait son diplôme de l’Académie, il était capable de surpasser sans le moindre effort un orphelin ayant grandi au sein d’une bande de guerriers en armure.
Théoriquement.
Car ce raisonnement ne tenait pas compte d’une caractéristique essentielle des compétences stratégiques : l’expérience. On pouvait donner aux élèves la meilleure formation du monde, ils n’en restaient pas moins des bleus n’ayant jamais connu le feu du combat.
Jagen savait que son vieux « camarade », Kendal Ozzel, rejetterait son choix avec mépris. Il concevait même que certains de ses amis, comme Ait Convarion, rechigneraient à se placer sous les ordres d’un mercenaire à la loyauté variable. Mais il se devait d’admettre son inexpérience la plus totale dans les combats terrestres. Fett connaissait les armes, le terrain, et, plus important encore, l’ennemi. Il commandait donc tout naturellement la coalition formée par les Mandaloriens et les quelques membres d’équipage du
Forte Tête.
Le jeune colonel était bien entendu son second officiel, mais officieusement, c’était le dénommé Myles qui l’aidait à coordonner les troupes. Cependant, le
Mand’alor lui faisait confiance, et le respectait même depuis l’attaque du monstre.
-
C’était un zakkeg, avait expliqué Fett pendant qu’un des droïdes médecins du
Freedom Messenger l’examinait, suite au combat.
Une espèce que nos ancêtres ont rencontrée sur la lune d’Ondéron, Dxun. Vizsla en a récupéré quelques-uns pour les lancer à nos trousses. Il n’est sans doute pas loin. Visiblement préoccupé, il était reparti aussi vite. La patrouille mandalorienne était alors entrée, et l’avait salué en le remerciant d’être intervenu et d’avoir détourné l’attention de la bête. L’un des guerriers, sans que Jagen sache pourquoi, était légèrement resté en retrait, et n’avait pas prononcé le moindre mot. Cela intriguait le jeune colonel, qui en avait parlé à Fett ; mais celui-ci était resté très évasif.
-
Certains de mes hommes ont des raisons bien personnelles de détester la Tsad Droten,
la République, si vous préférez. Mais ne vous inquiétez pas, ils n’oseront pas s’attaquer à vous… Tant que vous êtes sous ma protection.Bizarrement, l’explication n’avait pas suffi à Jagen, sans qu’il sache pourquoi.
Un éclat de voix le ramena brusquement au présent.
-
Shab ! hurla Jango en frappant du poing sur la table de fortune installée dans la tente de commandement. Un jour de plus, et nous aurions eu le temps de finaliser nos surprises !
- Nous en avons déjà beaucoup pour Vizsla, rappela Myles en essayant de calmer son supérieur. Nous allons lui tendre un piège dont il ne réchappera pas. Les tranchées-leurre, les capteurs thermiques, le champ de mines…
- Nous pourrions en faire plus !
- Nous pourrions
toujours en faire plus, mais ce n’est plus le moment. Vizsla sera là demain à l’aube. Nous n’y pouvons rien.
- On pourrait le retarder…
- Cela nous coûterait des hommes et du matériel, et nous n’avons ni l’un ni l’autre.
Fett sembla un instant sur le point de lancer une réplique cinglante, mais il se ravisa. Il n’avait rien à répondre. Son lieutenant avait exposé la triste vérité.
Il se tourna vers son partenaire républicain.
- Qu’en pensez-vous ? demanda-t-il au jeune colonel.
Jagen prit le soin de peser chacun de ses mots.
- Nous sommes dans une position défavorable, finit-il par déclarer. Nous n’avons pas l’avantage du nombre, ni celui des armes. Et mon équipage n’est pas formé pour le combat à terre. Pour autant, il n’existe pas d’échappatoire. Vizsla et ses hommes veulent s’emparer d’un Sénateur de la République, et il ne reculera devant rien pour capturer un otage de cette ampleur. Mon devoir est de l’empêcher de parvenir à ses fins, avec votre aide ou pas.
- Notre participation n’est pas à remettre en cause, trancha le
Mand’alor.
- J’en suis ravi.
- Vous êtes prêt à mourir ?
La question prit Jagen au dépourvu. Elle était pour le moins… troublante.
La mort. Il n’y avait jamais vraiment pensé. Pas même lors de sa bataille en orbite de Corban III, quelques mois auparavant. Pouvait-on être prêt à la fin, au néant ? Sans doute pas. La preuve, c’est qu’on cherchait par tous les moyens de s’en préserver. Et, même lorsqu’elle nous frappait… Les peuples ne s’abreuvaient-ils pas de religions ? Les Corelliens n’avaient-ils pas Neuf Enfers, chacun dédiés à un péché particulier, et un Paradis pour ceux qui en étaient exempts ? Les Givins ne croyaient-ils pas qu’une équation mathématique régissait l’ensemble des destins, et que leurs morts avaient pour mission de la compléter ? Les Jedi eux-mêmes ne pensaient-ils pas que les morts se fondaient dans leur mystérieuse « Force » ?
- Non.
Le regard de Fett se fit plus insistant.
- Je n’ai pas l’intention de laisser Vizsla ou un de ses laquais s’en prendre à moi… Pas plus qu’à aucun de mes hommes.
Un sourire se forma sur les lèvres du mandalorien, qui jeta un coup d’œil à son second, qui répondit par un hochement de tête entendu.
- Bonne réponse, dit Fett. Et je crois que nous pouvons vous aider à remplir votre objectif.
************
Le moins que l’on puisse dire des Mandaloriens, c’est que leur système d’équipement valait au moins mille fois celui de la République.
En moins de vingt minutes, Jango avait pu récupérer ici ou là l’ensemble des composants nécessaires à la constitution d’une armure intégrale, d’une
beskar’gam, pour reprendre le mot employé par Myles. En effet, les commandos disposaient toujours de quelques pièces d’armures en réserve, pour remplacer celles qui seraient éventuellement endommagées lors des combats. Il avait ensuite suffit de récupérer une combinaison intégrale magnétique pour les fixer, ce qui avait été assez facile, puisqu’il y en avait quelques-unes dans les réserves du
Freedom Messenger.
La question de l’arme avait eu plus de mal à être résolue. L’entraînement de l’Académie d’Anaxes ne portait que sur des armes de défense rapprochée. Mais un simple pistolet ne pouvait guère faire de poids pendant une bataille en règle. Jango en avait deux – des modèles plus perfectionnés que ceux des officiers de la République, et qui semblaient avoir été lourdement modifiés -, mais ce mode de combat ne pouvait convenir qu’aux personnes entraînées à les manier simultanément. Jagen s’était donc équipé d’un fusil standard, une carabine E-7 de chez Blastech qui traînait dans l’équipement du
Freedom Messenger, et qu’un mécanicien mandalorien avait remis en état. L’arme était longue et, partant de là, impressionnante, mais elle faisait pâle figure à côté de certains fusils à répétition lourds que portaient les commandos. Le principal était bien sûr qu’il sache la manier, et, après quelques essais, il y était parvenu assez facilement.
Il se trouvait donc là, avec son armure mandalorienne et son fusil, dans la troisième tranchée creusée autour du camp de base. Au nombre de cinq, elles formaient un cercle presque complet qui n’était interrompu que par l’à-pic rocheux qui surplombait les tentes de commandement. À une centaine de mètres de là, l’épave du
Freedom Messenger gisait sur un tapis de cendres. Le Croiseur Consulaire offrait à présent une ressemblance frappante avec un cadavre qui serait resté trop longtemps à l’air libre ; on remarquait en effet moins ses dégâts que les pièces qui manquaient, tels des morceaux de chairs arrachés par des charognards, démontés par les droïdes pour former une muraille de fortune autour du camp.
Tous les combattants étaient retranchés sur les quatre dernières tranchées, à l’exception de deux ou trois éclaireurs qui opéraient en avant-garde depuis la première. Fett était aux commandes de la deuxième, Myles de la quatrième, et Jurgan, le seul républicain qui ait une expérience de ce genre de combat, se chargeait de la cinquième, sous les regards inquisiteurs des soldats de son ancien peuple. Aux côtés de Jagen, il y avait une majorité de mandaloriens, dont le guerrier resté en retrait la veille, qui se tenait à présent sur sa droite. Quelques-uns de ses propres hommes, dont Chrwarrok et Ren Jorvis, étaient également là. Tous étaient équipés d’armures plus lourdes que leurs amis restés en retraits avec Jurgan, à l’exception du wookiee, dont les grognements agressifs avaient dissuadé toute tentative pour lui enfiler une protection.
Le démontage du
Freedom Messenger n’avait pas seulement fourni des protections aux défenseurs ; ils en avaient également profité pour récupérer deux tourelles anti-chasseurs, qui pouvaient selon toute logique les préserver sans problème de l’infanterie ennemie. Elles étaient montées sur l’éperon rocheux derrière le camp ; Tern Hoovys et Jos Geraan s’en occupaient, protégés par tout un détachement de mandaloriens sous le commandement de Silas.
Enfin, il y avait le sénateur Valorum. Celui-ci se trouvait dans les sous-sols de leur camp de base, dans une cavité creusée par leurs droïdes-ouvriers. L’entrée en avait été condamnée quelques minutes auparavant, et Valorum ne pouvait à présent être en lien avec le monde extérieur que par le biais de son comlink.
Ce fut après une demi-heure d’attente que les premiers signes de l’arrivée de l’ennemi parvinrent à Jagen. Ce fut tout d’abord une infime variation sonore portée par les vents de Korda VI, que les oreilles humaines ne pouvaient percevoir ; mais le
buy’ce offert à Jagen par ses nouveaux alliés était équipé de capteurs auditifs évolués, capables de détecter ce genre d’avertissements. Puis le bruit se fit peu à peu audible, et l’engin qui le provoquait apparut enfin.
Fett avait averti ses alliés que Vizsla disposait d’un char de combat, mais Jagen ne s’attendait en aucun cas à cela. L’engin qui leur faisait face était monumental, bien plus impressionnant que les appareils de combat de la République, et équipé d’armes lourdes qui, fort heureusement, semblaient avoir été endommagées au cours des affrontements antérieurs. C’était, comme le comprit le jeune colonel avec effroi, un engin minier, tels que ceux utilisés sur les mondes de la Bordure Extérieure par les grandes compagnies minières comme la TaggeCo ou la Galaxy Mining Corporation. Il avait dû être abandonné là, sur Korda VI, suite à une tentative infructueuse de s’emparer des richesses du sous-sol de la planète ; un tel engin était dur à déplacer, ce qui expliquait qu’on les assemble généralement une fois arrivés à destination. C’était, entre les mains de Vizsla, une arme de destruction massive.
Heureusement, Fett connaissait son existence, pour l’avoir déjà affronté. Il eut un instant d’hésitation en voyant le monstre de métal, mais sa résolution lui revint rapidement.
-
Très bien, on suit le plan A, comme convenu, déclara-t-il sur le canal général.
Lancez les roquettes. Un autre ordre était caché derrière ces paroles, mais il nécessitait un secret absolu pour être efficace ; on ne pouvait donc risquer qu’il arrive aux oreilles de la Death Watch. Cependant, ces mots n’étaient pas qu’un code.
Plusieurs missiles jaillirent de la quatrième tranchée, derrière Jagen, et, s’il fut relativement épargné par le bruit grâce à son casque, il vit du coin de l’œil que tous ses collègues n’avaient pas cette chance. Heureusement pour eux – dans un sens –, il n’y aurait qu’une seule vague de tirs.
Les projectiles suivirent une trajectoire balistique presque parfaite. Les canons du char et les blasters des commandos renégats se tournèrent rapidement dans leur direction – si rapidement que Jagen se demanda s’ils n’avaient pu intercepter leur transmission. Les salves de lasers n’eurent aucun mal à se débarrasser des missiles, et ce malgré leur vitesse.
Le premier assaut des défenseurs était apparemment un échec.
-
Ouvrez le feu ! ordonna alors le
Mand’alor.
Plusieurs hommes des Death Watch, qui tournaient encore leurs yeux vers le ciel, furent fauchés sans pitié par les premiers tirs. Mais les autres se ressaisirent vite et visèrent les commandos mandaloriens. Heureusement, ceux-ci bénéficiaient de l’abri de la tranchée. Jagen ne pouvait guère les soutenir, le risque d’un tir ami étant bien trop grand dans ces conditions.
Puis le char entra en action. Une décharge s’abattit sur la tranchée de Jagen à cinq mètres sur sa gauche, ce qui suffit à le projeter dans les airs, comme bon nombre de ses alliés ; cependant, deux de ses combattants n’eurent pas cette chance, et furent proprement carbonisés par le laser, avant même d’avoir eu le temps de prendre part à la bataille.
Une rage nouvelle, qu’il n’avait jamais ressentie, prit naissance dans les entrailles de Jagen. Il eut soudainement envie de se jeter sur la Death Watch toute entière et de l’attaquer au corps-à-corps, d’enfoncer une vibrolame dans leurs corps pouilleux. Il se sentait en colère, et avait envie de faire mal. Sa respiration s’accentua brutalement.
Qu’est-ce qui m’arrive ? Il s’abaissa sous le couvert du mur de terre devant lui et appliqua toute la force de son esprit à se calmer. Il ne pouvait pas se permettre de laisser tomber ses alliés maintenant. Il n’allait pas laisser un simple accès de panique prendre le pas sur sa volonté.
Se redressant, il saisit son arme et ajusta un soldat ennemi qui, inconscient du danger qui le menaçait, se précipitait vers la première tranchée à l’abandon. Le tir l’atteignit à la gorge, et il s’effondra dans la boue du champ de bataille. La créature qui le suivait – un togorian, reconnut Jagen après quelques secondes, portant quelques plaques d’armures des Death Watch – ne prit même pas la peine de le contourner et le piétina sans ménagement. D’autres cibles se présentaient désormais au jeune colonel ; les salves épisodiques du char avaient clairsemé les rangs de Fett, et les éclaireurs s’étaient tous repliés derrière lui. Il en choisit une qui lui semblait menaçante et fit à nouveau feu.
Et, soudain, tout sembla bouleversé.
Ce fut d’abord un bruit, sourd, puissant, faisant penser au grondement d’un volcan. Puis il y eut la lumière : une onde aveuglante qui provenait de l’intérieur du char, un rideau de feu contenu par le blindage en duracier renforcé de l’appareil. Enfin, il y eut le choc, lorsque le monstre de métal, incapable de résister plus longtemps à la pression qui déchirait son corps de l’intérieur, explosa en projetant des débris sur l’ensemble des combattants.
Un sentiment de soulagement apparut au creux de la poitrine de Jagen ; la première phase de leur stratégie était un franc succès. Le plan A reposait en effet sur une diversion provoquée par le lancement d’engins lourds, qui permettrait à l’opérateur des communications d’Eripsa, le bothan Horsk Tre’far, de faire usage de tous les talents d’infiltration de son peuple en allant poser une charge à la verticale du générateur d’énergie de l’engin. Cela expliquait également que l’euphorie de Jagen soit tempérée par une crainte naturelle ; il espérait de tout cœur que le bothan avait rempli sa mission en restant sain et sauf.
Hélas, contrairement à ce qu’avait espéré Jango, la destruction du char n’avait pas poussé les troupes des Death Watch au repli. Au contraire, les mercenaires s’en trouvaient stimulés : ils n’avaient plus de moyen de retraite, et la seule possibilité de fuite reposait sur la traversée d’une forêt hostile qu’ils ne connaissaient pas. Leur hargne, décuplée, les poussait à se battre plus férocement encore, mais aussi à coopérer, ce qu’ils ne faisaient pas le moins du monde au début de la bataille.
Plusieurs d’entre eux sortirent des grenades à concussion et les lancèrent sur les troupes de Fett ; l’une d’elles projeta le
Mand’alor hors de sa tranchée, sans le blesser heureusement. Protégé des tirs ennemis par la réponse offensive de sa garde personnelle aux grenadiers, il put se relever, visiblement sans dommages.
-
Il est temps de se replier ! ordonna-t-il sur le canal général.
Évacuez les deux premières tranchées !La directive provoqua un afflux de troupes qui n’étaient certes pas fraîches mais tout de même bienvenues dans les rangs de Jagen, qui se retrouvait à présent en première ligne. Fett et quelques-uns de ses guerriers continuèrent leur retraite jusqu’à la barricade en duracier, qu’ils contournèrent pour prendre pied sur l’éperon rocheux qui surplombait leur camp et rejoindre la forêt qui s’étendait derrière. Une telle manœuvre revêtait des habits de lâcheté aux yeux des Death Watch, et pourtant…
-
Phase 2 du plan enclenchée ! déclara Jango dans son comlink.
- Je suis prêt, annonça Jagen à son tour.
À son poignet, derrière un cache de plastacier, le déclencheur des pièges avait été fixé sur la plaque de blindage de l’armure nouvellement acquise. Il se prépara à appuyer dessus.
Devant lui, il n’y avait plus que des commandos des Death Watch, qui cherchaient à prendre place dans les installations défensives abandonnées, pour se protéger du pilonnage régulier effectué par Tern et Jos, qui étaient parvenus, sans que Jagen ne sache comment, à ne pas attirer l’attention du char sur eux lorsqu’il était encore en état de les attaquer. Plusieurs officiers, reconnaissables aux bandes de couleur plaquées sur leur casque, les rejoignirent et se mirent à couvert.
Ce fut à ce moment-là qu’Eripsa n’eût plus d’autre choix qu’intervenir. Il enclencha le piège préparé par les Mandaloriens, en croisant les doigts pour qu’il leur permette de renverser la situation.
Ce n’était en apparence que quelques étincelles, bien trop ténues pour espérer infliger le moindre dégât thermique. Mais l’essentiel n’était pas visible. En secret, les droïdes-ouvriers qui avaient travaillé d’arrache-pied à l’élaboration de défenses au cours des jours écoulés s’étaient chargés d’installer dans les digues de terre quelques bidons remplis de ce qui restait d’essence dans les réservoirs du
Freedom Messenger. En enclenchant le piège, Jagen avait ouvert les vannes de ces conteneurs, dont le contenu imbibait à présent le sol des deux premières tranchées.
Soudain, les étincelles firent leur effet. Une gerbe de feu s’éleva dans la seconde tranchée, à l’extrémité droite ; non loin de là, dans la première tranchée, le phénomène se reproduisit. D’autres effusions se déclenchèrent alors ça et là ; avant qu’ils ne comprennent ce qui se passait, les mercenaires qui croyaient avoir trouvé un abri dans leur progression furent pris dans une nasse de boue incandescente et de flammes vives.
Le spectacle était tout bonnement insoutenable, et Jagen regretta soudainement d’avoir avalé sa ration le matin même. Il en vint même l’espace d’un instant à prendre en pitié ses ennemis, bien qu’il sache qu’un bon nombre d’entre eux n’étaient pas des enfants de chœur. C’était en effet un sort horrible qu’ils subissaient alors : la chaleur, l’essence, la terre chauffée à blanc s’infiltraient sous leur armure et commençaient alors leurs ravages rapides. Quelques-uns s’extirpèrent des tranchées et tentèrent d’enlever leurs prisons de métal de leur corps ; mais leurs gestes étaient brouillés par la douleur et la perte de leurs sens, et tous moururent avant d’avoir pu y parvenir. D’autres essayèrent de se rouler sur le sol, mais cela ne faisait qu’accélérer le processus de mort.
Une peur soudaine s’empara de Jagen pendant qu’il contemplait avec effroi la scène, lorsqu’il sentit un liquide chaud à ses pieds ; plein d’appréhension, il baissa les yeux et vit une flaque jaunâtre aux contours indistincts. Tournant la tête vers l’endroit d’où elle venait, il vit l’un de ses hommes plié en deux qui dégobillait sur place. Un tel comportement l’aurait outré en temps normal, mais dans ces conditions, il comprenait parfaitement ce qui se passait. Il était à deux doigts d’en faire autant.
Mais il ne pouvait pas se permettre de perdre sa concentration. Déjà les Death Watch survivants repassaient à l’assaut, en prenant bien soin d’éviter les tranchées. Même après deux déconvenues, ils restaient supérieurs en nombre, avec trois fois plus d’effectifs que les forces alliées, qui reculaient toujours un peu plus. Ils pouvaient donc se permettre d’arroser aussi bien les Républicains que les Mandaloriens d’un feu couvert, auquel ceux-ci ne pouvaient répliquer qu’épisodiquement, lorsqu’ils émergeaient des tranchées entre deux rafales pour ralentir la progression ennemie.
Jagen sentait bien que leurs chances de remporter la bataille s’amenuisaient peu à peu, à mesure que leurs hommes tombaient. Avec une pointe de fierté, il remarqua que son équipage tenait bon, malgré un équipement inadapté et un entraînement inexistant.
Comme pour venir le contredire, une grenade atterrit dans la tranchée à trois mètres de lui, sous les yeux de Ren Jorvis, Jagen tourna la tête vers lui, et vit dans le regard de son mécanicien que celui-ci avait compris ce qui allait se passer.
L’explosion fut relativement légère comparée à bien d’autres depuis le début de la bataille, mais elle suffit à remplir sa besogne, projetant des fragments de métal dans le torse et l’abdomen de Jorvis. Jagen accourut immédiatement, même s’il savait qu’il était impuissant.
- Ren ! Ren !
L’homme ne répondit pas. Jagen paramétra son casque pour percevoir les signes vitaux, et crut un instant qu’il ne fonctionnait plus, avant de se rendre à l’évidence : Jorvis n’était plus.
Ce n’était pas l’un de ceux qu’il connaissait le plus à bord du
Forte Tête. Ce n’était pas l’un des plus sociables d’ailleurs au sein de l’équipage. Mais c’était tout de même l’un de ses hommes, le premier qu’il perdait au combat… Dans une bataille qui n’était pas de leur ressort, pour laquelle ils n’étaient pas préparés.
- Ne restez pas planté là !
La voix, rendue impersonnelle par le projecteur vocal du casque, était celle du guerrier mystérieux qui avait fait partie de la patrouille pourchassée. Tirant d’une main sur les adversaires qui se rapprochaient toujours plus, il saisit l’épaule de Jagen de l’autre pour le forcer à se relever.
- Nous devons rejoindre les positions fortifiées derrière la muraille !
- D’accord, acquiesça Jagen en saisissant son arme. Je vous couvre.
D’un ordre bref sur la fréquence générale, il ordonna à l’ensemble des combattants de rejoindre l’espace derrière les barricades. Il n’eût pas à se répéter ; la plupart de ses hommes reculèrent en courant sans jeter le moindre coup d’œil derrière eux. Plusieurs furent touchés par des lasers perdus. Les Death Watch, durement éprouvés, crurent sans doute à un nouveau piège, et avancèrent avec circonspection, évitant les tranchées et surveillant du coin de l’œil la structure en duracier.
Une fois à l’intérieur, Jagen envoya l’ensemble des combattants encore sur pied dans la caverne artificielle, arrachant presque Tern et Jos de leurs tourelles, qu’ils rechignaient à quitter ; rendus fous de colère par les pertes subies, ils voulaient les faire payer au centuple à leurs cibles. Ils étaient presque tous entrés lorsque les Death Watch forcèrent la barrière du camp.
Jurant entre ses dents, Jagen tira sur celui qui semblait être le chef du groupe d’avant-garde. Le combattant, mieux entraîné que la plupart de ses compères, évita la salve et répliqua avec une grande précision. Le tir frappa Jagen au bras gauche.
Une douleur lancinante s’empara du membre touché, et le jeune colonel ne put retenir un cri. Sa vision obscurcie par la souffrance lui permit malgré tout de repérer un fusil aligné dans sa direction. Une décharge en sortit.
Un rayon jaillit alors à sa droite, et un cri de surprise vite étouffé se fit entendre devant lui. La vue lui revint alors complètement, et il vit l’officier qui l’avait blessé s’effondrer devant les regards éberlués de ses hommes. Jagen se reprit alors totalement et se releva avec difficulté. Ce qu’il vit manqua de le faire retomber.
Il avait été sauvé par le guerrier mystérieux qui le suivait depuis le début de la bataille. Son casque avait été emporté par la dernière rafale de l’officier mercenaire, permettant ainsi au jeune colonel d’observer son visage. Et quel visage… Des traits fins, mais suffisamment adoucis pour ne pas être coupants, servaient d’écrin pour deux yeux d’un bleu digne des planètes océaniques que l’on voyait dans les holofilms. Le nez, tout en finesse, surplombait une fine bouche d’un rouge passionnel. C’était à ses yeux la plus belle femme qu’il ait jamais vu.
Malheureusement, il n’avait guère le temps de la contempler, car ses ennemis reprenaient une nouvelle fois l’offensive, et il n’avait à présent plus d’autre choix que la retraite. Avant de s’enfoncer définitivement aux côtés de la guerrière dans les catacombes, il se retourna un bref instant, et crut apercevoir la lumière de quelques propulseurs, avant de plonger définitivement dans les ténèbres.
La descente se fit rapidement. Progresser dans une obscurité quasi absolue avait quelque chose d’effrayant, mais être poursuivi stimulait assurément les défenseurs, qui marchaient à allure rapide. Ils passèrent sans s’arrêter devant un éboulement apparent derrière lequel, ils le savaient, se cachait le sénateur Valorum. Enfin, ils parvinrent à une anfractuosité naturelle où ils purent se regrouper.
Il n’y avait plus d’issue, plus de retraite possible, désormais. La quarantaine de combattants rescapés pointèrent leurs armes vers le chemin d’accès et attendirent dans le silence le plus total.
Il y eût des bruits de blasters presque étouffés par l’épaisse couche de roche au-dessus de leurs têtes, suivis d’un silence lourd de conséquences. Enfin, des pas se firent entendre, et plusieurs soldats, les nerfs à vif, enlevèrent le cran de sécurité de leurs fusils.
À ce moment-là, quelques silhouettes solitaires apparurent à l’entrée de la caverne. À leur tête se trouvait vraisemblablement le chef du groupe, qui retira son casque. Il regarda d’un air étonné le comité d’accueil.
- Franchement, dit Jango, à qui vous attendiez-vous ?
**********
Théoriquement, Républicains et Mandaloriens avaient remporté en ce jour une grande victoire.
Concrètement, la vérité était tout autre. Tout d’abord, au niveau des effectifs ennemis ; même si la totalité du groupe d’assaut avait été neutralisée – les mercenaires ayant été tués ou capturés par les commandos aéroportés de Fett -, il ne s’agissait là que d’une petite part de la force de frappe des Death Watch, qui disposaient encore de nombreuses troupes fraîches dans leurs bases d’un bout à l’autre de la galaxie. Au plan stratégique, l’État-Major de l’ennemi n’avait été qu’à peine entamé ; contrairement à ce que Jango avait pu espérer, Vizsla n’avait pas été présent lors de la bataille, et courait toujours en toute impunité.
Cependant, tout n’était pas perdu pour tout le monde.
Ce fut au matin du troisième jour après la bataille, alors qu’ils exploraient les débris du char détruit, qu’ils le trouvèrent : un morceau de métal, provenant vraisemblablement d’une caisse de munitions, orné d’un poing rouge sang sur un fond noir encadré par des chaînes métalliques. La conclusion était sans appel.
La Brigade Stellaire de Korsterck armait la Death Watch.
Cette trouvaille avait plongé Jagen dans de profondes réflexions, dans lesquelles il se perdait toujours lorsque la flotte de secours arriva. Contrairement à ce à quoi il s’attendait, les vaisseaux – des transports corelliens CR-10 accompagnés par des Z-95 Headhunter – étaient peints aux couleurs bleues et blanches du Conglomérat Astrell, et non du rouge consulaire de la République. Theran Astrell lui-même commandait l’opération, et ce fut avec un certain plaisir qu’il retrouva son cousin au moment de débarquer. Tous deux rejoignirent ensuite la tente de commandement, où les attendaient déjà Valorum et Fett. La réunion commença par un rapide résumé de la bataille et des évènements qui la précédaient.
- … Et, à ce moment-là, pendant que Jagen les attirait dans les souterrains, mes hommes et moi les avons pris à revers, expliqua Jango.
- Comment avez-vous fait pour qu’ils ne se rendent pas compte du piège ? demanda Theran, intrigué.
- J’ai utilisé des fusils à projectiles, expliqua le mandalorien. Avec les dispositifs appropriés, ils peuvent être aussi silencieux qu’un Defel.
- Intéressant…
- En tout cas, cela nous a tous sauvé, conclut Valorum. Maintenant, pour la suite…
- Il nous faut une armée.
La réflexion de Jagen jeta un froid sur l’assemblée. Tous le regardèrent d’un air intrigué, surpris, et même amusé pour ce qui était de Theran.
C’était voulu ; le jeune colonel avait patiemment attendu un moment de ce type, à la fin du récit, pour exposer son point de vue. Il n’avait plus maintenant qu’à le défendre avec acharnement.
- Jagen, commença Finis, ce que tu proposes est en désaccord avec les Réformes de Ruusan…
- Les Réformes sont clairement obsolètes. Comment voulez-vous que nous fassions face à ces pirates qui menacent de mettre à feu et à sang ce que nous avons eu tant de mal à construire ?
- Puisque cette… « Brigade Stellaire » fournit les Death Watch, intervint Fett, nous prendrons soin de leur mettre des bâtons dans les roues. Mais nous n’avons pas suffisamment d’hommes pour leur tenir tête.
- Que savez-vous d’eux, Jango ?
- Rien qui ne soit pas arrivé aux oreilles de vos Renseignements, Sénateur. Ils cherchent à étendre leur pouvoir à l’ensemble de la Bordure, et ont le soutien de groupes séparatistes et anarchistes qui espèrent se servir d’eux pour parvenir à leurs fins.
- C’est inquiétant, déclara Valorum. Certaines planètes de grande importance, comme Kuat ou Serenno, ont déjà connu ce genre de mouvements…
- C’est pour cela qu’il nous faut des troupes afin de les neutraliser au plus vite, appuya Jagen.
- Très bien, je rapporterai cela au Chancelier. Autre chose ?
- Oui, dit Jango. Je pense que nous devrions poursuivre notre collaboration.
- Qu’entendez-vous par là ?
- Disons… Un échange de bons procédés. Informations. Opérations communes. Immunité des uns et des autres.
- C’est une proposition honnête, répondit Jagen.
- Comment faire pour la concrétiser ? demanda Theran. Les mandaloriens n’ont pas de gouvernement officiel…
- J’avais pensé à un intermédiaire, expliqua Jango.
Il tourna la tête vers l’entrée de la tente.
- Vanya, peux-tu venir s’il te plaît ?
La jeune femme écarta les draps plastifiés avec bien plus de grâce et d’élégance qu’on ne pouvait l’espérer en la voyant dans son armure de duracier. Entrant dans la tente, elle jeta un bref regard en direction de Jagen.
Jango et lui avaient parlé d’elle, après la bataille. Il restait fasciné par la belle guerrière, sans comprendre réellement pourquoi. Les symptômes, selon Fett, d’une maladie qui pouvait devenir mortelle pour les combattants.
Alors pourquoi la jetait-il dans ses bras si facilement ?
- Voici Vanya Cadera, expliqua le
Mand’alor avec un léger sourire. Je pense qu’elle parviendra sans problème à établir une liaison durable entre mandaloriens et républicains.
Jagen aurait juré le voir lui jeter un rapide coup d’œil.
- J’aimerais intégrer votre flotte, colonel, déclara la jeune femme. Je pense que je pourrais m’y rendre utile, pour les deux camps.
- Pourquoi vous éloigneriez-vous ainsi de votre peuple ? demanda Valorum.
- J’ai envie d’apporter ma contribution dans la destruction de Vizsla, répondit Vanya.
- Vous sentez-vous capable de suivre les ordres ? Nos règles sont plus strictes que celles des Mandaloriens, questionna le jeune colonel.
Fett le regardait, mais ne réagit pas. Son sourire narquois indiquait sans doute qu’il savourait ce moment au moins autant que Jagen se sentait mal à l’aise.
- J’apprendrai.
- C’est le genre de réponses que j’aime entendre. Bienvenue dans la Flotte.
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Il ne fallut que trois heures en tout pour rapatrier l’ensemble des patrouilles et empaqueter l’ensemble du matériel récupérable. Sur les cinq transports du Conglomérat Astrell qui avaient été réquisitionnés par Theran, trois furent mis à la disposition de Fett et de ses hommes, qui, habitués aux mouvements rapides, avaient été prêts bien avant les quelques Républicains.
Cependant, une dernière question taraudait encore Jagen.
- Pourquoi la République a-t-elle préféré t’envoyer plutôt que de dépêcher un ou deux Jedi et des croiseurs consulaires ? demanda-t-il à son cousin.
Theran eût un air étrange, l’espace de quelques instants. On aurait presque dit qu’il jubilait, comme s’il avait entendu ce moment depuis longtemps.
- La République ne s’est aperçue de rien. Non, l’initiative vient de moi. Je t’ai contacté voici quatre jours et tu ne m’as pas répondu ; j’ai compris à ce moment-là que quelque chose ne tournait pas rond. En temps normal, tu aurais tout de suite réagit à ce que j’avais à t’annoncer.
- Et de quoi s’agit-il ?
Le regard d’Astrell se fit franc et perçant, comme s’il souhaitait capturer à jamais la réaction à venir de Jagen.
- Cela concerne les travaux de réhabilitation de Taris. On a peut-être repéré l’
Endar Spire.